Ses critiques
119 critiques
9/10
Décidément Shakespeare n’en finit pas de passionner les metteurs en scène et c’est justement dans cette réinvention perpétuelle, foisonnante et multiple que l’on peut reconnaître le génie du dramaturge et l’empreinte indélébile qu’il continue de laisser derrière lui. Après Ostermeier et Jolly ces dernières années, c’est Jean Lambert-Wild qui cède à la fascination pour le tyran shakespearien et s’attaque au mythique Richard III.
Jean Lambert-Wild, qui refuse à présent de jouer autrement qu’à travers son clown, son miroir, son âme-clown, entraine ici le spectateur dans une foire folle et loufoque (qui pourrait presque être élisabéthaine) où surgissent à l’improviste marionnettes, ballons, barbes-à-papa et autres mécanismes d’illusion et de miroirs. Avec ses jeux de chamboule-tout, son stand de tir, ses bonbons lancés aux spectateurs, le décor en triptyque (la scénographie est signée J. Lambert-Wild et Stéphane Blanquet) devient personnage omniprésent grâce à ses multiples rideaux rouges qui s’ouvrent et se referment, ses alcôves, ses rouages colorés et bigarrés qui fascinent et hypnotisent le spectateur. Magnifique et chatoyant.
Au centre de ce dispositif Jean Lambert-Wild incarne Richard III. Grimé de blanc, une fraise en collerette et vêtu d’un pyjama, il est omniprésent, démiurge et démoniaque. Tour à tour bouffon, conteur, calculateur, provocateur, aussi fourbe que narquois le comédien-clown, libéré des contraintes de l’acteur-homme, devient Joker, caméléon, fou du roi autant que roi fou, caricature spectrale et magnifique, insupportable gamin facétieux et assassin monstrueux. A ces côtés, Elodie Bordas interprète avec un art du transformisme consommé et une époustouflante (et parfaitement maîtrisée) énergie, les femmes de la vie de Richard III (Lady Ann, la duchesse d’York) ainsi qu’une vingtaine de personnages connexes, en passant par Buckingham, l’âme damnée de Richard III. Tantôt poupée désarticulée ou pantomime articulée, juchée sur des talons-échasses vertigineux ou engoncée dans vertugadin et corset noirs, tantôt Auguste, elle va et vient, se change ici et réapparait là, manipule autant que se joue des instruments et accessoires à disposition.
Les accessoires qui sont, eux aussi, personnages omniprésents et inattendus : une baudruche où est projeté le visage de Clarence, des ballons, des marionnettes ou chiffons ensanglantés (les enfants d’Edouard), un chamboule-tout où les spectateurs sont invités à lancer des balles sur le visage de Richard III reproduit à l’envi… Avec ce formidable et truculent cabinet de monstruosités, Jean Lambert-Wild entraine le spectateur dans une fête foraine où, à l’image des représentations du Globe et autres théâtres élisabéthains, le spectateur était partie prenante des spectacles.
Jean Lambert-Wild le sait : le clown, une fois qu’il est trouvé, libère le comédien et laisse place à tous les possibles ; il révèle les failles, efface les masques et déverrouille la créativité. Ici, le clown Richard n’en est que plus humain, proche et risible dans toute son horreur grostesque et sa grandiloquence.
Du bel hommage, donc, qui réussit à réinventer Richard III avec une immense générosité.
Jean Lambert-Wild, qui refuse à présent de jouer autrement qu’à travers son clown, son miroir, son âme-clown, entraine ici le spectateur dans une foire folle et loufoque (qui pourrait presque être élisabéthaine) où surgissent à l’improviste marionnettes, ballons, barbes-à-papa et autres mécanismes d’illusion et de miroirs. Avec ses jeux de chamboule-tout, son stand de tir, ses bonbons lancés aux spectateurs, le décor en triptyque (la scénographie est signée J. Lambert-Wild et Stéphane Blanquet) devient personnage omniprésent grâce à ses multiples rideaux rouges qui s’ouvrent et se referment, ses alcôves, ses rouages colorés et bigarrés qui fascinent et hypnotisent le spectateur. Magnifique et chatoyant.
