Critiques pour l'événement Britannicus
20 juil. 2018
8/10
53
Qualis artifex pereo.

Telles furent, pour Suétone, les ultimes paroles prononcées par Néron avant son suicide. Ce dernier aurait voulu que la postérité le voie en gouvernant éclairé et en artiste de talent. Hélas, elle ne se souviendra de lui que comme un tyran. De ses deux premières années de règne, à l’époque, saluées pour leur exemplarité, il ne restera bientôt plus rien. L’empereur est las de ne pouvoir exercer le pouvoir seul, de craindre pour son trône et de ne pas être aimé de celle dont il est épris. Alors, il décide de forcer le destin …

C’est exactement à cet instant que prend place la tragédie de Racine, Britannicus. A ce moment où croyant asseoir sa puissance, Néron assure sa perte.

Pour cette nouvelle version de l’œuvre sur scène, point d’Antiquité. Le metteur en scène, Stéphane Braunschweig, a fait le choix de transposer les personnages dans un univers contemporain. Décor froid comme le marbre d’un palais romain, moquette aussi rouge que les tapis d’apparat du pouvoir et costumes sombres. Ce choix pourrait paraître étrange et pourtant il confère au texte une modernité insoupçonnée. Ainsi, le spectateur, pouvant être rebuté par la situation antique de l’action, trouvera ici de quoi se satisfaire. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé.

Les interprétations ne souffrent aucune critique. Les comédiens créent, par leur jeu, une tension à chaque scène, accentuée par une ambiance sonore des plus inquiétantes. Seule une touche d’humour disséminée ça ou là viendra alléger cette atmosphère.

Une pièce saluée par un tonnerre d’applaudissements. Amplement mérité !
19 juin 2018
9/10
81
Eloge de la modernité !

Hier soir Racine était parfaitement à notre portée.
Que ce soit par ses alexandrins, ou par son sujet.

Le vrai talent de la Comédie française? Transposer Britannicus au XXIe siècle, afin de nous montrer que l'histoire se répète sans cesse, que les mécanismes du pouvoir sont toujours les mêmes ....

Propos intemporel donc, mais sans trahir Racine et ses vers somptueux, bien au contraire !!
La sobriété du jeu des comédiens, renforcée par celle du décor, met encore plus en relief ce texte sublime ...

Laurent Stocker joue finement la dualité du personnage, entre despote fraîchement promu et gamin écrasé par une mère abusive.
Dominique Blanc, incarne une superbe manipulatrice. Benjamin Lavernhe, génial dans le rôle de Narcisse, est une véritable incarnation du mal.
Quand à Georgia Scalliet, elle est une belle Junie, sensuelle et malheureuse.

Une tragédie avec peu de cris, et beaucoup de classe !!!
17 sept. 2016
7,5/10
80
Lorsqu'on dit Racine, certains visages commencent à se crisper. Et cela empire lorsqu'on annonce Britannicus. Mais c'est parce qu'ils n'ont pas vu l'incroyable adaptation à la Comédie Française de Stéphane Braunschweig. Parce que s'ils l'avaient vu, c'est un sourire pleins d'admiration qui serait. Mais pourquoi?

Que raconte cette pièce?
On pourrait croire que Britannicus est au coeur de l'histoire puisque c'est son prénom que porte le livre. C'est une victime collatérale de la lutte sans merci que se livre sa mère, Agrippine et son frère, Néron pour diriger Rome. Il va être au coeur d'une autre lutte avec son demi-frère Néron pour la possession de la belle Junie. Les deux hommes sont tombés amoureux de la demoiselle et l'empereur veut la prendre pour épouse dès qu'il aura répudié celle qu'il a. Il n'aime pas cette dernière et elle ne lui donne pas d'héritier. Sauf que Junie partage les sentiments de Britannicus. L'amour peut-il triompher du mal? Le doute persiste et les confidents Narcisse, Burrhus et Albine vont changer l'histoire en influençant leurs maîtres.

Comment est la mise en scène?
Pour rendre cette quête de pouvoir actuel, le metteur en scène Stéphane Braunschweig a décidé de placer l'histoire dans un lieu du pouvoir contemporain. Les portes et les fenêtres semblent écraser les occupants qui sont face à une destinée bien compliquée. L'avant-scène est occupée par une salle de réunion froide et impersonnelle avec une très grande table et des fauteuils chromés. Il n'y a pas besoin de se charger d'artifice pour montrer la violence glacée qui y règne. Dans le fond de scène, des portes apparaissent et disparaissent à la hauteur des secrets et des complots qui se trament dans le palais de Néron. Il faut toujours être au courant de tout lorsqu'on est au pouvoir et ne pas hésiter à franchir des limites.

