Critiques pour l'événement Vania d'après Oncle Vania, Deliquet
Le 9/11 à Paris

C’est la deuxième fois que je vois Vania. Je suis du côté scène, ce spectacle mettant en place un dispositif bi-frontal. J’ai réussi à me replacer à la dernière minute au premier rang, ce qui faisait que je n’étais quasiment jamais dans le noir. Le sentiment d’être plongée dans la fiction était donc renforcé par ce placement idéal.
Quand nous entrons dans la salle, Stéphane Varupenne qui joue Astrov, est déjà sur le plateau. Il attend Vania comme nous.

Il n’y a aucun indice dans l’éclairage qui permet aux spectateurs de savoir que le spectacle va commencer. N’a-t-il d’ailleurs pas déjà commencé dès notre entrée en salle ? Et même avant ? Nous avons en effet, un peu l’impression d’interrompre quelque chose. Quand nous entrons nous pouvons avoir le sentiment qu’il s’est déjà passébeaucoup de choses que nous avons manquées.

Quand Laurent Stocker, qui joue Vania, entre, il rompt l’attente qui parait interminable pour Astrov. Ce dernier lui dit d’ailleurs « T’as vu l’heure ? ». On peut remarquer une horloge au-dessus de la tête d’Astrov. Celle-ci est à l’heure réelle de la représentation. Ce qui nous ancre dans un réel qui est celui de la représentation. Nous avons effectivement, l’impression que ce qui se déroule sous nos yeux a lieu à l’instant T. Autrement dit, les personnages évoluent de cette manière aujourd’hui, et ni hier ni demain.

Nous pouvons également ajouter que l’une des premières répliques est « il est 8h30 passées ». Or le spectacle commençant à 20h30, l’heure évoquée dans le texte est bien la même que l’heure réelle. Dans la même idée, l’une des dernières répliques est « 10h10, il faut y aller. Merci pour votre hospitalité, merci pour votre gentillesse. Merci pour tout ». Cette réplique est prononcée à 22h10 par Stéphane Varupenne. Son personnage, Astrov met des mots sur ce que nous ressentons. Comme lui, nous allons bientôt devoir partir, et comme nous avons envie de les remercier pour ce moment passé ensemble, pour avoir été invitée à leur table.
Pour finir, nous pouvons rassurer Ilia, et dire que nous ne les oublierons pas !
8 nov. 2016
9/10
144
Cette adaptation d’Oncle Vania est un pur régal ! J’ai déjà ri au théâtre et j’ai déjà pleuré mais je n’avais encore jamais ri et pleuré en l’espace d’une seule pièce.

Pour l’occasion, la salle du vieux-colombier a été remaniée en deux rangées de spectateurs se faisant face. Au milieu une grande table, sur la scène. Dans cette disposition, le spectateur devient parti prenante dès son entrée dans la salle. Car la scène investit l’espace et les spectateurs d’en face font partie du décor comme un miroir sans fin. C’est l’homme face à lui-même.

Dans les pièces d’A. Tchekhov comme dans tout le théâtre venu du Nord de Gorki à Ibsen en passant par Strindberg, il faut avouer qu’il ne se passe pas grand-chose. L’action est recentrée sur la venue du professeur et sa femme chez son beau-frère et sa fille. Cette venue va dérégler la vie de la maisonnée et faire émerger des paysages intérieurs tumultueux. Les thèmes de l’oisiveté, de la quête de vérité intérieure, de l’amour impossible se mêlent pour former une ambiance pesante de naturalisme émotionnel. Les règles du temps sont abrogées, on n’est plus hier, pas non plus aujourd’hui et les scènes s’enchaînent sans baisser de rideau comme pour rappeler que la notion de temps échappe à ceux qui ne trouve plus de sens à leur vie.

C’est une pièce de troupe, de la plus belle troupe que je connaisse, où chaque acteur apporte sa densité au personnage. Hervé Pierre avec sa voix tonitruante et si singulière tient le rôle du professeur loufoque et capricieux, son personnage semant une joyeuse zizanie. Dominique Blanc chaussée de ses lunettes qui lui mange le visage, a l’air inoffensif de la vieille bibliothécaire ayant dédiée sa vie aux livres sans avoir vécu la moitié de ce qu’ils racontent. Noam Morgensztern est presque toujours sur scène, dans la partition difficile de l’acteur qui observe, jouant l’être déclassé qui ne parle que quand on le somme de prendre part. Dans le rôle de Vania, Laurent Stocker touche du doigt la désespérance de son personnage usé par la rancœur et l’amour à sens unique. Son jeu est grand, peignant un humain à fleur de peau et rongé par le vague à l’âme. Les autres aussi sont excellent dans leur rôle.

