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Mordue de Théâtre
Mordue de Théâtre
Théâtrholic
27 ans
55 espions
espionner Ne plus espionner
"Dans le grand ordre des choses, le spectacle le plus médiocre a sans doute plus de valeur que notre critique qui le dénonce comme tel."
Son blog : http://mordue-de-theatre.com/
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Ses critiques

205 critiques
Palace

Palace

6/10
20
Vous avez forcément entendu parler de l’adaptation scénique de Palace, et pour cause : le spectacle a été annoncé il y a plus d’un an et les billets sont en vente sur le site du spectacle depuis la saison dernière. Avec pareille communication, on avait droit de s’attendre à quelque chose de grand, et j’y allais avec envie : j’ai même passé mon après-midi à revoir ces épisodes que nous regardions en famille lorsque j’étais petite, et j’étais déjà dans l’ambiance avant même d’entrer dans la salle. Mais le pari de reprendre cette série culte n’est pas entièrement réussi.

Car Palace, c’est avant tout la série télévisée créée par Jean-Michel Ribes, diffusée dès 1988 et accueillant quelques-uns des plus grands acteurs de l’époque. On pouvait en effet y retrouver Jean Carmet, Pierre Arditi, Jacqueline Maillan, mais c’est aussi l’émission qui a lancé la carrière de Valérie Lemercier, inoubliable Lady Palace ! Tournée – comme son nom l’indique – dans un palace, c’est un enchaînement de conversations entre clients riches, ponctués par des séquences régulières, telles que les Brèves de comptoir ou Soyez Palace chez vous !

On ne va pas se mentir, il y a des choses qui fonctionnent, et qui fonctionnent même très bien : et du côté de la forme, notamment, la promesse est tenue. Les intermèdes animés par les grooms sont plutôt réussis et ils n’y sont pas allés à l’économie sur ces parties : ils font vraiment le show ! Chanteurs et danseurs créent l’illusion pendant les changements de décor et c’est plutôt impressionnant ! J’ai même ma petite Madeleine quand résonne pour la première fois la musique de la série. La magie prend. Cependant, j’ai regretté que certaines parties soient en play-back car c’est extrêmement visible et ça gâche l’engouement créé par ces parties live très entraînantes ! Ceci étant, ça permet aussi à certains comédiens qui ne connaissent pas les paroles de se fondre tranquillement dans la masse – mais on ne nommera personne !

Mais c’est plutôt le fond qui m’a posé problème. Pourtant, au début, j’étais vraiment emballée. J’ai beaucoup ri pendant les premières minutes du spectacles. Les sketchs choisis sont courts et entre-coupés de vannes qui s’enchaînent de manière très fluide. Et puis ce sketch au spa plombe un peu l’ambiance. Calme plat dans la salle. Difficile de repartir après ce raté. Le rythme s’empâte un peu. On est moins sur les échanges que sur des enchaînements de sketch. Or les passages choisis, je les connais. Si on peut oublier certains bons mots qui font les beaux jours des brèves de comptoirs et peuvent animer le spectacle sans problème, c’est plus difficile avec une saynète entière. Je les ai en mémoire, incarnés par les comédiens d’alors. Même mis au goût du jour – les migrants font leur apparition dans les discussions des clients – quelque chose ne prend pas. Est-ce la comparaison qui leur nuit, ou est-ce le sketch en lui-même qui a vieilli ? Difficile à dire.

Alors se pose la question : pourquoi donner sur scène cette série chère à nos coeurs ? Le spectacle risque d’avoir du mal à se positionner et à trouver son public : ceux qui connaissaient la série préfèreront ne pas prendre le risque de la voir rendue ici en demi-teinte, et les plus jeunes y verront une proposition vieillotte pas vraiment destinée à leur génération. Alors à ces deux générations-là, je n’ai plus qu’un conseil à donner : la série est disponible sur Youtube, alors faites-vous plaisir !

