9/10
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Une histoire qui rebondit de scènes en scènes comme des souvenirs qu’on égrène, dans l’ordre d’un désordre amoureux que les aléas de la vie chahute et qu’un récit astucieux nous invite à découvrir à la façon d’un puzzle qu’on défait et qu’on restitue sans cesse. Une histoire qui compte 1494 jours.

Un spectacle qui titille en permanence l’imagination du public, le piégeant dans les tournures de la narration, les retours en arrière et les sauts en avant, sans logique apparente. Juste ce qu’il faut pour que la soif de savoir et le désir projeté se bousculent ou se rejoignent, et ce jusqu’au bout où il faudra bien in extremis poser un point final. Un point d’exclamation ou un point d’interrogation ?

« Un voyage en train, une soirée arrosée et l’histoire démarre. Complicités, jalousies, doutes, tendresse. Puis tout bascule... Le récit virevoltant d’un amour mis à rude épreuve par un destin cruel. On entre dans l’intimité du couple qui se construit au fil des jours et doit composer avec des parents parfois encombrants. Une chronologie atypique, dynamique et un ascenseur émotionnel jusqu’à la chute vertigineuse. »

L’écriture de Pierre-Henri Gayte est fluide et habile, piquée d’humour dans des répliques souvent astucieuses et bien tournées. La narration joue avec les nœuds du doute et de l’espoir, les rouages de l’amour empêché, les ravages de l’affect et de la possession, l’influence des liens filiaux. Le tout décrit dans un réalisme du quotidien faisant le lit à des jeux naturalistes cherchant la proximité avec le public, dont les artistes au plateau s’emparent avec réussite.

La dramaturgie est complexe tout en restant accessible. L’usage du temps qui passe souvent entremêlé au temps passé offre un suspens au dévoilement, brouillant les pistes ou les suggérant. La vidéo en fond de scène qui compte et recompte les jours scande le récit, l’armant de rebondissements soumettant l’attention à la patience de leur découverte.

L’interprétation recèle toute une richesse de nuances. Marion Philippet et Pierre-Henri Gayte forment un couple crédible et attachant, difficile de ne pas s’identifier au travers de leurs personnages qu’elle et il incarnent avec une simplicité et une efficacité évidente. Mention spéciale à Marion Philippet qui détonne par la précision, la finesse et la puissance de son jeu. Michel Charpentier et Nancy Jankowiak se partagent plusieurs personnages. Il et elle passent de l’un à l’autre sans à-coup et avec conviction. Mention spéciale à Michel Charpentier qui fait ressortir de ses personnages la bonhommie, la jovialité, l’autorité ou le doute et contribue à colorer les scènes.

Un récit curieusement fait qui rend curieux tout le long. Un spectacle qui feuilletonne des morceaux de vie troublés et troublants, souriants et émouvants. Une mise en vie attractive et une interprétation réussie. Je recommande ce spectacle original et bien fait.
18 mars 2023
9/10
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Passionnant, Poétique, Bouleversant, Réjouissant.

Jacques Weber dont nous n’oublierons jamais la voix profonde transperçant l’espace et faisant frémir le public dans la Cour d’honneur à Avignon, ‘Architecture 2019’, Jacques Weber qui nous a bouleversé dans l’intimité de ce beau théâtre des Bouffes, ‘Ranger 2023’...

Jacques Weber, aujourd’hui, a eu la magnifique idée de partager avec nous des textes classiques ou contemporains poignants, poétiques, dramatiques ou drolatiques en compagnie de Pascal Contet accordéoniste de renommée internationale et Greg Zlap anciennement harmoniciste de Johnny Hallyday.

En solo, en duo ou en trio, Pascal Contet , Jacques Weber et Greg Zlap, nous offrent un grand moment d’émotion, de beauté et de poésie.

Jacques Weber, nous fascine par son interprétation époustouflante de Impro sur l’Expiation de Victor Hugo , ‘un récit sur la déroute de la campagne de Russie’.
Il nous bouleverse à travers le magnifique et dramatique texte de Marguerite Duras ‘Le coupeur d’eau dans La vie matérielle »,

Nous retrouvons notre âme d’enfant et regardons les poissons nager dans les nuages en découvrant un texte de Jacques Weber, Le Ciel est à l’eau.

