Ses critiques
14 critiques
7/10
Alors que Platonov est un infatigable velléitaire, Ivanov est un homme malade, usé, fatigué par la dépression. Fonctionnaire et propriétaire dans une lointaine région de la profonde Russie, il fut un jeune homme animé d’un idéal. Mais à 30 ans, il se sent las, plus bon à rien. Autour de lui s’agite et gesticule la société bourgeoise en décrépitude, une société bête, méchante, hypocrite, antisémite et avide de ragots. Sa femme malade va mourir tandis que sa propriété périclite. Tout est remis en question. Défait, Ivanov semble dans une quête vaine de la faute qui expliquerait son sentiment d’impuissance et de vide. Il ne sait qu’avouer : Je ne me comprends plus moi-même.
Ceux qui l’entourent ne le saisissent pas davantage. Alors qu’il croule sous les dettes, on le suspecte d’affaires louches. Dans une société infestée par l’antisémitisme, on le soupçonne d’avoir épousé une riche héritière juive uniquement pour récupérer son argent. Peu importe qu’elle se soit jetée à son cou. Peu importe qu’il l’ait tant aimée.
L’interprétation est remarquable. Nommons Christiane Cohendy, la banquière haute en couleur, avaricieuse à nous en faire rire, Marcel Bozonnet, son mari brave homme qui saura faire preuve de malice, Yannik Landrein, le médecin donneur de leçons, Laurent Grévill, l’homme d’affaires mi-charmeur mi-truand. Nommons surtout Marina Hands, tragédienne rare, en poignante épouse mise au ban de la petite communauté parce que juive, et Micha Lescot en anti héros que j’attendais toutefois moins aérien et plus ‘russe’. La direction d’acteurs est irréprochable.
Le décor aussi est irréprochable, mais sans originalité, conventionnel. Et nous ne sommes pas plus surpris par les changements de décor convenus, salle allumée et rideau levé. On frise la perfection dans un académisme conquis et un classicisme assumé.
La perfection a cela d’étrange et de tragique que l’on s’emmerde un peu. Cette perfection est certainement à applaudir, d’autant que c’est le fait du nouveau patron, mais sans périls, les propositions défendues sont ennuyeuses.
On s’emmerde un peu aussi, car c’est impeccable, comme pour film ou pour une série TV, où sur le plateau, on peut faire, jusqu’à la perfection, autant de prises qu’il faut. Le théâtre réclame, il me semble, un peu de bug, de savonnage, de raté, de trous, d’imprévus. Au ciné, on capte et on projette le résultat, Au théâtre, on re-présente un résultat qui disparaît aussitôt. Au théâtre, on embauche un souffleur, ici une souffleuse : Nikolitsa Angelakopoulo. C’est pour cela qu’il est un spectacle vivant.
Quant au biais choisi pour le personnage d’Ivanov, Daniel Loayza, version scénique, nous explique qu’il s’articule autour de la névrose d’échec freudienne. Ivanov s’effondre dans la dépression puis se suicide, car son mariage avec la belle Sacha a été tant rêvé, tant investi par le fantasme, que son idéal du moi refuse la confrontation avec la réalité et ce moi là, jaloux de l’autre, l’empêche de vivre. La phrase Je ne me comprends pas moi-même signerait donc les deux ‘moi’ en compétition de celui qui échoue devant le succès.
Peut-être. Sauf qu’Ivanov est déprimé avant la mort de sa première épouse. Sauf qu’Ivanov, et c’est mon point de vue, est Tchekhov. Le choix de faire porter au personnage du docteur une petite barbe à la Tchekhov voudrait nicher, à tort, Tchekhov ailleurs.
Ivanov est Tchekhov. Tchekhov a une santé fragile comme Ivanov. Il est un médecin engagé et passionné, il est idéaliste comme Ivanov avant que la mélancolie ne tombe sur lui. Il se consacre beaucoup à soigner bénévolement les pauvres. En écho, Ivanov s’ennuie de la mascarade des débauches bourgeoises. Tchekhov inconsolable de son impuissance de médecin, enterre ses patients tombés sous la diphtérie ou le typhus. Ivanov enterre sa femme incurable. En 1890, Tchekhov part, dans un voyage expiatoire après avoir négliger la médecine au profit de l’écriture, sur l’ile Sakhaline où il rend compte des conditions de vie des bagnards. On retrouve ainsi la même culpabilité chez Tchekhov et chez Ivanov, la culpabilité du survivant, et celle, qu’on pourrait appelée rapidement de gauche, du citoyen.
