Critiques pour l'événement Le souper
Une pièce prenante et surprenante. Un spectacle beau et envoutant. Nous sortons groggy par ce que nous avons vu et entendu. Une leçon d’interprétation, un temps mémorable de théâtre.
En ce début 2018 Philippe Tesson prend la parole pour souhaiter la bonne année au public. Il annonce avec l'humour qui le caractérise le retour des Mesguich sur la scène du Poche à l’instar des hirondelles qui reviennent au village après avoir survolé des contrées étrangères.
Mais à l’inverse du soldat, ce n’est pas un rêve, et Philippe nous promet qu’on n’en aura jamais assez de souper des Mesguich.
Daniel Mesguich l’avait caché à tout le monde. Seul William savait qu'il était quasiment aphone avant d’entrer en scène. Le spectacle a démarré un peu en retard, mais ça ne suffisait pas pour qu’un miracle se produise d’un claquement de doigt. Philippe Tesson ne le savait pas alors qu’il annonçait joyeusement le retour des enfants prodigues. Et tant mieux parce qu'il aurait imposé le recours à une sonorisation qui aurait gâché la soirée.
Trop de comédiens ont recours à cette béquille qui altère les inflexions de la voix et qui dispense les spectateurs de tendre l'oreille. Quand l'acoustique est bonne (c'est souvent le cas) et qu'on ne fait pas jouer de dos ou derrière une paroi de verre le micro est une hérésie. Et pourquoi pas (sauf contexte exceptionnelle) banaliser le prompteur ou l'oreillette ?
Le plateau est dans le noir, la salle est encore éclairée, les bougies ont du mal à prendre le relai. Un orage claque. Des bourrasques font craindre une tempête. C’est de saison. Daniel, alias Talleyrand, peine un peu à allumer les bougies, en tout logique puisqu’il y a grand vent.
Nous sommes le 6 juillet 1815 au soir. Après la défaite de Waterloo et l’exil de Napoléon, Wellington et les troupes coalisées sont dans Paris et la révolte gronde. Le peuple est en ébullition. On entendra dehors danser tout à l'heure la carmagnole. Qui va gouverner le pays ? Fouché et Talleyrand vont décider du régime à donner à la France. La table est dressée chez le premier pour accueillir le second (William Mesguich) car c'est souvent en partageant un repas qu'on finit par partager ... des idées communes.
Le diable boiteux est mielleux. Comme sa voix est douce. Je m’étonne de ne pas reconnaître le timbre grave et envoûtant si particulier de Daniel. Mais loin de me douter des efforts qu’il fait je le trouve juste parfait, précisément parce que ce souper démarre dans la douceur, sans aucune agressivité dans les répliques. Nous sommes dans l’intimité du pouvoir, petites souris sous la table. Quelle chance que ce ne soit pas sonorisé. L’attention du public est à son maximum et c’est juste parfait.
Fouché souhaite une République, Talleyrand envisage le retour des Bourbons. Aucun des deux ne peut agir sans l’autre. Commence alors une négociation entre deux hommes puissants qui se détestent mais que les circonstances historiques condamnent à s’entendre. Au sens figuré comme au sens propre et William s'est mis au diapason de son partenaire.
Être sur scène produit de l’adrénaline, c’est évident car la voix de Daniel ne faiblir pas, et William se plaçant au même niveau les échanges seront égaux. On assiste à un tie-break politique insoutenable de suspense alors qu'on connait l'issue.
Les jeux de regards sont intenses, sous des éclairages aussi précis que les répliques. Costumes et perruques sont bien choisis. Fouché est très ressemblant. Les dialogues de Jean-Claude Brisville sont ciselés et on retient chaque mot avec le sentiment que l'histoire est en train de s'écrire sous nos yeux. Cela tient aussi beaucoup à l'excellence du duo puisque Daniel et William sont deux très grands comédiens.
Non seulement ils se connaissent très bien, et pour cause puisqu'ils sont père et fils dans la vraie vie, mais ils ont plusieurs fois travaillé ensemble. Notamment sur un autre texte de Jean-Claude Brisville pour L'Entretien entre M. Descartes avec M. Pascal le jeune, une pièce reprise en 2007 au Théâtre de l'Œuvre dans une mise en scène de Daniel Mesguich, où Daniel interprétait Descartes et William Pascal. Il s'agissait d'un dialogue imaginaire entre les deux philosophes à partir d'un véritable entretien qu'ils auraient eu en 1647 mais dont rien n'a jamais filtré.
Plus de dix ans ont passé et on retrouve semblable connivence pour interpréter des personnages divergents au début de la soirée.
Les couvercles se soulèvent et Talleyrand annonce le menu d'un air gourmand : asperge en petit pois, saumon à la royale, filet de cabri, artichaut ravigote. Il confie qu’il passe deux heures par jour en cuisine. Cet homme redoutable (et redouté) est à plusieurs reprises très sympathique parce qu'il exprime de l'humanité et joue de son art de la séduction. On a compris qu'il parviendra à vaincre les réticences de son hôte. Alors il s'autorise des traits d'humour.
Que Fouché le raille sur sa frilosité et il avouera porter quatorze bonnets de nuit. Son invité tentera de se moquer en prétendant qu'on lui avait dit qu'il en mettait dix-huit. Les gens exagèrent toujours répondra Talleyrand sans démentir le propos.
Qu'il s’étonne que Talleyrand soit allé en Amérique. L’homme fanfaronne : Oh on vit en Amérique tout comme en France, à la campagne, ... sans château.
Les dialogues s’échangent sans hausser le ton. C’est une cascade d’échanges, de surenchères, de bons mots, de sous entendus et d’allusions, et aussi de dérision. Le duo est un duel. C’est si savoureux.
Fouché fait ce qu'il peut pour défendre ses idées républicaines, pensant intimider Talleyrand en lui rappelant que la Police est encore à ses ordres. Ce ne sont pour son interlocuteur que des agitateurs. Le destin de la France est tout tracé : l’avenir aujourd’hui est au passé. Les Bourbons sont les seuls à pouvoir rétablir un gouvernement en la personne de Louis XVIII.
Talleyrand ressert son convive. Le vin donne envie d’aimer. Je finirai par vous aimer. Mais Fouché est méfiant : Moi plus je bois plus je me méfie de vous. Il n'a pas le dernier mot car Talleyrand réplique : Moi qui allais vous inviter à m’accompagner chez le roi à Saint Denis.
Plus tard il lui enseignera l'art de boire le Cognac et son invité admettra que ce souper est une merveille. Ils sont enfin sur la même longueur d'onde même si Talleyrand proteste pour la forme : Fouché, ne me faites pas rire !
Nous approuvons le verdict : ce souper est une merveille.
Mais à l’inverse du soldat, ce n’est pas un rêve, et Philippe nous promet qu’on n’en aura jamais assez de souper des Mesguich.
Daniel Mesguich l’avait caché à tout le monde. Seul William savait qu'il était quasiment aphone avant d’entrer en scène. Le spectacle a démarré un peu en retard, mais ça ne suffisait pas pour qu’un miracle se produise d’un claquement de doigt. Philippe Tesson ne le savait pas alors qu’il annonçait joyeusement le retour des enfants prodigues. Et tant mieux parce qu'il aurait imposé le recours à une sonorisation qui aurait gâché la soirée.
Trop de comédiens ont recours à cette béquille qui altère les inflexions de la voix et qui dispense les spectateurs de tendre l'oreille. Quand l'acoustique est bonne (c'est souvent le cas) et qu'on ne fait pas jouer de dos ou derrière une paroi de verre le micro est une hérésie. Et pourquoi pas (sauf contexte exceptionnelle) banaliser le prompteur ou l'oreillette ?