Le metteur scène choisit aussi cette neutralité dans les costumes de comédiens avec pardessus ou costumes noirs et chemises blanches. Aucune couleur ne viendra teinter cette tragédie.

Il y un petit élément qui m'a quand même gêné. C'est la transition entre les actes avec la descente d'un rideau avec des effets visuels et sonores. J'ai trouvé que cela coupait l'élan de l'histoire de façon un peu brutale qui demandait de se reconnecter dans le moment.

Sinon, mon moment préféré est l'échange entre Agrippine et Néron à la suite de la mort de Britannicus. Ils parlent de l'horreur de ce meurtre horrible et en fond, derrière un filtre, le corps torse nu de l'homme sur un fauteuil. Une scène que j'ai trouvé touchante et profonde qui met vraiment en exergue la folie qui touche le pouvoir.

Qui sont les personnes derrières les personnages?
Dominique Blanc, pour son premier rôle comme pensionnaire du Français incarne une femme de pourvoir. Agrippine, soeur de Caligula, un maillon de la généalogie de la violence. Elle veut toutefois faire la paix et met au calme sa fureur. C'est avec un langage posé et réfléchit que son personnage va montrer sa complexité, sa lucidité et surtout sa grande intelligence. Cette comédienne nous montre une grande Agrippine.

Laurent Stocker, qui est un de mes comédiens préférés de la Comédie Française montre à chaque pièce que je vois de lui l'étendue de son talent. Je l'ai trouvé extraordinaire dans ce Néron froid et odieux. Visage impassible, les émotions n'ont pas de place dans l'exercice du pouvoir même pour la famille, plutôt perçue comme de potentiels rivales. Il veut se libérer de l'emprise de sa mère et veut la haïr de ton son corps. Une partie se le refuse et pour éviter cela, il préfère l'éviter. Mais la rencontre est obligatoire. Agrippine connaît un peu l'influence qu'elle peut avoir sur lui.

Néron : "Heureux ou malheureux, il suffit qu'on me craigne."

Stéphane Varupenne incarne avec douceur et sensibilité Britannicus Grand, fort, toujours avec sa barbe, il rend jaloux Néron ce qui lui vaut sa haine, alors qu'ils ont été élevés ensemble. Il se dégage quelque chose de fragile de ce comédien qui rend son personnage encore plus attachant. Surtout que la palette des émotions va être de rigueur car il va sentir le bonheur auprès de son aimé, Junie (Georgia Scalliet), la souffrance du fait qu'on lui retire son amour et la colère envers son frère qui veut la prendre pour épouse. Il va passer par toutes ces phases qui rappellent à quel point on est fragile lorsqu'on aime vraiment.

Les rôles des trois conseillers, discrets et peu présents, vont influencer le destin. Hervé Pierre/Burrhus incarne l'homme qui a tout vu et vécu qui se veut donner les meilleurs conseils en toute honnêteté. D'ailleurs, il dira à Agrippine : "Ce n'est plus votre fils, c'est le maître du monde". J'ai adoré le sérieux du personnage accentué avec la voie grave du comédien. C'est le seul qui va changer d'avis pour maintenir une paix au coeur du royaume. Car Benjamin Lavernhe/Narcisse, va être perfide et va manipuler l'empereur sans scrupule. Grand, léger, discret, on a envie de lui faire confiance et de lui ouvrir notre coeur. Le pauvre Britannicus va se prendre au jeu et va en perdre la vie.

Cette pièce de 1 800 alexandrins de Jean Racine mêle politique et psychologie. Le spectateur plonge dans un univers où la manipulation est maîtresse et où le malheur est roi. Empire ou entreprise, les rivalités et les traitrises sont là, un parallèle intéressant qui a donné tout son intérêt à cette pièce. Encore une fois la Comédie Française montre l'étendue de son talent et de sa virtuosité.
15 sept. 2016
5/10
64
Malgré une mise en scène transposée ici dans un "board" d'une entreprise, la pièce est extrêmement scolaire avec un jeu très bavard et dont la froideur est surtout très monotone.
12 juil. 2016
2/10
128
Une pièce sans âme, sans nerf.