Avec ma lecture, plutôt qu’une neurasthénie, on a affaire à une belle névrose de contrainte où le personnage d’Ivanov aurait dû être moins aérien. La pièce serait restée aussi sombre cependant qu’elle devenait optimiste.
Ivanov ne s’effondre plus devant l’impossible et la vacuité, il est rongé de la faute de la maladie de sa femme et parce qu’il a cessé de l’aimer. Ivanov devient un amoureux coupable, un veuf inconsolable, un cœur à ne plus jamais prendre, un jeune marié désenchanté et devant ce vide, il se suicide. Ce que je pousse au fond, est l’idée qu’il y a une même plume entre Platonov, Ivanov et Les Trois Sœurs, la plume qui fait crier à Macha, à la fin des Trois sœurs, qu’il faut vivre, vivre pour pouvoir encore aimer. De mon point de vue cela eut été plus sympa, plus ‘russe’.
Il n’empêche. Peut-être que mon envie d’alléger le calvaire d’Ivanov prouve que cette pièce aura su agiter une opinion confortable, aura su être moins prévisible qu’elle m’apparaît. Pour cela et pour la gloire du bon théâtre français, pour son académisme, pour Micha Lescot et pour Marina Hands, je vous la recommande.
Ceux qui l’entourent ne le saisissent pas davantage. Alors qu’il croule sous les dettes, on le suspecte d’affaires louches. Dans une société infestée par l’antisémitisme, on le soupçonne d’avoir épousé une riche héritière juive uniquement pour récupérer son argent. Peu importe qu’elle se soit jetée à son cou. Peu importe qu’il l’ait tant aimée.
L’interprétation est remarquable. Nommons Christiane Cohendy, la banquière haute en couleur, avaricieuse à nous en faire rire, Marcel Bozonnet, son mari brave homme qui saura faire preuve de malice, Yannik Landrein, le médecin donneur de leçons, Laurent Grévill, l’homme d’affaires mi-charmeur mi-truand. Nommons surtout Marina Hands, tragédienne rare, en poignante épouse mise au ban de la petite communauté parce que juive, et Micha Lescot en anti héros que j’attendais toutefois moins aérien et plus ‘russe’. La direction d’acteurs est irréprochable.
Le décor aussi est irréprochable, mais sans originalité, conventionnel. Et nous ne sommes pas plus surpris par les changements de décor convenus, salle allumée et rideau levé. On frise la perfection dans un académisme conquis et un classicisme assumé.
La perfection a cela d’étrange et de tragique que l’on s’emmerde un peu. Cette perfection est certainement à applaudir, d’autant que c’est le fait du nouveau patron, mais sans périls, les propositions défendues sont ennuyeuses.
On s’emmerde un peu aussi, car c’est impeccable, comme pour film ou pour une série TV, où sur le plateau, on peut faire, jusqu’à la perfection, autant de prises qu’il faut. Le théâtre réclame, il me semble, un peu de bug, de savonnage, de raté, de trous, d’imprévus. Au ciné, on capte et on projette le résultat, Au théâtre, on re-présente un résultat qui disparaît aussitôt. Au théâtre, on embauche un souffleur, ici une souffleuse : Nikolitsa Angelakopoulo. C’est pour cela qu’il est un spectacle vivant.
Quant au biais choisi pour le personnage d’Ivanov, Daniel Loayza, version scénique, nous explique qu’il s’articule autour de la névrose d’échec freudienne. Ivanov s’effondre dans la dépression puis se suicide, car son mariage avec la belle Sacha a été tant rêvé, tant investi par le fantasme, que son idéal du moi refuse la confrontation avec la réalité et ce moi là, jaloux de l’autre, l’empêche de vivre. La phrase Je ne me comprends pas moi-même signerait donc les deux ‘moi’ en compétition de celui qui échoue devant le succès.
Peut-être. Sauf qu’Ivanov est déprimé avant la mort de sa première épouse. Sauf qu’Ivanov, et c’est mon point de vue, est Tchekhov. Le choix de faire porter au personnage du docteur une petite barbe à la Tchekhov voudrait nicher, à tort, Tchekhov ailleurs.