Les rires fusent dans la salle, lorsque devant nos yeux, Corneille vieux et usé apparait récitant Marquise ce poème destiné à une marquise de 25ans qui a refusé ses avances.

Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

Le jeune Arthur Rimbaud nous rend visite :

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans …

Nous croisons

*l’amour : ‘Paul Claudel, l’échange adapté par Louis Jouvet.
*l’approche de la vieillesse ‘Anton Tchekhov, Le Chant du cygne’.
*l’humour avec’ Raymond Devos, L’Auteur critique ou un cas de dédoublement’.

Nous allons de surprise en surprise....

Avec un immense talent, Jacques Weber nous mène en voyage à travers ces illustres textes merveilleusement choisis où les auteurs se croisent pour notre plus grand plaisir.

Les mots de ce grandiose tableau littéraire s’envolent, conversent, fusionnent, se promènent à leur gré au son des improvisations de Pascal Contet à l'accordéon et de Greg Zlap à l'harmonica qui nous enchantent et nous séduisent.

Magnifique fresque poétique et musicale.
17 mars 2023
7,5/10
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C’est avec beaucoup de curiosité que nous sommes allées voir cette pièce au lucernaire, le pari est en effet ambitieux : donner une suite au superbe livre de Pierre Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses.

Quinze ans après leur dernière entrevue, elles se rencontrent. La pièce est un affrontement entre deux femmes bafouées par le même homme, l’une qui lui a gardé toute son affection et l’autre tout son mépris. Elles sont réunies bien des années après par la volonté de l’une d’entre elles. Celle-ci a un objectif précis, elle est déterminée à obtenir ce qu’elle veut, et la grande Merteuil ne lui fait plus peur.

Les personnalités des deux femmes sont opposées mais la puissance de leurs convictions est la même. Deux femmes fortes qui ont beaucoup vécu et énormément changé depuis leur dernière rencontre. Le duel promet d’être féroce.

Forcément, écrire une suite d’un roman qui a une telle renommée c’est prendre des risques et faire le choix d’assumer son interprétation de l’œuvre en y ajoutant sa touche personnelle. Cécile de Volanges à en effet un regard très actuel sur la relation qu’elle a entretenu avec Valmont. Le contexte historique et social de l’époque était pourtant très différent, il est donc délicat de le relier à notre époque me too. En revanche nous avons été touchées par son désespoir d’avoir été utilisée par ces deux dangereux manipulateurs et sa souffrance et son envie de vengeance est bien compréhensible, à l’époque, comme maintenant.

Vous assisterez à 1h10 de joute verbale, combat de femmes, partages de confidences, sentiments échangés, cicatrices physiques et psychologiques exposées, le tout dans un huit clos intime, remarquablement écrit et porté par des actrices impliquées et justes.
16 mars 2023
10/10
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Le dragon est un conte fantastique.

Dans une ville, le dragon à trois têtes règne tyranniquement sur la ville. Chaque année, une belle jeune fille lui est donnée et emmenée dans son repère et en meurt. Un visiteur arrive dans la maison de Charlemagne et Elsa.
Elsa sera la belle fille donnée au dragon prochainement. Le visiteur, Lancelot, est un chevalier héro. Il tombe amoureux d’Elsa et propose de se battre contre le dragon. L’histoire continuera dans cette fibre fantastico-médiévale.

La pièce dénonce le totalitarisme, la dictature. Elle nous interroge sur l’aveuglement des peuples, l’absence de rébellion et surtout dans le dernier acte sur l’émergence de nouveaux tyrans sans révolte des peuples ou de chacun. Les revirements d’opinion selon les évènements sont montrés. Être toujours dans le bon sens de la pensée commune. On comprend alors pourquoi ce texte a été censuré par Staline. Le fond de ce conte nous laisse réfléchir et joue sur notre propre pensée et notre propre capacité à refuser les situations contre la liberté. On y voit la soif de pouvoir, il y a toujours un tyran prêt à prendre le pouvoir à la chute d’un autre tyran. La corruption et les abus de pouvoir sont omniprésentes.