Dans cette pièce, on chante, on boit, on danse… on vit pour vérifier que quelque chose à l'intérieur continue d’exister, de subsister à tous les chagrins, les déceptions et les désillusions amères. Pour oublier le temps d’une ronde l’emprise qu’on a plus sur le cours de sa propre vie. La représentation théâtrale touche ainsi au plus profond de l’homme dans son besoin de sécurité et de bonheur, réussissant à marquer l’esprit du spectateur bien après sa sortie de la salle !

Espérons que la pièce sera reprise la saison prochaine !
4 nov. 2016
9,5/10
127
D’abord, il y a un texte.

Et un grand texte. Celui d’Anton Tchekhov, qui a écrit ce chef d’œuvre à l’âge de 36 ans. On connaît l’argument, simplissime, de la pièce : un professeur à la retraite vient séjourner avec sa nouvelle femme chez Vania, le frère de sa première épouse disparue. Sa présence, ainsi que celle d’un médecin, viendra bouleverser l’équilibre fragile des âmes de cette petite société russe de campagne.

Un texte qu’on a souvent vu joué dans des versions ultra classiques, où les patronymes slaves des personnages étaient assénés avec une vigueur qui frôlait parfois le ridicule. Un texte qu’on a vu également représenté dans de prétentieuses tentatives de transpositions modernes. Point d’afféteries de ce type ici.

Ensuite, il y a une mise en scène et une relecture épatantes.

Car on vient voir ici « Vania, d’aprés Oncle Vania ». Et c’est toute l’intelligence et le savoir-faire de la jeune mais déjà très remarquée Julie Deliquet. Le travail au plateau de cette talentueuse metteuse en scène offre aux comédiens la liberté d’ajouter quelques plages improvisées au texte du grand auteur russe. Ce n’est jamais gratuit, c’est toujours à son service. Et le résultat est absolument formidable. Rarement le texte de Tchekhov avait été aussi audible, clair, atteignant directement nos âmes de spectateurs. Rarement nous avions eu ce sentiment d’une totale vérité dans le jeu. Rarement nous avions eu l’impression d’assister au jaillissement en direct d’une création de très grande valeur, de subir un entrechoc d’émotions au sein d’un dispositif bi-frontal qui est ici totalement légitime. Devant nous, il y a la vie, tout simplement.

Il y a, enfin, une troupe exceptionnelle.

On l’a dit, on le redit, on le crie à nouveau haut et fort : la troupe actuelle du Français est absolument exceptionnelle.
Sept comédiens défendent ici leurs personnages avec force et passion, que ce soit pour quelques répliques (Noam Morgensztern, Dominique Blanc) ou des moments de bravoure qu’on imagine extrêmement jouissifs à incarner (Florence Viala, Hervé Pierre).
Stéphane Varupenne confirme de pièce en pièce qu’il est comme le très grand vin : il vieillit bien mais il est à consommer, lui, sans modération.
Laurent Stocker est un prodigieux Vania. Il réalise le tour de force de faire de cet attachant désespéré un terrien et un aérien à la fois. Sa fantaisie naturelle se mêle habilement à sa sombre dépression. Il passe de l’ivresse à l’émotion en un centième de seconde. Le désespoir qu’il incarne, celui de l’implacable certitude d’avoir raté sa vie, est absolument déchirant. Il est à couper le souffle.
Enfin, Anna Cervinka compose une Sonia inoubliable, fragile, touchante, entre rires et larmes. Son célèbre monologue de fin (« …nous nous reposerons »), au milieu du silence incroyable d’une salle, et de ses trois partenaires restés sur scène, littéralement suspendus à tant de talent, est un de ces grands moments de théâtre qu’on n’oubliera pas de sitôt.
Il y a ainsi des moments dans la vie d’un spectateur de théâtre où les planètes sont parfaitement alignées. C’est ce délicieux prodige qu’est arrivé à réaliser Julie Deliquet, au Vieux-Colombier, pendant quelques jours de cet automne 2016.
24 oct. 2016
9,5/10
144
Tout simplement sublime...
La mise en scène est géniale, le public est placé de chaque côté de la scène et fait donc presque partie de la pièce. Quel privilège d'être là, avec les comédiens, et d'assister à ce moment de grâce, un Tchekhov retranscrit à la perfection.

C'est un Tchekhov dans le monde d'aujourd'hui, les éléments pouvant nous faire penser de trop près à la Russie de l'époque ont été retirés. Tout le reste est là, dans sa pleine pureté.
Oui... Moderne, pur, et beau... Tout est dit et je n'ai pas plus de mots...

TOUS les comédiens sont exceptionnels, bourrés de talent bien sûr, avec un gros coup de coeur pour Laurent Stocker et surtout surtout pour Anna Cervinka qui m'a littéralement bouleversé.

C'est la plus belle chose que j'ai pu voir ces dernières années. Si ce n'était pas complet j'y retournerai au plus vite.
C'est absolument magnifique. Quel bonheur ! Merci mille fois à toute l'équipe artistique de Vania de nous offrir cela.
17 oct. 2016
9,5/10
135
Première pièce de Tchekhov, première fois au Vieux Colombier... Mais quelle première fois !
L'art du théâtre est ici à son apogée.

Une distribution brillante, une mise en scène recherchée et moderne, un texte sublime sur la banalité et le sens de la vie, les aspirations de chacun dans cette entité étouffante qu'est la famille et aussi l'amour et le désespoir.

C'est magnifique.
14 oct. 2016
10/10
109
On peut être surpris quand on pénètre dans la salle du Vieux Colombier : les rangées de fauteuils ont été déplacées et la scène est maintenant au centre d’un dispositif bi-frontal. Les spectateurs s’asseyent de part et d’autre d’une grande table où quelque vaisselle est installée.

A cour (ou jardin, c’est selon) un fauteuil, un grand buffet, un piano. Un homme est là, il attend pendant que les spectateurs prennent place. Il observe la salle, les gens. Vêtu d’une veste de cuir, il est attentif et absent. Là, et ailleurs. On s’installe, on se place, et soudain un autre homme arrive et parle. Un peu comme si on avait plongé de façon urgente et inattendue dans la pièce. Les feux sont d’ailleurs encore allumés dans la salle. Les autres personnages arrivent par les allées. On est DANS la datcha, on est avec eux, on est immergés sans même l’avoir senti, pressenti, dans la famille de Vania, de Alexandre Petrovitch Voinitski, de Maria Voinitskaia et de leurs proches. Ce sera là une des premières magies de la mise en scène de la jeune Julie Deliquet : immédiateté, proximité, immersion, le public est entièrement absorbé par la scène et cette famille.

Cette famille, donc, c’est la famille de Vania. Il a longtemps et beaucoup sacrifié pour que son beau-frère, le professeur Alexandre Petrovitch Voinitski puisse se consacrer à ses recherches et ses publications. Il vit dans la datcha que sa soeur défunte, et première femme de Alexandre Petrovitch Voinitski a légué à leur fille Sonia. Le professeur vit dans la datcha avec sa deuxième femme, la jeune et belle Elena. Vivent aussi ici Maria, la mère de Vania, et Tielegine, ancien propriétaire des lieux. Le médecin Mikhaïl Lvovitch Astrov vient régulièrement leur rendre visite.

On les écoute parler, converser, sentant parfois une pointe de regret percer légèrement sous un regard ou un mot. A peine les doutes effleurent qu’ils sont balayés par la gaité russe : un verre de vodka ? La conversation oscille entre gaité non feinte et non-dits balayés. Un subtil équilibre qui jamais ne vacille, toujours parfaitement tendu entre ardeur et silences. Julie Deliquet réussit l’exercice difficile de résumer dans son adaptation tout le bouillonnement russe, toute l’ardeur, toutes les souffrances, en seulement quelques mots, regards, attitudes. Elle est évidemment aidée par la perfection du jeu des comédiens français : Laurent Stocker est un Vania bouillonnant et bouleversant de regrets et d’aigreurs contenues. Florence Viala est Elena : on distingue sous chacune de ses phrases, chacun de ses silences, la passion censurée et sagement occultée. Tous les autres sont au diapason, de Hervé Pierre, magnifique Professeur, à Stéphane Varupenne, tout en tension retenue, à Dominique Blanc, dont le jeu semble miraculeusement osciller sur un fil microscopique, à Ana Cervinka, parfaite en Sonia à fleur de peau, bouleversante dans sa façon presque désespérée d’espérer. Evidemment la nuit sera propice aux explosions trop longtemps retenues et on assiste, pantois, le coeur en apnée, aux débordements les plus violents et latents, respiration en apnée et souffle aux lèvres.