On a un peu envie de dire : tout ça pour ça…
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Data Mossoul

Data Mossoul

4,5/10
6
J’ai encore du mal à réaliser que ça ne fait que deux ans et demi que je fréquente ce théâtre. Moins souvent déçue qu’ailleurs, presque toujours intéressée, j’avoue ne plus du tout étudier ce que je vais voir et faire confiance à la programmation de Wajdi Mouawad. Je dois assister aux trois-quarts de la saison. Petite et grande salle, sans discrimination. Ça a des bons comme des mauvais côtés. Moi qui aime le côté rassurant de retrouver sur scène des visages connus, ce théâtre chamboule mes habitudes. Et voilà que je me retrouve dans une salle où je ne sais pas ce que je vais voir, où je ne connais ni les comédiens, ni l’auteur et metteur en scène, et que je découvre que le spectacle dure 2h45. Ambiance.

Au début de la pièce, on rencontre Mila Shegg, une data scientist travaillant pour une grande entreprise de data, Geolog. On apprend rapidement qu’elle a perdu la mémoire sur trois ans, de 2014 à 2017, mais qu’elle garde en mémoire le nom de Mossoul, alors même que la ville a été rayée de la carte du monde. Alors quand Geolog, sous l’impulsion du gouvernement, décide de supprimer du Web les pages antérieures à 2025 sous prétexte qu’elles contiendraient essentiellement des fake news, et qu’elle se retrouve en charge d’exécuter l’algorithme menant à la disparition, elle rajoute quelques lignes à son algorithme de façon à ce qui a été publié ces trois années ainsi que ce qui a un lien quelconque avec Mossoul soit sauvegardé. La pièce fera des sauts réguliers dans le temps pour remonter au VIIe siècle avant JC où a vécu Assurbanipal, fondateur de la première bibliothèque de l’humanité. En recherchant Assurbanipal et Mossoul sur internet, Mila Shegg va se retrouver dans un hotel occupé par des hackers et, passant de leur côté, va tenter de contrer le mouvement du gouvernement tendant à effacer purement et simplement des années de publications du Web.

Il y a d’abord la bonne surprise. Le sujet est plutôt intéressant, la mise en scène dynamique. Je me rends rapidement compte que je me plais à suivre cette histoire, et que, comme les scolaires qui ont envahi le premier rang et ont rapidement cessé leurs ricanements avec l’avancée de la pièce, j’ai envie de connaître la suite, je m’attache aux personnages. Le texte, souvent sérieux et suivant son fil directeur, n’oublie pas d’y insérer une dose d’humour bienvenue. Je découvre en Edith Proust une comédienne toute en subtilité, avec des regards d’une intensité rares et qui expriment bien plus que ce que le texte lui donne à jouer. On se perd dans ces regards d’enfance plein de désir de connaissance et d’espoir dans l’avenir. J’ai aimé ces regards.

Il faut quand même se rendre compte que l’autrice a choisi peut-être deux des mots les plus putaclics du moment… pour y cacher quoi, finalement ? Si le point de départ me semble réellement intéressant, c’est ce qu’elle en a fait qui me dépasse. Je ne comprends pas où elle va, je ne vois plus le rapport entre les scènes qui passent et l’intrigue originelle.Si tout se tient plus ou moins scientifiquement dans le point de départ, on s’écarte rapidement de la cohérence du début pour des scènes toujours plus farfelues, des mélanges d’époque, des nouveaux personnages, des histoires dans l’histoire de l’Histoire… Rapidement, j’ai compris que j’étais un peu perdue et, des nombreuses scènes qui s’enchaînaient sous mes yeux, j’ai décidé de ne m’accrocher qu’à l’histoire centrale qui, elle, me semblait encore à peu près claire.

