Ses critiques
14 critiques
8,5/10
L’opérette est certainement passée de mode. La troupe « Les chasseurs s’entêtent » a bien décidé à nous faire découvrir, ou redécouvrir, ce style considéré désuet et ringard. La Veuve Choufleuri (dans cette adaptation, la veuve remplace le mari de la version originale de 1861, appelé Monsieur Choufleuri restera chez lui le…) est présentée comme une des œuvres les plus comiques d’Offenbach. L’intrigue est simple : une fille impose son amant à sa mère en la faisant participer à une imposture. C’est du Molière. Avec un narrateur en loufoque tête de cerf, un inévitable domestique sautillant et un cabotinage permanent, on est dans le vaudeville.
Les rires du public, et l’on rit beaucoup, sont francs et clairs. La chanson Pedro possède une guitare bien bizarre est une perle de drôlerie.
Il y a aussi de l’esprit dans cette pièce.
Le rire contient ce que nous ne voulons savoir et tient la construction imaginaire. Le rire tient l’édifice imaginaire et symbolique, et c’est la performance éclatante de la troupe qui doit en être créditée. L’implication de chaque acteur est remarquable. Un bravo supplémentaire à Romane Coumes (qui rappelle un peu l’énergique Nadia Roz) qui mérite à elle seule les 70 minutes si vite passées. Madame Choufleuri cabotine : Protéger les arts alors qu’on n’en a rien à faire, c’est sublime ! Quant à nous, découvrir du sublime par de l’opérette est épatant. A NE PAS RATER DONC.
Les rires du public, et l’on rit beaucoup, sont francs et clairs. La chanson Pedro possède une guitare bien bizarre est une perle de drôlerie.
Il y a aussi de l’esprit dans cette pièce.
Le rire contient ce que nous ne voulons savoir et tient la construction imaginaire. Le rire tient l’édifice imaginaire et symbolique, et c’est la performance éclatante de la troupe qui doit en être créditée. L’implication de chaque acteur est remarquable. Un bravo supplémentaire à Romane Coumes (qui rappelle un peu l’énergique Nadia Roz) qui mérite à elle seule les 70 minutes si vite passées. Madame Choufleuri cabotine : Protéger les arts alors qu’on n’en a rien à faire, c’est sublime ! Quant à nous, découvrir du sublime par de l’opérette est épatant. A NE PAS RATER DONC.
9,5/10
Cette pièce est magnifique pour spectateur exigeant ! Elle est une exception à la Comédie Française, presque une anomalie. En tout cas, une audace. Preuve que le français a des ressources de courage et d’innovation.
Les codes habituels sont secoués, l’attention du spectateur est exigée. Il y a tout dans la pièce de Dea Loher : du romanesque, du politique, plutôt incorrect, de la culpabilité, du doute. Surtout de la culpabilité dans ce qu’elle nous jette dans une solitude rugueuse dissimulée derrières nos paroles et nos conversations. Il y a tout dans cette pièce réuni de façon désordonnée. L’engagement des interprètes est indispensable à faire tenir ce texte hétérogène. Chaque comédien pousse très loin son art pour soutenir ce salmigondis. Entre autres, Danielle Lebrun est magnifique, Céline Brune est brillante, Georgia Scalliet est envoutante de justesse.
Ça tient et c’est beau, et juste.
Dea Loher mixe aussi le réel et l’hallucinatoire, les vivants et les fantômes. Cet entremêlement nous donne à voir la vie, celle de nos contemporains, dans une Europe, individualiste, égoïste, consommatrice d’idées et de produits, une Europe qui tente de se cacher qu’elle est coupable à charge de rendre des comptes.
La force de la pièce réside dans cette restitution de nos actuels où l’enchainement des rencontres n’est que l’enchainement de non rencontres. Ce n’est jamais ça. Le décor aussi est un non décor. La mise en scène semble disparaitre derrière les acteurs. On croirait plus à une mise en place qu’une mise en scène cependant qu’efficace, elle rajoute à notre angoisse, notre peur de la solitude. Les dialogues sont autant de ratés, de faux semblants. Chaque personnage est habité par sa petite musique intime et glisse sur l’autre sans l’atteindre. Une femme qui a perdu il y a longtemps son seul enfant lors d’une fausse couche s’empare désormais d’autres fils, des meurtriers. Elle repère des meurtres et s’en va présenter ses excuses de mère autoproclamée aux parents de la victime. Et elle l’aime radicalement ce fils adopté, ce meurtrier en prison, car elle se sent si proche; elle se sent coupable d’avoir tué son propre enfant.
Cette pièce magnifique pleure notre culpabilité, la manifeste et l’imaginée. Le monde est non fiable, mais le destin est innocent. Et si le hasard est innocent, sommes nous encore coupables?
Les codes habituels sont secoués, l’attention du spectateur est exigée. Il y a tout dans la pièce de Dea Loher : du romanesque, du politique, plutôt incorrect, de la culpabilité, du doute. Surtout de la culpabilité dans ce qu’elle nous jette dans une solitude rugueuse dissimulée derrières nos paroles et nos conversations. Il y a tout dans cette pièce réuni de façon désordonnée. L’engagement des interprètes est indispensable à faire tenir ce texte hétérogène. Chaque comédien pousse très loin son art pour soutenir ce salmigondis. Entre autres, Danielle Lebrun est magnifique, Céline Brune est brillante, Georgia Scalliet est envoutante de justesse.
Ça tient et c’est beau, et juste.
Dea Loher mixe aussi le réel et l’hallucinatoire, les vivants et les fantômes. Cet entremêlement nous donne à voir la vie, celle de nos contemporains, dans une Europe, individualiste, égoïste, consommatrice d’idées et de produits, une Europe qui tente de se cacher qu’elle est coupable à charge de rendre des comptes.
La force de la pièce réside dans cette restitution de nos actuels où l’enchainement des rencontres n’est que l’enchainement de non rencontres. Ce n’est jamais ça. Le décor aussi est un non décor. La mise en scène semble disparaitre derrière les acteurs. On croirait plus à une mise en place qu’une mise en scène cependant qu’efficace, elle rajoute à notre angoisse, notre peur de la solitude. Les dialogues sont autant de ratés, de faux semblants. Chaque personnage est habité par sa petite musique intime et glisse sur l’autre sans l’atteindre. Une femme qui a perdu il y a longtemps son seul enfant lors d’une fausse couche s’empare désormais d’autres fils, des meurtriers. Elle repère des meurtres et s’en va présenter ses excuses de mère autoproclamée aux parents de la victime. Et elle l’aime radicalement ce fils adopté, ce meurtrier en prison, car elle se sent si proche; elle se sent coupable d’avoir tué son propre enfant.
Cette pièce magnifique pleure notre culpabilité, la manifeste et l’imaginée. Le monde est non fiable, mais le destin est innocent. Et si le hasard est innocent, sommes nous encore coupables?
9/10
La pièce est magnifique et la performance de la troupe garantit un grand moment de théâtre. Il y a quantité de bonnes raisons de voir cette pièce, comme la mise en scène à mi-chemin entre l’Espagne et le Français, le talent immense des comédiennes, le décor féerique, ou plusieurs scènes déjà d’anthologie.
La force de la pièce dans son montage est de nous donner à sentir la tension, la pression qui s’exerce de façon continue sur ces femmes laissées sans hommes et pourtant aliénées à leur loi. Le décor en moucharabieh et une scène de lapidation signent ce qui dans la description des années 30 en Espagne parle de l’actuel d’autres femmes. Nous vivons de l’intérieur cette raideur imposée aux femmes, au nom de la réputation, au nom des pères et des grands pères, de la religion, au nom du père mort. Il nous est donné à voir pourquoi, si brutale et cruelle, et même après sa mort, la loi du père s’applique entre acceptation et résignation, entre instrumentalisation et déchéance, comme un élément de pouvoir pour la mère, comme un bouclier moral pour ses filles, comme une digue aux passions, une digue qui cédera à la fin de la pièce.
La puissance de la pièce, son insight, est de répondre à la question du pourquoi de la soumission. Aujourd’hui il nous est étrange de croiser ces jeunes filles, citoyennes d’un pays libre, se voiler, soumises par leur propre volonté. Chaque personnage, à sa façon, nous montre où se joue la soumission, sans toutefois qu’on y comprenne le mouvement. Le personnage de Magdalena déplie la réponse la plus contributive. Au sein d’une tribu imprégnée de la loi anti femmes, Magdalena décide de son destin dés la mort du père : elle ne se mariera jamais, clame-t-elle; elle n’échappera jamais à sa mauvaise fortune de soumise. Soumise au collectif, sa décision revendiquée devant tous, l’attache à une intentionnalité individuelle. Par ce truchement sa vie s’ouvre sur une autre chose dans la petitesse mais dans une certaine bonne humeur, dans une authentique joie de vivre. Le tour de force de Coraly Zahonero est d’interpréter cela, cette difficulté à comprendre en ambiguïté et en grâce, le double ligotage de soumise et de souveraine, d’un coté le renoncement, de l’autre le gout pour la vie, pour sa propre vie. Dans une scène importante et au milieu du drame qui s’avance, elle se lève grognon et s’éloigne en lançant : on peut jamais dormir dans cette maison ! Pas facile de dormir effectivement dans cette maison, et Magdalena le crie : elle veut dormir. Tout en finesse, Coraly Zahonero dépeint par son jeu une Magdalena, perso, égoïste, non-dupe, au ton et à la pensée libre et pourtant captive. Magdalena parvient à vivre sa vie en tant que Magdalena, tandis qu’autour d’elle chaque sœur rêve de vivre la vie d’une autre de la fratrie, tandis que la grand-mère sénile cherche un homme qui l’épousera et qui l’a rendra heureuse. La jalousie circule; la mère veille à ce qu’elle ne déborde pas. Magdalena ne jalouse personne, elle ne négocie pas avec la réalité, elle la regarde droit dans les yeux et s’en accommode. Seul l’immense talent de Coraly Zahonero répond de cette proposition : la confrontation directe et lucide avec la vérité.
La force de la pièce dans son montage est de nous donner à sentir la tension, la pression qui s’exerce de façon continue sur ces femmes laissées sans hommes et pourtant aliénées à leur loi. Le décor en moucharabieh et une scène de lapidation signent ce qui dans la description des années 30 en Espagne parle de l’actuel d’autres femmes. Nous vivons de l’intérieur cette raideur imposée aux femmes, au nom de la réputation, au nom des pères et des grands pères, de la religion, au nom du père mort. Il nous est donné à voir pourquoi, si brutale et cruelle, et même après sa mort, la loi du père s’applique entre acceptation et résignation, entre instrumentalisation et déchéance, comme un élément de pouvoir pour la mère, comme un bouclier moral pour ses filles, comme une digue aux passions, une digue qui cédera à la fin de la pièce.