Ivanov est Tchekhov. Tchekhov a une santé fragile comme Ivanov. Il est un médecin engagé et passionné, il est idéaliste comme Ivanov avant que la mélancolie ne tombe sur lui. Il se consacre beaucoup à soigner bénévolement les pauvres. En écho, Ivanov s’ennuie de la mascarade des débauches bourgeoises. Tchekhov inconsolable de son impuissance de médecin, enterre ses patients tombés sous la diphtérie ou le typhus. Ivanov enterre sa femme incurable. En 1890, Tchekhov part, dans un voyage expiatoire après avoir négliger la médecine au profit de l’écriture, sur l’ile Sakhaline où il rend compte des conditions de vie des bagnards. On retrouve ainsi la même culpabilité chez Tchekhov et chez Ivanov, la culpabilité du survivant, et celle, qu’on pourrait appelée rapidement de gauche, du citoyen.
Avec ma lecture, plutôt qu’une neurasthénie, on a affaire à une belle névrose de contrainte où le personnage d’Ivanov aurait dû être moins aérien. La pièce serait restée aussi sombre cependant qu’elle devenait optimiste.
Ivanov ne s’effondre plus devant l’impossible et la vacuité, il est rongé de la faute de la maladie de sa femme et parce qu’il a cessé de l’aimer. Ivanov devient un amoureux coupable, un veuf inconsolable, un cœur à ne plus jamais prendre, un jeune marié désenchanté et devant ce vide, il se suicide. Ce que je pousse au fond, est l’idée qu’il y a une même plume entre Platonov, Ivanov et Les Trois Sœurs, la plume qui fait crier à Macha, à la fin des Trois sœurs, qu’il faut vivre, vivre pour pouvoir encore aimer. De mon point de vue cela eut été plus sympa, plus ‘russe’.
Il n’empêche. Peut-être que mon envie d’alléger le calvaire d’Ivanov prouve que cette pièce aura su agiter une opinion confortable, aura su être moins prévisible qu’elle m’apparaît. Pour cela et pour la gloire du bon théâtre français, pour son académisme, pour Micha Lescot et pour Marina Hands, je vous la recommande.
8,5/10
Eva parle de l’universel de la dette à nos origines, de la question récurrente de la transmission et de l’héritage.
Elle a manifestement décidé de jouer sur un piano magique où chaque clé serait un déjà là à protéger, préserver ou éviter et où certaines clés sont piégées.
Elle a manifestement décidé de jouer sur un piano magique où chaque clé serait un déjà là à protéger, préserver ou éviter et où certaines clés sont piégées.
8,5/10
Les choix artistiques peuvent apparaître déroutants : le narrateur 'Monsieur B' est définitivement l'auteur Stefan Zweig, Francis Huster porte un micro, la mise en scène est plus 'cinéma' (ndlr : que dans la version jouée à l'Espace Marais), la folie de Monsieur B est plus douce que je l'ai imaginé en lisant la nouvelle, le décor ressemble à un plateau de talk show tv.
Si l’expérience du bon théâtre est celle qui consiste à nous faire oublier notre siège et son inconfort, et à coloniser notre esprit plusieurs jours encore après la représentation, cette pièce est géante.
Les choix de Schmitt et Suissa sont risqués mais ça marche. La salle est pleine et on aime tous assister à une pièce lorsque la salle est pleine.
Quant à F. Huster, il faut aller le voir au moins une fois pour se souvenir toute sa vie qu'on a été là, en 2014, dans ce théâtre pour voir cet immense artiste.
Si l’expérience du bon théâtre est celle qui consiste à nous faire oublier notre siège et son inconfort, et à coloniser notre esprit plusieurs jours encore après la représentation, cette pièce est géante.
Les choix de Schmitt et Suissa sont risqués mais ça marche. La salle est pleine et on aime tous assister à une pièce lorsque la salle est pleine.
Quant à F. Huster, il faut aller le voir au moins une fois pour se souvenir toute sa vie qu'on a été là, en 2014, dans ce théâtre pour voir cet immense artiste.