Et puis il y a la très mauvaise surprise. Une très mauvaise surprise qui dure près d’une demi-heure, c’est une très LONGUE mauvaise surprise. Je dois reconnaître que je n’ai pas du tout compris ce qu’il se passait. Tout d’un coup tout se mélange. Les comédiens se mettent à hurler leur texte vainement : la musique est si forte que leur partition n’est plus du tout perceptible. Toutes les époques sont présentes sur le plateau, tout le monde parle à tout le monde, les personnages courent dans tous les sens, la lumière est aveuglante, le son désagréable, c’est une cacophonie sans nom et je me mets à ne souhaiter plus qu’une chose : que tout s’arrête.

On aimerait appuyer, nous aussi, sur DELETE pour cette fin cacophonique…
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L'un de nous deux

L'un de nous deux

7/10
8
Le lendemain du décevant Rouge au Théâtre Montparnasse, retour rue de la Gaité mais chez le petit frère et son plateau à taille humaine cette fois-ci – ceci étant, on y retrouve aussi deux comédiens sur scène incarnant des personnages réels dans une situation fictionnelle. Comme la veille, c’est pour les comédiens que j’étais là : parce que je n’ai pas oublié l’oeil passionné de Christophe Barbier menant avec brio son Dictionnaire amoureux du théâtre et parce que même si les dernières saisons d’Emmanuel Dechartre ne m’avaient pas convaincue, il reste un comédien que j’ai beaucoup aimé.

Sur scène, on ne peut l’ignorer : nous sommes en guerre. Le décor le souligne bien, les fenêtres donnent sur un camp de travail encore en activité et nos protagonistes eux-mêmes sont emprisonnés en Allemagne. Nous sommes en juin 1944, le fin de la guerre s’annonce, le débarquement vient d’avoir lieu. Dans cette prison, deux hommes reviennent sur leur époque : Léon Blum, le fidèle de Jean Jaurès, et Georges Mandel, collaborateur de Clemenceau.

Je n’étais pas une passionnée d’histoire dans mes jeunes années. Ou plutôt : les cours d’histoire monotones et sans vie me semblaient infiniment longs et m’ont dégoûtée de la matière. C’est par le théâtre que j’y suis revenue – pas assez, à mon grand dam, mais suffisamment pour me rendre compte de mes lacunes et de mon erreur de jeunesse. Et L’un de nous deux est de ces spectacles qui me ramènent à l’histoire le temps d’une soirée. Ce n’est pas du grand théâtre, mais c’est une pièce qui tient son pari : écrite par un historien, les dialogues sont certes un peu verbeux mais c’est leur contenu qui parvient à nous intéresser – les personnages échangent anecdote sur anecdote et lorsqu’on sait si peu de la période traitée, on savoure ces histoires avec délice.

D’autant que nos deux comédiens les servent avec passion : certes, on pourra facilement accuser Christophe Barbier de « faire du Christophe Barbier » au début du spectacle, mais il entre progressivement dans la peau de son personnage pour finalement quitter dignement la scène à la fin du spectacle. Et quel plaisir d’écouter le comédien qui fait sans doute les plus belles liaisons de la scène française ! C’est un de mes plaisirs coupables et je le reconnais volontiers. Quant à Emmanuel Dechartres, il tient parfaitement tête à ce Mandel parfois emporté et campe un Blum vieux sage, profondément humain et bienveillant. Si tout les oppose dans la forme – l’engouement, la rigueur du ton, la posture, le regard – le fond est plus ambigu qu’il n’y paraît. Dans leur joute oratoire, cela devient presque un jeu de deviner ce qui les oppose réellement.
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Jules César

Jules César

4,5/10
7
A l’annonce du projet, j’ai fait la moue : un Jules Cesar avec une distribution majoritairement féminine, quelle idée étrange ! Mais devant cette proposition pour le moins transgressive, je ne pouvais douter de la vision artistique préexistante du metteur en scène. Le défi était d’autant plus grand pour Rodolphe Dana, l’actuel directeur du CDN de Lorient, qu’il passait derrière les Tragédies Romaines d’Ivo Van Hove, moment de théâtre pour le moins inoubliable. Quelle ne fut pas ma surprise alors de me retrouver devant un spectacle absolument vide d’idées, appuyant encore ma théorie de la malédiction frappant le Vieux-Colombier depuis la création de Faust au printemps 2018.

