Connexion
Déconnexion
Déjà inscrit ?
Connectez-vous !
Pas de compte ? Créez le maintenant
Créez votre compte !
 
 
 
  • Accueil
  • La crème des critiques
  • Les pièces géniales
  • Les Expos
  • écrivez une critique
  • Visitez un balcon
Merci de sélectionner la pièce, l'expo que vous voulez critiquer dans la liste ci dessous.
Tapez une partie du nom du spectateur dont vous voulez visiter le balcon !
Tapez une partie du titre de l'événement, un nom de théâtre ou de musée
Tapez une partie du titre de l'événement, un nom de théâtre ou de musée
Yves Poey
Yves Poey
Mini-Molière du Critique
120 ans
62 espions
espionner Ne plus espionner
Des critiques de théâtre, des interviews webradio, des coups de coeur, des coups de gueule.
Son blog : http://delacouraujardin.over-blog.com/
  • Son Balcon
  • Son Top 5
  • Ses critiques
  • Ses filatures / espions
  • Ses goûts

Ses critiques

1005 critiques
Un ennemi du peuple

Un ennemi du peuple

8,5/10
25
Lanceurs d'alerte de tous pays, unissez-vous !
Mais attention à la radicalisation !


Voici le message que nous lance Guillaume Gras, qui a entrepris d'adapter librement l'une des pièces majeures d'Ibsen, en « allant jusqu'à l'os » du texte, peut-on lire dans le dossier de presse.

Une entreprise risquée me direz-vous ?
Oui, mais prendre des risques, ça paye. Souvent.
En tout cas, cette fois-ci, pour payer, ça a payé. Vraiment.

J'ai complètement retrouvé le propos du dramaturge norvégien.
Le texte original, d'une confondante modernité en soi, est ici d'une certaine manière actualisé et exhaussé par cette adaptation qui résonne au plus fort de la triste actualité ambiante.


Nous voici dans l'établissement de bains d'une petite ville, dont la richesse dépend en grande partie des curistes qui s'y pressent.
Le maire Peter Stockmann en est le PDG, et son frère, le docteur Tomas Stockmann en est l'un des principaux employés, responsable de la bonne marche de ces bains.


Un grain de sable très mouillé va gravement perturber la bonne marche de cette prospère entreprise économique.
Le médecin va trouver une sale bactérie qui contamine irrémédiablement l'eau thermale.


Pour lui, impossible de garder le secret. Il doit prévenir ses concitoyens.
Un lanceur d'alerte, on vous dit.
Et les ennuis de commencer.


Ibsen, pour la première fois de sa carrière, a écrit une véritable tribune politique.

Il dénonce une société satisfaite d'elle-même, corrompue, où l'argent prime tout, dans laquelle l'intérêt de certains passe avant la chose publique.

Bien entendu, la pièce pose clairement les problématiques que ne manquent pas de soulever à juste titre nos nécessaires et actuels éveilleurs de consciences, confrontés à l'urgence écologique, au mensonge, aux lobbystes, à la dissimulation, à la corruption.


Le Dr Stockman est ce lanceur d'alerte-là, face à des actionnaires qui ne veulent pas remettre aux normes leur établissement, ainsi qu'à la puissance publique qui préfère voir affluer l'argent dans la ville plutôt que fermer ces bains et contaminer les patients.



La pollution la plus grave n'est alors plus celle écologique, mais celle des mots et des esprits.

Il sera également victime de la lâcheté d'une certaine presse soit-disant proche du peuple.



Et puis, et peut-être surtout, il sera victime de lui-même : au cours d'une réunion publique, il sortira de ses gonds, manipulé par ses contradicteurs, et en viendra à insulter le peuple, devenant l'ennemi du titre.
Le populisme et la radicalisation ne seront pas loin...


C'est un dispositif quadrifrontal qui nous attend au théâtre de Belleville.
Douze spectateurs iront s'asseoir sur la scène en compagnie des six comédiens, tout autour du plateau.
Le plateau est nu, excepté à l'extrême cour, où se trouve une petite table.


Nous autres, le public, nous sommes le peuple.
La majorité compacte, apprendra-t'on de la bouche du docteur. La plèbe. Les imbéciles...

Le dispositif fonctionne bien, nous avons vraiment l'impression d'être au centre de l'action, notamment lors de la scène de la réunion publique.

Les six comédiens, tous crédibles et d'une irréprochable justesse, vont incarner des personnages contemporains.
L'adaptation est résolument actuelle, avec des tournures, des expressions et des mots de tous les jours, du langage courant.

L'opposition des deux frangins Stockmann est très intense, très physique et savamment graduée.

Nicolas Perrochet (Tomas) et Gonzague Van Bervesselès (Peter) conduisent leur progression dramatique respective tout en finesse. On croit totalement à leur opposition, à leur inéluctable déchirement.

Ivan Cori est un Aslaken épatant, qui nous fait souvent beaucoup rire, avec un runing-gag textuel très drôle.
Il incarne une espèce de social-démocrate, militant MODEM ou EELV, assurément.
Mais attention, nous dit-il : « Mon cœur est resté à gauche ! ». Hilarité dans la salle.

Les autres interprètes sont eux aussi irréprochables.

On l'aura compris, Ibsen peut dormir sur ses deux oreilles.

Avec cette adaptation de sa pièce et son interprétation par la Compagnie A table !, l'œuvre du grand Henrik est entre de très bonnes mains.
Je ne peux que vous conseiller d'aller applaudir les six comédiens !

Quant aux amateurs de Ratte du Touquet, les connaisseurs, les vrais, ceux-là exulteront !
Signaler
Le nez

Le nez

8,5/10
26
Ce n'est pas un pic,
Ce n'est pas un cap,
Ce n'est pas une péninsule.


Certes. Mais c'est quand même un nez. Et pas n'importe lequel.


Un nez frondeur, un nez vagabond, un nez qui a décidé de voler de ses propres ailes !

Un gars de l'aéro-nasale, en quelque sorte...

La compagnie La voix des Plumes a eu l'excellente idée d'adapter pour le plateau la nouvelle éponyme de Nikolaï Gogol, une nouvelle écrite en 1836.
Une nouvelle à la fois fantastique et grotesque.

L'argument de la nouvelle tient en peu de mots, finalement : le major Koralev, fonctionnaire de sa majesté le Tsar Nicolas 1er, se réveille un matin pas si beau que ça, en constatant que son nez a disparu.
Il va donc se lancer dans une quête éperdue afin de retrouver son appendice, en côtoyant toute une série de personnages plus loufoques les uns que les autres.
Et puis surtout, il va finir par rencontrer son organe retrouvé, avec qui il va entamer toute une conversation pour le convaincre de regagner sa place initiale.

Nous allons donc assister à une farce à la fois étrange, parfois surréaliste, pleine d'esprit et très drôle.

Une peinture de la société russe de l'époque également : Gogol voit bien que cette société-là est en train de se fissurer.
Certaines tirades du couple de moujiks de la pièce concernant la noblesse ne laissent planer à ce propos aucune ambiguïté.

Dans la très belle scénographie d'Antoine Millan et les très réussis costumes de Corinne Rossi (je viens d'écrire un pléonasme...), la troupe va s'en donner à cœur joie à interpréter tous les rôles.

Ces six-là se connaissent bien, c'est évident. Sur le plateau règne un réel esprit de troupe. On sent bien qu'ils s'amusent, qu'ils prennent du plaisir à nous en donner.


Et pourtant, ils ont choisi de jouer masqués, pandémie oblige.


Il faut être honnête, j'ai été un peu interloqué au début.

Et puis, au bout de deux minutes, on oublie très vite. L'excellente acoustique du lieu et la proximité avec les comédiens font que les masques se font tout petits...
(D'autant que lorsque par inadvertance, les rectangles de tissu glissent, que voit-on, je vous le demande un peu : des nez...)

Les comédiens nous font tout à fait croire à cette pochade.
Tous nous font bien rire.

Michaël Giorno-Cohen (Ah ! La belle voix de baryton !) et Amélie Vignaux sont deux moujiks bourrus plus vrais que nature. Un couple infernal.
Melle Vignaux, dans sa composition de vieille femme râleuse et acariâtre, m'a fait penser au regretté Terry Jones, l'un des Monty Python, interprétant la mère du héros dans le film «La vie de Brian ».
La comédienne est épatante !

Jean-Benoît Terral nous amuse beaucoup en médecin qu'on n'aimerait pas trop consulter, Jérôme Rodriguez nous émeut en major pleurant son organe perdu.

En Alexandrine, Laura Chetrit elle aussi est excellente. Tour à tour amoureuse, espiègle, râleuse, jalouse, elle donne une bien belle réplique au héros.
A noter qu'elle va nous dire un poème de Pouchkine, que Gogol appréciait beaucoup.

Et puis il y a le metteur en scène Ronan Rivière, qui va interpréter... le nez.

Comment dire...
Sur le papier, c'est facile à écrire, interpréter un nez.
Sur scène, c'est une autre paire de manches.

Je ne vous révèlerai évidemment pas comment il s'y prend, Ronan Rivière, ni comment il a résolu le problème, mais ce qu'il fait est assez remarquable.
Le nez est devant nous, le nez prend vie, le nez s'anime d'émotions vraies. Le nez s'exprime.
Il rit, il est triste, il se montre câlin, il a peur, il est étonné, il a honte...
Cette scène avec les seuls major et son pif est absolument magnifique.

Durant les changements de décor réalisés à vue par les comédiens, Olivier Mazal, au clavecin et à l'orgue, interprète les pièces du compositeur de la troupe, Léon Bailly.
Les œuvres confèrent elles aussi à l'entreprise une tonalité étrange, mystérieuse avec parfois des accents drôlatiques.

J'ai donc passé un très bon moment au Théâtre 13-Jardin.
Je vous recommande vivement ce spectacle qui mêle subtilement le fantastique et l'humour.

Un spectacle à sniffer sans modération...
Signaler
Afficher le commentaire Afficher les commentaires précédents
Anne Delaleu
Anne Delaleu

en effet remarquable !

0
Mercredi 9 septembre 2020
Mademoiselle Else

Mademoiselle Else

9,5/10
38
Question : vous accepteriez, vous, de vous montrer entièrement nu·e à un vieil « ami de la famille », en échange de 30.000, voire 50.000 €, une somme qui permettrait à votre papa chéri de ne pas se retrouver derrière les barreaux ?
Je vous laisse un peu de temps pour réfléchir...

Tel est le contrat, le pacte quasiment faustien qu'Arthur Schnitzler soumet à son héroïne.
Un bien cruel dilemme va ainsi se poser à sa Mademoiselle Else, qui aura recours à un terrible moyen pour respecter sa part du marché. Tanatos n'est jamais très loin d'Eros...

Else, c'est une jeune fille de 19 ans, appartenant à la riche bourgeoisie viennoise. Elle est insouciante, ingénue, espiègle, Else.
En bon « médecin des corps et des âmes », psychanalyste avant l'heure, Schnitzler va nous faire pénétrer dans le cerveau de la demoiselle.

Ainsi, nous allons découvrir son rapport à la sensualité, à la sexualité.
C'est le thème principal de la pièce : une femme nous évoque son rapport au sexe. Appelons donc un chat un chat !

Les grands auteurs sont faits pour être chahutés.
C'est ce qu'a bien compris l'adaptateur du texte et le metteur en scène Nicolas Briançon, qui nous propose un grand et magnifique moment de théâtre.

Il a en effet choisi de transformer cette pièce à plusieurs personnages en un seule en scène d'une heure et demie.
Si ça fonctionne ? Au delà de toute espérance.

Nicolas Briançon, on connaît bien sa capacité et son talent à diriger un certain nombre de comédiens sur un plateau, son art consommé de « remplir » très précisément, au millimètre près, un espace scénique des corps de ses acteurs.

Il nous prouve ici qu'il peut également faire la même chose avec une seule comédienne.
Il signe ici une mise en scène inspirée, utilisant totalement les possibilités « topographiques » de la salle du bas du Poche-Montparnasse.

Comment donc a-t-il pu faire en sorte d'adjoindre à son Else tous les autres personnages de la pièce ?

Différents moyens sont utilisés : voix off, ombres mouvantes, superbes images vidéo que l'on doit à Olivier Simola ou encore adresses au public.
Un public qui pour l'occasion joue également un rôle : celui des clients de l'hôtel où se déroule le drame.

Tout ceci est très judicieux, intelligent. Nous savons en permanence où nous en sommes, sans jamais être perdus.

Et puis Mademoiselle Alice...
Alice Dufour.
L'envoûtante, l'ensorceleuse, la sensuelle, la magistrale Alice Dufour, qui va nous donner une leçon d'interprétation.

M. Briançon, vous remerciera-t-on jamais assez d'avoir eu la merveilleuse idée de proposer le rôle à celle que vous transformâtes récemment en Mrs Forsythe (Patti-Pat...), dans Le canard à l'orange ?

C'est bien simple, son interprétation force le respect et l'admiration.

Sa progression dramatique, sa transformation de jeune fille insouciante, en apparence ingénue, en être humain culpabilisant de façon ambigüe, en proie à la fois à son propre dégoût mais également au désir plus ou moins refoulé, tout ceci relève du grand art.

Ses ruptures, qu'elles soient textuelles ou physique sont jubilatoires. (La scène où elle est retenue par une main imaginaire est épatante.)

Il est impossible de lâcher du regard la comédienne, même lorsqu'elle sort du plateau.
Elle hypnotise la totalité du public.


Alice Dufour vient de la danse.
Son interprétation va également passer par le corps, l'un des outils principaux du métier.
Elle investit tout l'espace de ce corps, avec grâce et sensualité.

Le climax est atteint lors d'une scène sublime, nécessaire.
Une scène d'une incroyable beauté, élaborée de façon simple et sophistiquée, une scène si naturelle et pourtant si érotisée.

Melle Dufour sera ovationnée lors des saluts, les applaudissements résonnant en rythme.
Ce n'est que justice. Magistrale, vous dis-je !

Il faut également saluer le travail de Michel Dussarat qui signe des costumes magnifiques, très « années folles ». Chapeau ! (Cloche, le chapeau...)

Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas : ne manquez surtout pas cette version à plus d'un titre étonnante et si réussie d'une des œuvres phares d'Arthur Schnitzler.
Une version qui fera date, n'en doutons pas !
Signaler
Le Laboureur de Bohême

Le Laboureur de Bohême

9/10
32
Le jeu de labour et du blafard...

Dans ce magnifique texte datant de 1401, son auteur Johannes Von Tepl nous propose une « disputatio », une forme théâtrale très en vogue en ce début de XVème siècle.
Deux personnages vont s'affronter dans une joute oratoire, une querelle des mots, un combat des arguments.

Une sorte de procès mettant en scène un procureur et un avocat.
Un laboureur, qui vient de perdre sa jeune et belle femme.
La mort. La camarde. La faucheuse, qui vient ainsi d'accomplir son terrible métier.

Et chacun de fourbir ses armes oratoires et de fourbir ses bonnes raisons.
L'un évoquant l'injustice du trépas, l'autre soulignant le lot commun de tous.

Un jeu physique du chat et de la souris.

Marcel Bozonnet, en mettant en scène avec Pauline Devinat ce texte médiéval, a magnifiquement réussi à faire ressortir le côté étonnament universel du propos de l'auteur.
Ici, tout côté temporel a été gommé. La scénographie et les costumes de Renato Bianchi font parfaitement ressortir le message

Nous sommes plongés dans le cosmos, avec un message apocalyptique au sens premier et grec du terme : ici, nous allons assister à un message de révélation. (L'apocalypse, c'est avant tout le « fait de révéler ».)
La Mort va révéler son inéluctable objectif, elle va se montrer d'une certaine manière« pédagogue », apprenant à son interlocuteur le pourquoi de son existence.

La Mort est là, il faut impérativement faire avec.

La Mort, c'est le patron. C'est Marcel Bozonnet.
Après les plaintes et la désolation exprimées par le laboureur, une voix sépulcrale s'élève dans notre dos. Du fond de la salle.
Une voix reconnaissable entre toutes.

Un choix judicieux, cette entrée en matière : la Mort est là qui rôde, omniprésente et tout d'abord invisible, surgissant du derrière, du fond de nos consciences voulant l'occulter et la passer sous silence.

Nous allons assister à une leçon d'interprétation.
Marcel Bozonnet va user de son immense palette de jeu pour nous faire frissonner, nous glacer, mais aussi nous éduquer. Et nous faire rire.
Parce que le texte est aussi et souvent drôle. (Il faut d'ailleurs rendre hommage à Florence Bayard qui a traduit de bien brillante façon la pièce.)

L'ex-patron du CNSAD et du Français, souvent dans des postures très hiératiques, abolira également toute dimension spatiale de la pièce en utilisant toutes les issues de la salle, et en exécutant quelques chorégraphies de danses tibétaines.


Le laboureur est quant à lui interprété de fort belle manière par Logann Antuofermo.
On croit tout à fait à son personnage éploré, éperdu du douleur, qui va entamer un combat verbal avec son adversaire.

Il est Adam, le Premier, il est tous les hommes. Il est nous-mêmes.
Impossible de ne pas se projeter dans ce qu'il nous dit.
Le couple Antuofermo-Bozonnet fonctionne à la perfection, notamment dans le deuxième « acte », « la dispute », qui voit les deux comédiens jouer de profil, au tout devant de la scène, aux extrêmes jardin et cour.



Ce couple-là nous démontre à la perfection l'aspect humaniste et philosophique (et parfois pratiquement psychanalytique) de ce texte.
Bozonnet a parfaitement raison lorsqu'il nous dit que Von Tepl annonce Shakespeare.

Ici, l'Homme avec un grand H est au centre de tout.
La condition humaine est décrite de façon impitoyable et réaliste.


L'auteur nous rappelle notre « petitesse », notre lot commun face à la mort, l'humilité qui doit être la nôtre.
Ici, c'est bien simple : la Mort nous donne une leçon de vie.

J'aurai garde de passer sous silence un moment absolument étonnant du texte concernant la condition féminine.
En 1401, Johannes Von Tepl tient un discours très engagé en faveur de la place des femmes dans la société de l'époque. Un propos passionnant, d'une modernité confondante, finement interprété par les deux comédiens. (Les horreurs proférées en la matière par la Mort sont vite oubliées grâce à la contre-attaque subtile et empreinte de beaucoup d'émotion du laboureur.

Alors, me direz-vous, qui va gagner ce combat des mots ?
Qui des deux sera victorieux ?

C'est la voix off d'Anne Alvaro qui départagera les deux adversaires. Et non, vous n'en saurez pas plus !

Je vous conseille vivement ce remarquable spectacle.
Il faut venir découvrir ce magnifique texte très peu souvent monté, il faut aller applaudir les deux interprètes qui ont su en tirer toute la substantifique et dramaturgique moelle.

Ah ! J'allais oublier : lorsque de la scène, la Mort-Bozonnet, lugubre, vous fixe avec ses yeux plissés, je vous défie de ne pas éprouver une très inquiétante impression...
Signaler
Le grand cahier

Le grand cahier

10/10
31
L'horreur est humaine.
L'Humain, plongé dans les circonstances exceptionnelles de la guerre, peut être horrible.

Le roman de l'auteure hongroise réfugiée en Suisse Agota Kristof, roman publié en 1986, nous raconte cette horreur.


La guerre, elle l'a connue.
En 1956, en Hongrie, date à laquelle la Révolution des Conseils ouvriers est écrasée par les troupes de l'U.R.S.S.
Elle nous dit, avec des mots on ne peut plus explicites, avec des scènes parfois à la limite du soutenable, des scènes ultra-réalistes et ultra-violentes, des scènes de perversités sexuelles où un chat est appelé un chat, elle nous dit cette horreur, ce mal libéré au grand jour, ce monde dans lequel aucun espoir et aucune rédemption ne semblent permis.

Le tout narré à la première personne du pluriel : ce sont deux jumeaux, confiés par leur mère à leur épouvantable grand-mère, qui vont tout écrire sur un grand cahier.
Tout ce qu'ils vont voir.
Tout ce qu'ils vont vivre.
Tout ce qu'ils vont faire. Aussi. Surtout.

Un roman d'apprentissage. Un guide infernal de survie. Un vademecum violent et sans illusions.
Comme si pour survivre à la violence, il fallait impérativement devenir violent.

C'est ce terrible et nécessaire roman qu'a adapté et mis en scène Valentin Rossier.
Et qu'il interprète de manière extraordinaire. Je pèse vraiment cet épithète « extraordinaire ».

Extraordinaire, car nous sommes au delà du « dire un texte issu d'un roman ».
Raconter les mots de ces deux enfants plongés dans un monde insoutenable est une véritable appropriation d'un récit apocalyptique (au sens grec premier, l'apocalypse étant « le fait de révéler »).
Deux enfants qui deviendront la guerre.

Il arrive du lointain à jardin, Valentin Rossier, et se plante devant le micro. Il n'en bougera pas durant l'heure et quart que dure la pièce. Eclairage en contre ou en latéral...
J'ai immédiatement pensé à Jean Gabin jeune, en le voyant se camper devant nous, visage fermé, grave, les yeux qui se plissent souvent, avec parfois un rictus désespéré.

Un micro, car il va s'exprimer à la limite du chuchotement.
Comme si l'horreur pourtant intégralement et crûment rapportée ne pouvait qu'être oralisée d'une voix feutrée.

Impossible de se détacher alors des mots terribles et infernaux. Les mots eux aussi qui font mal, comme les coups ou les humiliations.
Nous sommes totalement accrochés aux insoutenables mésaventures de ces deux gamins plongés dans le monde en guerre, qui ne trouveront ni aide, ni compréhension, ni salut de la part des adultes.
Et qui vont devoir survivre en s'adaptant dramatiquement.

Valentin Rossier nous décrit impitoyablement tous ces personnages ahurissants, épouvantables, rendus tous plus mauvais les uns que les autres.

Attention : en allant voir ce spectacle, il faut s'attendre à recevoir un véritable coup de poing dans le ventre. Le ventre qui se serre. La boule en permanence.
En recevant les premiers mots de chaque scène, on espère trouver un peu de réconfort. Mais non. Le récit est décidément impitoyable.

De plus, le comédien dispose d'une pédale qui lui permet de déclencher des nappes musicales composées par David Scufari.
Des boucles lugubres, sombres, oppressantes elles aussi, rajoutant une ambiance morbide à tout ceci.


Ce texte a déjà été monté, notamment par Catherine Vidal à Montréal, avec deux comédiens. Un par enfant.
Depuis 2004, date de la création en France, et à la Manufacture des Abbesses, Valentin Rossier est tout seul.
Se pose alors la question de la gémellité supposée. Et s'il n'y avait qu'un seul enfant ?
L'interrogation est alors omniprésente tout au long du spectacle.
Ce qui est certain, c'est que le parti-pris du comédien renforce davantage encore le côté dramatique du propos. Notamment lors de certaines scènes « d'endurcissement »... (Je n'en dirai pas plus.)

Ces soixante-quinze minutes sont éprouvantes. Certes.
Car oui, c'est également le rôle du théâtre de montrer le monde tel qu'il est, sans rien cacher, sans rien taire.
Le rôle du théâtre c'est aussi de déranger, provoquer, troubler le spectateur, pour que celui-ci réfléchisse, pense, analyse, établisse des passerelles avec l'actualité.
Un rôle nécessaire et indispensable.

Ne manquez surtout pas d'aller voir cet extraordinaire (je me répète sciemment) moment dramaturgique.
L'un de ces moments sans concession duquel on a du mal à s'extirper et auquel on pense très longtemps après.

Un moment qui reste gravé à jamais dans les mémoires.
Signaler
  • 42
  • 43
  • 44
  • Que pensez-vous du site ?
  • Plan du site
  • Écrire sur une pièce non référencée
  • Écrire sur une pièce plus jouée
  • Critiques de théâtre
  • Quel site de réservation choisir ?
  • Interviews et articles de la Rédaction
  • Comédie Française
  • Avis de spectateurs
  • Les Tomates AuBalcon 2015
  • Expositions Temporaires
  • Les meilleures pièces
  • AuBalcon.fr dans la presse
  • Qui sommes nous ?
  • Les Triomphes AuBalcon 2016
  • Contactez-nous
Design By Sistart - Intégré par iKadoc