La puissance de la pièce, son insight, est de répondre à la question du pourquoi de la soumission. Aujourd’hui il nous est étrange de croiser ces jeunes filles, citoyennes d’un pays libre, se voiler, soumises par leur propre volonté. Chaque personnage, à sa façon, nous montre où se joue la soumission, sans toutefois qu’on y comprenne le mouvement. Le personnage de Magdalena déplie la réponse la plus contributive. Au sein d’une tribu imprégnée de la loi anti femmes, Magdalena décide de son destin dés la mort du père : elle ne se mariera jamais, clame-t-elle; elle n’échappera jamais à sa mauvaise fortune de soumise. Soumise au collectif, sa décision revendiquée devant tous, l’attache à une intentionnalité individuelle. Par ce truchement sa vie s’ouvre sur une autre chose dans la petitesse mais dans une certaine bonne humeur, dans une authentique joie de vivre. Le tour de force de Coraly Zahonero est d’interpréter cela, cette difficulté à comprendre en ambiguïté et en grâce, le double ligotage de soumise et de souveraine, d’un coté le renoncement, de l’autre le gout pour la vie, pour sa propre vie. Dans une scène importante et au milieu du drame qui s’avance, elle se lève grognon et s’éloigne en lançant : on peut jamais dormir dans cette maison ! Pas facile de dormir effectivement dans cette maison, et Magdalena le crie : elle veut dormir. Tout en finesse, Coraly Zahonero dépeint par son jeu une Magdalena, perso, égoïste, non-dupe, au ton et à la pensée libre et pourtant captive. Magdalena parvient à vivre sa vie en tant que Magdalena, tandis qu’autour d’elle chaque sœur rêve de vivre la vie d’une autre de la fratrie, tandis que la grand-mère sénile cherche un homme qui l’épousera et qui l’a rendra heureuse. La jalousie circule; la mère veille à ce qu’elle ne déborde pas. Magdalena ne jalouse personne, elle ne négocie pas avec la réalité, elle la regarde droit dans les yeux et s’en accommode. Seul l’immense talent de Coraly Zahonero répond de cette proposition : la confrontation directe et lucide avec la vérité.
9/10
David Bursztein, continue son chemin créatif avec une ballade chantée sur le monde perdu du yiddish land. Dans WELT, spectacle emporté par son équipe de Life is not picnic, il convoque un dibbouk ou plutôt trois.
Le choix rhétorique de Welt est que le dibbouk, l’âme du mort, ne vient pas nous visiter, pour interpeller nos manquements et pour présenter ses créances à la vie. Le dibbouk du défunt, chez Bursztein ne vient que lorsqu’il est invité par un des descendants qui cherche à se souvenir. Le premier dibbouk est le narrateur, en second est le dibbouk des personnages disparus que le narrateur a connus et au lointain le troisième dibbouk est celui de tous les autres, de tout le schtetl et des autres schtetls, et au-delà du monde entier. Ce monde, ce Welt, n’aura pas posé son point final, n’aura posé qu’une virgule au récit d’une histoire que le dibbouk narrateur tient à notre disposition.
Le génie du récit est là, dans l’invention du dibbouk narrateur qui nous soulage de la dette symbolique aux parents, aux grands parents. Welt déborde le seul yiddish land et parle d’un universel. Dégrevés de la dette à raconter l’histoire perdue, nous profitons de notre place de spectateur, la place traditionnellement de l’enfant face à l’adulte conteur, dans un au-delà du schtetl. Durant une heure quarante d’une performance d’artistes surprenants, de violons, de contrebasse et d’instruments du klezmer mal connus, axée autour d’un David Bursztein, cinquantenaire séduisant et charismatique, on rit sans limites, on rythme les chansons des mains dans une joie enfantine.
Le choix rhétorique de Welt est que le dibbouk, l’âme du mort, ne vient pas nous visiter, pour interpeller nos manquements et pour présenter ses créances à la vie. Le dibbouk du défunt, chez Bursztein ne vient que lorsqu’il est invité par un des descendants qui cherche à se souvenir. Le premier dibbouk est le narrateur, en second est le dibbouk des personnages disparus que le narrateur a connus et au lointain le troisième dibbouk est celui de tous les autres, de tout le schtetl et des autres schtetls, et au-delà du monde entier. Ce monde, ce Welt, n’aura pas posé son point final, n’aura posé qu’une virgule au récit d’une histoire que le dibbouk narrateur tient à notre disposition.
Le génie du récit est là, dans l’invention du dibbouk narrateur qui nous soulage de la dette symbolique aux parents, aux grands parents. Welt déborde le seul yiddish land et parle d’un universel. Dégrevés de la dette à raconter l’histoire perdue, nous profitons de notre place de spectateur, la place traditionnellement de l’enfant face à l’adulte conteur, dans un au-delà du schtetl. Durant une heure quarante d’une performance d’artistes surprenants, de violons, de contrebasse et d’instruments du klezmer mal connus, axée autour d’un David Bursztein, cinquantenaire séduisant et charismatique, on rit sans limites, on rythme les chansons des mains dans une joie enfantine.