Ses critiques
1005 critiques
8,5/10
A qui sont ces serpents qui ont sifflé sur la tête d'un jeune garçon sciemment et sauvagement sacrifié ?
Ces serpents-là sont ceux d'un ogre. D'un vampire.
On sait l'attachement de Marie Ndiaye au mythe du monstre assoiffé de sang.
L'auteure, prix Goncourt 2009, pour Trois femmes puissantes, est fascinée par ces êtres qui, dit-on, ne sortent que la nuit. Comme bon nombre de théâtreux, d'ailleurs...
Je me souviens d'une précédente pièce créée en 2003 à la Comédie-Française, intitulée Papa doit manger, qui déjà, traitait en quelque sorte de ce thème.
Ici, dans cette pièce Les serpents, le vampire existe bien, mais nous ne le verrons pas. Jamais.
Ce sera bien pire...
Les serpents est une pièce fantastique, qui mêle bien des genres, du thriller psychologique à la comédie burlesque en passant par le conte le plus noir.
Une pièce, qui comme souvent chez Mme Ndiaye, mêle un fantastique on ne peut plus imaginaire et fantasmatique à la réalité la plus tangible et la plus crue.
Chez elle, les allers-retours entre les deux versants sont omniprésents et permanents.
Nous allons donc faire la connaissance de trois femmes et notamment de Mme Diss, qui vient visiter son fils habitant une maison entourée de champs de maïs, dans un lieu plombé par un soleil étouffant. Elle vient au prétexte de lui emprunter de l'argent.
Elle n'est pas seule, Mme Diss. Il y sa belle fille, France, qui lui interdit d'entrer dans la maison, et son ex-bru, Nancy.
Et puis, il y aura deux personnages omniprésents, et pourtant absents du plateau.
Le fils de Mme Diss. L'ogre. Le vampire, donc.
Et puis Jacky, le fils du monstre, martyrisé par celui-ci, décédé d'une mort affreuse. Les serpents...
Ce sont les relations entre ces trois présentes et ces deux présents-absents qui vont constituer la trame narrative et dramaturgique de ce spectacle.
La filiation, la culpabilité maternelle d'avoir engendré un ogre, la monstruosité de celui-ci, le martyr d'un enfant, autant de thèmes qui traversent ces quelque cent-cinq minutes.
La gageure, pour Jacques Vincey, a été de mettre en évidence les subtils glissements de l'auteure, de la réalité la plus crue au fantastique le plus étrange et le plus angoissant.
Pour ce faire, le metteur en scène a notamment utilisé un plateau vide.
Vraiment vide ? Non...
Au lointain, une sorte de mur étrange, difficile à identifier au premier coup d'œil, et qui représente la devanture de la maison du fils.
Un mur qui aura un rôle important. Celui de symboliser l'interdit, le lieu du passage à l'acte, l'entrée du lieu transgressif. (Je ne vous détaille évidemment pas de quoi est constituée cette grande surface noire.)
Un mur qui a également une importance capitale : nous faire imaginer ce qui s'est passé et ce qui se passe derrière.
Je dois bien l'avouer, je n'avais qu'une seule envie, c'est d'aller regarder de l'autre côté de cette palissade sombre.
D'autant que c'est un lieu dont le patron du CDN de Tour se sert également très judicieusement pour faire monter le sentiment d'oppression, pour nous faire frissonner.
Je ne vous révèlerai pas non plus le procédé utilisé, mais je peux vous dire que pour fonctionner, ça fonctionne, d'autant que ceci est réalisé très précisément et très délicatement. On ne s'en rend pas compte au premier abord, mais lorsque l'on comprend, on sent le piège se refermer. Trop tard !
Trois comédiennes donc, se retrouvent sur le plateau tourangeau. Un plateau féminin, donc, que semble affectionner Jacques Vincey, puisque c'est sa quatrième mise en scène sans un seul mâle acteur.
Qu'elles sont magnifiques et magistrales, Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti et Ttiphaine Raffier.
Oui, dans ces rôles difficiles, avec un texte souvent ardu, les trois demoiselles sont époustouflantes !
Chacune dans son registre, dans sa palette, nous sidère, nous glace, nous étonne, nous émeut, nous ravit. Elles nous attrapent dès leurs premières répliques pour ne plus nous lâcher qu'à la toute fin.
Dirigées avec une précision diabolique et acérée, elles crèvent le plateau.
C'est également une pièce qui doit s'écouter très attentivement. Le son y tient une importance capitale.
Des nappes sonores étranges, souvent elles aussi angoissantes, des ostinati sombres et sulfureux (coup de chapeau à Alexandre Meyer et Frédéric Minière), des craquements, des cris déchirants, des différences de niveaux importants et subits, tout ceci participe également à nous faire nous sentir en permanence sur la corde raide.
Alors oui, cette pièce est exigeante et déstabilisante...
Mais qu'est-ce que c'est bon d'être déstabilisé, M. Vincey !
En nous obligeant à assister à ce que vous ne voulez pas que nous regardions, en nous forçant à comprendre sans trop d'indices, vous nous placez dans un épatant paradoxe.
Ce qui est suggéré, ce que vous ne montrez pas sciemment a autant d'importance sinon plus que ce qui serait dit explicitement.
Ce spectacle envoûtant est de ceux qui ne laissent personne indifférent, de ceux dont parle longtemps après être sorti de la salle.
Ces serpents-là sont ceux d'un ogre. D'un vampire.
On sait l'attachement de Marie Ndiaye au mythe du monstre assoiffé de sang.
L'auteure, prix Goncourt 2009, pour Trois femmes puissantes, est fascinée par ces êtres qui, dit-on, ne sortent que la nuit. Comme bon nombre de théâtreux, d'ailleurs...
Je me souviens d'une précédente pièce créée en 2003 à la Comédie-Française, intitulée Papa doit manger, qui déjà, traitait en quelque sorte de ce thème.
Ici, dans cette pièce Les serpents, le vampire existe bien, mais nous ne le verrons pas. Jamais.
Ce sera bien pire...
Les serpents est une pièce fantastique, qui mêle bien des genres, du thriller psychologique à la comédie burlesque en passant par le conte le plus noir.
Une pièce, qui comme souvent chez Mme Ndiaye, mêle un fantastique on ne peut plus imaginaire et fantasmatique à la réalité la plus tangible et la plus crue.
Chez elle, les allers-retours entre les deux versants sont omniprésents et permanents.