Au centre de ce dispositif Jean Lambert-Wild incarne Richard III. Grimé de blanc, une fraise en collerette et vêtu d’un pyjama, il est omniprésent, démiurge et démoniaque. Tour à tour bouffon, conteur, calculateur, provocateur, aussi fourbe que narquois le comédien-clown, libéré des contraintes de l’acteur-homme, devient Joker, caméléon, fou du roi autant que roi fou, caricature spectrale et magnifique, insupportable gamin facétieux et assassin monstrueux. A ces côtés, Elodie Bordas interprète avec un art du transformisme consommé et une époustouflante (et parfaitement maîtrisée) énergie, les femmes de la vie de Richard III (Lady Ann, la duchesse d’York) ainsi qu’une vingtaine de personnages connexes, en passant par Buckingham, l’âme damnée de Richard III. Tantôt poupée désarticulée ou pantomime articulée, juchée sur des talons-échasses vertigineux ou engoncée dans vertugadin et corset noirs, tantôt Auguste, elle va et vient, se change ici et réapparait là, manipule autant que se joue des instruments et accessoires à disposition.
Les accessoires qui sont, eux aussi, personnages omniprésents et inattendus : une baudruche où est projeté le visage de Clarence, des ballons, des marionnettes ou chiffons ensanglantés (les enfants d’Edouard), un chamboule-tout où les spectateurs sont invités à lancer des balles sur le visage de Richard III reproduit à l’envi… Avec ce formidable et truculent cabinet de monstruosités, Jean Lambert-Wild entraine le spectateur dans une fête foraine où, à l’image des représentations du Globe et autres théâtres élisabéthains, le spectateur était partie prenante des spectacles.
Jean Lambert-Wild le sait : le clown, une fois qu’il est trouvé, libère le comédien et laisse place à tous les possibles ; il révèle les failles, efface les masques et déverrouille la créativité. Ici, le clown Richard n’en est que plus humain, proche et risible dans toute son horreur grostesque et sa grandiloquence.
Du bel hommage, donc, qui réussit à réinventer Richard III avec une immense générosité.
9/10
Eric Ruf l’avait promis : s’il était nommé Administrateur Général de la Comédie Française en 2015, il proposerait aux candidats écartés une mise en scène lors des saisons prochaines. C’est chose faite avec Stéphane Braunschweig : le candidat malheureux, nommé depuis à la tête de l’Odéon, propose ici une tragédie moderne d’une actualité aussi intemporelle qu’édifiante, aussi cuisante que magistrale.
Et c’est avec Racine, donc, que Dominique Blanc, nouvelle pensionnaire du Français, fait ses premiers pas sur la scène de la salle Richelieu. La comédienne est impériale : d’une justesse magistrale, toujours retenue, conservant en tout temps son calme olympien, Agrippine orchestre, provoque, manipule. Frêle, vêtue d’un simple costume noir, elle est cette femme prête à tout pour rester à la tête de Rome en manipulant son fils Néron s’il le faut. Laurent Stocker est Néron : plus faible au début, à la fois veule et d’un cynisme implacable, le comédien lui offre une palette de sentiments largement nuancée qui va de l’aveuglement amoureux, de l’apparente soumission filiale à la froideur implacable et assassine d’un tyran. Stéphane Varupenne (Britannicus) ajoute une dimension humaine à son rôle de victime d’une lutte perdue d’avance tandis que Georgia Scalliet (Junie) est lumineuse, amoureuse, pleine d’espérance et finalement résiliée. On n’oubliera pas de citer l’excellent Hervé Pierre (Burrhus, mélange d’âme damnée et de conseiller soumis) ou Benjamin Lavernhe (fallacieux et haïssable Narcisse), et Clotilde de Bayser (Albine, confidente fidèle d’Agrippine).
Tranchant radicalement avec les ors et parures de la salle Richelieu, le décor, conçu par Braunschweig, est d’une austérité à la fois spartiate et impérieuse : les rideaux translucides se superposent et laissent apparaître, en strates successives, imposantes portes blanches, salle de conférence impersonnelle uniquement meublée d’une immense table et de chaises austères. C’est ici que se déroulera la tragédie, dans cet antre du pouvoir où se jouent et se déjouent ambitions et rivalités politiques.