La pièce s’ouvre sur une Rome en fête : Jules César revient victorieux de sa victoire contre Pompée et tout son peuple l’acclame. On sent cependant que, sous la joie apparente, des projets plus sombres se trament. En effet, Cassius tente de convaincre Brutus de rejoindre le camp des conspirateurs contre César. Ce dernier est embarrassé : il admire César et lui voue une affection particulière, mais il craint son ambition qui pourrait remettre en cause la liberté du peuple romain. Vous connaissez la suite : César sera trahi de toute part et même Brutus lui assènera l’un des coups de poignards qui lui seront fatal.

La mise en scène de Rodolphe Dana n’est pas seulement plate, elle est maladroite. Les rares choix qu’il semble avoir faits s’avèrent rapidement handicapants pour son propre spectacle. D’abord, il faut bien reconnaître que le dispositif bifrontal n’est pas du tout adapté ici. On peut comprendre l’intention de représenter ainsi le peuple qui se presse autour de nos protagonistes, mais le texte comporte de nombreux discours qui doivent se faire face au peuple et qui perdent beaucoup en intensité lorsque les personnages nous tournent le dos. Lors du fameux discours de Marc-Antoine, celui-ci exhibe le manteau de César pour essayer d’émouvoir son auditoire. Mais avec ses constants mouvements pour ne délaisser aucune partie de la salle, on dirait presque un défilé de mode dans lequel Georgia Scalliet nous présenterait son dernier modèle de pardessus.

De plus, alors que tous les choix semblent ternes – costumes, décors et musiques ne se font pas les témoins d’une lecture radicale de la pièce – il a pris le parti de faire gicler le sang sur le plateau du Vieux-Colombier. Soit. Dommage que ce qui pouvait ressembler à un début d’idée aboutisse à un tel fiasco. Il est fort possible que ça n’ait gêné que les misophones comme moi, mais j’y tiens quand même. En utilisant des petites poches de faux sang pour un effet imparable de jaillissement – et de véracité, cela va sans dire – Rodolphe Dana a oublié un micro-détail : le bruit. Quand la poche explose, ça fait ploc, plic, pouf, pouic, bref : ça fait rire. Alors oui, j’avoue avoir ricané sur la mort d’un des conspirateurs. Pire : lors de l’assassinat de César, c’est Françoise Gillard qui s’est pris une explosion de sang non maîtrisée dans le visage et a laissé échappé une exclamation de surprise – il aurait fallu prévoir ce genre d’incident, car ça ne fait pas sérieux sur une telle scène.

Et la question des femmes, alors ? Contrairement à ce que je pensais, je suis davantage mitigée qu’outrée. On se rend compte que le texte de Shakespeare résiste à tout, mais surtout que ses personnages sont moins sexualisés que politisés, et qu’ils soient hommes ou femmes ne change pas grand chose à l’affaire. Ce n’est ni une idée révolutionnaire, ni un échec total. Martine Chevallier compose même un Jules César plutôt convaincant, à la fois légèrement en retrait dans son attitude et éclatante par sa présence indéniable, lucide sur la situation et confiante malgré tout, fataliste et déterminée. Hélas, la transformation n’était pas évidente pour tous les personnages, et il aurait été préférable de faire un Casca féminin plutôt que de changer le sexe de Cassius. En effet, c’est un personnage surexcité et l’absence de direction d’acteur a laissé Clotilde de Bayser en roue libre. Résultat : beaucoup de cris et un personnage désagréable, constamment au bord de l’hystérie, gâchant les trente premières minutes du spectacle à vociférer son texte.

Alors c’est vrai que je dresse un tableau plutôt noir de ce spectacle. Mais je dois reconnaître que, malgré tout ça, quelque chose est passé. