- Théâtre contemporain
- Manufacture des Abbesses
- Paris 18ème
Les témoins

- Manufacture des Abbesses
- 7, rue Véron
- 75018 Paris
- Blanche (l.2)
Les Témoins est un journal dont l’intégrité et le professionnalisme ne font pas débat. Mais le jour où un candidat d’extrême droite gagne la présidentielle, les journalistes de la rédaction sentent vite le vent tourner : ils deviennent l’ennemi à abattre.
Les Témoins doivent alors se battre pour préserver leur éthique et leur détermination sans sombrer dans une guerre de tranchées contre le nouveau pouvoir.
Catherine, la rédactrice en chef ajointe, tente de conserver l’unité de ses troupes, au bord de l’implosion, alors que la rédaction accumule les enquêtes explosives.
Cyril découvre le projet d’action terroriste d’un groupuscule écologique. Hassan suspecte qu’un pays ami ait exécuté un agent français (mais sa source est faible et il craint de relancer les graves tensions entre les deux pays).
Rebecca met à jour une gigantesque histoire d’espionnage industriel perpétré par un proche du nouveau président. Romain, lui, découvre un embryon de résistance armée. Ils envisagent déjà un Coup d’Etat.
Le texte est plutôt bien écrit et le spectacle a du rythme (malgré quelques longueurs, cela aurait gagné à être resserré avec une demi heure de moins...). La mise en scène est intéressante avec un bon enchaînement des scènes et l’écran qui projette le contenu éditorial du journal est bien trouvé et fonctionne bien.
En revanche, le décor qui se détruit au fur et à mesure que la situation se dégrade est inutile et repose sur un procédé assez éculé et surtout les comédiens n’ont pas trouvé d’autre moyen d’exprimer leur angoisse et leur stress que de hurler... il y avait sûrement moyen de jouer cela avec plus de finesse.
L’ensemble du spectacle et son message y auraient fortement gagné !
Et si c’était vrai…pour reprendre le célèbre titre d’un roman à grand succès. Seulement nous ne jouons pas dans la même cour. D’une histoire d’amour nous plongeons dans les abysses de ce qui va devenir la terreur. Ce que tout le monde redoute depuis des décennies et qui finit malheureusement par arriver.
Un épisode de la vie politique qui se concrétise sournoisement.
Manquerions-nous de vigilance, ou le souhaitons-nous ?
Etre témoins certes mais jusqu’à quel point ?
Les témoins de cette histoire sont journalistes et travaillent au sein d’un journal ayant une ligne éditoriale intègre et professionnelle : aucune publicité, juste une subvention de la valeur de quelques cacahuètes.
Dans un décor de Goury qui va « évoluer » à la montée du chaos, annonçant sa chute, nos journalistes vont devoir traiter l’information comme elle se doit, avec du recul, mais sans pour autant « rester neutres ». Et c’est là que le bas blesse, comment rester intègre et s’engager ? N’est-ce pas le but d’un journal de se positionner ? Est-il possible de rester dans l’ombre de ses convictions, ou faut-il les crier au grand jour ?
Ces journalistes sont aussi en quelque sorte des représentants du peuple et dans ce cas précis comment réagirions-nous ? Quelle serait notre position ? Collaborer ou entrer en résistance ? La neutralité c’est pour les « Suisses ».
Pour crier, nos journalistes en connaissent un rayon, ce qui est un paradoxe. Ne sont-ils pas censé montrer l’exemple de la communication, du débat ? Au lieu de cela, toutes conférences de presse ne sont que cris, vociférations, ils ne savent se répandre qu’en invectives.
Ce qui je dois l’avouer m’a un peu perturbé pendant le déroulement de la montée en puissance du nouveau Président de la République, un dictateur en herbe, à en perdre le fil de temps en temps.
Un homme qui comme sa définition l’exprime, n’a qu’un seul but : exercer son pouvoir tout seul.
Et pour cela il lui faut museler tous les médias, en contrôlant par exemple la presse, la télévision, internet et ses satellites comme Twitter et Facebook.
Priver de liberté, des libertés tous ceux qui ne sont pas dans la même ligne que le nouveau parti au pouvoir.
Rappelons-nous ce qu’un certain George Moustaki chantait : « Ma liberté, longtemps je t’ai gardée, comme une perle rare, ma liberté… ». Penser c’est bien, agir c’est mieux.