Néron, Laurent Stocker, n'y a rien d'inquiétant, son jeu est d'une neutralité qui ni n'effraie ni n'intéresse. Agrippine, Dominique Blanc, récite de façon appuyée, chaque virgule, et on croit entendre tous les rôles de tragédienne qu'elle a déjà joués, sans qu'elle joue celui-ci vraiment. Junie est tout simplement inaudible, elle minaude, pleurniche, entre la midinette et la mijaurée. Britannicus essaie de mettre un peu de fièvre.

Rien ne sauve la pièce, pas même sa mise en scène : un conseil d'administration d'une entreprise, des hommes en cravate. On cherche la profondeur. On cherche la tragédie. On tente d'entendre Racine.

Quel mauvais spectacle qu'offre là la Comédie française.
21 juin 2016
7/10
159
Une salve d'applaudissements, le public en redemande et le rideau se relève par trois fois. Les acteurs semblent heureux (étonnés?) de cet enthousiasme. Dominique Blanc fait une rentrée au Français sans faux pas, avec cette prestance et cette belle voix à la diction parfaite qui la caractérisent. Une grande actrice sur un beau texte de Racine. La troupe offre un bon spectacle, digne de ce qu'on pourrait attendre du Français mais on a vu largement, largement mieux. Voici pourquoi:

La mise en scène tout d'abord : pourquoi ces vilaines tables d'open space, ces imperméables qui nous rappellent qu'il pleut dehors ? Vient-on au théâtre pour voir ce qui nous environne tout le jour ? Pourquoi refuser de nous faire rêver un peu avec de beaux costumes et un décor plus auguste ? Certes la mise en scène d'il y a de ça plusieurs années de Bérénice, ultra classique à force de colonnades et de toges, avait engloutie les acteurs en leur ôtant un peu de crédibilité car on ne se reconnaissait pas dans le drame. Mais n'y a-t-il point de juste milieu possible ? De plus jamais les acteurs ne nous regardent, ils sont comme derrière un écran de télévision, nous tournent le dos. On aurait voulu des personnages plus en contact avec l'audience, qui jettent des regards dans la salle car malheureusement l'émotion ne passe pas, on a l'impression d'être snobé. Les règles de théâtre les plus élémentaires (ne pas tourner le dos au public par exemple) sont faites pour établir ce lien qui peut faire basculer une représentation dans le sublime, il ferait bon le rappeler à Stéphane Braunschweig!

La distribution ensuite : malgré la gentillesse qu'on lui sait dans la vie quotidienne, Laurent Stocker n'a pas exactement la carrure d'un Néron. Sa petite taille lui donne l'air d'un nabot aux côtés de Narcisse, un nabot certes un peu méchant mais surtout pantois. La pièce eut pu se nommer "Néron manipulé" plutôt que "Britannicus". On aurait aimé un Néron un peu plus vicieux et moins soumis à son entourage. Pour sa part, Dominique Blanc fait une Agrippine fort attachée au pouvoir mais qui sait jouer de sa verve et de son statut maternel pour mener sa barque. Il y a ce moment très court mais jubilatoire, après qu'Agrippine ait convaincu son fils, où l'actrice nous regarde et regarde les acteurs avant de partir en pavoisant comme une pimbêche. Génial, le public attentif et avide saisit cet instant et rit de bon cœur: il aurait fallu plus de ces petites étincelles car le public a suivi d'un gloussement où d'un murmure à chaque fois qu'on lui a donné quelque chose sous la dent en se rappelant qu'il faut jouer avec lui. Ne négligez pas un si bon public, monsieur Braunschweig, c'est pour lui que le thêatre est! On salue la prestation de Georgia Scalliet qui n'a plus à prouver son talent ni sa capacité à mettre de l'émotion dans son jeu. Certains acteurs m'agacent en ne s'oubliant pas derrière leur rôle et paraissant toujours eux quel que fut le rôle qu'on leur donne. Georgia Scalliet me plaît au contraire par sa constance dans la beauté du jeu.

Une bonne représentation donc mais une mise en scène qui ne met pas assez en lumière le talent des acteurs, une distribution à peut-être remanier et un texte qui aurait pu être un peu plus sublimé quoique la diction soit parfaite et qu'on arrive parfois à compléter les alexandrins. Un petit effort monsieur Braunschweig, c'est à la Comédie Française que vous "dirigez", je reste sur ma faim !!!!
28 mai 2016
10/10
163
Enfin ! Enfin, la Comédie-Française remonte un Racine ! Le dernier vu en date, Bérénice, monté par Muriel Mayette, ne m’a laissé qu’un vague souvenir.