La pièce est un bijou qui nous plonge dans l’atmosphère de cette ville sous emprise. On rit des personnages. On s’amuse du dragon à trois têtes (véritablement). Le chat est sournois à souhait. Le bourgmestre nous hallucine dans sa folie. On est pris dans cette atmosphère fantastique.

Thomas Jolly fait beaucoup de références dans ce texte. La grande table de festin est-elle une référence à son Thyeste ? Il y en a partout. La pièce est intense.

Je ne peux que souligner le jeu des acteurs qui sont tous parfaits. Le bourgmestre nous marque par son interprétation mais tous jouent de façon impeccable.

Tout est équilibré. La mise en scène est minutieuse, technique, grandiose, fantastique… Thomas Jolly nous livre une pièce de référence. Le décor est génial. Tout est fantastique et se met au service de ce conte fantastique dans lequel je suis tombée à pieds joints avec le plus grand plaisir.

On est au bord d’un chef d’œuvre. Même si je ne suis pas objective, Thomas Jolly nous livre une très grande leçon de théâtre.

A voir absolument.
13 mars 2023
8,5/10
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Loufoque, Réjouissant, Pertinent.

Dario Fo, prix Nobel de littérature 1997, engagé politiquement, communiste puis gauchiste plus modéré, Dario Fo écrit une première version d’une satire politique inspirée du soulèvement d’ouvrières à Milan en 1974, ‘Ne faut pas payer !’.

En 2008, lors de la crise de financière mondiale, « crise des subprimes », en collaboration avec Franca Rame, une nouvelle version voit le jour ‘On ne paie pas ! On ne paie pas !’

Dario Fo, militant, utilise le rire et la bouffonnerie pour dénoncer les difficultés et les révoltes du peuple devant une politique qui écrase la classe ouvrière.

Aujourd’hui, Bernard Levy met en scène avec brio cette satire sociale qui résonne, nous parle et reste toujours d’actualité dans notre monde.

On ne paie pas, On ne paie pas ! slogan que l’on pourrait entendre actuellement lors des manifestations diverses.
Comment payer les courses, le loyer et tout le reste si les salaires sont toujours les mêmes ? Les ménagères vont trouver une solution, une solution extravagante mais efficace.

Aujourd’hui au super marché, Antonia s'est révoltée en compagnie d' autres femmes, certaines dont Antonia, sont parties les paniers pleins sans passer par la caisse …
Tout serait simple s’il n’y avait pas Giovanni son époux trop honnête et incorruptible, il va falloir ruser…
Pour tout compliquer, les gendarmes mènent une enquête pour trouver les coupables de ce pillage…

Dario Fo met les femmes à l’honneur, mais n’oublie pas les hommes qui finissent par bouger.
Dans un ballet de chassés-croisés, des quiproquos et des brouillaminis s’enchainent, les situations rocambolesques toutes plus drolatiques les unes que les autres, déclenchent rire et joyeuseté dans le public.

Les comédiens sont excellents
Flore Babled « Margherita » un peu effarouchée par les stratagèmes d’Antonia, nous séduit par ses mimiques et la justesse de son jeu.
Elie Chapus « 2e gendarme, 2e croque-mort, le déménageur » personnage sans texte mais bien présent trouve sa place dans tout ce petit monde d’excités.
Eddie Chignara « Giovanni » envahie l’espace par son charisme, il nous émeut, ouvrier syndicaliste pur, droit et intègre qui peu à peu perd ses convictions et se prête à des chapardages.
Grégoire Lagrange interprète avec talent « Luigi » jeune amoureux un peu crédule comme son ami Giovanni. Il nous réjouit.
Jean-Philippe Salério « le policier, 1er gendarme, 1er croque-mort, le vieux » l’homme aux mille visages, nous amuse et nous ravi avec ou sans moustaches.
Anne-Élodie Sorlin époustouflante Antonia , quelle énergie et quel talent, elle nous ensorcelle et nous entraine avec joyeuseté et espièglerie dans cette comédie sociale.

Un moment réjouissant ou le rire est bien présent.