A la fois glaciale et minutieusement géométrique, la mise en scène de Stéphane Braunschweig sert le texte racinien sur un plateau aussi neutre que redoutablement efficace. Le jeu distancié des comédiens dissimule sous une fausse neutralité une passion aussi sourde que prégnante chez chacun des personnages. Et c’est cette distance qui, en réalité, nous rapproche de Racine et de son texte en le débarrassant de toute emphase, de toute émotion primale qui viendrait le parasiter.
Un travail d’orfèvre sobre et minutieux et, au final, d’une rare dextérité.
Et c’est avec Racine, donc, que Dominique Blanc, nouvelle pensionnaire du Français, fait ses premiers pas sur la scène de la salle Richelieu. La comédienne est impériale : d’une justesse magistrale, toujours retenue, conservant en tout temps son calme olympien, Agrippine orchestre, provoque, manipule. Frêle, vêtue d’un simple costume noir, elle est cette femme prête à tout pour rester à la tête de Rome en manipulant son fils Néron s’il le faut. Laurent Stocker est Néron : plus faible au début, à la fois veule et d’un cynisme implacable, le comédien lui offre une palette de sentiments largement nuancée qui va de l’aveuglement amoureux, de l’apparente soumission filiale à la froideur implacable et assassine d’un tyran. Stéphane Varupenne (Britannicus) ajoute une dimension humaine à son rôle de victime d’une lutte perdue d’avance tandis que Georgia Scalliet (Junie) est lumineuse, amoureuse, pleine d’espérance et finalement résiliée. On n’oubliera pas de citer l’excellent Hervé Pierre (Burrhus, mélange d’âme damnée et de conseiller soumis) ou Benjamin Lavernhe (fallacieux et haïssable Narcisse), et Clotilde de Bayser (Albine, confidente fidèle d’Agrippine).
Tranchant radicalement avec les ors et parures de la salle Richelieu, le décor, conçu par Braunschweig, est d’une austérité à la fois spartiate et impérieuse : les rideaux translucides se superposent et laissent apparaître, en strates successives, imposantes portes blanches, salle de conférence impersonnelle uniquement meublée d’une immense table et de chaises austères. C’est ici que se déroulera la tragédie, dans cet antre du pouvoir où se jouent et se déjouent ambitions et rivalités politiques.
A la fois glaciale et minutieusement géométrique, la mise en scène de Stéphane Braunschweig sert le texte racinien sur un plateau aussi neutre que redoutablement efficace. Le jeu distancié des comédiens dissimule sous une fausse neutralité une passion aussi sourde que prégnante chez chacun des personnages. Et c’est cette distance qui, en réalité, nous rapproche de Racine et de son texte en le débarrassant de toute emphase, de toute émotion primale qui viendrait le parasiter.
Un travail d’orfèvre sobre et minutieux et, au final, d’une rare dextérité.
8,5/10
Le mariage du Français, d’Edward Bond et de Alain Françon faisait frissonner d’envie les amateurs de l’institution et des deux hommes depuis l’annonce de la création de La mer, l’an dernier. La distribution serait forcément alléchante, le texte puissant et la mise en scène impeccablement soignée. Un pari réussi, qui, (même si quelques réserves sont à noter), fait entrer le dramaturge anglais au répertoire du Français avec brio.