Nous allons donc faire la connaissance de trois femmes et notamment de Mme Diss, qui vient visiter son fils habitant une maison entourée de champs de maïs, dans un lieu plombé par un soleil étouffant. Elle vient au prétexte de lui emprunter de l'argent.
Elle n'est pas seule, Mme Diss. Il y sa belle fille, France, qui lui interdit d'entrer dans la maison, et son ex-bru, Nancy.
Et puis, il y aura deux personnages omniprésents, et pourtant absents du plateau.
Le fils de Mme Diss. L'ogre. Le vampire, donc.
Et puis Jacky, le fils du monstre, martyrisé par celui-ci, décédé d'une mort affreuse. Les serpents...
Ce sont les relations entre ces trois présentes et ces deux présents-absents qui vont constituer la trame narrative et dramaturgique de ce spectacle.
La filiation, la culpabilité maternelle d'avoir engendré un ogre, la monstruosité de celui-ci, le martyr d'un enfant, autant de thèmes qui traversent ces quelque cent-cinq minutes.
La gageure, pour Jacques Vincey, a été de mettre en évidence les subtils glissements de l'auteure, de la réalité la plus crue au fantastique le plus étrange et le plus angoissant.
Pour ce faire, le metteur en scène a notamment utilisé un plateau vide.
Vraiment vide ? Non...
Au lointain, une sorte de mur étrange, difficile à identifier au premier coup d'œil, et qui représente la devanture de la maison du fils.
Un mur qui aura un rôle important. Celui de symboliser l'interdit, le lieu du passage à l'acte, l'entrée du lieu transgressif. (Je ne vous détaille évidemment pas de quoi est constituée cette grande surface noire.)
Un mur qui a également une importance capitale : nous faire imaginer ce qui s'est passé et ce qui se passe derrière.
Je dois bien l'avouer, je n'avais qu'une seule envie, c'est d'aller regarder de l'autre côté de cette palissade sombre.
D'autant que c'est un lieu dont le patron du CDN de Tour se sert également très judicieusement pour faire monter le sentiment d'oppression, pour nous faire frissonner.
Je ne vous révèlerai pas non plus le procédé utilisé, mais je peux vous dire que pour fonctionner, ça fonctionne, d'autant que ceci est réalisé très précisément et très délicatement. On ne s'en rend pas compte au premier abord, mais lorsque l'on comprend, on sent le piège se refermer. Trop tard !
Trois comédiennes donc, se retrouvent sur le plateau tourangeau. Un plateau féminin, donc, que semble affectionner Jacques Vincey, puisque c'est sa quatrième mise en scène sans un seul mâle acteur.
Qu'elles sont magnifiques et magistrales, Hélène Alexandridis, Bénédicte Cerutti et Ttiphaine Raffier.
Oui, dans ces rôles difficiles, avec un texte souvent ardu, les trois demoiselles sont époustouflantes !
Chacune dans son registre, dans sa palette, nous sidère, nous glace, nous étonne, nous émeut, nous ravit. Elles nous attrapent dès leurs premières répliques pour ne plus nous lâcher qu'à la toute fin.
Dirigées avec une précision diabolique et acérée, elles crèvent le plateau.
C'est également une pièce qui doit s'écouter très attentivement. Le son y tient une importance capitale.
Des nappes sonores étranges, souvent elles aussi angoissantes, des ostinati sombres et sulfureux (coup de chapeau à Alexandre Meyer et Frédéric Minière), des craquements, des cris déchirants, des différences de niveaux importants et subits, tout ceci participe également à nous faire nous sentir en permanence sur la corde raide.
Alors oui, cette pièce est exigeante et déstabilisante...
Mais qu'est-ce que c'est bon d'être déstabilisé, M. Vincey !
En nous obligeant à assister à ce que vous ne voulez pas que nous regardions, en nous forçant à comprendre sans trop d'indices, vous nous placez dans un épatant paradoxe.
Ce qui est suggéré, ce que vous ne montrez pas sciemment a autant d'importance sinon plus que ce qui serait dit explicitement.
Ce spectacle envoûtant est de ceux qui ne laissent personne indifférent, de ceux dont parle longtemps après être sorti de la salle.
9,5/10
Promenons-nous dans les bois, pendant que les quatre loups n'y sont pas.
Des loups, oui, mais de ceux que l'on peut croiser chez Tex Avery.
Des loups qui tirent et déroulent une langue de deux mètres de long sur le sol, à la seule vue d'une fille.
Ces quatre loups, ce sont ces quatre frères, ces quatre bûcherons qui nous apparaissent, une fois leur journée finie, avec leur tronçonneuse à la forme phallique, leurs lames aiguisées, pointues acérées et si suggestives...
Quatre frères. Quatre nains, quatre ours des contes, quatre Dalton, quatre branquignols...
Quatre ogres, aussi !
La fille, c'est leur servante.
La fille, c'est Cendrillon, c'est Blanche-Neige, c'est Raiponce ou bien boucle d'or.
La fille, ce sont toutes les femmes...
Ces cinq-là cohabitent de manière forcée. Comme si un certain confinement était passé par là...
Bien obligés de faire avec.
On ne peut évidemment que partager le rapprochement avec notre triste contemporanéité...
Les quatre frères forestiers, concupiscents au possible, rongés de désir, obsédés sexuels, consumés par l'envie de prendre de force leur servante, les quatre se surveillent mutuellement, expriment leurs fantasmes, se retrouvent dans les rêves érotico-pornographiques des uns et des autres...
Elle, elle tente de survivre au sein de cette fratrie mortifère. Elle, elle tente d'exister en tant que femme qui naguère a subi une vraie blessure et qui assume sa destinée et surtout ses choix.
Deux choix on ne peut plus difficiles dans un monde où la domination masculine est hélas encore beaucoup trop présente.
Quels choix ? Des choix simples et en même temps si difficiles : pouvoir dire NON ou OUI à l'autre, accepter ou refuser.
Avoir ce droit pourtant élémentaire, sans qu'aucun jugement ne soit porté.
Ca devait arriver un jour, Pascal Rambert a confié un texte à monter à un autre metteur-en scène que lui même.
Il a donné sa nouvelle pièce à quelqu'un qu'il connaît bien, et qui a plusieurs fois travaillé sous sa direction.
Rambert et Arthur Nauzyciel, puisque c'est de lui dont il s'agit, nous délivrent un conte très noir pour grands enfants, une fable sombre et pourtant très drôle.
Une pièce à la fois intemporelle et d'une actualité brûlante, dans laquelle l'humour burlesque et parfois surréaliste va côtoyer le drame, le macabre, l'érotisme, la (presque) pornographie, ou encore l'anthropophagie. (Je n'en dis pas plus...)
Ce mélange des genres est une complète réussite, et qui fonctionne à la perfection.
Nous allons être en permanence tiraillés entre le rire franc et en même temps le fait d'être dérangés par ce que nous voyons et comprenons.
Les deux, l'auteur et son metteur en scène nous placent sur une corde raide, sur le fil d'un rasoir on ne peut plus tranchant.
Des scènes graves aux terribles dialogues, et des scènes hilarantes.
Devant nous, se déroule un cartoon à la Tex Avery, j'y reviens, à la Chuck Jones.
Arthur Nauzyciel a multiplié les running-gags au sein de la magnifique scénographie de Riccardo Hernandez, les scènes de pure comédie loufoque, (des chorégraphies drôlissimes de Damien Jalet pimentent le tout), les ellipses sonores, des utilisations d'objets étonnantes, j'en passe et des meilleurs.
Et puis bien entendu, il y a la distribution.
Une distribution somptueuse. De celles que l'on peut rarement réunir.
Marie-Sophie Ferdane, Pascal Gréggory, Adama Diop, Frédric Pierrot et hier soir Arthur Nauzyciel en personne m'ont enthousiasmé.
Ce que font ces cinq-là est absolument phénoménal.
Leur façon de faire passer le message relève du grand Art, d'autant que le (long) texte de Rambert n'est pas des plus aisés à donner au public.
Les quatre garçons, chacun à leur manière, nous effraient et nous amusent beaucoup.
Dirigés d'une précision millimétrée, (les scènes de repas, de fantasmes, de rêves sont formidables), ils m'ont fasciné avec leurs vis comica, leurs métiers, leurs gestuelles et leurs talents respectifs.
Leurs différences de jeu enchantent les spectateurs.
Quelle cohésion, quelle cohérence !
Pensez à regarder également ceux qui ne parlent pas et qui écoutent leurs camarades. C'est très révélateur...
Marie-Sophie Ferdane incarne quant à elle cette femme blessée, meurtrie, et en même temps très érotisée (Ah ! Cette petite robe fendue sur le devant...), une femme qui va changer radicalement la donne en se vengeant impitoyablement et férocement.
Son interprétation de cette servante est à la fois bouleversante, glaçante et hilarante.
Son jeu, sa voix grave, la sauvagerie et la lascivité ambivalentes de son personnage, ses ruptures, cette façon de dire les sortes « brèves de comptoir » écrites par Rambert, tout ceci est admirable.
Oui, admirable !
C'est donc un passionnant et fascinant spectacle qui vous attend à la Colline.
Un spectacle nécessaire, indispensable, un spectacle qui pointe du doigt une dérive sociétale si ancienne et si contemporaine à la fois.
Nos frères qui doivent accepter le non ou le oui de nos sœurs.
Des loups, oui, mais de ceux que l'on peut croiser chez Tex Avery.
Des loups qui tirent et déroulent une langue de deux mètres de long sur le sol, à la seule vue d'une fille.
Ces quatre loups, ce sont ces quatre frères, ces quatre bûcherons qui nous apparaissent, une fois leur journée finie, avec leur tronçonneuse à la forme phallique, leurs lames aiguisées, pointues acérées et si suggestives...
Quatre frères. Quatre nains, quatre ours des contes, quatre Dalton, quatre branquignols...
Quatre ogres, aussi !
La fille, c'est leur servante.
La fille, c'est Cendrillon, c'est Blanche-Neige, c'est Raiponce ou bien boucle d'or.
La fille, ce sont toutes les femmes...
Ces cinq-là cohabitent de manière forcée. Comme si un certain confinement était passé par là...
Bien obligés de faire avec.
On ne peut évidemment que partager le rapprochement avec notre triste contemporanéité...
Les quatre frères forestiers, concupiscents au possible, rongés de désir, obsédés sexuels, consumés par l'envie de prendre de force leur servante, les quatre se surveillent mutuellement, expriment leurs fantasmes, se retrouvent dans les rêves érotico-pornographiques des uns et des autres...
Elle, elle tente de survivre au sein de cette fratrie mortifère. Elle, elle tente d'exister en tant que femme qui naguère a subi une vraie blessure et qui assume sa destinée et surtout ses choix.
Deux choix on ne peut plus difficiles dans un monde où la domination masculine est hélas encore beaucoup trop présente.
Quels choix ? Des choix simples et en même temps si difficiles : pouvoir dire NON ou OUI à l'autre, accepter ou refuser.
Avoir ce droit pourtant élémentaire, sans qu'aucun jugement ne soit porté.
Ca devait arriver un jour, Pascal Rambert a confié un texte à monter à un autre metteur-en scène que lui même.
Il a donné sa nouvelle pièce à quelqu'un qu'il connaît bien, et qui a plusieurs fois travaillé sous sa direction.
Rambert et Arthur Nauzyciel, puisque c'est de lui dont il s'agit, nous délivrent un conte très noir pour grands enfants, une fable sombre et pourtant très drôle.
Une pièce à la fois intemporelle et d'une actualité brûlante, dans laquelle l'humour burlesque et parfois surréaliste va côtoyer le drame, le macabre, l'érotisme, la (presque) pornographie, ou encore l'anthropophagie. (Je n'en dis pas plus...)
Ce mélange des genres est une complète réussite, et qui fonctionne à la perfection.
Nous allons être en permanence tiraillés entre le rire franc et en même temps le fait d'être dérangés par ce que nous voyons et comprenons.
Les deux, l'auteur et son metteur en scène nous placent sur une corde raide, sur le fil d'un rasoir on ne peut plus tranchant.
Des scènes graves aux terribles dialogues, et des scènes hilarantes.
Devant nous, se déroule un cartoon à la Tex Avery, j'y reviens, à la Chuck Jones.
Arthur Nauzyciel a multiplié les running-gags au sein de la magnifique scénographie de Riccardo Hernandez, les scènes de pure comédie loufoque, (des chorégraphies drôlissimes de Damien Jalet pimentent le tout), les ellipses sonores, des utilisations d'objets étonnantes, j'en passe et des meilleurs.
Et puis bien entendu, il y a la distribution.
Une distribution somptueuse. De celles que l'on peut rarement réunir.
Marie-Sophie Ferdane, Pascal Gréggory, Adama Diop, Frédric Pierrot et hier soir Arthur Nauzyciel en personne m'ont enthousiasmé.
Ce que font ces cinq-là est absolument phénoménal.