8/10
Le 29 septembre 1941, Zweig écrit à son ex-femme: « J’ai commencé une petite nouvelle sur les échecs, inspirée par un manuel que j’ai acheté pour meubler ma solitude, et je rejoue quotidiennement les parties des grands maîtres ». Il est alors au Brésil avec sa seconde femme, celle-ci avec qui il va se suicider le 22 février 1942. Le joueur d’échecs sera sa dernière nouvelle. Elle ne sera publiée qu’après sa mort.
Comme souvent dans les nouvelles de Zweig, partisan de l’entuilage des récits, un narrateur est mis en scène. Ce narrateur, qui représente manifestement Zweig, assiste lors d’un voyage à la rencontre de deux destins. Au récit de cette rencontre, le narrateur ajoute deux récits essentiels à la compréhension de l’histoire.
Tout d’abord, la vie de Czentovic : orphelin élevé par le curé du village, le jeune garçon est taciturne, apathique et ne parvient pas à apprendre ce qu’on lui enseigne. Lent et mou, il est aussi incroyablement discipliné. Un soir, on lui propose, pour le moquer, d’achever une partie d’échecs. Il accepte et, surprise, bat son adversaire. On décide alors de le présenter à d’autres joueurs. Le prodige finit par battre la plupart d’entre eux. On l’envoie à Vienne étudier les échecs et c’est ainsi qu’à vingt-et-un ans, il est champion du monde. Le narrateur, joué par Philippe Houillez, parvient à nous dévoiler avec application et tendresse un Czentovic fascisant en même temps qu’inquiétant. Il a l’humeur peu ouvert aux autres et au réel, apparemment froid, distant, replié sur lui même, préférant l’analyse, la dialectique ou l’observation à l’action. Il a une sensibilité tenue secrète et cependant très vive. C’est le tableau clinique de la schizothymie.
Ensuite, le narrateur nous conte Monsieur B, l’inconnu. Notaire en Autriche, il dissimula longtemps de fortes sommes aux nazis et finit par se faire attraper. Il est emprisonné, mais d’une manière particulière : il sera logé dans une chambre d’un hôtel de luxe sans aucun contact avec le monde extérieur. Il reste ainsi plusieurs jours, y subit les interrogatoires de la Gestapo. Au fur et à mesure qu’il passe du temps isolé dans sa chambre, ses réponses se font moins prudentes, il perd le contrôle de lui-même, car son esprit « tourne à vide ». Un jour, alors qu’il attend son interrogatoire dans une antichambre, il aperçoit, dans une veste pendue à une patère, un livre. Il s’en empare espérant enfin vaincre par la lecture la solitude et la folie qui le guette. Il découvre déçu que c’est une méthode d’échec. Sans échiquier ni pièces, il parvient toutefois à mentaliser les parties, peu à peu à se familiariser avec les finesses du jeu. Apaisé, et son esprit occupé à l’apprentissage des échecs, les interrogatoires se passent mieux. Cependant, après quelques mois, l’attrait des 150 parties du livre disparaît puisqu’il les connaît toutes et il doit donc essayer autre chose : jouer des parties contre lui-même, avec comme principale difficulté de parvenir à faire abstraction des tactiques envisagées de part et d’autre de son échiquier virtuel. Il s’entraîne à plonger dans une sorte de clivage. Il y parvient en effet, mais au bout de peu de temps, l’expérience tourne mal, son esprit dédoublé « perd pied ». Il ne parvient plus à se penser. Il perd connaissance. Il se réveille dans un hôpital. Un docteur, compatissant, parvient à le faire libérer, le faisant passer pour fou, et donc sans intérêt pour les nazis. Il lui recommande malgré tout de ne plus rejouer aux échecs. Encore une fois, Philippe Houillez, réussit le pari de nous faire partager sa curiosité pour Monsieur B dont l’humeur présente un repli sur soi, des difficultés à partager une interprétation du réel avec les autres, et un clivage psychotique du moi. Houillez parvient à nous fait sentir le trouble de la personnalité de Mr B., un trouble de type dissociatif, résultat d’une expérience traumatique et d’un isolement délétère.
L’intrigue: À bord du navire, les deux destins doivent se rencontrer. Le narrateur, qui, par curiosité, disputerait bien une partie contre l’illustre maître Czentovic, attire peu à peu des amateurs autour d’un échiquier. Czentovic accepte, contre rétribution de participer. Il bat bien sûr ses modestes adversaires. Mais au cours d’une partie, monsieur B. se porte au secours de ceux qui aimeraient briser la froide arrogance du champion. Il obtient le match nul. Pourtant, maladroit et honteux de s’être immiscé au sein de la partie, il se retire, laissant un public dubitatif, mais dont la curiosité est attisée. M. B. est sollicité pour affronter l’arrogant Czentovic. Une première partie et ce dernier capitule afin de ne pas se montrer complètement vaincu. Malgré l’avertissement du médecin, Monsieur B ne peut résister à la tentation d’une deuxième partie et là, il « perd pied » à nouveau : Czentovic, qui a compris que sa lenteur exaspère son rival le déséquilibre. Au bout de quelque temps, M. B semble perdre le fil du jeu : sans doute a-t-il eu trop de temps pour anticiper. Pendant les interminables coups de Czentovic, il décroche, il semble avoir en tête une partie différente de celle qu’il joue.
Pressé par le narrateur, il se retire encore une fois piteux et confus.
-Dommage, dit Czentovic, magnanime. L’offensive n’allait pas si mal. Pour un dilettante, ce monsieur est en fait remarquablement doué.
On participe presque, grâce au jeu de Joseph Morana à la chute de Monsieur B. Ayant perdu la relation avec le monde extérieur dans un versant schizophrène, il met en jeu aussi sa relation à son propre corps, un corps comme un élément étrange ou étranger. Lacan écrivait- on a un corps on n’en est pas un. Le talent de Joseph Morana nous donne à voir, sans cabotinage, ce corps de l’avoir et non de l’être. Seul le théâtre permet cet insight. Bien sûr, Monsieur B n’est pas un dilettante. Il est doué car clivé, et ceci travaille son esprit et son corps. Là où Czentovic, dans un aménagement d’économie psychique s’est retiré sur lui-même pour nourrir son talent, Mr B expérimente le dédoublement. C’est Czentovic le dilettante et dans sa trace, Zweig qui s’est expatrié pour préserver son talent. Ou peut être, que Zweig, viennois émigré au brésil est Mr B et que le choix d’un clivage douloureux le mènera au suicide.
En conclusion, excellente interprétation à ne surtout pas rater, d'abord au titre du plaisir du bon théâtre, (et le bon theatre est indispensable!) ensuite pour compléter ou préparer le Joueur d’Échecs de F Huster, si différent, et en même temps si proche. Chez F. Huster, le versant pathologique est moins marqué, cependant que le suicide de Zweig est donné à voir, il est inclus dans la mise en scène.
Comme souvent dans les nouvelles de Zweig, partisan de l’entuilage des récits, un narrateur est mis en scène. Ce narrateur, qui représente manifestement Zweig, assiste lors d’un voyage à la rencontre de deux destins. Au récit de cette rencontre, le narrateur ajoute deux récits essentiels à la compréhension de l’histoire.
Tout d’abord, la vie de Czentovic : orphelin élevé par le curé du village, le jeune garçon est taciturne, apathique et ne parvient pas à apprendre ce qu’on lui enseigne. Lent et mou, il est aussi incroyablement discipliné. Un soir, on lui propose, pour le moquer, d’achever une partie d’échecs. Il accepte et, surprise, bat son adversaire. On décide alors de le présenter à d’autres joueurs. Le prodige finit par battre la plupart d’entre eux. On l’envoie à Vienne étudier les échecs et c’est ainsi qu’à vingt-et-un ans, il est champion du monde. Le narrateur, joué par Philippe Houillez, parvient à nous dévoiler avec application et tendresse un Czentovic fascisant en même temps qu’inquiétant. Il a l’humeur peu ouvert aux autres et au réel, apparemment froid, distant, replié sur lui même, préférant l’analyse, la dialectique ou l’observation à l’action. Il a une sensibilité tenue secrète et cependant très vive. C’est le tableau clinique de la schizothymie.