L’histoire tout d’abord : dans une petite ville du sud de l’Angleterre, en 1907, Mrs Raffi règne en parfait petit despote sur le microcosme local. Que ce soient les dames de la bourgeoisie locale dont elle est la maîtresse incontestée ou les commerçants réduits à son bon vouloir pour survivre. Lors d’une tempête nocturne, le jeune Collins, qu’elle destinait à sa nièce Rose, meurt noyé sous les yeux de son camarade Willy Carson. C’est le début d’une histoire faite de touts et de riens quelque part, mais qui dévoile au détour de répliques souvent hilarantes ou savoureuses tout le sel de la plume bondienne. On s’y délecte de voir ce microcosme local empêtré, engoncé dans des conventions sociales étriquées. Bond se régale à railler cette bourgeoisie de province fin de race dont les privilèges seront disloqués après la première guerre mondiale. Petite bourgeoisie où règnent dominants (Mrs Raffi) sur des dominés soumis et asservis (Hatch, le marchand de tissu soumis aux caprices de sa meilleure cliente ou Mrs Jessica Tilehouse, dame de compagnie hilarante). Etriquée dans son fonctionnement en vase-clos, réduite à l’ennui viscéral des bourgades perdues, face à la tempête subite et la disparition d’un des leurs, la micro-société se transforme en jeu de quilles lapidaire où tout va subitement exploser.
Les acteurs du Français magnifient superbement le texte du dramaturge : Cecile Brune est une glaciale et cinglante Mrs. Rafi, toujours sur le fil de son personnage, elle assène compliments et humiliations lapidaires sans jamais se départir de sa supériorité de douairière locale. Hervé Pierre nous régale (et se régale visiblement) de son jeu aux plurielles facettes : marchand soumis et affable devant sa cliente qu’il méprise, il perd peu à peu pied en se persuadant que les extra-terrestres (rien de moins) sont en train d’envahir la planète. Il est tour à tour servile et finira par craquer dans une scène d’hystérie couturière des plus délicieuses. Elsa Lepoivre nous fera mourir de rire au moment des obsèques dans une scène d’anthologie (et à la scénographie somptueuse, au demeurant). Tous les autres ne sont pas en reste, à commencer par le méconnaissable Laurent Stocker en ermite ivre mort, Jeremy Lopez toujours touchant en jeune observateur étonné, Adeline d’Hermy en jeune fiancée, ou Coraly Zahonero au jeu canin des plus réjouissants, Pierre-Louis Calixte, Stéphane Varupenne, Eric Genovese, ou Serge Bagdassarian, tous précieux dans leurs second rôles.
Et quelle meilleure salle pour accueillir La mer d’Edward Bond que la salle Richelieu ? Ses dimensions se prêtent à merveille aux superbes décors et à la scénographie raffinée de Jacques Gabel : à la fois dépouillés et très élégants, ils nous transportent du bord de mer à l’intérieur de Mrs Rafi ou la boutique de Hatch. L’élégance est omniprésente, très recherchée et calculée. Tout est millimétré (décors, costumes) pour que chaque tableau soit uniforme, précis, homogène ; chaque acte est donc volontairement servi dans un écrin raffiné qui, par son dépouillement volontaire, met en valeur le texte sans le parasiter.
Avec une mise en scène tout aussi calculée, précise, qui ne sert que le texte et son message, Alain Françon propose ici un Bond d’une grande virtuosité. Au risque que l’académisme et le classicisme de sa mise en scène ainsi que les changements de décors un tantinet longuets freinent le rythme de la pièce et lui fassent perdre un peu du mordant que son auteur y a mis. Réjouissons nous ceci dit que Bond fasse enfin son entrée au Français et, surtout, régalons nous de ses comédiens hors pair et formidablement généreux.
L’histoire tout d’abord : dans une petite ville du sud de l’Angleterre, en 1907, Mrs Raffi règne en parfait petit despote sur le microcosme local. Que ce soient les dames de la bourgeoisie locale dont elle est la maîtresse incontestée ou les commerçants réduits à son bon vouloir pour survivre. Lors d’une tempête nocturne, le jeune Collins, qu’elle destinait à sa nièce Rose, meurt noyé sous les yeux de son camarade Willy Carson. C’est le début d’une histoire faite de touts et de riens quelque part, mais qui dévoile au détour de répliques souvent hilarantes ou savoureuses tout le sel de la plume bondienne. On s’y délecte de voir ce microcosme local empêtré, engoncé dans des conventions sociales étriquées. Bond se régale à railler cette bourgeoisie de province fin de race dont les privilèges seront disloqués après la première guerre mondiale. Petite bourgeoisie où règnent dominants (Mrs Raffi) sur des dominés soumis et asservis (Hatch, le marchand de tissu soumis aux caprices de sa meilleure cliente ou Mrs Jessica Tilehouse, dame de compagnie hilarante). Etriquée dans son fonctionnement en vase-clos, réduite à l’ennui viscéral des bourgades perdues, face à la tempête subite et la disparition d’un des leurs, la micro-société se transforme en jeu de quilles lapidaire où tout va subitement exploser.