Le plateau est dans le noir, la salle est encore éclairée, les bougies ont du mal à prendre le relai. Un orage claque. Des bourrasques font craindre une tempête. C’est de saison. Daniel, alias Talleyrand, peine un peu à allumer les bougies, en tout logique puisqu’il y a grand vent.
Nous sommes le 6 juillet 1815 au soir. Après la défaite de Waterloo et l’exil de Napoléon, Wellington et les troupes coalisées sont dans Paris et la révolte gronde. Le peuple est en ébullition. On entendra dehors danser tout à l'heure la carmagnole. Qui va gouverner le pays ? Fouché et Talleyrand vont décider du régime à donner à la France. La table est dressée chez le premier pour accueillir le second (William Mesguich) car c'est souvent en partageant un repas qu'on finit par partager ... des idées communes.
Le diable boiteux est mielleux. Comme sa voix est douce. Je m’étonne de ne pas reconnaître le timbre grave et envoûtant si particulier de Daniel. Mais loin de me douter des efforts qu’il fait je le trouve juste parfait, précisément parce que ce souper démarre dans la douceur, sans aucune agressivité dans les répliques. Nous sommes dans l’intimité du pouvoir, petites souris sous la table. Quelle chance que ce ne soit pas sonorisé. L’attention du public est à son maximum et c’est juste parfait.
Fouché souhaite une République, Talleyrand envisage le retour des Bourbons. Aucun des deux ne peut agir sans l’autre. Commence alors une négociation entre deux hommes puissants qui se détestent mais que les circonstances historiques condamnent à s’entendre. Au sens figuré comme au sens propre et William s'est mis au diapason de son partenaire.
Être sur scène produit de l’adrénaline, c’est évident car la voix de Daniel ne faiblir pas, et William se plaçant au même niveau les échanges seront égaux. On assiste à un tie-break politique insoutenable de suspense alors qu'on connait l'issue.
Les jeux de regards sont intenses, sous des éclairages aussi précis que les répliques. Costumes et perruques sont bien choisis. Fouché est très ressemblant. Les dialogues de Jean-Claude Brisville sont ciselés et on retient chaque mot avec le sentiment que l'histoire est en train de s'écrire sous nos yeux. Cela tient aussi beaucoup à l'excellence du duo puisque Daniel et William sont deux très grands comédiens.
Non seulement ils se connaissent très bien, et pour cause puisqu'ils sont père et fils dans la vraie vie, mais ils ont plusieurs fois travaillé ensemble. Notamment sur un autre texte de Jean-Claude Brisville pour L'Entretien entre M. Descartes avec M. Pascal le jeune, une pièce reprise en 2007 au Théâtre de l'Œuvre dans une mise en scène de Daniel Mesguich, où Daniel interprétait Descartes et William Pascal. Il s'agissait d'un dialogue imaginaire entre les deux philosophes à partir d'un véritable entretien qu'ils auraient eu en 1647 mais dont rien n'a jamais filtré.
Plus de dix ans ont passé et on retrouve semblable connivence pour interpréter des personnages divergents au début de la soirée.
Les couvercles se soulèvent et Talleyrand annonce le menu d'un air gourmand : asperge en petit pois, saumon à la royale, filet de cabri, artichaut ravigote. Il confie qu’il passe deux heures par jour en cuisine. Cet homme redoutable (et redouté) est à plusieurs reprises très sympathique parce qu'il exprime de l'humanité et joue de son art de la séduction. On a compris qu'il parviendra à vaincre les réticences de son hôte. Alors il s'autorise des traits d'humour.
Que Fouché le raille sur sa frilosité et il avouera porter quatorze bonnets de nuit. Son invité tentera de se moquer en prétendant qu'on lui avait dit qu'il en mettait dix-huit. Les gens exagèrent toujours répondra Talleyrand sans démentir le propos.
Qu'il s’étonne que Talleyrand soit allé en Amérique. L’homme fanfaronne : Oh on vit en Amérique tout comme en France, à la campagne, ... sans château.