Ensuite, le narrateur nous conte Monsieur B, l’inconnu. Notaire en Autriche, il dissimula longtemps de fortes sommes aux nazis et finit par se faire attraper. Il est emprisonné, mais d’une manière particulière : il sera logé dans une chambre d’un hôtel de luxe sans aucun contact avec le monde extérieur. Il reste ainsi plusieurs jours, y subit les interrogatoires de la Gestapo. Au fur et à mesure qu’il passe du temps isolé dans sa chambre, ses réponses se font moins prudentes, il perd le contrôle de lui-même, car son esprit « tourne à vide ». Un jour, alors qu’il attend son interrogatoire dans une antichambre, il aperçoit, dans une veste pendue à une patère, un livre. Il s’en empare espérant enfin vaincre par la lecture la solitude et la folie qui le guette. Il découvre déçu que c’est une méthode d’échec. Sans échiquier ni pièces, il parvient toutefois à mentaliser les parties, peu à peu à se familiariser avec les finesses du jeu. Apaisé, et son esprit occupé à l’apprentissage des échecs, les interrogatoires se passent mieux. Cependant, après quelques mois, l’attrait des 150 parties du livre disparaît puisqu’il les connaît toutes et il doit donc essayer autre chose : jouer des parties contre lui-même, avec comme principale difficulté de parvenir à faire abstraction des tactiques envisagées de part et d’autre de son échiquier virtuel. Il s’entraîne à plonger dans une sorte de clivage. Il y parvient en effet, mais au bout de peu de temps, l’expérience tourne mal, son esprit dédoublé « perd pied ». Il ne parvient plus à se penser. Il perd connaissance. Il se réveille dans un hôpital. Un docteur, compatissant, parvient à le faire libérer, le faisant passer pour fou, et donc sans intérêt pour les nazis. Il lui recommande malgré tout de ne plus rejouer aux échecs. Encore une fois, Philippe Houillez, réussit le pari de nous faire partager sa curiosité pour Monsieur B dont l’humeur présente un repli sur soi, des difficultés à partager une interprétation du réel avec les autres, et un clivage psychotique du moi. Houillez parvient à nous fait sentir le trouble de la personnalité de Mr B., un trouble de type dissociatif, résultat d’une expérience traumatique et d’un isolement délétère.
L’intrigue: À bord du navire, les deux destins doivent se rencontrer. Le narrateur, qui, par curiosité, disputerait bien une partie contre l’illustre maître Czentovic, attire peu à peu des amateurs autour d’un échiquier. Czentovic accepte, contre rétribution de participer. Il bat bien sûr ses modestes adversaires. Mais au cours d’une partie, monsieur B. se porte au secours de ceux qui aimeraient briser la froide arrogance du champion. Il obtient le match nul. Pourtant, maladroit et honteux de s’être immiscé au sein de la partie, il se retire, laissant un public dubitatif, mais dont la curiosité est attisée. M. B. est sollicité pour affronter l’arrogant Czentovic. Une première partie et ce dernier capitule afin de ne pas se montrer complètement vaincu. Malgré l’avertissement du médecin, Monsieur B ne peut résister à la tentation d’une deuxième partie et là, il « perd pied » à nouveau : Czentovic, qui a compris que sa lenteur exaspère son rival le déséquilibre. Au bout de quelque temps, M. B semble perdre le fil du jeu : sans doute a-t-il eu trop de temps pour anticiper. Pendant les interminables coups de Czentovic, il décroche, il semble avoir en tête une partie différente de celle qu’il joue.
Pressé par le narrateur, il se retire encore une fois piteux et confus.
-Dommage, dit Czentovic, magnanime. L’offensive n’allait pas si mal. Pour un dilettante, ce monsieur est en fait remarquablement doué.
On participe presque, grâce au jeu de Joseph Morana à la chute de Monsieur B. Ayant perdu la relation avec le monde extérieur dans un versant schizophrène, il met en jeu aussi sa relation à son propre corps, un corps comme un élément étrange ou étranger. Lacan écrivait- on a un corps on n’en est pas un. Le talent de Joseph Morana nous donne à voir, sans cabotinage, ce corps de l’avoir et non de l’être. Seul le théâtre permet cet insight. Bien sûr, Monsieur B n’est pas un dilettante. Il est doué car clivé, et ceci travaille son esprit et son corps. Là où Czentovic, dans un aménagement d’économie psychique s’est retiré sur lui-même pour nourrir son talent, Mr B expérimente le dédoublement. C’est Czentovic le dilettante et dans sa trace, Zweig qui s’est expatrié pour préserver son talent. Ou peut être, que Zweig, viennois émigré au brésil est Mr B et que le choix d’un clivage douloureux le mènera au suicide.
