Ses critiques
205 critiques
9/10
Je me souviens d’un acteur montant Les Fourberies de Scapin simplement, classiquement, et répondant à un journaliste qui lui demandait comment il avait dépoussiéré Molière : « Ce n’est pas la peine puisque Molière n’a pas de poussière sur le dos. » C’est à mon avis le parti pris d’Éric Ruf lorsqu’il monte ce Roméo et Juliette sur la scène du Français.
Oubliés, les a priori sur ce couple phare du théâtre, pourtant si peu monté dans le premier théâtre de France. Pas de petits oiseaux qui chantent, de soleil éclatant et de belles roses rouges pour enjoliver l’amour de Roméo et Juliette : ils le vivront au milieu d’une Italie ravagée par la violence ; mais l’amour, le vrai, celui qui naît de rien et qui survit à tout, cet amour simplement passionné est aveugle…
Dois-je réellement résumer Roméo et Juliette ? Certainement. Car si vous connaissez les noms des amants Shakespeariens, peut-être avez-vous raté les fioritures qui les entourent. S’il est vrai qu’ils tombent amoureux au premier regard, la violence est là, tout au long de la pièce. Les agressions, les querelles de rue, la tension sous-jacente se fait sentir. Les Montaigu et les Capulet ne peuvent se voir, et les rues trop calmes deviennent dangereuses lorsque des membres de chaque clan s’y rencontrent.
Laurent Lafitte, Christian Gonon et Pierre Louis-Calixte défendent avec brio leurs partitions respectives de Benvolio, Tybalt et Mercutio, nos trois brigands principaux des deux familles, ceux qui seront là lors des querelles, que ce soit pour les livrer ou les calmer. Mais ce soir-là, malgré le désir de Ruf de replacer Roméo et Juliette dans ce contexte violent, je n’avais d’yeux que pour nos jeunes tourtereaux. Je vois ce qu’il se passe, j’en ai conscience, mais ce n’est pas ce que j’ai envie de suivre, ce soir. J’accuserais une traduction un peu datée de l’oeuvre de Shakespeare, qui m’empêche d’être pleinement prise dans ces scènes de rue qui me parlent finalement peu. Mais une telle traduction ne peut porter atteinte à des scènes d’amour, intemporelles. Voilà pourquoi ce que je retiendrai essentiellement de ce spectacle sera son Roméo et sa Juliette.
On connaît tous la fin du spectacle. On sait. Mais comme dans toutes les mises en scène réussies, on oublie. Ça me rappelle Diplomatie : quand bien même on est au courant que Paris sera sauvé au final, on ne peut que douter 2h durant. Ici pas de doute possible : ces deux là sont faits pour s’aimer et la vie ne pourra que leur accorder ce plaisir. La mise en scène de Ruf est vivifiante : le spectacle s’ouvre sur la voix inimitable de Serge Bagdassarian qui nous entraînerait sans problème sur la scène aux côtés des autres comédiens qui s’y trémoussent déjà. C’est la fête, et durant ce spectacle, on célèbre la vie, la jeunesse et l’amour.
Il y a quelque temps, je parlais de ma préférence en l’être plutôt qu’en le jeu. Je reconnais trop Claude Mathieu derrière la Nourrice, qu’elle n’a pas su composer aussi bien que Mairesse dans la mise en scène de Briançon il y a quelques années. J’aperçois encore Danièle Lebrun derrière les traits de Lady Capulet ; je distingue même les contours de Didier Sandre derrière Capulet, mais peut-être est-ce à cause de ses légers problèmes de prononciations ce soir-là, qui me font revenir à l’acteur et m’éloignent du personnage. Mais je tire mon chapeau à Serge Bagdassarian et Bakary Sangaré, ces Frères tout à fait complémentaires, dont la douceur de l’un équilibre l’entrain de l’autre, et qui confèrent à ces personnages un altruisme, une présence, et une importance qu’on ne leur accorde pas toujours suffisamment. Comment ne pas citer également Michel Favory, dont le Prince devient presque un personnage principal tant son humanité, à travers ses rares paroles, parvient à nous toucher. Lorsqu’il parle, le respect est là. Et le silence, religieux.