Leur façon de faire passer le message relève du grand Art, d'autant que le (long) texte de Rambert n'est pas des plus aisés à donner au public.
Les quatre garçons, chacun à leur manière, nous effraient et nous amusent beaucoup.
Dirigés d'une précision millimétrée, (les scènes de repas, de fantasmes, de rêves sont formidables), ils m'ont fasciné avec leurs vis comica, leurs métiers, leurs gestuelles et leurs talents respectifs.
Leurs différences de jeu enchantent les spectateurs.
Quelle cohésion, quelle cohérence !
Pensez à regarder également ceux qui ne parlent pas et qui écoutent leurs camarades. C'est très révélateur...
Marie-Sophie Ferdane incarne quant à elle cette femme blessée, meurtrie, et en même temps très érotisée (Ah ! Cette petite robe fendue sur le devant...), une femme qui va changer radicalement la donne en se vengeant impitoyablement et férocement.
Son interprétation de cette servante est à la fois bouleversante, glaçante et hilarante.
Son jeu, sa voix grave, la sauvagerie et la lascivité ambivalentes de son personnage, ses ruptures, cette façon de dire les sortes « brèves de comptoir » écrites par Rambert, tout ceci est admirable.
Oui, admirable !
C'est donc un passionnant et fascinant spectacle qui vous attend à la Colline.
Un spectacle nécessaire, indispensable, un spectacle qui pointe du doigt une dérive sociétale si ancienne et si contemporaine à la fois.
Nos frères qui doivent accepter le non ou le oui de nos sœurs.
9/10
C'est la crise !
Avec ce spectacle "Crise de nerfs", Peter Stein nous propose un programme tchekhovien aux petits oignons.
Trois courtes œuvres de jeunesse, écrites en 1886 et 1888 (le grand Anton n'a pas encore 30 ans), deux pièces présentant des personnages plutôt tragiques, et une farce.
Le chant du cygne, Les méfaits du tabac et La demande en mariage.
Ce spectacle est une commande.
Jacques Weber a demandé au dramaturge allemand de travailler une nouvelle fois avec lui.
Ces deux-là se connaissent bien, très bien même, au point que M. Weber passe souvent pour le comédien français fétiche du metteur en scène.
Celui-ci a donc proposé au comédien en question ces trois petits bijoux.
C'est peu de dire qu'il connaît son Tchekhov, Peter Stein, lui qui a écrit un ouvrage qui fait autorité, intitulé Mon Tchekhov.
L'adjectif possessif « mon » indiquant bien à quel point l'auteur russe tient une place importante dans la vie et le cœur du metteur en scène.
Une nouvelle fois, l'osmose, la complicité, la complémentarité Stein-Weber va sauter aux yeux des spectateurs.
Elle est même émouvante, à certains égards, cette relation artistique-là, qui permet à deux êtres humains d'exprimer d'aussi belle façon sur un plateau le génie (oui, je pèse ce substantif) de Tchekhov.
Durant une heure trente, grâce à eux, nous allons plonger dans les tréfonds de l'âme humaine.
Ces trois petites pièces annoncent en effet les grands chefs-d'œuvres à venir.
Tchekhov, celui qui ausculte l'âme de ses contemporains.
Que ce soit en comédien au seuil de sa vie personnelle et professionnelle, en pseudo-conférencier complètement soumis à sa tyrannique épouse, ou en père à qui un hypothétique futur gendre vient demander la main de sa fille, Jacques Weber va nous permettre d'assister à cette descente dans les méandres existentiels de ces trois personnages.
Bon ! On a tout dit de Weber...
Ecrire qu'il nous donne une petite leçon d'interprétation est un nouveau pléonasme !
Il nous attire dans ses rêts, pour ne plus nous lâcher, malgré les deux interruptions pour changement de décors et costumes.
Une leçon, vous dis-je !...
Le metteur en scène n'a pas oublié que « son » auteur était médecin.
En 1886, Tchekhov avait déjà décroché son diplôme, exercé, et au passage pratiqué nombre d'autopsies.
Avant de s'occuper des âmes, il avait étudié l'anatomie humaine. Dans ces écrits de jeunesse, il se sert de ses années d'études pour mettre en avant corps de ses personnages.
Le travail du couple Stein-Weber sur ces corps est ici fascinant.
Le corps vieillissant d'un cabot en toge, le corps d'un asthmatique entreprenant sa conférence sur les méfaits du tabac, ou encore le corps burlesque, forcé, outré de la farce.
Le corps comme outil de travail du comédien, le corps comme reflet de l'âme, le corps qui nous en dit beaucoup et qui parle autant peut-être plus que la voix.
Le corps qui révèle l'humanité...
Quel remarquable travail !
Deux camarades de jeu accompagnent Maître Jacques.
Loïc Mobihan, qu'on découvre dans Le chant du cygne en souffleur de théâtre, incarne le propriétaire voisin qui vient demander la main de sa fille à son père.
La fille en question est interprétée par Manon Combes.
J'ai retrouvé la vis comica, la progression diabolique, l'exacerbation des passions, que j'avais découvertes voici deux saisons dans la formidable version montée par Jean-Louis Benoît au Poche-Montparnasse, avec les merveilleux Manuel Le Lièvre, Emeline Bayart et Jean-Paul Farré.
Nous sommes exactement dans la même lignée.
Ici à l'Atelier, les fou-rires se déchaînent de la même manière.
Ah ça, pour rire, nous rions ! Le trio ne ménage pas sa peine pour faire fonctionner nos zygomatiques.
Et par les temps qui courent...
Oui, il serait dommage de passer à côté de ce magnifique moment de théâtre.
Un moment d'une intensité, d'une précision, d'une densité qui forcent l'admiration.
Courez donc toutes affaires cessantes à l'Atelier !
Vous voici prévenus !
Avec ce spectacle "Crise de nerfs", Peter Stein nous propose un programme tchekhovien aux petits oignons.
Trois courtes œuvres de jeunesse, écrites en 1886 et 1888 (le grand Anton n'a pas encore 30 ans), deux pièces présentant des personnages plutôt tragiques, et une farce.
Le chant du cygne, Les méfaits du tabac et La demande en mariage.
Ce spectacle est une commande.
Jacques Weber a demandé au dramaturge allemand de travailler une nouvelle fois avec lui.
Ces deux-là se connaissent bien, très bien même, au point que M. Weber passe souvent pour le comédien français fétiche du metteur en scène.
Celui-ci a donc proposé au comédien en question ces trois petits bijoux.