Ici, Eric Ruf a fait appel à son rival Braunschweig pour la mise en scène, contre lequel il avait disputé la place d’Administrateur de la Comédie-Française. D’abord réticente à sa transposition dans ces hauts lieux de pouvoir, avec des acteurs en costumes cravate – Comment ? Ne pas monter Racine en toges ? – j’ai finalement laissé sa chance au spectacle. Brillante résolution.

Si Britannicus prend pour titre celui d’un personnage de la pièce, il n’est pas toujours au premier plan. Certes, Britannicus aime Junie et est aimé d’elle. Bien sûr, son demi-frère Néron va l’enlever car il s’éprend d’elle à son tour. Mais tout cela n’est qu’une excuse pour appuyer l’intrigue : c’est d’abord une histoire de pouvoir, de passage de pouvoir, de désir de pouvoir, de trahisons pour le pouvoir… C’est une véritable pièce politique. Si une intrigue amoureuse est présente, elle n’est pas l’essentiel : on ne voit que Néron, empereur romain, tendre lentement vers une folie sûre, et rejeter peu à peu toute sa famille : son frère, Britannicus, et sa mère, Agrippine. Ce goût du pouvoir qu’il acquiert pendant la pièce, nulle doute qu’il le tient d’elle : redoutable, immorale, sans scrupule, elle écarte de son passage tout ce qui ne va pas dans son sens.

C’est dans le rôle d’Agrippine que Dominique Blanc fait son entrée comme pensionnaire à la Comédie-Française. Entrée très attendue… et très réussie. Elle est sur la scène de la Salle Richelieu comme une reine : imposante, belliqueuse, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Mais tout ne glisse pas sur elle sans l’atteindre, et l’on sent que malgré tout, ce pouvoir qui l’échappe ne la laisse pas indifférente et la rage de le conserver fait parfois place à la peur de le perdre. A ses côtés, le reste de la distribution excelle tout autant : Georgia Scalliet est une Junie sensible et attachante, brûlant d’un amour pour l’excellent Stéphane Varupenne qui incarne un Britannicus qui monte en assurance au fil de la pièce. Hervé Pierre est un Burrhus attachant, raisonné et troublé, dont la souffrance face à l’évolution de César a su me troubler. Benjamin Lavernhe continue de monter en puissance : il est ici un Narcisse angoissant, redoutable et sans scrupule ; et sa voix, notamment dans la scène où il semble contrôler Néron, prend une tournure sombre et menaçante qu’on ne lui connaissait pas.

Il y a longtemps que je ne doute plus du talent de Laurent Stocker. A l’annonce de sa future interprétation de Néron, contre-emploi pour l’acteur qu’on voit peut dans ce registre, je me suis vue le défendre à plusieurs reprises, arguant qu’il avait plus d’une corde à son arc et qu’il pouvait continuer à nous surprendre. J’étais encore loin de la vérité. Quelle transformation ! La composition de Stocker en Néron est d’une perfection absolue. Réglé au millimètre, son regard de faucon le précède partout où il entre, sa moue trahissant une amertume profonde. En un quart de seconde, son visage passe d’un plein éclairage, révélant l’amertume et la rage de ses prunelles, à la pénombre plus inquiétante encore qui le rend presque démoniaque. Le geste est mesuré et l’effet angoissant. Tyran aux éclats d’enfant gâté, il compose un Néron effrayant, impulsif, basculant peu à peu dans la folie.

La mise en scène de Braunschweig est d’une extrême rigueur : sous cette apparente simplicité, tous les détails sont pensés, minutés, parfaitement effectués. Les lumières créent une ambiance inquiétante en éclairant habilement chaque visage, les scènes d’affrontement sont réglées à la seconde, les placements anticipent les paroles, comme cet alignement total entre Néron et Narcisse lors de l’acte V, qui vient compléter le dialogue sans équivoque. Belle idée également de transposer la pièce dans ces grandes pièces qui évoquent des lieux de pouvoir à la House of Cards : l’alexandrin naturel des acteurs s’y adapte parfaitement, et même l’histoire romaine ne choque pas dans ce décor pourtant inhabituel chez Racine. Mais la pièce, plus actuelle que jamais, épouse parfaitement les contours amenés par Braunschweig, qui la porte ainsi à son sommet.
28 mai 2016
8,5/10
281
Rome. Washington.
Palais impérial. Bureau ovale de la Maison blanche.
L'empereur Néron. Le président Frank Underwood.