Du côté des plus jeunes, j’ai rarement vu une interprétation telle que celle délivrée par Jérémy Lopez et Suliane Brahim. Je ne peux que les citer ensemble, car ils ne sont que par leur jeu commun. L’évidence même, au premier regard, pour eux comme pour nous. Chez lui, des allures de mauvais garçon, un peu bourru, qui disparaissent vite pour laisser place à l’amour fou, le premier amour, le vrai, celui qui dévore. On comprend vite qu’il y a une certaine fragilité en lui. Il n’y a plus qu’elle, il l’aime à la manière des hommes, avec cette légère possessivité, cette fierté sans jalousie. Au-delà de l’amour qu’il lui porte, on descelle également un léger orgueil d’être aimé. Chez elle, l’innocence et l’insouciance laissent vite place à un amour entier, qui semble prêt à mûrir plus rapidement que celui de Roméo. Il n’y a plus que lui, mais elle l’aime à la manière des femmes, cet amour prêt à tout donner pour combler l’autre. Juliette est forte, sûrement plus que Roméo. Ou peut-être aime-t-elle comme j’ai aimé, moi aussi, au début. Peut-être y ai-je vu inconsciemment la Juliette que j’ai pu être. Quoi qu’il en soit, voilà un je qui a merveilleusement marché sur moi. Lorsqu’ils sont tous les deux sur scène, quelque chose se passe, indéniablement. Un lien, un sentiment, une émotion traverse la salle au son d’un mot, ou simplement lors d’un regard. C’est puissant et pourtant simple, c’est beau et si commun, aussi passionnel que l’amour des débuts. Roméo et Juliette, une passion dosée dans les règles de l’art.
Je dois encore ajouter quelque chose : heureusement qu’Éric Ruf, qui a ôté son costume de comédien, a gardé celui de metteur en scène, ou plutôt devrais-je dire : de scénographe. Il y a en effet de très belles scènes dans ce spectacle, qui marquent visuellement quand les mots touchent moins qu’ils ne devraient ; comme ces lumières très belles tout au long de la pièce. Je mentionnerai également une scène du balcon particulière, aussi vertigineuse pour Juliette que son amour l’est pour Roméo. Enfin, cette clôture très solennelle du spectacle, lors de laquelle les corps morts sont debout, habillés de leur plus belle tenues, les rendant presque plus beaux encore que de leurs vivants.
Ce couple là, on ne l’oubliera pas.
Oubliés, les a priori sur ce couple phare du théâtre, pourtant si peu monté dans le premier théâtre de France. Pas de petits oiseaux qui chantent, de soleil éclatant et de belles roses rouges pour enjoliver l’amour de Roméo et Juliette : ils le vivront au milieu d’une Italie ravagée par la violence ; mais l’amour, le vrai, celui qui naît de rien et qui survit à tout, cet amour simplement passionné est aveugle…
Dois-je réellement résumer Roméo et Juliette ? Certainement. Car si vous connaissez les noms des amants Shakespeariens, peut-être avez-vous raté les fioritures qui les entourent. S’il est vrai qu’ils tombent amoureux au premier regard, la violence est là, tout au long de la pièce. Les agressions, les querelles de rue, la tension sous-jacente se fait sentir. Les Montaigu et les Capulet ne peuvent se voir, et les rues trop calmes deviennent dangereuses lorsque des membres de chaque clan s’y rencontrent.
Laurent Lafitte, Christian Gonon et Pierre Louis-Calixte défendent avec brio leurs partitions respectives de Benvolio, Tybalt et Mercutio, nos trois brigands principaux des deux familles, ceux qui seront là lors des querelles, que ce soit pour les livrer ou les calmer. Mais ce soir-là, malgré le désir de Ruf de replacer Roméo et Juliette dans ce contexte violent, je n’avais d’yeux que pour nos jeunes tourtereaux. Je vois ce qu’il se passe, j’en ai conscience, mais ce n’est pas ce que j’ai envie de suivre, ce soir. J’accuserais une traduction un peu datée de l’oeuvre de Shakespeare, qui m’empêche d’être pleinement prise dans ces scènes de rue qui me parlent finalement peu. Mais une telle traduction ne peut porter atteinte à des scènes d’amour, intemporelles. Voilà pourquoi ce que je retiendrai essentiellement de ce spectacle sera son Roméo et sa Juliette.
On connaît tous la fin du spectacle. On sait. Mais comme dans toutes les mises en scène réussies, on oublie. Ça me rappelle Diplomatie : quand bien même on est au courant que Paris sera sauvé au final, on ne peut que douter 2h durant. Ici pas de doute possible : ces deux là sont faits pour s’aimer et la vie ne pourra que leur accorder ce plaisir. La mise en scène de Ruf est vivifiante : le spectacle s’ouvre sur la voix inimitable de Serge Bagdassarian qui nous entraînerait sans problème sur la scène aux côtés des autres comédiens qui s’y trémoussent déjà. C’est la fête, et durant ce spectacle, on célèbre la vie, la jeunesse et l’amour.
Il y a quelque temps, je parlais de ma préférence en l’être plutôt qu’en le jeu. Je reconnais trop Claude Mathieu derrière la Nourrice, qu’elle n’a pas su composer aussi bien que Mairesse dans la mise en scène de Briançon il y a quelques années. J’aperçois encore Danièle Lebrun derrière les traits de Lady Capulet ; je distingue même les contours de Didier Sandre derrière Capulet, mais peut-être est-ce à cause de ses légers problèmes de prononciations ce soir-là, qui me font revenir à l’acteur et m’éloignent du personnage. Mais je tire mon chapeau à Serge Bagdassarian et Bakary Sangaré, ces Frères tout à fait complémentaires, dont la douceur de l’un équilibre l’entrain de l’autre, et qui confèrent à ces personnages un altruisme, une présence, et une importance qu’on ne leur accorde pas toujours suffisamment. Comment ne pas citer également Michel Favory, dont le Prince devient presque un personnage principal tant son humanité, à travers ses rares paroles, parvient à nous toucher. Lorsqu’il parle, le respect est là. Et le silence, religieux.
Du côté des plus jeunes, j’ai rarement vu une interprétation telle que celle délivrée par Jérémy Lopez et Suliane Brahim. Je ne peux que les citer ensemble, car ils ne sont que par leur jeu commun. L’évidence même, au premier regard, pour eux comme pour nous. Chez lui, des allures de mauvais garçon, un peu bourru, qui disparaissent vite pour laisser place à l’amour fou, le premier amour, le vrai, celui qui dévore. On comprend vite qu’il y a une certaine fragilité en lui. Il n’y a plus qu’elle, il l’aime à la manière des hommes, avec cette légère possessivité, cette fierté sans jalousie. Au-delà de l’amour qu’il lui porte, on descelle également un léger orgueil d’être aimé. Chez elle, l’innocence et l’insouciance laissent vite place à un amour entier, qui semble prêt à mûrir plus rapidement que celui de Roméo. Il n’y a plus que lui, mais elle l’aime à la manière des femmes, cet amour prêt à tout donner pour combler l’autre. Juliette est forte, sûrement plus que Roméo. Ou peut-être aime-t-elle comme j’ai aimé, moi aussi, au début. Peut-être y ai-je vu inconsciemment la Juliette que j’ai pu être. Quoi qu’il en soit, voilà un je qui a merveilleusement marché sur moi. Lorsqu’ils sont tous les deux sur scène, quelque chose se passe, indéniablement. Un lien, un sentiment, une émotion traverse la salle au son d’un mot, ou simplement lors d’un regard. C’est puissant et pourtant simple, c’est beau et si commun, aussi passionnel que l’amour des débuts. Roméo et Juliette, une passion dosée dans les règles de l’art.