C'est peu de dire qu'il connaît son Tchekhov, Peter Stein, lui qui a écrit un ouvrage qui fait autorité, intitulé Mon Tchekhov.
L'adjectif possessif « mon » indiquant bien à quel point l'auteur russe tient une place importante dans la vie et le cœur du metteur en scène.
Une nouvelle fois, l'osmose, la complicité, la complémentarité Stein-Weber va sauter aux yeux des spectateurs.
Elle est même émouvante, à certains égards, cette relation artistique-là, qui permet à deux êtres humains d'exprimer d'aussi belle façon sur un plateau le génie (oui, je pèse ce substantif) de Tchekhov.
Durant une heure trente, grâce à eux, nous allons plonger dans les tréfonds de l'âme humaine.
Ces trois petites pièces annoncent en effet les grands chefs-d'œuvres à venir.
Tchekhov, celui qui ausculte l'âme de ses contemporains.
Que ce soit en comédien au seuil de sa vie personnelle et professionnelle, en pseudo-conférencier complètement soumis à sa tyrannique épouse, ou en père à qui un hypothétique futur gendre vient demander la main de sa fille, Jacques Weber va nous permettre d'assister à cette descente dans les méandres existentiels de ces trois personnages.
Bon ! On a tout dit de Weber...
Ecrire qu'il nous donne une petite leçon d'interprétation est un nouveau pléonasme !
Il nous attire dans ses rêts, pour ne plus nous lâcher, malgré les deux interruptions pour changement de décors et costumes.
Une leçon, vous dis-je !...
Le metteur en scène n'a pas oublié que « son » auteur était médecin.
En 1886, Tchekhov avait déjà décroché son diplôme, exercé, et au passage pratiqué nombre d'autopsies.
Avant de s'occuper des âmes, il avait étudié l'anatomie humaine. Dans ces écrits de jeunesse, il se sert de ses années d'études pour mettre en avant corps de ses personnages.
Le travail du couple Stein-Weber sur ces corps est ici fascinant.
Le corps vieillissant d'un cabot en toge, le corps d'un asthmatique entreprenant sa conférence sur les méfaits du tabac, ou encore le corps burlesque, forcé, outré de la farce.
Le corps comme outil de travail du comédien, le corps comme reflet de l'âme, le corps qui nous en dit beaucoup et qui parle autant peut-être plus que la voix.
Le corps qui révèle l'humanité...
Quel remarquable travail !
Deux camarades de jeu accompagnent Maître Jacques.
Loïc Mobihan, qu'on découvre dans Le chant du cygne en souffleur de théâtre, incarne le propriétaire voisin qui vient demander la main de sa fille à son père.
La fille en question est interprétée par Manon Combes.
J'ai retrouvé la vis comica, la progression diabolique, l'exacerbation des passions, que j'avais découvertes voici deux saisons dans la formidable version montée par Jean-Louis Benoît au Poche-Montparnasse, avec les merveilleux Manuel Le Lièvre, Emeline Bayart et Jean-Paul Farré.
Nous sommes exactement dans la même lignée.
Ici à l'Atelier, les fou-rires se déchaînent de la même manière.
Ah ça, pour rire, nous rions ! Le trio ne ménage pas sa peine pour faire fonctionner nos zygomatiques.
Et par les temps qui courent...
Oui, il serait dommage de passer à côté de ce magnifique moment de théâtre.
Un moment d'une intensité, d'une précision, d'une densité qui forcent l'admiration.
Courez donc toutes affaires cessantes à l'Atelier !
Vous voici prévenus !
8,5/10
Jésus, Jésus, Jé-ésus revient...
Oui, il revient Jésus, dans le chef-d'œuvre de Dostoïveski, les Frères Karamazov, et plus spécifiquement dans l'un des chapitres, Le grand inquisiteur.
C'est ce chapitre particulier qu'a choisi de nous montrer Sylvain Creuzevault, en guise d'amuse-bouche à sa prochaine mise en scène du roman dans son entièreté.
Parce que la pandémie covidienne est passée par là.
Parce que la Mort de masse, à laquelle plus personne ne pensait, la camarde, la faucheuse est venue impitoyablement se rappeler à notre mauvais souvenir.
Parce qu'il a été également question de sélection... Dans certains hôpitaux, il a fallu sélectionner les malades...
La mort. La sélection. La privation de liberté.
Parce qu'il a fallu, en tant qu'artiste, analyser, réagir, travailler à proposer une catharsis à cette épreuve mondiale. En tant que dramaturge. En tant qu'homme de théâtre.
Ce spectacle nous remet donc en perspective tous ces éléments avec lesquels il a fallu vivre, et qui n'ont pas disparu, loin s'en faut, si l'on en croit la plus récente des actualités.
Creuzevault a eu la judicieuse idée de mettre en abîme ce Grand inquisiteur avec un écrit du dramaturge allemand Heiner Müller, grand admirateur de Dostoïveski, et qui l'évoque dans son recueil « Fautes d'impression » publié en 1990.
Au fond, Müller va nous confronter à ce besoin qu'ont un petit nombre d'élus ou supposés tels, une élite autoproclamée, religieuse ou politique, mais surtout religieuse, ce besoin pour un petit nombre d'asservir le plus grand nombre en le privant de liberté intellectuelle par moult moyens.
C'est donc ce qui à arrive à ce pauvre Jésus, revenu sur terre en pleine Inquisition, à Séville, et qui va faire face à l'Eglise romaine ayant renié les principes messianiques au profit de l'asservissement des fidèles. Jésus est devenu dangereux aux yeux des puissants.
Sur le plateau de l'Odéon, va surgir un joyeux et « bordélique » chaos savamment orchestré.
Le burlesque, la farce vont côtoyer le grand guignol, le drame, l'horreur.
Nous allons croiser dans le désordre le fils de Dieu, donc, opposé à un impitoyable Torquemada, en compagnie du pape de l'époque, mais aussi Donald Trump, Margareth Thatcher, Joseph Staline, Adolf Hitler ou encore Karl Marx.
Sans oublier les deux fameux frères, Ivan et Aliocha, qui accueilleront le public d'une très originale façon, devant une scène en pleine reconstruction. Je n'en dis pas plus...
Et nous alors ?
Nous, les spectateurs, nous serons les asservis, ceux qui se sont librement soumis, ceux qui ont décidé de ramper devant les tyrans, la technologie ou la modernité.
Ceux qui seront « fondamentalement coupables de penser », pour reprendre l'expression de d'Heiner Müller.
Nous allons rire, de par les facéties des comédiens, mais nous allons être plongés dans une intense réflexion. Nous allons devoir intégrer le texte de Müller, dit par Nicolas Bouchaud.
