- Théâtre contemporain
- Théâtre de Paris
- Paris 9ème
Royan, la professeure de français
- Théâtre de Paris
- 15, rue Blanche
- 75009 Paris
- Trinité (l.12), Blanche (l.2)
Gabrielle s’arrête dans la cage d’escalier de son immeuble.
Elle sent plus haut, dit-elle, « l’odeur » des parents de son élève, Daniella, qui s’est suicidée. Ils l’attendent. Elle ne veut ni leur parler ni compatir. Elle va leur adresser, mentalement, le récit de ce que fut sa vie de femme qui s’est voulue puissante, d’Oran à Royan; elle qui jamais, contrairement à Daniella, ne s’est laissée aller à être laide « de sa propre volonté ».
« Bénie sois-tu, Daniella », répète-t-elle comme une litanie, une déploration. De sa plume de diamant noir, Marie NDiaye pose sur les clichés moraux une bombe à retardement et dessine un sublime portrait de femme. Pour sa quatrième excursion en haute terre d’écriture de l’auteure, Frédéric Bélier-Garcia confie à sa mère, Nicole Garcia, le soin des mots et maux de Gabrielle.
L'AVIS DE LA REDACTION : 8,5/10
Une femme puissante !
L'histoire qu'elle nous raconte navigue en permanence entre la réalité et l'imaginaire. Elle offre à la comédienne une partition dans laquelle celle ci est magnifique !
C'est aussi une mise en scène intelligente de son fils, Frédéric Bélier Garcia, qui a imaginé un espace scénique ancré dans le réel, au sein duquel l'actrice évolue, prise entre son récit et ses pensées.
A mi chemin entre réalisme et fable.
Seule sur le plateau, où l'ombre de tous ceux qu'elle a abandonnés plane ....
La belle voix grave de l'interprète, qui nous a enveloppé tout le long de son histoire, nous quitte à son tour sur ces mots : " Je crois que sans le savoir j'ai fait un malheur sur cette terre ".
Gabrielle est professeure de français. Elle rentre chez elle et dans ce hall d’immeuble elle comprend qu’en haut, devant chez elle, les parents de Daniella l’attendent. Daniella est une jeune élève qu’elle a eu en classe, qu’elle aimait bien. Daniella s’est suicidée. Gabrielle refuse de voir ces parents, de livrer ses derniers souvenirs de Daniella et de livrer ce qu’elle a vu. Elle refuse l’aide à ces parents en plein drame. Elle est aussi affectée et c’est l’occasion pour elle de repasser sa vie à Oran, à Marseille puis maintenant à Royan après avoir abandonné sa propre famille.
Il est difficile d’aimer ce personnage dur, sans empathie. Même si elle a aimé cette jeune fille, elle fait tout pour le rejeter car l’amour est une faiblesse selon elle. Le personnage est peu attachant. En tout cas, je l’ai reçu comme cela. Le texte ne m’a pas ému car je reconnais que je n’ai pas aimé le personnage. J’ai vite trouvé égoïste de repasser sa propre vie comme un drame et de s’appesantir dessus quand elle ne prend pas le temps d’essayer d’aider ces parents en plein drame.
L’interprétation de Nicole Garcia est juste mais je n’ai pas été éblouie. En fait, le personnage n’appelle pas à une performance car il est dans la maitrise totale, pas du tout dans l’émotion.
Bref, entre un texte qui ne m’a pas emporté et une interprétation en maitrise totale, je n’ai pas été éblouie.
Le décor est inexistant ou inutile.
Je vais converger avec beaucoup de personnes sur un son de qualité médiocre.
En conclusion, je n’ai pas vu de performance pour un texte qui n’appelle rien.
A la demande de Nicole Garcia qui souhaitait remonter sur scène, Marie NDiaye écrit un texte fort, plein de noirceur, d'âpreté, et de poésie mélangées.
L'histoire qu'elle nous raconte navigue en permanence entre la réalité et l'imaginaire. Elle offre à la comédienne une partition dans laquelle celle ci est magnifique !
C'est aussi une mise en scène intelligente de son fils, Frédéric Bélier Garcia, qui a imaginé un espace scénique ancré dans le réel, au sein duquel l'actrice évolue, prise entre son récit et ses pensées.
A mi chemin entre réalisme et fable.
Seule sur le plateau, où l'ombre de tous ceux qu'elle a abandonnés plane ....
La belle voix grave de l'interprète, qui nous a enveloppé tout le long de son histoire, nous quitte à son tour sur ces mots : " Je crois que sans le savoir j'ai fait un malheur sur cette terre ".
Marie Ndiaye a écrit ce texte pour Nicole Garcia en vue du festival d’Avignon.
Sur scène, un beau décor de Jacques Gabel représentant la coupe de la cage d’escalier d’un immeuble des années 70 aux tapis couleurs orangé , rampe en métal et côté cour les boites lettres en bois verni.
Dans une lumière tamisée de Dominique Bruguière, une femme agitée, à bout de nerfs un cartable à la main fait éruption. Ses mots viennent avec violence nous frapper en plein cœur :
« Oui je sais que vous êtes là avant même de distinguer vos deux silhouettes ramassées dans la pénombre… »
Cette femme, Gabrielle, est professeur de français. Devant sa porte, quelques étages plus haut, elle imagine que les parents de son élève Daniella l’attendent pour comprendre le suicide de leur fille. Daniella s’est jetée du troisième étage du lycée.
© Christophe Raynaud de Lage
Au cours de ce monologue interprété brillamment par Nicole Garcia, cette femme fait une rétrospective intérieure d’elle-même.
Elle nous conte l’histoire de cette jeune fille mais aussi sa propre histoire, ses carences, son impuissance à aimer et à être aimée.