Je dois encore ajouter quelque chose : heureusement qu’Éric Ruf, qui a ôté son costume de comédien, a gardé celui de metteur en scène, ou plutôt devrais-je dire : de scénographe. Il y a en effet de très belles scènes dans ce spectacle, qui marquent visuellement quand les mots touchent moins qu’ils ne devraient ; comme ces lumières très belles tout au long de la pièce. Je mentionnerai également une scène du balcon particulière, aussi vertigineuse pour Juliette que son amour l’est pour Roméo. Enfin, cette clôture très solennelle du spectacle, lors de laquelle les corps morts sont debout, habillés de leur plus belle tenues, les rendant presque plus beaux encore que de leurs vivants.
Ce couple là, on ne l’oubliera pas.
2/10
Voilà quelque chose que je ne fais jamais, ou si rarement : partir avant la fin d’un spectacle. Je trouve cela irrespectueux envers le travail des comédiens, metteur en scène, techniciens lumières et autres costumiers qui ont passé tant de temps pour nous offrir cela. Mais devant un travail aussi bâclé, sans idée, sans but, je ne peux plus perdre mon temps qui se fait rare cette année.
Je suis allée voir les Femmes Savantes de la grande Catherine Hiegel, et j’assiste à une représentation digne d’une fin de collège. Lorsqu’on ne trouve pas une nécessité dans un spectacle, mieux vaut ne pas le monter que d’ennuyer ainsi le public.
Je me souviens des Femmes Savantes d’Arnaud Denis, après lesquelles je m’étais dit qu’il serait difficile de faire mieux. Sa mise en scène, classique et brillante, était limpide et intelligente. Quel contraste avec ce que j’ai vu ce soir ! Avec 10 fois plus de moyen, Catherine Hiegel n’atteint pas le petit orteil de ce spectacle qui me laisse encore aujourd’hui un souvenir incroyable. Quel besoin de mettre tant d’argent dans des costumes – certes magnifiques – et dans un décor – tout aussi beau – si l’âme du spectacle est absente ? En est-on à un tel point qu’on privilégie la forme à la matière ? A quel moment est-on tombés si bas ?
40 secondes à peine que le spectacle a débuté et déjà je sens que quelque chose ne va pas. Les deux jeunes femmes qui s’affrontent sur la scène sonnent faux, mal, dépensent leur énergie en criant alors que le texte reste incompréhensible. On attendait mieux de Julie-Marie Parmentier, qui campe une Henriette bien fade. Mais je suis aussi là pour le duo Bacri et Jaoui, comme les 4/5e de la salle, alors je prends mon mal en patience. Je vois passer un Benjamin Jungers bien terne avant qu’entre enfin en scène Jean-Pierre Bacri. Ah, voilà un Chrysale de qualité, bien que par moments Bacri lui-même ne semble pas y croire. Mais lorsqu’entre face à lui Agnès Jaoui, ce qu’il avait commencé à construire s’effondre : où est la femme forte qu’est Philaminte ? Où est la terreur, l’agressivité, l’intelligence ? Je ne vois qu’insipidité et banalité. La voix mal posée, les répliques tombantes, le corps gênant, on se demande bien ce qu’Agnès Jaoui fait là.
Seule Evelyne Buyle semble dans son élément, en accord avec cette idée de Catherine Hiegel de faire des Femmes Savantes une pièce féministe : l’actrice, bien qu’interprétant Bélise, est d’une grande classe. Mais elle est bien la seule : à croire que Catherine Hiegel est partie d’une idée sans la creuser, sans chercher en profondeur un fil directeur dans cette mise en scène qui n’en ressort que profondément vide et dénuée de sens.
Allez, je reste encore un acte, pour la scène de Trissotin. Quand même, ça, c’est drôle. Mais non ! Catherine Hiegel a réussi l’exploit d’empoussiérer ces Femmes Savantes, de les rendre lentes et ennuyeuses, froides et mornes, inintéressantes, éteintes. Autour de moi, les enfants s’agitent, ne rient pas, s’ennuient. Comme je les comprends ! Mais j’ai la chance, contrairement à eux, de pouvoir prendre la décision de partir, et c’est ce que je fais. En moi la colère gronde : dire que des parents emmènent probablement pour la première fois leurs enfants au théâtre pour voir pareil spectacle, il y a de quoi les dégoûter !