Ce sont donc six journalistes qui sont autour de la table de conférence avec à sa tête Catherine, la rédactrice en chef adjointe, une femme de poigne, qui tente de garder un semblant d’unité à l’arrivée du chaos inéluctable. Un chaos qui s’orchestre sous nos yeux alimentés avec un écran vidéo de Mathieu Morelle déversant en continu son lot d’informations.
Parallèlement, en couple depuis huit ans avec le rédacteur en chef Eric, elle nous offre sa rupture sur un plateau. D’autres saynètes de ce genre viendront alimenter la vie trépidante, explosive, de cette rédaction.
Le chaos arrive mais la vie de tous les jours se poursuit tant bien que mal avec ses déboires qu’ils soient sentimentaux, parentaux ou autres : c’est la vie !
Viennent se greffer des sujets éditoriaux comme un projet d’action terroriste d’un groupuscule écologique, une histoire d’espionnage industrielle ou encore une supposée exécution d’un agent français par une puissance étrangère liée au nouveau président.
Autant de sujets qui gravitent autour de l’élection, de son développement, et qui donnent de l’épaisseur à l’intrigue.
Avec force et conviction Frédéric Andrau, Marjorie Ciccone, Frédérique Lazarini, Morgan Perez, Tewfik Snoussi et Sophie Vonlanthen, donnent vie à ces personnages saisissants de vérité qui doivent se regarder dans le miroir et prendre la décision qui convient à « leurs survies ».
Yann Reuzeau avec passion a mis en scène sa pièce très bien écrite comme les battements d’un cœur qui s’emballe jusqu’à l’asphyxie, jusqu’à la chute !
Devant une salle comble, conquise, s’est déroulée sous nos yeux et nos oreilles édifiés, cette histoire glaçante…Et si c’était vrai…
C'est bien rythmé, bien joué. Ceci dit, ça crie, ça s'engueule et ça s'agite beaucoup, et cela devient un peu lassant à la longue. A mon avis, la pièce aurait gagné sur tous les plans avec quelques passages plus calmes, plus posés, des dialogues plus étoffés, donnant un peu de répit au spectateur. C'est quand même une belle réussite.
Yann Reuzeau a décidé de continuer à nous plonger dans une politique fiction engagée et assumée en tant que telle ! Comme il a bien fait !
Avec Les Témoins, il prolonge en quelque sorte une précédente création, Chute d'une Nation, dans laquelle il montrait l'accession au pouvoir d'un président de la République d'extrême-droite.
Aujourd'hui, ce président-là est aux manettes.
Et tout va très vite s'enchaîner...
L'auteur va nous faire vivre par le biais d'un épatant prisme les méthodes fascistes, les dérives anti-républicaines du nouveau pouvoir en place.
Ce prisme, c'est la rédaction d'un journal, Les Témoins, un organe de presse reconnu, indépendant des groupes financiers et publicitaires.
Un journal dont la ligne éditoriale tente d'être la plus objective possible, et qui refuse toute prise de position, toute orientation. (Juste une petite question : est-ce réellement possible, sans tomber dans le syndrome « cinquante lignes pour Hitler, cinquante lignes pour les juifs » ? Parfois, souvent, il faut se positionner.... Le débat est ouvert...)
Sera-t-il possible pour les journalistes de cette rédaction intègre de garder cette ligne éditoriale-là ?
Pourront-ils préserver leur éthique sans que leur journal devienne un organe partisan ?
Comment survivre professionnellement de façon intègre avec la suspension probable des subventions à la presse et sans rentrées publicitaires ?
C'est à cette question que nous allons être confrontés durant les deux heures que dure ce spectacle.
Yann Reuzeau a passé du temps à la rédaction de Libé. Il a pu côtoyer cette instance au cours de laquelle se décide le contenu du journal. Il a donc pu témoigner du fonctionnement, et surtout de la façon démocratique (ou non...) qu'ont les membres de la conf' de s'exprimer, de pousser en avant leurs arguments...
A cet égard, tous les comédiens sont parfaits.
Ils vont de façon très subtile incarner des positionnements personnels face à l'arrivée de la peste brune au pouvoir, ainsi que les tensions associées.
Tout ceci va se mêler aux enquêtes en cours, et ce qui devait arriver arrive.
Intimidations en tous genres, perquisitions, violences par le pouvoir en place.