Les dialogues s’échangent sans hausser le ton. C’est une cascade d’échanges, de surenchères, de bons mots, de sous entendus et d’allusions, et aussi de dérision. Le duo est un duel. C’est si savoureux.
Fouché fait ce qu'il peut pour défendre ses idées républicaines, pensant intimider Talleyrand en lui rappelant que la Police est encore à ses ordres. Ce ne sont pour son interlocuteur que des agitateurs. Le destin de la France est tout tracé : l’avenir aujourd’hui est au passé. Les Bourbons sont les seuls à pouvoir rétablir un gouvernement en la personne de Louis XVIII.
Talleyrand ressert son convive. Le vin donne envie d’aimer. Je finirai par vous aimer. Mais Fouché est méfiant : Moi plus je bois plus je me méfie de vous. Il n'a pas le dernier mot car Talleyrand réplique : Moi qui allais vous inviter à m’accompagner chez le roi à Saint Denis.
Plus tard il lui enseignera l'art de boire le Cognac et son invité admettra que ce souper est une merveille. Ils sont enfin sur la même longueur d'onde même si Talleyrand proteste pour la forme : Fouché, ne me faites pas rire !
Nous approuvons le verdict : ce souper est une merveille.
Excellent souper !
Une pièce raffinée basée sur un face à face magnifique, entre deux faiseurs de roi au lendemain de la déroute à Warterloo : Talleyrand, vieille noblesse en perruque, et Fouché, responsable de la police, tout les oppose mais ce diner doit aboutir sur une solution pour l’avenir de la France… Le texte de Jean Claude Brisville est un délice.
Les deux protagonistes sont incarnés par William et Daniel Mesguish, qui oeuvrent aussi à la mise en scène, une histoire de famille donc ! Ce n’est pas la première fois que ces deux là se font face au théâtre (le dialogue entre Pascal et Descartes était déjà magnifique) et c’est un regal de le voir s’affronter. La joute est de haut niveau. La configuration de la salle du Poche est idéale pour nous permettre d’être le témoin de ce diner historique en toute intimité. La gestion des lumières est superbe : éclairage à la bougie, l’orage qui vient ponctuer les répliques, la foule massée devant le domicile de Talleyrand.
Un souper où la salle était attentive, j’ai rarement eu une salle aussi silencieuse, ça veut tout dire !
Une pièce raffinée basée sur un face à face magnifique, entre deux faiseurs de roi au lendemain de la déroute à Warterloo : Talleyrand, vieille noblesse en perruque, et Fouché, responsable de la police, tout les oppose mais ce diner doit aboutir sur une solution pour l’avenir de la France… Le texte de Jean Claude Brisville est un délice.
Les deux protagonistes sont incarnés par William et Daniel Mesguish, qui oeuvrent aussi à la mise en scène, une histoire de famille donc ! Ce n’est pas la première fois que ces deux là se font face au théâtre (le dialogue entre Pascal et Descartes était déjà magnifique) et c’est un regal de le voir s’affronter. La joute est de haut niveau. La configuration de la salle du Poche est idéale pour nous permettre d’être le témoin de ce diner historique en toute intimité. La gestion des lumières est superbe : éclairage à la bougie, l’orage qui vient ponctuer les répliques, la foule massée devant le domicile de Talleyrand.
Un souper où la salle était attentive, j’ai rarement eu une salle aussi silencieuse, ça veut tout dire !
Ce Souper est un délice !!!
On se régale de tant de finesse, on se délecte de tant d'intelligence, on savoure un tel talent!
Le père et le fils, au sommet de leur art, nous donnent une leçon de théâtre, et quelle leçon ! La retenue de Talleyrand face à la fièvre de Fouché, les yeux fièvreux de William contre le cynisme implacable de Daniel ....
Deux monstres de l'histoire dans une prodigieuse partie d'echecs.
En sortant on n'a qu'un seul regret : Ne pas pouvoir retenir toutes les pépites dont ce texte regorge.
Quel Festin !!!
On se régale de tant de finesse, on se délecte de tant d'intelligence, on savoure un tel talent!
Le père et le fils, au sommet de leur art, nous donnent une leçon de théâtre, et quelle leçon ! La retenue de Talleyrand face à la fièvre de Fouché, les yeux fièvreux de William contre le cynisme implacable de Daniel ....
Deux monstres de l'histoire dans une prodigieuse partie d'echecs.
En sortant on n'a qu'un seul regret : Ne pas pouvoir retenir toutes les pépites dont ce texte regorge.
Quel Festin !!!
En 1989, Jean-Claude Brisville donne naissance à ce qui deviendra un succès théâtral, puis en 1992 cinématographique : Le Souper. Si ce titre demeure, encore aujourd’hui, indissociable des noms de Claude Rich et Claude Brasseur, on ne compte plus les adaptations réalisées, avec plus ou moins de réussite.
En ce début d’année 2018, c’est au tour du théâtre de Poche Montparnasse de convoquer sur sa scène les deux illustres figures historiques, Talleyrand et Fouché, pour une nouvelle version de l’œuvre.
Juillet 1815. L’Empire s’est effondré après la défaite de Waterloo. L’Aigle, déchu, est en exil. Le peuple gronde. Paraissant à mille lieues de l’agitation qui inonde Paris, dans le salon d’un hôtel particulier, une table est dressée. Deux couverts. Porcelaine fine et verres de cristal scintillent à la lueur des bougies. Un luxe contrastant avec les malles, débordant de tableaux que l’on imagine de grande valeur, négligemment entreposées dans la pièce. L’organisation a été hâtive. L’heure est grave. Il faut trouver un nouveau régime à la France. Et quel meilleur moyen pour résoudre cet épineux problème qu’un dîner. Toutefois, Fouché va vite se rendre compte que chez Talleyrand, si la gastronomie est un art, la politique l’est également. Réunis à la même table, les deux ennemis intimes n’ont alors d’autre choix que de s’entendre dans l’intérêt de la France et accessoirement (ou principalement) dans le leur.
Fouché et Talleyrand, deux hommes que tout oppose. Magnifiquement incarnés par Daniel et William Mesguich, ils donnent à voir un succulent duel. Sous les traits de William Mesguich, le premier, républicain, est froid et son verbe est aussi effilé que le tranchant d’un couteau. Il assène, menace et ne jure que par la peur qu’il inspire. Personnifié par Daniel Mesguich, le second, monarchiste, déborde de politesse et de flatterie. Une fausse douceur. Amadouer pour mieux régner, séduire pour mieux trahir, telles sont ses armes.
Le jeu des comédiens et la maîtrise des rôles sont parfaites. On y croit. On y est.
Le spectateur se retrouve ainsi l’invité indiscret de ce souper au cours duquel bons mots et répliques acérées ne vont cesser de fuser (le texte est un régal). Une joute verbale jouissive mais qui ne cesse jamais de faire transparaître la soif de pouvoir de chacun. Il faut noter que la salle du théâtre de Poche Montparnasse, de par ses dimensions, se révèle un écrin particulièrement adapté à cette pièce, donnant à la pièce un caractère intimiste. Au jeu sublime des comédiens vient enfin répondre une mise en scène soignée et des costumes de toute beauté.
Un souper délicieux qu’il faut absolument aller savourer !
En ce début d’année 2018, c’est au tour du théâtre de Poche Montparnasse de convoquer sur sa scène les deux illustres figures historiques, Talleyrand et Fouché, pour une nouvelle version de l’œuvre.
Juillet 1815. L’Empire s’est effondré après la défaite de Waterloo. L’Aigle, déchu, est en exil. Le peuple gronde. Paraissant à mille lieues de l’agitation qui inonde Paris, dans le salon d’un hôtel particulier, une table est dressée. Deux couverts. Porcelaine fine et verres de cristal scintillent à la lueur des bougies. Un luxe contrastant avec les malles, débordant de tableaux que l’on imagine de grande valeur, négligemment entreposées dans la pièce. L’organisation a été hâtive. L’heure est grave. Il faut trouver un nouveau régime à la France. Et quel meilleur moyen pour résoudre cet épineux problème qu’un dîner. Toutefois, Fouché va vite se rendre compte que chez Talleyrand, si la gastronomie est un art, la politique l’est également. Réunis à la même table, les deux ennemis intimes n’ont alors d’autre choix que de s’entendre dans l’intérêt de la France et accessoirement (ou principalement) dans le leur.
Fouché et Talleyrand, deux hommes que tout oppose. Magnifiquement incarnés par Daniel et William Mesguich, ils donnent à voir un succulent duel. Sous les traits de William Mesguich, le premier, républicain, est froid et son verbe est aussi effilé que le tranchant d’un couteau. Il assène, menace et ne jure que par la peur qu’il inspire. Personnifié par Daniel Mesguich, le second, monarchiste, déborde de politesse et de flatterie. Une fausse douceur. Amadouer pour mieux régner, séduire pour mieux trahir, telles sont ses armes.
Le jeu des comédiens et la maîtrise des rôles sont parfaites. On y croit. On y est.
Le spectateur se retrouve ainsi l’invité indiscret de ce souper au cours duquel bons mots et répliques acérées ne vont cesser de fuser (le texte est un régal). Une joute verbale jouissive mais qui ne cesse jamais de faire transparaître la soif de pouvoir de chacun. Il faut noter que la salle du théâtre de Poche Montparnasse, de par ses dimensions, se révèle un écrin particulièrement adapté à cette pièce, donnant à la pièce un caractère intimiste. Au jeu sublime des comédiens vient enfin répondre une mise en scène soignée et des costumes de toute beauté.
Un souper délicieux qu’il faut absolument aller savourer !
Une leçon !
J'ai assisté à une leçon de théâtre !
Une leçon d'interprétation, une leçon d'appropriation d'un texte.
Une démonstration : le métier de comédien expliqué en moins d'une heure trente.
Ce qui se joue sur le plateau du Poche Montparnasse dans ce Souper de Jean-Claude Brisville, ce qui se joue-là relève du grand art, et dépasse le pur et trop simpliste cadre de la dimension " papa et son fils sont sur scène ".
Ici, deux grands comédiens s'emparent d'une pièce en devenant purement et simplement Talleyrand et Fouché, ces deux « monstres » historiques que tout ou presque oppose.
7 juillet 1815.
La France (ou ce qu'il en reste) se cherche un nouveau régime après la pâtée infligée à l'ogre corse sur la plaine pas si morne que cela de Waterloo.
Talleyrand invite Fouché à un souper dans lequel ces deux-là vont s'appliquer non sans mal à écrire l'histoire immédiate du pays.
Une intense et acharnée négociation va s'instaurer entre le diable boiteux et le duc d'Otrante.
Sur la scène, un capharnaüm attend le public, au milieu duquel trône une table dressée, avec deux chaises face à face, comme il se doit.
Les deux comédiens entrent tour à tour en scène.
L'un des principaux enjeux dramaturgiques va être de mettre en avant de façon la plus subtile qui soit les différences de caractère, de classe sociale, de philosophie politique et de conception du Pouvoir qui existent entre ces deux-là.
Les Mesguich excellent à ce grand jeu !
Les voix d'abord.
Daniel est tout en mezzo-voce, chuchotant presque, parfois dans un ton patelin, chafouin, dans la provocation toujours en sourdine et en demi-teinte.
William quant à lui est plus en force, avec un timbre et un volume plus affirmés, plus direct, plus « rentre-dedans ».
C'est un bonheur de les écouter.
Je me suis « amusé » à fermer les yeux afin de faire abstraction des costumes, du décor.
Cette différence devient alors encore plus évidente.
C'est du grand art.
Ensuite, la sagesse populaire disant que « le diable se cache dans les détails », tous les gestes, les attitudes, les subtilités dans leurs différentes façons de bouger, de manger, tout ceci est absolument jouissif à observer.
Et puis, il y a cette osmose entre les deux hommes : les liens du sang, sans aucun doute, mais surtout les liens du métier, les liens de l'art, du jeu, ces liens-là explosent à la figure des spectateurs.
Ces façons de rebondir sur une réplique, ces ruptures, ces manières de regarder, d'observer l'autre, d'attendre ou devancer légèrement son partenaire, c'est un pur régal.
Toutes les subtilités de la très belle langue de Brisville sont ainsi mises en exergue.
Les bons mots de l'auteur (il y en a beaucoup, et certains qui déclenchent des rires nourris) sont ainsi servis sur un plateau d'argent.
Il faut également tirer un coup de chapeau à Dominique Louis pour ses costumes.
Je donnerais cher pour enfiler le gilet, le jabot et la redingote noirs de Joseph Fouché.
Aux saluts, les spectateurs applaudissent longtemps, en rythme. Les « Bravo » fusent de toute part.
Ce n'est que justice.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Ce souper on ne peut plus fin est un autre spectacle incontournable de l'hiver.
J'ai assisté à une leçon de théâtre !
Une leçon d'interprétation, une leçon d'appropriation d'un texte.
Une démonstration : le métier de comédien expliqué en moins d'une heure trente.
Ce qui se joue sur le plateau du Poche Montparnasse dans ce Souper de Jean-Claude Brisville, ce qui se joue-là relève du grand art, et dépasse le pur et trop simpliste cadre de la dimension " papa et son fils sont sur scène ".
Ici, deux grands comédiens s'emparent d'une pièce en devenant purement et simplement Talleyrand et Fouché, ces deux « monstres » historiques que tout ou presque oppose.
7 juillet 1815.
La France (ou ce qu'il en reste) se cherche un nouveau régime après la pâtée infligée à l'ogre corse sur la plaine pas si morne que cela de Waterloo.
Talleyrand invite Fouché à un souper dans lequel ces deux-là vont s'appliquer non sans mal à écrire l'histoire immédiate du pays.
Une intense et acharnée négociation va s'instaurer entre le diable boiteux et le duc d'Otrante.
Sur la scène, un capharnaüm attend le public, au milieu duquel trône une table dressée, avec deux chaises face à face, comme il se doit.
Les deux comédiens entrent tour à tour en scène.
L'un des principaux enjeux dramaturgiques va être de mettre en avant de façon la plus subtile qui soit les différences de caractère, de classe sociale, de philosophie politique et de conception du Pouvoir qui existent entre ces deux-là.
Les Mesguich excellent à ce grand jeu !
Les voix d'abord.
Daniel est tout en mezzo-voce, chuchotant presque, parfois dans un ton patelin, chafouin, dans la provocation toujours en sourdine et en demi-teinte.
William quant à lui est plus en force, avec un timbre et un volume plus affirmés, plus direct, plus « rentre-dedans ».
C'est un bonheur de les écouter.
Je me suis « amusé » à fermer les yeux afin de faire abstraction des costumes, du décor.
Cette différence devient alors encore plus évidente.
C'est du grand art.
Ensuite, la sagesse populaire disant que « le diable se cache dans les détails », tous les gestes, les attitudes, les subtilités dans leurs différentes façons de bouger, de manger, tout ceci est absolument jouissif à observer.
Et puis, il y a cette osmose entre les deux hommes : les liens du sang, sans aucun doute, mais surtout les liens du métier, les liens de l'art, du jeu, ces liens-là explosent à la figure des spectateurs.
Ces façons de rebondir sur une réplique, ces ruptures, ces manières de regarder, d'observer l'autre, d'attendre ou devancer légèrement son partenaire, c'est un pur régal.
Toutes les subtilités de la très belle langue de Brisville sont ainsi mises en exergue.
Les bons mots de l'auteur (il y en a beaucoup, et certains qui déclenchent des rires nourris) sont ainsi servis sur un plateau d'argent.