Un texte dense, parfois ardu, qui sera d'ailleurs projeté au lointain, à mesure de son déroulement.
Cigare au bec, l'air un peu blasé, fataliste, Bouchaud nous plonge dans nos propres contradictions, en martelant le postulat du dramaturge allemand. Le lien avec Dostoïveski est alors évident. Nous comprenons plus ou moins rapidement les tenants et les aboutissants, le rapport avec notre actualité, avec la situation mondiale actuelle.
Son interprétation d'Hitler est magnifique.
Le reste de la petite troupe s'en donne à cœur joie et ne ménage pas sa peine, pour illustrer scéniquement la démonstration politique et philosophique évoquée.
Servane Ducorps est un Donald Trump plus vrai que nature ! La mèche est dite !
Avec un ventre factice, les tics et tous les attributs vestimentaires caricaturaux de l'actuel POTUS, elle déclenche un très grand nombre de rires.
Elle s'exprime le plus souvent dans un anglais outré, que nous comprenons néanmoins très bien... Le registre de Trump n'est pas celui de Shakespeare.
Une sacrée composition !
Frédéric Noaille est une drôlissime et pathétique Margareth Thatcher. Lui aussi fait fonctionner nos zygomatiques à plein régime. (L'allusion à la grève des mineurs est formidable !)
Les deux, auxquels s'ajoute Staline (l'épatant Sylvain Fournier) vont faire passer un sale quart d'heure à Jésus (Arthur Igual, flegmatique, décalé, pince-sans-rire). Sale mais drôle !
Dans une scène grand guignolesque très réussie, Trump et Thatcher relèguent la crucifixion au rang d'une aimable séance de chatouilles, en comparaison de ce qu'ils font subir sur scène au rejeton de Joseph et Marie.
Vous ne regarderez plus vos baguettes chinoises ou japonaises de la même façon... Je vous assure !
Quant au Grand inquisiteur, c'est Sava Lolov qui s'y colle.
Impossible de ne pas avoir froid dans le dos, de ne pas frissonner en écoutant ses diatribes.
Le comédien alterne la voix du personnage (90 ans dans le roman) et la sienne propre, comme pour faire ressortir le caractère hélas universel de ses dires.
Au final, on ressent parfaitement l'urgence de la création de ce spectacle.
On sent bien ce besoin de la part de Sylvain Creuzevault d'apporter sa pierre à l'édifice pour réfléchir à tout ce que ces derniers mois ont engendré, mis plus ou moins en évidence.
La nécessité de mettre en place des mots, des gestes, une dramaturgie, une mise en abîme.
Parce que le Théâtre permet tout ceci.
Ce Grand inquisiteur interpelle, questionne et ne laisse personne indifférent.
L'entreprise artistique est très fortement applaudie au moment des saluts. Ce n'est que justice.
Oui, il revient Jésus, dans le chef-d'œuvre de Dostoïveski, les Frères Karamazov, et plus spécifiquement dans l'un des chapitres, Le grand inquisiteur.
C'est ce chapitre particulier qu'a choisi de nous montrer Sylvain Creuzevault, en guise d'amuse-bouche à sa prochaine mise en scène du roman dans son entièreté.
Parce que la pandémie covidienne est passée par là.
Parce que la Mort de masse, à laquelle plus personne ne pensait, la camarde, la faucheuse est venue impitoyablement se rappeler à notre mauvais souvenir.
Parce qu'il a été également question de sélection... Dans certains hôpitaux, il a fallu sélectionner les malades...
La mort. La sélection. La privation de liberté.
Parce qu'il a fallu, en tant qu'artiste, analyser, réagir, travailler à proposer une catharsis à cette épreuve mondiale. En tant que dramaturge. En tant qu'homme de théâtre.
Ce spectacle nous remet donc en perspective tous ces éléments avec lesquels il a fallu vivre, et qui n'ont pas disparu, loin s'en faut, si l'on en croit la plus récente des actualités.
Creuzevault a eu la judicieuse idée de mettre en abîme ce Grand inquisiteur avec un écrit du dramaturge allemand Heiner Müller, grand admirateur de Dostoïveski, et qui l'évoque dans son recueil « Fautes d'impression » publié en 1990.
Au fond, Müller va nous confronter à ce besoin qu'ont un petit nombre d'élus ou supposés tels, une élite autoproclamée, religieuse ou politique, mais surtout religieuse, ce besoin pour un petit nombre d'asservir le plus grand nombre en le privant de liberté intellectuelle par moult moyens.
C'est donc ce qui à arrive à ce pauvre Jésus, revenu sur terre en pleine Inquisition, à Séville, et qui va faire face à l'Eglise romaine ayant renié les principes messianiques au profit de l'asservissement des fidèles. Jésus est devenu dangereux aux yeux des puissants.
Sur le plateau de l'Odéon, va surgir un joyeux et « bordélique » chaos savamment orchestré.
Le burlesque, la farce vont côtoyer le grand guignol, le drame, l'horreur.
Nous allons croiser dans le désordre le fils de Dieu, donc, opposé à un impitoyable Torquemada, en compagnie du pape de l'époque, mais aussi Donald Trump, Margareth Thatcher, Joseph Staline, Adolf Hitler ou encore Karl Marx.
Sans oublier les deux fameux frères, Ivan et Aliocha, qui accueilleront le public d'une très originale façon, devant une scène en pleine reconstruction. Je n'en dis pas plus...
Et nous alors ?
Nous, les spectateurs, nous serons les asservis, ceux qui se sont librement soumis, ceux qui ont décidé de ramper devant les tyrans, la technologie ou la modernité.
Ceux qui seront « fondamentalement coupables de penser », pour reprendre l'expression de d'Heiner Müller.
Nous allons rire, de par les facéties des comédiens, mais nous allons être plongés dans une intense réflexion. Nous allons devoir intégrer le texte de Müller, dit par Nicolas Bouchaud.
Un texte dense, parfois ardu, qui sera d'ailleurs projeté au lointain, à mesure de son déroulement.
Cigare au bec, l'air un peu blasé, fataliste, Bouchaud nous plonge dans nos propres contradictions, en martelant le postulat du dramaturge allemand. Le lien avec Dostoïveski est alors évident. Nous comprenons plus ou moins rapidement les tenants et les aboutissants, le rapport avec notre actualité, avec la situation mondiale actuelle.
Son interprétation d'Hitler est magnifique.