Et si Stéphane Braunschweig s'était inspiré de la formidable série américaine « House of Cards » pour monter ce Britannicus ?

Et si les enjeux de pouvoir similaires dans les deux cas avaient induit les modernes parti-pris scénographiques et dramaturgiques du metteur en scène ?

Car il faut d'emblée être clair : ce qui a intéressé Braunschweig, c'est bien cette réelle prise de pouvoir de Néron, ce moment où le règne bascule et où le monstre se révèle en devenant un assassin.
Comme dans la série.

En coûteux costume noir, chemise blanche immaculée, Néron s'émancipe :
- de sa mère Agrippine, bien entendu : le petit a grandi, et il semble qu'il n'en fera plus qu'à sa tête.
- de ses deux gouverneurs : Sénèque est en province et le bon Burrhus ne pourra éviter l'inéluctable.

Ici, c'est avant tout le beau décor qui va symboliser le Pouvoir.
Le public est accueilli par une immense porte, sur le plateau. La porte de la Puissance.
Puis, sur une moquette rouge, une grande table ovale qui va bouger tout au long de la pièce, reculant dans la perspective forcée.
Cette table du Conseil, sera finalement reléguée du premier plan au Lointain, pour finalement disparaître, remplacée par le corps de Britannicus.
Plus besoin d'avoir des avis à exprimer autour de cette table : l'Empereur décidera de tout.
C'est lui, le Boss !

Le conflit amoureux ne semble être ici qu'un prétexte : il n'est là que pour permettre à Néron de déraper, de passer du côté obscur de la Force, comme dirait Lucas.

Tant pis pour le caractère poétique des alexandrins : ici, on fait de la haute politique.

La vraie réussite de Braunschweig est avant tout d'avoir su tirer de ses comédiens une vraie cohérence, une minutieuse justesse dans leurs rapports.

Le duo Agrippine/Dominique Blanc – Néron/Laurent Stocker est formidable.
On sent jusque dans les attitudes, les positions des corps le glissement qui se produit.

De complètement recroquevillé devant sa mère, jusqu'à sa magistrale sortie de scène devant elle, Stocker m'a enthousiasmé : ses sous-entendus font mouche, ses petits mouvements de tête les accompagnant sont drôles. Le public rit de ces double-sens.

Dominique Blanc, elle, est tout simplement somptueuse. L'attente de la rencontrer dans ce rôle n'est pas déçue. Dans sa bouche, les alexandrins raciniens ont une force peu commune.
On se délecte véritablement à l'écouter.

Une nouvelle fois, Hervé Pierre m'a sidéré : quel comédien, quel grand interprète !
(Oui, je sais, il me lirait l'annuaire inversé des entrepreneurs de pompes funèbres que je serais en extase devant lui...)
Haut fonctionnaire militaire, une prothèse manuelle gantée de noir, main probablement perdue au combat, son Burrhus m'a beaucoup touché : il nous fait sentir, et de quelle façon, que son protégé lui échappe, ne l'écoute plus.
Son « Rome ! » lancé à plusieurs fois est à vous faire frissonner !

Mais les petits jeunes ne sont pas en reste.
Benjamin Lavernhe, en sombre et fourbe Narcisse, parvient à nous indigner : c'est un serpent, un vrai méchant. Il le sait, et le joue à la perfection.

Et puis les deux jeunes sacrifiés Britannicus/Stéphane Varupenne, Junie/Georgia Scalliet m'ont beaucoup ému. J'aurais aimé qu'ils puissent s'en sortir, être heureux, abandonner cette atmosphère politicienne.
Les deux comédiens sont on ne peut plus crédibles, et ont su nous faire partager les affres de leurs personnages.

Il faut également mentionner le beau jeu de Clotilde de Bayser, en rigoureuse Albine, la confidente d'Agrippine.

Je terminerai par un petit étonnement.
Etait-il nécessaire de sacrifier à cette mode qui consiste à faire jouer les comédiens dans le public, à les faire entrer et sortir de scène par la salle ?
J'ai personnellement trouvé que tout ceci était assez gratuit et n'apportait pas grand chose.