Les acteurs du Français magnifient superbement le texte du dramaturge : Cecile Brune est une glaciale et cinglante Mrs. Rafi, toujours sur le fil de son personnage, elle assène compliments et humiliations lapidaires sans jamais se départir de sa supériorité de douairière locale. Hervé Pierre nous régale (et se régale visiblement) de son jeu aux plurielles facettes : marchand soumis et affable devant sa cliente qu’il méprise, il perd peu à peu pied en se persuadant que les extra-terrestres (rien de moins) sont en train d’envahir la planète. Il est tour à tour servile et finira par craquer dans une scène d’hystérie couturière des plus délicieuses. Elsa Lepoivre nous fera mourir de rire au moment des obsèques dans une scène d’anthologie (et à la scénographie somptueuse, au demeurant). Tous les autres ne sont pas en reste, à commencer par le méconnaissable Laurent Stocker en ermite ivre mort, Jeremy Lopez toujours touchant en jeune observateur étonné, Adeline d’Hermy en jeune fiancée, ou Coraly Zahonero au jeu canin des plus réjouissants, Pierre-Louis Calixte, Stéphane Varupenne, Eric Genovese, ou Serge Bagdassarian, tous précieux dans leurs second rôles.
Et quelle meilleure salle pour accueillir La mer d’Edward Bond que la salle Richelieu ? Ses dimensions se prêtent à merveille aux superbes décors et à la scénographie raffinée de Jacques Gabel : à la fois dépouillés et très élégants, ils nous transportent du bord de mer à l’intérieur de Mrs Rafi ou la boutique de Hatch. L’élégance est omniprésente, très recherchée et calculée. Tout est millimétré (décors, costumes) pour que chaque tableau soit uniforme, précis, homogène ; chaque acte est donc volontairement servi dans un écrin raffiné qui, par son dépouillement volontaire, met en valeur le texte sans le parasiter.
Avec une mise en scène tout aussi calculée, précise, qui ne sert que le texte et son message, Alain Françon propose ici un Bond d’une grande virtuosité. Au risque que l’académisme et le classicisme de sa mise en scène ainsi que les changements de décors un tantinet longuets freinent le rythme de la pièce et lui fassent perdre un peu du mordant que son auteur y a mis. Réjouissons nous ceci dit que Bond fasse enfin son entrée au Français et, surtout, régalons nous de ses comédiens hors pair et formidablement généreux.
7,5/10
Les scientifiques ont-ils une part de responsabilité morale dans la création d’une bombe nucléaire ou autre engin mortel ? Peuvent-ils s’exonérer de toute culpabilité en plaçant la science au dessus de tout ?
C’est une des questions soulevées par Jacques Treiner, physicien, et son fils Olivier Treiner, cinéaste, dans Fission, que présente le petit théâtre de la Reine Blanche jusqu’au 22 juin. Les deux auteurs situent Fission à la fin de la deuxième guerre mondiale : à la demande de leur gouvernement, une équipe de scientifiques allemands travaillait sur la mise au point d’une bombe atomique (Otto Hahn a découvert le phénomène de la fission nucléaire en 1938) mais ils furent capturés par les alliés avant de voir leurs travaux aboutir.
Retenus près de Cambridge, en Angleterre, leurs conversations étaient enregistrées nuit et jour par les forces alliées. L’intrigue se situe le 6 août 1945, après l’explosion de la première bombe. L’annonce a un effet dévastateur sur ces chercheurs, divisés entre dépit d’avoir été doublés par les américains et effarement face aux nombre de victimes qu’ils devinent sans difficulté.