Le reste de la petite troupe s'en donne à cœur joie et ne ménage pas sa peine, pour illustrer scéniquement la démonstration politique et philosophique évoquée.
Servane Ducorps est un Donald Trump plus vrai que nature ! La mèche est dite !
Avec un ventre factice, les tics et tous les attributs vestimentaires caricaturaux de l'actuel POTUS, elle déclenche un très grand nombre de rires.
Elle s'exprime le plus souvent dans un anglais outré, que nous comprenons néanmoins très bien... Le registre de Trump n'est pas celui de Shakespeare.
Une sacrée composition !
Frédéric Noaille est une drôlissime et pathétique Margareth Thatcher. Lui aussi fait fonctionner nos zygomatiques à plein régime. (L'allusion à la grève des mineurs est formidable !)
Les deux, auxquels s'ajoute Staline (l'épatant Sylvain Fournier) vont faire passer un sale quart d'heure à Jésus (Arthur Igual, flegmatique, décalé, pince-sans-rire). Sale mais drôle !
Dans une scène grand guignolesque très réussie, Trump et Thatcher relèguent la crucifixion au rang d'une aimable séance de chatouilles, en comparaison de ce qu'ils font subir sur scène au rejeton de Joseph et Marie.
Vous ne regarderez plus vos baguettes chinoises ou japonaises de la même façon... Je vous assure !
Quant au Grand inquisiteur, c'est Sava Lolov qui s'y colle.
Impossible de ne pas avoir froid dans le dos, de ne pas frissonner en écoutant ses diatribes.
Le comédien alterne la voix du personnage (90 ans dans le roman) et la sienne propre, comme pour faire ressortir le caractère hélas universel de ses dires.
Au final, on ressent parfaitement l'urgence de la création de ce spectacle.
On sent bien ce besoin de la part de Sylvain Creuzevault d'apporter sa pierre à l'édifice pour réfléchir à tout ce que ces derniers mois ont engendré, mis plus ou moins en évidence.
La nécessité de mettre en place des mots, des gestes, une dramaturgie, une mise en abîme.
Parce que le Théâtre permet tout ceci.
Ce Grand inquisiteur interpelle, questionne et ne laisse personne indifférent.
L'entreprise artistique est très fortement applaudie au moment des saluts. Ce n'est que justice.
9/10
Ca devait bien arriver un jour : lui aussi a donc traversé le Jourdain...
Lui, c'est Jérôme Deschamps, qui connaît bien la maison, puisqu'il l'a dirigée de 2007 à 2015.
Il reprend donc sa version du Bourgeois gentilhomme, créée en juin 2019, au Printemps des Comédiens, à Montpellier.
Mettre en scène ce chef-d'œuvre du grand Poquelin, oui, mais dans sa version première, celle créée le 14 octobre 1670 au château de Chambord, à savoir une comédie-ballet.
Les deux Jean-Baptiste, Molière et Lully, collaborent pour l'avant-dernière fois, dans ce genre que Molière affectionne, mais que le compositeur va très vite délaisser pour l'opéra.
La comédie-ballet, à savoir l'ancêtre de la comédie musicale, nous apprend Marc Minkowski, qui pour cette production, dirige ses Musiciens du Louvre.
MM Deschamps et Minkowski se connaissent bien, pour avoir notamment monté ensemble en 2004 un remarquable et remarqué Enlèvement au Sérail.
Deuxième turquerie commune, donc.
Chacun dans leur partie, ils vont contribuer à nous proposer un exquis et délicieux spectacle.
Ici, pas de gros effets numériques, pas de grosses machineries pyrotechniques ou cinématographiques.
J'ai d'ailleurs pensé, à plusieurs reprises, que ce spectacle ne devait pas être très différent que celui de Chambord...
Ce qui va compter, ici, ce sont les comédiens, les chanteurs et les danseurs. L'humain.
Deschamps, on connaît sa grande maîtrise de la direction d'acteurs.
Grâce notamment à une formidable petite troupe, il parvient à nous livrer une lecture très intéressante de la pièce.
Son Bourgeois, qu'il interprète lui-même, c'est un type seul. Très seul. Qui veut du rêve. Et qu'on lui en vende !
Il en a fait un grand enfant, grognon, boudeur, qui trépigne, qui marmonne, qui boude.
Oui, il y a quelque chose du monde de l'enfance dans cette vision du personnage.
Témoin également sa demeure presque enfantine, qui comporte un petit castelet, une petitte chambre avec des petits rideaux...
Tout autour de lui, le monde des adultes, ceux qui ont perdu cette âme d'enfant, ce monde-là le berne, le gruge et le trompe. Y compris dans le final qui aboutira pourtant à la résolution heureuse de la pièce.
Formidable troupe, donc !
Josiane Stoléru toujours magistrale, campe une épatante Mme Jourdain.
Jean-Claude Bolle Reddat est un maître de philosophie d'une grande drôlerie. En perruque de travers, il est irrésistible.
Vincent Debost, en Covielle et en maître d'armes déclenche des salves de rire. Quelle vis comica, quel allant, quelle énergie !
Un autre double-rôle est interprété par l'excellent et très inspiré Guillaume Laloux.
En maître de danse efféminé, précieux, et en Dorante, infatué au possible, lui aussi déclenche nombre éclats de rire.
Et puis, quel plaisir de retrouver Pauline Tricot, qui fut notamment membre de l'Académie de la Comédie-Française.
Sa Nicole chasseuse de rats et maîtresse de la serpillère est très réussie. Son rire est très communicatif !
Tout ceci est d'une grande cohérence, le reste de la distribution étant à l'avenant.
De grandes scènes burlesques, comme cette "bergerie" comme on disait à l'époque et dans laquelle poules, lapins et fabrication des crêpes sont mis à l'honneur, de grandes scènes burlesques viennent rappeler l'humour "Deschiens"...
On note tout au long de la pièce des petits anachronismes subtils, spirituels qui eux aussi, nous font bien rire.
En ce qui concerne la partie musicale, on sait l'amour que porte Minkowski à Lully.
On sait également son ambition d'enregistrer une intégrale de ses œuvres.
Avec ses Musiciens du Louvre, il nous enchante. Une nouvelle fois. Encore et toujours.
Avec grâce, précision, il nous fait entendre cette musique baroque lumineuse, où le mode mineur peut se révéler joyeux, fantasque ou poétique.
Les musiciens, debout lorsqu'ils jouent, nous font eux aussi remonter le temps. Impossible de ne pas penser que naguère, les mêmes notes ont dû résonner exactement de la même façon.
Sur le plateau, les danseurs et les musiciens complètent la distribution des comédiens.