Si Tchekov peint toujours une humanité triste et bouleversante, Julie Deliquet et les comédiens français réussissent ici un tableau d’une finesse et d’une subtilité rares, nous plongeant en quelques tableaux dans les tréfonds de l’âme, ses ressorts, ses sursauts, ses souffrances et ses désirs. Un travail d’une précision chirurgicale où les implosions nous transportent autant que les explosions, où chaque émotion est dessinée avec un pointillisme exacerbé, où les coeurs chavirent autant qu’ils halètent.

Une pure merveille donc, que l’on voudrait pouvoir revoir, chérir, revoir encore, pour savourer chaque seconde, minute, parcelle, moment, d’un moment de théâtre rare et cher : un jeu pour et au service du texte, en toute humilité et toute générosité. Brillant. Rare.
2 oct. 2016
10/10
81
Tout semble bien triste dans la vie de Vania et de ses proches, depuis que le professeur Alexandre a établi demeure chez eux. Tout est morne ici, et même la superbe Éléna, la femme du professeur, ne peut mettre fin à une atmosphère si grise. De vieilles rancunes pas totalement enterrées font parfois surface, et l’on sent que quelque chose est pourri dans cette campagne reculée. Pourtant quelque chose m’amène à penser que s’il n’étaient pas ensemble, cela fait longtemps qu’ils auraient cessé d’espérer.

La collectivité compte chez Vania, et le spectacle se conclut sur une fausse lueur d’espoir certes, mais jamais le je ne triomphe : il s’agit bien de se reposer ensemble… Seuls, il ne sont plus grand chose. Une parfait écho à ce beau travail de troupe, qui entraîne spectateurs et comédiens dans un très grand spectacle.

Et pourtant, on pourrait si facilement tomber dans le pathos ! Mais ici pas une once de cette grandiloquence, seul l’humain est présent dans la mise en scène de Julie Deliquet, qui laisse parler le texte. Les conversations s’enchaînent avec une facilité monstre, et rarement Tchekhov m’a paru si accessible. La jeunesse de Laurent Stocker ajoute encore une certaine profondeur à la pièce : joué ainsi, le poids des années vides qui lui restent à vivre est accentué, alourdi : il lui resterait encore tant à vivre, que l’ennui ne peut être une option… On sent quelque chose de bouillonnant tout au long de la pièce, qui finit par exploser dans une scène qui nous cloue littéralement sur notre siège. Face à un Vania sorti de ses gonds, la terreur envahit le public autant qu’Alexandre, et à cet instant précis le théâtre n’existe plus. J’ai rarement ressenti pareillement cette proximité avec la vie se déroulant sur scène, mais le dispositif scénique, bifrontal, accentue tous nos ressentis, et me voilà prise dans une affaire familiale qui risque de mal tourner.

Cramponnée à mon siège, Vania semble me faire face et nous sommes entrés dans une autre dimension que le simple jeu : il ne s’agit plus là de maîtrise, puisque le métier est totalement effacé derrière l’incarnation. Sa colère, que l’on sentait fermenter en Vania depuis quelques temps, est un véritable ouragan. Je ne parle pas ici de cris ou d’agressivité, mais d’une authenticité indéfinissable. Je parle de l’indicible, une évidence telle qu’elle est indescriptible. Comment mettre des mots sur un Vania vivant devant nos yeux ? Comment décrire cette flagrance ? Je me sens pourtant obligée de donner un autre nom à celui qui longtemps incarnera pour moi l’image de Vania : je parle bien entendu du grand Laurent Stocker. A nouveau, impressionnée par une incarnation qui dépasse la technique. A nouveau, ébahie devant la finesse, la retenue, le talent. Il donne à son Vania une belle humanité, et malgré nous, nous nous surprenons à croire, à espérer avec lui que quelque chose est possible.

Mais je n’oublie pas le reste de la troupe. Tous sont extraordinaire. Hervé Pierre, ce Professeur qui malgré une apparente joie de vivre, toujours bruyant et triomphal, sème partout sa vieillesse, son dégoût de soi, et de la vie. Habillé de manière extravagante, Hervé Pierre ne pose pourtant à aucun moment ne serait-ce qu’un orteil sur l’exagération : il est brillant. Dans cette même retenue, Florence Viala qui en tant que femme fatale pourrait se laisser aller à la fanfaronnade, ne déroge pas à la règle, et affiche elle aussi un profond mal-être. Stéphane Varupenne nous touche en plein coeur une nouvelle fois avec cette simplicité qu’on lui connaît et qui jure parfois à merveille avec certaines situations. Cette franchise se retrouve chez Noam Morgenstzern, qui compose peut-être le personnage le moins malheureux, puisque lui n’espère plus depuis bien longtemps. Dans ce décalage, on distingue aussi Dominique Blanc : la doyenne de la maison reste la seule encore fascinée par le Professeur, peut-être la seule qui parvient à s’accrocher à cela pour avancer, et sa naïve Maria a quelque chose de profondément touchant. Anna Cervinka, enfin, convainc parfaitement en composant cette Sonia bouleversante, tremblante, souvent agitée, et qui semble parfois s’accrocher à des mots pour ne pas hurler son désespoir.

Triste et ravissant.
30 sept. 2016
10/10
44
Que dire ? Je manque totalement d'objectivité. Tchekhov à la comédie française, mon auteur préféré (de loin!), au Vieux Colombiers, avec une distribution tout simplement hallucinante de talents, la mise en scène de Julie Deliquet, qui devient au fil des années l'une des plus grands et qui nous livre une version moderne et tellement vivante, je n'aurais même pas oser rêver d'en rêver.
C'est une réussite totale !

Tchekhov aurait été heureux (si tant est qu'il pût l'être), que 120 après, non seulement on se souvienne de lui, mais aussi qu'un théâtre, plein tous les soirs, avec un public de tous les âges, de toutes les classes, soit encore bouleversé par Oncle Vania, cette pièce (initalement l'Homme des Bois) dont il ne voulait pas qu'elle soit jouée tant il la trouvait mauvaise (ou tant on lui disait qu'elle était mauvaise).
Tchekhov n'aimait pas beaucoup son théâtre, nous l'aimons pour lui, et les générations futures continueront de l'aimer.
Je n'ai aucune réserve sur cette pièce.
La distribution est exceptionnelle : Stéphane Varupenne en Astrov, prouve une fois de plus qu'il est l'un des acteurs les plus épatants de sa génération, il m'impressionne toujours plus à chaque pièce ; Laurent Stocker en Vania est bouleversant, drôle, inquiétant, quel plaisir de revoir ce génie sur les planches depuis un an ; Hervé Pierre est encore une fois magnifique, et Noam Mongensztern parfait en Ilia, dans une de ses compositions donc il a le secret, cet acteur est unique et bouleversant, il diffuse des kilotonnes d'émotions.

Honneur aux comédiennes, essentielles chez Tchekhov : Anna Cervinka est une Sonia toute en force et fragilité, elle est tout simplement grandiose dans ce rôle. Elle clôture la pièce avec l'un des plus beaux moments que j'ai vécus au théâtre depuis longtemps. Elle aussi, grandit de rôle en rôle. Florence Viala est une Elena également bouleversante, belle et perdue. Dominique Blanc joue la mère de Vania tout en subtilité et humour, dans une partition à la hauteur de cette comédienne de génie.
Que demander de plus ?
La mise en scène de Julie Deliquet, que vous découvrirez, donne une force particulièrement moderne à la pièce.
Pour être complet, l'équipe artistique, au diapason : Jean-Pierre Michel, Laura Sueur, Julie Scobeltzine, Julie Andé, Mathieu Boccaren.
Que toute la troupe soit remerciée pour ce moment de grâce.
Allez-y.
Personnellement, j'y retourne, se priver d'un tel plaisir ? Impossible.
24 sept. 2016
9/10
53
Un face à face humain mais vivant.

L'histoire ? Un huis clos où les membres d'une famille se supportent, s'insupportent, s'aiment ou se haïssent. La vie de tous les jours, avec ces petits moments de solitude, d'incertitude, d'espoir, de joie, de désespoir. Mais ce qui est y surprenant c'est ce que l'on en rit. Rire et pleurer en même temps, chapeau l'auteur (et aussi l'adaptateur).

Le spectacle commence dès votre entrée dans la salle ! Nous ne sommes pas spectateurs, nous sommes figurants. La scénographe a repoussé les fauteuils au fond, sur la scène, pour que vous puissiez être l'invité du diner, viviez l'instant, que cela ne soit pas juste un mirage.