Dans une mise en scène (Vincent Debost) aussi austère que parfaitement géométrique et une atmosphère sombre, les comédiens incarnent avec un réalisme abrupt ces chimistes et physiciens accablés par la défaite autant militaire que scientifique. La mise en scène jongle adroitement avec quelques retours dans le passé et permet au spectateur de comprendre le déroulement de leurs recherches et l’acharnement, la passion scientifique qui les poussait à chercher encore et les rendait sourds aux conséquences possibles de leurs travaux. Si l’accent légèrement méridional de Christian François (Otto Hahn) détonne dans cet univers germanique, l’ensemble de la distribution est homogène et tous proposent un jeu précis et net qui laisse la part belle au sens du texte qui nous est proposé.
Découvrir n’est pas créer, dit l’un d’eux. Et tenaient-ils tellement à réussir ? Entre réalité et fiction, Fission ouvre la porte à une réflexion morale que chaque spectateur pourra approfondir à son gré.
A savoir : Otto Hahn a reçu le prix Nobel de Chimie en 1944, prix qu’il ne put aller chercher qu’en 1946. Après la guerre, il milite activement contre les armes nucléaires et l’utilisation de la science à des fins inhumaines.
C’est une des questions soulevées par Jacques Treiner, physicien, et son fils Olivier Treiner, cinéaste, dans Fission, que présente le petit théâtre de la Reine Blanche jusqu’au 22 juin. Les deux auteurs situent Fission à la fin de la deuxième guerre mondiale : à la demande de leur gouvernement, une équipe de scientifiques allemands travaillait sur la mise au point d’une bombe atomique (Otto Hahn a découvert le phénomène de la fission nucléaire en 1938) mais ils furent capturés par les alliés avant de voir leurs travaux aboutir.
Retenus près de Cambridge, en Angleterre, leurs conversations étaient enregistrées nuit et jour par les forces alliées. L’intrigue se situe le 6 août 1945, après l’explosion de la première bombe. L’annonce a un effet dévastateur sur ces chercheurs, divisés entre dépit d’avoir été doublés par les américains et effarement face aux nombre de victimes qu’ils devinent sans difficulté.
Dans une mise en scène (Vincent Debost) aussi austère que parfaitement géométrique et une atmosphère sombre, les comédiens incarnent avec un réalisme abrupt ces chimistes et physiciens accablés par la défaite autant militaire que scientifique. La mise en scène jongle adroitement avec quelques retours dans le passé et permet au spectateur de comprendre le déroulement de leurs recherches et l’acharnement, la passion scientifique qui les poussait à chercher encore et les rendait sourds aux conséquences possibles de leurs travaux. Si l’accent légèrement méridional de Christian François (Otto Hahn) détonne dans cet univers germanique, l’ensemble de la distribution est homogène et tous proposent un jeu précis et net qui laisse la part belle au sens du texte qui nous est proposé.
Découvrir n’est pas créer, dit l’un d’eux. Et tenaient-ils tellement à réussir ? Entre réalité et fiction, Fission ouvre la porte à une réflexion morale que chaque spectateur pourra approfondir à son gré.
A savoir : Otto Hahn a reçu le prix Nobel de Chimie en 1944, prix qu’il ne put aller chercher qu’en 1946. Après la guerre, il milite activement contre les armes nucléaires et l’utilisation de la science à des fins inhumaines.
9/10
Il faut imaginer Sisyphe heureux, disait Camus. Sisyphe condamné à faire rouler une roche, inlassablement, remontant toujours et encore la pente d’une colline. Fragan Gehlker, lui, remonte inlassablement une corde lisse. S
Suspendues au faîte du Monfort (18 mètres au bas mot), cinq cordes attendent que le circassien les agrippe et s’y hisse. Quelques matelas et mousses de fortunes sont entassés sous l’une d’elles, des tréteaux fatigués, un vieux magnétophone à bande. Le tout semble en attente de quelque chose et en même temps parait totalement immuable et là depuis toujours. Frangan Gehlker est déjà là, il s’échauffe, s’étire, tandis qu’Alexis Auffray son complice distribue des pop-corn au public qui prend place dans le dispositif quadri-frontal du théâtre ; il accompagnera le circassien au violon, fera tomber les cordes, déclenchera des bandes sons, inlassablement fera chuter son complice et inlassablement le remettra à l’ouvrage en utilisant pleinement la structure du théâtre : Fragan Gehlker grimpe, s’accroche aux poutres, aux cintres, s’appuie sur la passerelle, se raccroche aux câbles électriques. Remonte vers un sommet toujours plus inatteignable.