Il faut également tirer un coup de chapeau à Dominique Louis pour ses costumes.
Je donnerais cher pour enfiler le gilet, le jabot et la redingote noirs de Joseph Fouché.
Aux saluts, les spectateurs applaudissent longtemps, en rythme. Les « Bravo » fusent de toute part.
Ce n'est que justice.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Ce souper on ne peut plus fin est un autre spectacle incontournable de l'hiver.
J'ai beaucoup aimé cette version du Souper !
Par rapport à celle de la Madeleine, dont la salle ne se prétait pas du tout à une ambiance intimiste, et donc le jeu d'acteurs m'avait moins plus. Ici dans la petite salle du Poche, on est comme assis avec Fouché et Talleyrand.
Les Mesguich sont excellents, caricaturant les traits des deux hommes politiques, sans pour autant tomber dans l'excès.
Par rapport à celle de la Madeleine, dont la salle ne se prétait pas du tout à une ambiance intimiste, et donc le jeu d'acteurs m'avait moins plus. Ici dans la petite salle du Poche, on est comme assis avec Fouché et Talleyrand.
Les Mesguich sont excellents, caricaturant les traits des deux hommes politiques, sans pour autant tomber dans l'excès.
1815, Paris, la défaite de Waterloo et l’exil de l’usurpateur… nuit d’orage, une salle à manger, la table dressée, nous assisterons à un souper divin… Le maître des lieux, Talleyrand, “le diable boiteux” ou comme le disait crument Napoléon “une merde dans un bas de soie”.
Talleyrand, perruque poudrée, attend, il s’inquiète de l’attroupement devant son hôtel particulier. Le peuple gronde comme l’orage. Un homme pénètre dans le salon, sanglé dans son costume, Fouché, pourvoyeur de la Terreur, et des massacres de Vendée. Il a une police redoutable.
Leur préoccupation de l’instant c’est leur survie ! Ils ont besoin l’un de l’autre. Quel régime pour la France ? Louis XVIII frère de Louis XVI ou est-ce l’heure du Duc d’Orléans fils du régicide ? Fouché est pour la République, il est pour l’heure chef du gouvernement provisoire, Talleyrand fin gourmet, épicurien, veut amadouer son invité, lui veut le retour des Bourbons. Ils se connaissent et ne feront aucune concession.
Ce souper est un régal des sens, Daniel Mesguich savoureux Talleyrand, sans scrupules, sans état d’âme, offrant à son rival, l’acidité des propos et le moelleux d’un pâté en croute. William Mesguich, sans foi ni loi, incarne avec justesse un Fouché, froid, cynique, mais appréciant la bonne chère !
Les dialogues bien mitonnés, une mise en scène mijotée, et des interprètes savoureux.
Talleyrand, perruque poudrée, attend, il s’inquiète de l’attroupement devant son hôtel particulier. Le peuple gronde comme l’orage. Un homme pénètre dans le salon, sanglé dans son costume, Fouché, pourvoyeur de la Terreur, et des massacres de Vendée. Il a une police redoutable.
Leur préoccupation de l’instant c’est leur survie ! Ils ont besoin l’un de l’autre. Quel régime pour la France ? Louis XVIII frère de Louis XVI ou est-ce l’heure du Duc d’Orléans fils du régicide ? Fouché est pour la République, il est pour l’heure chef du gouvernement provisoire, Talleyrand fin gourmet, épicurien, veut amadouer son invité, lui veut le retour des Bourbons. Ils se connaissent et ne feront aucune concession.
Ce souper est un régal des sens, Daniel Mesguich savoureux Talleyrand, sans scrupules, sans état d’âme, offrant à son rival, l’acidité des propos et le moelleux d’un pâté en croute. William Mesguich, sans foi ni loi, incarne avec justesse un Fouché, froid, cynique, mais appréciant la bonne chère !
Les dialogues bien mitonnés, une mise en scène mijotée, et des interprètes savoureux.
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