En conclusion, excellente interprétation à ne surtout pas rater, d'abord au titre du plaisir du bon théâtre, (et le bon theatre est indispensable!) ensuite pour compléter ou préparer le Joueur d’Échecs de F Huster, si différent, et en même temps si proche. Chez F. Huster, le versant pathologique est moins marqué, cependant que le suicide de Zweig est donné à voir, il est inclus dans la mise en scène.
8/10
Y a-t-il quelque chose de plus drôle que de se moquer de soi même sauf à le faire avec application.
Y-t-il quelque chose de plus drôle que de se moquer de soi même avec application sauf à le faire avec la plus grande mauvaise foi.
Et y a-t-il quelque chose de plus drôle encore que de se moquer de soi même avec la plus grande application et la plus consciencieuse mauvaise foi ?
Rien sauf à le faire entre amis et c’est précisément le propos de la pièce Trois Hommes dans un Bateau sans parler du chien, adaptée du livre de Jerome K Jereme (1889). Le roman raconte les aventures de George, Harris, Jérôme et le chien Montmorency, entreprenant un voyage en barque sur la Tamise. L’aventure donne lieu à diverses anecdotes comiques, mais aussi à réflexions philosophiques sur la vie, sur l’illusion de l’existence et de nos prétentions à lui donner un sens, sur la nécessité de ne pas charger de luxe la barque de sa vie afin d’emmener l’essentiel : Rends légère la barque de la vie et munis-la des seules choses dont tu aies besoin : un intérieur et des plaisirs simples, un ou deux amis dignes de ce nom, quelqu’un qui t’aime et que tu aimes…
Quant au sujet de la pièce proprement dit, il pourrait être énoncé ainsi : trois amis paresseux, misanthropes et velléitaires décident pour soigner leur vague à l’âme et leur ennui de ne plus se contenter de boire leur whisky et de s’auto diagnostiquer toutes les maladies connues dans l’encyclopédie médicale mais de faire une expédition en barque. Nous les suivons dans cette expédition burlesque, inutile et absurde où le désespoir semblerait s’épuiser dans les paroles, les sauts d’humeur et les querelles, alors qu’il se panse par la force de l’amitié. Avec le clou du spectacle dans une scène succulente de drôlerie où Philippe Lelievre (Harris) se bat avec un clou et nous cloue à notre siège, tout neuf (le théâtre a été entièrement refait).
A ne pas rater donc car cette pièce est drôle, très drôle, mais pas seulement.
Y-t-il quelque chose de plus drôle que de se moquer de soi même avec application sauf à le faire avec la plus grande mauvaise foi.
Et y a-t-il quelque chose de plus drôle encore que de se moquer de soi même avec la plus grande application et la plus consciencieuse mauvaise foi ?
Rien sauf à le faire entre amis et c’est précisément le propos de la pièce Trois Hommes dans un Bateau sans parler du chien, adaptée du livre de Jerome K Jereme (1889). Le roman raconte les aventures de George, Harris, Jérôme et le chien Montmorency, entreprenant un voyage en barque sur la Tamise. L’aventure donne lieu à diverses anecdotes comiques, mais aussi à réflexions philosophiques sur la vie, sur l’illusion de l’existence et de nos prétentions à lui donner un sens, sur la nécessité de ne pas charger de luxe la barque de sa vie afin d’emmener l’essentiel : Rends légère la barque de la vie et munis-la des seules choses dont tu aies besoin : un intérieur et des plaisirs simples, un ou deux amis dignes de ce nom, quelqu’un qui t’aime et que tu aimes…
Quant au sujet de la pièce proprement dit, il pourrait être énoncé ainsi : trois amis paresseux, misanthropes et velléitaires décident pour soigner leur vague à l’âme et leur ennui de ne plus se contenter de boire leur whisky et de s’auto diagnostiquer toutes les maladies connues dans l’encyclopédie médicale mais de faire une expédition en barque. Nous les suivons dans cette expédition burlesque, inutile et absurde où le désespoir semblerait s’épuiser dans les paroles, les sauts d’humeur et les querelles, alors qu’il se panse par la force de l’amitié. Avec le clou du spectacle dans une scène succulente de drôlerie où Philippe Lelievre (Harris) se bat avec un clou et nous cloue à notre siège, tout neuf (le théâtre a été entièrement refait).
A ne pas rater donc car cette pièce est drôle, très drôle, mais pas seulement.