Il y a tant de beaux spectacles en cette rentrée théâtrale qu’il ne faut pas perdre son temps avec celui-ci...
Je suis allée voir les Femmes Savantes de la grande Catherine Hiegel, et j’assiste à une représentation digne d’une fin de collège. Lorsqu’on ne trouve pas une nécessité dans un spectacle, mieux vaut ne pas le monter que d’ennuyer ainsi le public.
Je me souviens des Femmes Savantes d’Arnaud Denis, après lesquelles je m’étais dit qu’il serait difficile de faire mieux. Sa mise en scène, classique et brillante, était limpide et intelligente. Quel contraste avec ce que j’ai vu ce soir ! Avec 10 fois plus de moyen, Catherine Hiegel n’atteint pas le petit orteil de ce spectacle qui me laisse encore aujourd’hui un souvenir incroyable. Quel besoin de mettre tant d’argent dans des costumes – certes magnifiques – et dans un décor – tout aussi beau – si l’âme du spectacle est absente ? En est-on à un tel point qu’on privilégie la forme à la matière ? A quel moment est-on tombés si bas ?
40 secondes à peine que le spectacle a débuté et déjà je sens que quelque chose ne va pas. Les deux jeunes femmes qui s’affrontent sur la scène sonnent faux, mal, dépensent leur énergie en criant alors que le texte reste incompréhensible. On attendait mieux de Julie-Marie Parmentier, qui campe une Henriette bien fade. Mais je suis aussi là pour le duo Bacri et Jaoui, comme les 4/5e de la salle, alors je prends mon mal en patience. Je vois passer un Benjamin Jungers bien terne avant qu’entre enfin en scène Jean-Pierre Bacri. Ah, voilà un Chrysale de qualité, bien que par moments Bacri lui-même ne semble pas y croire. Mais lorsqu’entre face à lui Agnès Jaoui, ce qu’il avait commencé à construire s’effondre : où est la femme forte qu’est Philaminte ? Où est la terreur, l’agressivité, l’intelligence ? Je ne vois qu’insipidité et banalité. La voix mal posée, les répliques tombantes, le corps gênant, on se demande bien ce qu’Agnès Jaoui fait là.
Seule Evelyne Buyle semble dans son élément, en accord avec cette idée de Catherine Hiegel de faire des Femmes Savantes une pièce féministe : l’actrice, bien qu’interprétant Bélise, est d’une grande classe. Mais elle est bien la seule : à croire que Catherine Hiegel est partie d’une idée sans la creuser, sans chercher en profondeur un fil directeur dans cette mise en scène qui n’en ressort que profondément vide et dénuée de sens.
Allez, je reste encore un acte, pour la scène de Trissotin. Quand même, ça, c’est drôle. Mais non ! Catherine Hiegel a réussi l’exploit d’empoussiérer ces Femmes Savantes, de les rendre lentes et ennuyeuses, froides et mornes, inintéressantes, éteintes. Autour de moi, les enfants s’agitent, ne rient pas, s’ennuient. Comme je les comprends ! Mais j’ai la chance, contrairement à eux, de pouvoir prendre la décision de partir, et c’est ce que je fais. En moi la colère gronde : dire que des parents emmènent probablement pour la première fois leurs enfants au théâtre pour voir pareil spectacle, il y a de quoi les dégoûter !
Il y a tant de beaux spectacles en cette rentrée théâtrale qu’il ne faut pas perdre son temps avec celui-ci...
9/10
Il est de ces spectacles qui ressortent du lot lors du Festival d’Avignon. C’est le cas de Réparer les vivants, coup de coeur du OFF 2015, et l’un de mes gros regrets. J’en ai tellement entendu parler qu’il n’était pas pensable de ne pas me rendre au Théâtre du Rond-Point, maintenant que le spectacle y a établi résidence.
Histoire étrange s’il en est au théâtre, ou du moins tellement inhabituelle. Elle raconte la mort de Simon Limbre, un adolescent de 20 ans victime d’un accident de voiture après une séance de surf lors de laquelle il nous semblait si jeune, si vivant. Le jeune homme est en mort cérébrale lorsqu’il arrive à l’hôpital : son cerveau ne présence plus d’activité mais son coeur bat et il respire grâce aux machines. Néanmoins, selon les définitions révolutionnaires de 1959, son cerveau ayant cessé de fonctionner, il est bel et bien mort.
Je ne sais pas ce qu’il se passe durant ce spectacle, mais on est pris dans cette histoire dès le prologue, lorsque cette voix de femme raconte le repos de Simon Limbre, ce repos calme durant lequel son coeur bat régulièrement, un coeur qui aurait encore tant à vivre. Et c’est notre coeur qu’on sent plus que jamais présent dans nos poitrines, la conscience de la vie si présente, la conscience de la mort, que l’on essaie d’oublier à chaque instant et qui est pourtant potentiellement si proche…
Je n’avais pas lu d’interview d’Emmanuel Noblet avant de voir le spectacle, et je suis pourtant sorti en me disant : ce texte doit être lu ou monté par cet acteur. Comme une nécessité. Je suis intimement persuadée que monté par un autre comédien, il n’aurait pas le même rendu. La nécessité se lit dans son regard, la passion se devine à travers ses mouvements, l’attachement au texte se ressent dans son ton. Il compose tous les personnages un à un avec une impressionnante facilité : de Simon au vieux chirurgien respecté, en passant par les parents de l’adolescent, sa copine, le chirurgien en charge du prélèvement de l’organe, ou le médecin chargé du dialogue avec les parents, tous les sentiments passent et traversent lentement nos organes, gelant parfois nos muscles, accélérant nos battements de coeur.
Je comprends qu’un thème tel que le don d’organe peut repousser en premier lieu. Néanmoins, Emmanuel Noblet sublime ce texte qui pourrait paraître probablement plus terne sans lui. Vite, on voit plus loin qu’un simple prône du don d’organe. J’ai étrangement pris conscience, lors de cette soirée, d’une des raisons pour lesquelles le théâtre m’étais si indispensable : certes, cela permet de s’échapper, de s’évader, mais plus loin encore, cela permet de vivre d’autres vies que la sienne. Sur la scène de Réparer les vivants, le coeur bat. Ce n’est plus ma vie qui compte, mais bien la vie qui se déroule sous mes yeux, en accéléré. Le théâtre de la vie.
Pas besoin d’être greffé pour être choqué au coeur : par ce don de soi total, Emmanuel Noblet signe un grand spectacle. Bravo.
Histoire étrange s’il en est au théâtre, ou du moins tellement inhabituelle. Elle raconte la mort de Simon Limbre, un adolescent de 20 ans victime d’un accident de voiture après une séance de surf lors de laquelle il nous semblait si jeune, si vivant. Le jeune homme est en mort cérébrale lorsqu’il arrive à l’hôpital : son cerveau ne présence plus d’activité mais son coeur bat et il respire grâce aux machines. Néanmoins, selon les définitions révolutionnaires de 1959, son cerveau ayant cessé de fonctionner, il est bel et bien mort.
Je ne sais pas ce qu’il se passe durant ce spectacle, mais on est pris dans cette histoire dès le prologue, lorsque cette voix de femme raconte le repos de Simon Limbre, ce repos calme durant lequel son coeur bat régulièrement, un coeur qui aurait encore tant à vivre. Et c’est notre coeur qu’on sent plus que jamais présent dans nos poitrines, la conscience de la vie si présente, la conscience de la mort, que l’on essaie d’oublier à chaque instant et qui est pourtant potentiellement si proche…
Je n’avais pas lu d’interview d’Emmanuel Noblet avant de voir le spectacle, et je suis pourtant sorti en me disant : ce texte doit être lu ou monté par cet acteur. Comme une nécessité. Je suis intimement persuadée que monté par un autre comédien, il n’aurait pas le même rendu. La nécessité se lit dans son regard, la passion se devine à travers ses mouvements, l’attachement au texte se ressent dans son ton. Il compose tous les personnages un à un avec une impressionnante facilité : de Simon au vieux chirurgien respecté, en passant par les parents de l’adolescent, sa copine, le chirurgien en charge du prélèvement de l’organe, ou le médecin chargé du dialogue avec les parents, tous les sentiments passent et traversent lentement nos organes, gelant parfois nos muscles, accélérant nos battements de coeur.