Les chorégraphies de Nathalie van Parys mélangent des pas baroques et d'autres plus modernes. C'est très réussi.
Les chanteurs eux aussi apportent leur belle pierre à l'édifice.
Avec notamment la basse Jérôme Varnier qui campe un épatant grand Mufti.
Il est à noter un autre anachronisme, musical, cette fois-ci, qui amuse le public.
Une œuvre interprétée n'est pas de Lully. Là encore, je vous laisse découvrir par vous-mêmes.
Je me garderai bien d'oublier de mentionner les très beaux costumes de Vanessa Saninno, une autre habituée de la maison. Les costumes « turcs » sont somptueux ! Je donnerais cher pour essayer le chapeau du grand Mamamouchi.
Vous l'aurez compris, ce délicieux spectacle est à déguster sans modération.
Venez donc à l'Opéra-Comique remonter le temps, venez vous replonger dans cette œuvre du grand Molière, qui n'est pas si souvent donnée dans sa version comédie-ballet.
Le duo Deschamps-Minkowski vous permettra de redécouvrir ce chef-d'œuvre classique.
Ce fut mon cas.
Lui, c'est Jérôme Deschamps, qui connaît bien la maison, puisqu'il l'a dirigée de 2007 à 2015.
Il reprend donc sa version du Bourgeois gentilhomme, créée en juin 2019, au Printemps des Comédiens, à Montpellier.
Mettre en scène ce chef-d'œuvre du grand Poquelin, oui, mais dans sa version première, celle créée le 14 octobre 1670 au château de Chambord, à savoir une comédie-ballet.
Les deux Jean-Baptiste, Molière et Lully, collaborent pour l'avant-dernière fois, dans ce genre que Molière affectionne, mais que le compositeur va très vite délaisser pour l'opéra.
La comédie-ballet, à savoir l'ancêtre de la comédie musicale, nous apprend Marc Minkowski, qui pour cette production, dirige ses Musiciens du Louvre.
MM Deschamps et Minkowski se connaissent bien, pour avoir notamment monté ensemble en 2004 un remarquable et remarqué Enlèvement au Sérail.
Deuxième turquerie commune, donc.
Chacun dans leur partie, ils vont contribuer à nous proposer un exquis et délicieux spectacle.
Ici, pas de gros effets numériques, pas de grosses machineries pyrotechniques ou cinématographiques.
J'ai d'ailleurs pensé, à plusieurs reprises, que ce spectacle ne devait pas être très différent que celui de Chambord...
Ce qui va compter, ici, ce sont les comédiens, les chanteurs et les danseurs. L'humain.
Deschamps, on connaît sa grande maîtrise de la direction d'acteurs.
Grâce notamment à une formidable petite troupe, il parvient à nous livrer une lecture très intéressante de la pièce.
Son Bourgeois, qu'il interprète lui-même, c'est un type seul. Très seul. Qui veut du rêve. Et qu'on lui en vende !
Il en a fait un grand enfant, grognon, boudeur, qui trépigne, qui marmonne, qui boude.
Oui, il y a quelque chose du monde de l'enfance dans cette vision du personnage.
Témoin également sa demeure presque enfantine, qui comporte un petit castelet, une petitte chambre avec des petits rideaux...
Tout autour de lui, le monde des adultes, ceux qui ont perdu cette âme d'enfant, ce monde-là le berne, le gruge et le trompe. Y compris dans le final qui aboutira pourtant à la résolution heureuse de la pièce.
Formidable troupe, donc !
Josiane Stoléru toujours magistrale, campe une épatante Mme Jourdain.
Jean-Claude Bolle Reddat est un maître de philosophie d'une grande drôlerie. En perruque de travers, il est irrésistible.
Vincent Debost, en Covielle et en maître d'armes déclenche des salves de rire. Quelle vis comica, quel allant, quelle énergie !
Un autre double-rôle est interprété par l'excellent et très inspiré Guillaume Laloux.
En maître de danse efféminé, précieux, et en Dorante, infatué au possible, lui aussi déclenche nombre éclats de rire.
Et puis, quel plaisir de retrouver Pauline Tricot, qui fut notamment membre de l'Académie de la Comédie-Française.
Sa Nicole chasseuse de rats et maîtresse de la serpillère est très réussie. Son rire est très communicatif !
Tout ceci est d'une grande cohérence, le reste de la distribution étant à l'avenant.
De grandes scènes burlesques, comme cette "bergerie" comme on disait à l'époque et dans laquelle poules, lapins et fabrication des crêpes sont mis à l'honneur, de grandes scènes burlesques viennent rappeler l'humour "Deschiens"...
On note tout au long de la pièce des petits anachronismes subtils, spirituels qui eux aussi, nous font bien rire.
En ce qui concerne la partie musicale, on sait l'amour que porte Minkowski à Lully.
On sait également son ambition d'enregistrer une intégrale de ses œuvres.
Avec ses Musiciens du Louvre, il nous enchante. Une nouvelle fois. Encore et toujours.
Avec grâce, précision, il nous fait entendre cette musique baroque lumineuse, où le mode mineur peut se révéler joyeux, fantasque ou poétique.
Les musiciens, debout lorsqu'ils jouent, nous font eux aussi remonter le temps. Impossible de ne pas penser que naguère, les mêmes notes ont dû résonner exactement de la même façon.
Sur le plateau, les danseurs et les musiciens complètent la distribution des comédiens.
Les chorégraphies de Nathalie van Parys mélangent des pas baroques et d'autres plus modernes. C'est très réussi.
Les chanteurs eux aussi apportent leur belle pierre à l'édifice.
Avec notamment la basse Jérôme Varnier qui campe un épatant grand Mufti.
Il est à noter un autre anachronisme, musical, cette fois-ci, qui amuse le public.
Une œuvre interprétée n'est pas de Lully. Là encore, je vous laisse découvrir par vous-mêmes.
Je me garderai bien d'oublier de mentionner les très beaux costumes de Vanessa Saninno, une autre habituée de la maison. Les costumes « turcs » sont somptueux ! Je donnerais cher pour essayer le chapeau du grand Mamamouchi.
Vous l'aurez compris, ce délicieux spectacle est à déguster sans modération.
Venez donc à l'Opéra-Comique remonter le temps, venez vous replonger dans cette œuvre du grand Molière, qui n'est pas si souvent donnée dans sa version comédie-ballet.
Le duo Deschamps-Minkowski vous permettra de redécouvrir ce chef-d'œuvre classique.
Ce fut mon cas.
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