Quoi qu'il en soit, ce Britannicus reste une grande réussite, qui marquera la première saison « rufienne » du Français.

Merci, M. Braunschweig !
20 mai 2016
4/10
100
Dieu que c'est froid, long, glaçant.

Le parti pris des décors, de la mise en scène, du jeu des acteurs, a été un vrai supplice pour moi. Première fois que je vis une vraie déception sous l'administration d'Eric Ruf.

J'adore les acteurs, pourtant, la distribution est parfaite. Mais tout cela est si froid. Trop froid. Mais je vous laisse juger.
18 mai 2016
8,5/10
94
Dans un décor moderne qui ressemble à un haut lieu abritant les décisions des plus grands de ce monde, aux allures d’une salle de réunion contemporaine, sphère atemporelle, impersonnelle, glaciale et aseptisée qui fait froid dans le dos, les personnages évoluent avec une grande sobriété autour d’une table imposante.

Dominique Blanc, la nouvelle pensionnaire du Français, règne en maître sur le plateau. Dans la peau d’Agrippine, elle fait des merveilles. Cette femme de pouvoir, très élégante dans son tailleur-pantalon sombre, impressionne et domine une distribution de grande qualité. Son orgueil l’a mené à créer un véritable tyran sur lequel elle sent bien qu’elle a de moins en moins de pouvoir mais elle garde la tête haute, sans faiblir, alliant douceur et fermeté.

Face à elle, le fragile Laurent Stocker parvient à nous convaincre totalement dès son entrée en scène. Telle une chrysalide devenue papillon maléfique, il déploie ses ailes talentueuses pour faire naître le mal ancré en lui avec une incroyable froideur. Tentant de se libérer de l’emprise maternelle, son Néron est un être double, à la fois vulnérable et déterminé. La sensible Georgia Scalliet prête quant à elle ses traits à la malheureuse et sombre Junie avec une grande justesse de jeu, parfaitement dosé, tandis que Stéphane Varupenne est un peu en retrait dans le rôle-titre mais apporte une douceur sincère à son personnage. Si Clotilde de Bayser campe une parfaite Albine, ni trop présente ni trop effacée, il en va de même pour Benjamin Lavernhe, incroyable Narcisse, fourbe et traître qui conduira Britannicus à sa perte. Il est d’ailleurs très bon dans la scène où il manipule Néron, comme une mauvaise conscience. Cependant, nous donnons une mention spéciale à l’excellent Hervé Pierre qui est un exceptionnel Burrhus. Représentant le sens de l’état, il signe là un sans-faute grandiose et est convaincant dans son opposition à Néron.

La distribution passe d’un espace à l’autre avec aisance. Les regards sont éloquents, les silences lourds de sens. Les nombreuses entrées et sorties qui se font par le public permettent de nous inclure dans l’intrigue. Nous nous sentons concernés, happés par la tragédie qui prend forme. Sur le plateau, les portes s’ouvrent et se ferment comme des tiroirs dissimulant les secrets des hauts dirigeants. La mise en scène de Stéphane Braunschweig tend à actualiser le propos de Racine tout en conservant les vers d’origine. Les alexandrins, qui ne sont pas trop appuyés, s’enchaînent avec naturel et fluidité. La diction parfaite mais non déclamatoire des membres de la troupe du Français permet de les faire résonner avec force et modernité.

C’est un véritable bonheur de les entendre ainsi dans la maison de Molière et nous ne voyons pas les deux heures de représentation qui passent à toute allure. En sortant, nous ne pouvons nous empêcher de constater que la soif de pouvoir et d’ascension sociale mènent toujours à la trahison, et avec Britannicus, pièce évidemment politique, Racine se place comme un visionnaire d’un monde corrompu qui n’a pas changé.
17 mai 2016
9/10
79
Eric Ruf l’avait promis : s’il était nommé Administrateur Général de la Comédie Française en 2015, il proposerait aux candidats écartés une mise en scène lors des saisons prochaines. C’est chose faite avec Stéphane Braunschweig : le candidat malheureux, nommé depuis à la tête de l’Odéon, propose ici une tragédie moderne d’une actualité aussi intemporelle qu’édifiante, aussi cuisante que magistrale.