« Je ne suis pas une femme aimée – ou peut- être que si et mes yeux affolés de soleil m'empêchent de voir ? »
Est-elle coupable de n’avoir pas écouter la souffrance de Daniella ? Elle clame son innocence mais ne peut affronter le regard des parents qui l’attendent et n’ose monter chez elle…
Parents qu’elle essaie de culpabiliser
« Qu'avez- vous fait parents pour dompter la tignasse de Daniella
sa crinière vociférant ?
Elle se réfère à sa vie, à son éducation, elle jette au visage des parents de Daniella ce que sa propre mère qu'elle déteste lui disait:
« On ne doit pas gâter les filles mais les armer les tremper les durcir pour la vie "
C’est un texte déboussolant, violent. Nous découvrons une femme impitoyable qui refuse la culpabilité mais le peut elle vraiment en regardant le miroir de sa vie de prof, de femme, de mère… ?
La mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia est épurée et magnifiquement orchestrée.
Nicole Garcia nous subjugue et nous entraine avec brio dans cette fiction dramatique.
La cage, celle de l’escalier de cet immeuble, dans laquelle pénètre une femme.
Trench coat, chemisier blanc, pantalon à pinces, petits mocassins. Un cartable de cuir dans une main, un sac de papier kraft dans l’autre
La cage mentale de cette femme, également.
Une prof.
Elle relève son courrier dans la boîte aux lettres, et soudain se fige.
Deux personnes l’attendent sur son palier, quelques étages plus hauts. Deux personnes qu’elle ne veut surtout pas rencontrer.
Deux personnes qu’elle a tout mis en œuvre pour les fuir, jusqu’à cet instant-même.
Les parents de Daniella, son élève victime de harcèlement, et qui s’est suicidée voici un mois en se défenestrant.
Un père et une mère qui cherchent des explications.
Daniella, qu’en tant que professeure, elle n’a pas su, pas pu, pas voulu aider lorsqu’il en était encore temps.
Pour autant, elle va s’adresser à ces trois figures absentes de la scène, mais ô combien présentes dans l’esprit de cette professeure de Français.
Tel est le point de départ de ce monologue, issu de volontés multiples.
Celle de Nicole Garcia, qui voulait retourner sur les planches, avec un texte contemporain.
Celle de Frédéric-Bélier Garcia, qui souhaitait travailler à nouveau avec Marie Ndiaye, au cours d’une quatrième rencontre artistique.
Celle de Marie Ndiaye elle-même, très intéressée de bâtir une fiction autour de Melle Garcia, et qui lui a proposé de choisir quelques mots : solitude, trahison, souvenir…
Une nouvelle fois, l’auteure, de sa plume intense et implacable, s’empare d’un sujet de société très actuel, en nous présentant un fulgurant et magnifique portrait de femme.
Nous allons assister à une vertigineuse introspection, une plongée quasi psychanalytique dans les domaines du conscient ou inconscient de cette femme.
Ce suicide la renvoie à son propre vécu, à ses propres dilemmes, à ses propres démons.
Ici, une certaine libération de la parole va faire en sorte de dresser par petites touches ce portrait fait d’images passées, de « confessions » et surtout de justifications.
Ce drame lui fait également revivre son propre parcours, d’Oran à Royan, un parcours qu’elle tente de nous reconstituer.
Cette parole adressée à un père et une mère sonne comme une Déploration mystique, qui, comme une sorte de prière profane, permettrait ainsi à l’âme de son élève de trouver la paix.
Une vraie lucidité, une vraie volonté de se livrer émane de ce magnifique personnage.
« Je ne suis pas une femme aimante. Ni une femme aimée », dit-elle à distance et sans les voir ni les regarder aux deux parents, et donc à nous autres spectateurs.
Elle pénètre côté jardin, dans la très belle scénographie de Jacques Gabel, qui a su faire de cet espace fermé et réduit qu’est une cage d’escalier un univers très ouvert aux dires et aux déplacements.
Une voix ! Et quelle voix !
A nulle autre pareille, immédiatement reconnaissable entre toutes.
Une voix grave, un peu éraillée, au débit assez rapide.
Celle de Nicole Garcia qui va incarner de façon puissante, saisissante, viscérale cette femme que ce drame oblige à plonger en elle-même.
Elle va purement et simplement nous sidérer. Au sens noble du terme.
Seule une immense comédienne peut se confronter à un tel texte, à un tel flot flamboyant de phrases et de circonvolutions narratives.
Melle Garcia réussit de façon magistrale à incarner par ce jeu de miroirs cette sorte d’étrange folie issue d’une perception on ne peut plus juste et clairvoyante de la terrible réalité.
La comédienne est bouleversante dans ce rôle qui met en lumière les pensées les plus intenses et complexes du personnage, son théâtre intérieur, et qui fait en sorte de nous confronter à notre propre mode de fonctionnement.
Il est impossible à un moment ou à un autre de nous projeter dans ce personnage.
Frédéric Bélier-Garcia a parfaitement réussi à mettre en scène sa maman, lui permettant de dire certes ce qu’elle a à dire, mais de la mettre pleinement en valeur dans ce grand espace scénique qu’est le plateau de l’Espace Cardin.
Cette espèce de périmètre de moquette orange est investie de façon très judicieuse.
Un autre parti-pris a été subtilement choisi, et que l’on rencontre de moins en moins dans les théâtres : un projecteur de poursuite souligne délicatement (on n’est tout de même pas au music-hall) les déplacements de la comédienne.
Ceci renforce cette impression de puissance verbale et narrative, soulignant la spécifique entreprise mentale que s’est fixé son personnage.
Dès le premier salut, une véritable ovation accueille Nicole Garcia, les « Bravo ! » fusent.
Quoi de plus mérité !
J’ai assisté hier à une magnifique et intense leçon de théâtre !