C’est une sorte de spectacle en suspension dans le temps, où le public ne peut que retenir son souffle quand les cordes cassent, se détachent, et que l’homme, tel un funambule vertical remonte infatigablement vers des sommets qu’il semble le seul à percevoir.
Alors que la voix de Camus résonne (« ça ne dure pas un peu longtemps, là ? »), déclenchant chez les spectateurs des rires discrets de compassion à moins que ce ne soit de la bienveillance, l’homme observe la foule sans jamais dire un mot. On ne sait s’il cherche l’approbation du public, s’il le défie, ou si simplement il affirme son mépris du danger et son irrépressible besoin de s’élever vers le ciel. Encore, encore, et encore.
Le vide, essai de cirque, dégage une sorte de sérénité altière dans sa proposition scénique. Comme si le coté dérisoire de ces tentatives se faisait le miroir de nos existences. Comme si à nos certitudes Fragan Gehlker rétorquait par l’absurdité de son entreprise, et qu’on ne saurait plus laquelle, de la sienne ou des nôtres, est la plus sensée.
Le public sort peu à peu tandis que le circassien, opiniâtre, s’empare d’une corde et continue. Il faut imaginer Sisyphe heureux, affiche Alexis Auffray, en tournant autour de Ghelker sur des rollers. Fragan Ghelker l’affirme silencieusement.
Suspendues au faîte du Monfort (18 mètres au bas mot), cinq cordes attendent que le circassien les agrippe et s’y hisse. Quelques matelas et mousses de fortunes sont entassés sous l’une d’elles, des tréteaux fatigués, un vieux magnétophone à bande. Le tout semble en attente de quelque chose et en même temps parait totalement immuable et là depuis toujours. Frangan Gehlker est déjà là, il s’échauffe, s’étire, tandis qu’Alexis Auffray son complice distribue des pop-corn au public qui prend place dans le dispositif quadri-frontal du théâtre ; il accompagnera le circassien au violon, fera tomber les cordes, déclenchera des bandes sons, inlassablement fera chuter son complice et inlassablement le remettra à l’ouvrage en utilisant pleinement la structure du théâtre : Fragan Gehlker grimpe, s’accroche aux poutres, aux cintres, s’appuie sur la passerelle, se raccroche aux câbles électriques. Remonte vers un sommet toujours plus inatteignable.
C’est une sorte de spectacle en suspension dans le temps, où le public ne peut que retenir son souffle quand les cordes cassent, se détachent, et que l’homme, tel un funambule vertical remonte infatigablement vers des sommets qu’il semble le seul à percevoir.
Alors que la voix de Camus résonne (« ça ne dure pas un peu longtemps, là ? »), déclenchant chez les spectateurs des rires discrets de compassion à moins que ce ne soit de la bienveillance, l’homme observe la foule sans jamais dire un mot. On ne sait s’il cherche l’approbation du public, s’il le défie, ou si simplement il affirme son mépris du danger et son irrépressible besoin de s’élever vers le ciel. Encore, encore, et encore.
Le vide, essai de cirque, dégage une sorte de sérénité altière dans sa proposition scénique. Comme si le coté dérisoire de ces tentatives se faisait le miroir de nos existences. Comme si à nos certitudes Fragan Gehlker rétorquait par l’absurdité de son entreprise, et qu’on ne saurait plus laquelle, de la sienne ou des nôtres, est la plus sensée.
Le public sort peu à peu tandis que le circassien, opiniâtre, s’empare d’une corde et continue. Il faut imaginer Sisyphe heureux, affiche Alexis Auffray, en tournant autour de Ghelker sur des rollers. Fragan Ghelker l’affirme silencieusement.