Et c’est avec Racine, donc, que Dominique Blanc, nouvelle pensionnaire du Français, fait ses premiers pas sur la scène de la salle Richelieu. La comédienne est impériale : d’une justesse magistrale, toujours retenue, conservant en tout temps son calme olympien, Agrippine orchestre, provoque, manipule. Frêle, vêtue d’un simple costume noir, elle est cette femme prête à tout pour rester à la tête de Rome en manipulant son fils Néron s’il le faut. Laurent Stocker est Néron : plus faible au début, à la fois veule et d’un cynisme implacable, le comédien lui offre une palette de sentiments largement nuancée qui va de l’aveuglement amoureux, de l’apparente soumission filiale à la froideur implacable et assassine d’un tyran. Stéphane Varupenne (Britannicus) ajoute une dimension humaine à son rôle de victime d’une lutte perdue d’avance tandis que Georgia Scalliet (Junie) est lumineuse, amoureuse, pleine d’espérance et finalement résiliée. On n’oubliera pas de citer l’excellent Hervé Pierre (Burrhus, mélange d’âme damnée et de conseiller soumis) ou Benjamin Lavernhe (fallacieux et haïssable Narcisse), et Clotilde de Bayser (Albine, confidente fidèle d’Agrippine).

Tranchant radicalement avec les ors et parures de la salle Richelieu, le décor, conçu par Braunschweig, est d’une austérité à la fois spartiate et impérieuse : les rideaux translucides se superposent et laissent apparaître, en strates successives, imposantes portes blanches, salle de conférence impersonnelle uniquement meublée d’une immense table et de chaises austères. C’est ici que se déroulera la tragédie, dans cet antre du pouvoir où se jouent et se déjouent ambitions et rivalités politiques.

A la fois glaciale et minutieusement géométrique, la mise en scène de Stéphane Braunschweig sert le texte racinien sur un plateau aussi neutre que redoutablement efficace. Le jeu distancié des comédiens dissimule sous une fausse neutralité une passion aussi sourde que prégnante chez chacun des personnages. Et c’est cette distance qui, en réalité, nous rapproche de Racine et de son texte en le débarrassant de toute emphase, de toute émotion primale qui viendrait le parasiter.

Un travail d’orfèvre sobre et minutieux et, au final, d’une rare dextérité.
13 mai 2016
5,5/10
220
Britannicus est une pièce qui a des défauts et des qualités.
En effet, la mise en scène est très bien réalisée et le jeu de portes annonce les jeux de pouvoir. Les voiles noirs mettent eux en lumière les intrigues normalement gardées secrètes.

De plus, les costumes, la monumentalité des ouvertures et l'épurement de la mise en scène créent une forme de tension palpable qui annonce la tragédie.
Le décor épuré était en accord avec la sobriété de la diction du texte.
Les acteurs sont bons, Dominique Blanc excelle dans son rôle d'Agrippine.

Le bémol est dans le texte. Peut être étais-je fatiguée ou le texte était un peu difficile mais je n'ai pas accroché. Le lyrisme me perdait, m'embrouillait et l'histoire me filait entre les doigts. Le respect stricte du texte m'a donc dérouté.
Les vers n'étaient pas assez chantés pour faire ressortir les rimes, les jeux de mots, les sous-entendus.

Dommage.
7 mai 2016
8/10
189
Première rencontre avec Racine au théâtre, je n'ai donc pas de point de comparaison. J'ai beaucoup apprécié cette interprétation et cette mise en scène à la comédie française.

Une banalité, mais comment ne pas souligner la beauté de la langue racinienne. Le rythme de la phrase, le choix du mot juste permettent de transcender des monologues qui sans cela pourrait nous paraitre ennuyeux. J'ai parfois fermé les yeux pour me laisser porter par la puissance des paroles.

Pour cette première encore quelques bafouilles mais dans l'ensemble les comédiens ont tenus leur rang. Dominique Blanc est parfaite en Agrippine. Georgia Scalliet est une Junie convaincante, peut-être un poile trop effacée. Le choix de Laurent Stocker comme Néron m'a dérouté quelques secondes mais au final il incarne parfaitement les contradictions de son personnages, ses hésitations vers le tyran. Que du positif sur les autres acteurs...

La volonté au travers des costumes et du décor, d'inscrire cette pièce dans le présent est à nouveau de mise. Cela ne gène pas la compréhension de la pièce mais c'est clairement inutile et sans intérêt. Les jeux de transparence, de perspectives et de portes sont par contre particulièrement réussis. En particulier Britannicus gisant...