Je comprends qu’un thème tel que le don d’organe peut repousser en premier lieu. Néanmoins, Emmanuel Noblet sublime ce texte qui pourrait paraître probablement plus terne sans lui. Vite, on voit plus loin qu’un simple prône du don d’organe. J’ai étrangement pris conscience, lors de cette soirée, d’une des raisons pour lesquelles le théâtre m’étais si indispensable : certes, cela permet de s’échapper, de s’évader, mais plus loin encore, cela permet de vivre d’autres vies que la sienne. Sur la scène de Réparer les vivants, le coeur bat. Ce n’est plus ma vie qui compte, mais bien la vie qui se déroule sous mes yeux, en accéléré. Le théâtre de la vie.
Pas besoin d’être greffé pour être choqué au coeur : par ce don de soi total, Emmanuel Noblet signe un grand spectacle. Bravo.
5,5/10
La vie d’un spectateur peut être séparée en deux périodes : avant d’avoir vu Niels Arestrup sur scène, et après. L’envie de revoir cet acteur, ce monstre sacré de la scène, ne m’a pas quitté depuis l’extraordinaire Diplomatie de Cyril Gély, montée à la Madeleine il y a quelques saisons. Lorsqu’il monte sur scène, une autre dimension s’ouvre, quel que soit le spectacle dans lequel il joue. Il le prouve à nouveau ce soir : même avec ce texte non abouti, Arestrup reste un monstre.
On devine le sujet de la pièce grâce au titre : l’acteur sera au centre de tous les regards. Tout commence quand un nouvel homme débarque dans la cellule de Horace et Gepetto : Robert vient de prendre 18 ans fermes. Il est comédien et metteur en scène, méprise les séries télés auxquelles sont accros ses deux compagnons de cellule, ne jure que par Shakespeare, Racine, Corneille, Molière, Marivaux… « des gens morts » comme dirait Gepetto. Ce dernier, impressionné par les histoires de Robert, lui demande de lui apprendre le métier : il y voit les paillettes et la gloire. Devant le vide qui s’étale sur son avenir, Robert accepte et tente de lui apprendre ce qu’il sait, malgré les difficultés visibles de son élève.
C’est une histoire un peu invraisemblable, et c’est la principale explication de l’échec de ce spectacle. En effet, on sent que l’auteur voulait écrire autour du métier d’acteur, de sa difficulté, de son errance, de son enfermement, et de sa solitude. On sent parfois poindre une idée plus poussée, un sentiment amer. Mais, probablement par peur d’ennuyer le grand public venu découvrir Kad Merad sur scène, il n’a pu s’empêcher d’ajouter des scènes grotesques, où l’acteur est uniquement là pour faire rire : on commence alors à enchaîner les sketchs, et le spectacle n’avance pas… Impossible de comprendre où l’auteur veut nous mener. Il y a deux spectacles en un : un essai sur l’acteur, et des clowneries.
Or bien vite, les clowneries de Kad Merad usent : certes, il sait nous faire rire. Néanmoins, il est en face du monstre Arestrup, qui saurait nous convaincre quel que soit son rôle. Et ici, malgré cette partition timide, il réussit à faire passer une certaine âpreté. Finalement, une fois cette écriture décevante acceptée, on se retrouve face à une Masterclass dirigée par Niels Arestrup, lors de laquelle il fait travailler Kad Merad. Le maître est brutal, sanguin, sensible, incroyable ; l’élève, dissipé, simple, ne semblant pas capable de progresser. Bien vite, on aimerait simplement un numéro Arestrup. Un numéro comme celui des 40 dernières secondes du spectacle, où nous sommes juste suspendus aux lèvres d’Arestrup. Dommage que les 1h40 qui les précède soient si brouillonnes.
Revoir Arestrup reste un grand bonheur, mais on aimerait tellement le voir dans une grande pièce… Quelque part, on gâche un peu son immense talent.
On devine le sujet de la pièce grâce au titre : l’acteur sera au centre de tous les regards. Tout commence quand un nouvel homme débarque dans la cellule de Horace et Gepetto : Robert vient de prendre 18 ans fermes. Il est comédien et metteur en scène, méprise les séries télés auxquelles sont accros ses deux compagnons de cellule, ne jure que par Shakespeare, Racine, Corneille, Molière, Marivaux… « des gens morts » comme dirait Gepetto. Ce dernier, impressionné par les histoires de Robert, lui demande de lui apprendre le métier : il y voit les paillettes et la gloire. Devant le vide qui s’étale sur son avenir, Robert accepte et tente de lui apprendre ce qu’il sait, malgré les difficultés visibles de son élève.
C’est une histoire un peu invraisemblable, et c’est la principale explication de l’échec de ce spectacle. En effet, on sent que l’auteur voulait écrire autour du métier d’acteur, de sa difficulté, de son errance, de son enfermement, et de sa solitude. On sent parfois poindre une idée plus poussée, un sentiment amer. Mais, probablement par peur d’ennuyer le grand public venu découvrir Kad Merad sur scène, il n’a pu s’empêcher d’ajouter des scènes grotesques, où l’acteur est uniquement là pour faire rire : on commence alors à enchaîner les sketchs, et le spectacle n’avance pas… Impossible de comprendre où l’auteur veut nous mener. Il y a deux spectacles en un : un essai sur l’acteur, et des clowneries.
Or bien vite, les clowneries de Kad Merad usent : certes, il sait nous faire rire. Néanmoins, il est en face du monstre Arestrup, qui saurait nous convaincre quel que soit son rôle. Et ici, malgré cette partition timide, il réussit à faire passer une certaine âpreté. Finalement, une fois cette écriture décevante acceptée, on se retrouve face à une Masterclass dirigée par Niels Arestrup, lors de laquelle il fait travailler Kad Merad. Le maître est brutal, sanguin, sensible, incroyable ; l’élève, dissipé, simple, ne semblant pas capable de progresser. Bien vite, on aimerait simplement un numéro Arestrup. Un numéro comme celui des 40 dernières secondes du spectacle, où nous sommes juste suspendus aux lèvres d’Arestrup. Dommage que les 1h40 qui les précède soient si brouillonnes.
Revoir Arestrup reste un grand bonheur, mais on aimerait tellement le voir dans une grande pièce… Quelque part, on gâche un peu son immense talent.
9/10
Bingo ! Cette histoire, un genre de Tom à la Ferme pinterien, décrit une relation mère-fille invivable, constamment conflictuelle et surtout malsaine, qui se verra chamboulée par l’arrivée de Pat’, un voisin.
L’histoire est délicieusement délirante, les acteurs sont excellents, leurs compositions, exemplaires – Catherine Salviat est une mère-monstre, infâme, abjecte et grincheuse ; Sophie Parel une quadragénaire provocatrice qu’on imaginerait bien mâchant un chewing-gum la bouche ouverte ; Grégori Baquet a un visage qu’on ne lui connaissait pas, le regard vite et benêt, la voix monocorde et légèrement bougonne ; et Arnaud Dupont suit cet exemple en composant un demeuré fini, à la personnalité ambiguë.
A ne pas manquer !
L’histoire est délicieusement délirante, les acteurs sont excellents, leurs compositions, exemplaires – Catherine Salviat est une mère-monstre, infâme, abjecte et grincheuse ; Sophie Parel une quadragénaire provocatrice qu’on imaginerait bien mâchant un chewing-gum la bouche ouverte ; Grégori Baquet a un visage qu’on ne lui connaissait pas, le regard vite et benêt, la voix monocorde et légèrement bougonne ; et Arnaud Dupont suit cet exemple en composant un demeuré fini, à la personnalité ambiguë.
A ne pas manquer !