Bien entendu, et c'est la force d'une entreprise dramaturgique réussie, les principes de distanciation, d'identification et de catharsis vont fonctionner ici pleinement. Résonne en chacun des spectateurs des interrogations fondamentales : « comment me positionnerais-je moi, comment réagirais-je, que serais-je prêt à supporter, à quel moment dénoncerais-je cet insupportable-là ? »
L'auteur est son propre metteur en scène.
La scénographie, très réussie est basée sur la progression du chaos. Le chaos politique et le chaos à la rédaction...
La destructuration du décor fonctionne très bien. Je n'en dis pas plus...
Trois espaces de jeu sont utilisés. La salle de conférence de rédaction avec une importante table se trouve au centre du plateau.
Au mur, un écran, qui va reproduire la une électronique des Témoins.
Il faut mentionner le très beau travail graphique de Mathieu Morelle qui a conçu une charte et une interface complète.
A cour et à jardin, des espaces restreints, dans lequel les actions « hors-journal » se déroulent.
Six comédiens incarnent donc ces journalistes. Mais pas que.
D'autres personnages, que je vous laisse découvrir, interviennent tout au long de ces deux heures. Nous ne sommes jamais perdus.
Tous sont totalement justes et crédibles.
C'est un vrai bonheur de les voir interpréter ces rôles tendus, profonds, graves, parfois violents.
Voici donc un très beau moment de théâtre.
Une fiction.
Que personnellement, je ne souhaite pas voir, mais alors pas du tout, se réaliser.
Le théâtre de Yann Reuzeau nous confronte de façon implacable à nos peurs sociétales.
Oui, je me répète : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ce qui pourrait arriver !
Au soir de l'élection présidentielle qui a porté l'extrême droite au pouvoir c'est le choc au sein de la rédaction de "Les Témoins", média en ligne qui prône un journalisme d'investigation indépendant. Eric, rédacteur en chef, est en état de sidération que renforce la dépression qu'il subit depuis des semaines. Anna évoque la peur de devenir paranoïaque face à ce nouveau pouvoir qui n'a pas caché sa méfiance vis-à-vis de la presse. Romain est absent. Ses collègues craignent pour sa sécurité alors que des émeutes urbaines éclatent et que l'on a lancé le macabre décompte des blessés et des morts. Hassan est dans l'expectative tandis que Catherine, cofondatrice du journal se demande quelle attitude adopter pour continuer à exister dans ce nouveau paysage politique sans perdre l'intégrité et l'éthique qui sont la ligne de la rédaction.
Inutile d'avoir vu "La chute d'une nation" pour se laisser entraîner dans les interrogations de "Les Témoins". L'écriture dynamique de Yann Reuzeau nous interpelle sur la liberté de la presse, les compromissions avec le pouvoir. Il s'interroge sur ce que pourrait être l'information dans une société qui sombre dans la dictature. Politique fiction, analyse des dérives d'un système : sommes-nous totalement dans la fiction ? Sommes-nous assez vigilants ? Pouvons-nous rester indifférents ? A l'heure des fake-news, de la prolifération des réseaux sociaux, de l'information 24h/24h quels sont nos garde-fous ?
La scénographie place le cœur de l'action au sein du comité de rédaction du média. Des lignes au sol et en fond de scène délimitent cet espace de réflexion, de discussion, tout en enfermant cette rédaction qui est plongée dans la tourmente et qui se désagrège comme les individus qui l'occupent. Ce centre laisse sur les deux côtés de l'espace pour les scènes extérieures. La mise en scène dynamique permet de passer avec fluidité d'une scène à l'autre, dans un schéma qui fait penser au montage de séries télé. Un écran en fond de scène est utilisé avec intelligence, miroir de la page internet du site des Témoins, déroulant en direct le fil d'une actualité mouvante, inquiétante.
La mise en scène, couplée à cette scénographie, nous entraîne dans un récit captivant, haletant, parfois sidérant. Les comédiens et comédiennes qui pour la plupart faisaient déjà partie de l'aventure de "La chute d'une nation" captent notre attention, nous touchent par leur questionnement, leurs doutes, leurs dilemmes, leurs batailles intérieures, leur cheminement intellectuel. On espère qu'il y aura une suite !
En bref : "Les Témoins" nous questionne sur la liberté de la presse et son rapport avec le pouvoir. En nous plongeant dans le chaos d'une élection électorale à l'issue aussi inattendue que déroutante Yann Rézeau nous présente une fiction politique criante de vérité. Même si vous n'avez pas vu "Chute d'une nation" ne passez pas à côté de ce spectacle fascinant.