La suite ? La mise en scène est enjouée, vivante, on y boit, danse et chante. Le jeu des comédiens y est parfait. Laurent Stocker et Anna Cervinka sont remarquables dans leur amour transi et leur désespoir de ne pas être aimé en retour. Nous souffrons pour eux mais gardons l'espoir.

Patience, oncle Vania. Notre vie deviendra calme, tendre, douce, comme une caresse. Je crois cela, oncle ; je crois. Et moi aussi.

Je ne suis pas Tchekhov mais cette adaptation de Oncle Vania par Julie Deliquet est juste sublime. Courez vite au théâtre du Vieux Colombier pour vivre cette pièce.
24 sept. 2016
9,5/10
148
Décidément, cette saison 16-17 au Français démarre sur les chapeaux de roues !

Après « L'Interlope » au Studio-Théâtre, et juste avant les prometteurs « Damnés » à Richelieu, ce Vania de Julie Deliquet, d'après Tchekov, est une vraie réussite !

« Patronne » du collectif In Vitro, la metteure en scène ne pouvait que s'attaquer à l'auteur russe, pour qui il importe avant tout, non pas de traiter seulement d'un individu en particulier, mais d'un groupe de personnages.
Le collectif ! Le groupe !

Elle a donc adapté le texte du grand Anton, dit-elle, « pour retirer ce qui pouvait nous ramener trop directement à la Russie, et nuire à une forme d'Universalité. »

Alors, évidemment, faut-il être sûre de son coup pour se permettre d'adapter Tchekov, pour entreprendre ce travail de déconstruction-reconstruction !

Si ça fonctionne ?
Oh que oui !

Julie Deliquet a su conserver toute l'humanité de cette pièce, à en extraire ce qui en fait sa substantifique moelle, tout en conservant la volonté de produire un théâtre de l'instant, en prise réelle avec la vie.
La disposition de la « scène », qui n'en est pratiquement plus une, au milieu du dispositif bi-frontal des spectateurs vient renforcer cette volonté d'abolition de la distance comédiens-public.

Ces sept personnages, nous captivent, nous interpellent vraiment.
Je défie quiconque, dans ce monde finissant auquel il nous est donné d'assister, de ne pas se retrouver à un moment ou à un autre dans ces relations « intra et inter-couples », ces relations faites de passions, d'attractions, de répulsions, de dits et de non-dits.

Alors, oui, si tout ceci fonctionne, c'est également parce que Julie Deliquet a à sa disposition une écurie de Formule 1.
Je veux évidemment parler des sept comédiens, tous plus remarquables les uns que les autres, qui nous font passer par toute une palette d'émotions.

Chaque soir, ils s'approprient toutes ces solitudes, toutes ces difficultés à vivre, ces impossibilités à atteindre le bonheur.
Chaque soir, ils doivent même les réinventer, étant associés directement au processus de création, clef du travail de la metteure en scène.

Laurent Stocker, dans le rôle-titre est somptueux, grandiose, incroyable, bouleversant, les qualificatifs vont finir par manquer pour évoquer le jeu de ce grand comédien.
Oui, j'ai dû essuyer une larme à l'écouter...

Anna Cervinka est également parfaite, elle a su rendre sa Sophia Alexandrovna déchirante.

Dominique Blanc, cheveux gras et énormes lunettes grossissantes est très drôle en Maria dévoreuse de « brochures ».

Stéphane Varupenne, en médecin préoccupé par la déforestation et qui en arrivant dans la petite communauté va déclencher (malgré lui ?) les passions, est parfait lui-aussi.
Il confirme encore et encore la grande étendue de son registre.

Florence Viala est une Elena virevoltante et troublante, objet de bien des convoitises.

Noam Morgensztern campe un Ilia Illitch toujours un peu dépassé par les événements.
Nous avons également découvert ses qualités de pianiste.

Et puis, il y a mon héros.
Et puis, il y a Hervé Pierre, qui me ravirait rien qu'en l'écoutant lire l'annuaire inversé des entrepreneurs de pompes-funèbres.
C'est son personnage qui va déclencher l'orage et le climat de furie de la dernière partie de la pièce.
En vieux professeur à la retraite pédant, (la scène de projection du fim de Dreyer est épatante), hypocondriaque, toussant en vapotant en permanence, il est une nouvelle fois excellent.

Quelle formidable soirée que ces deux heures de relecture tchekovienne !
Quelle rentrée !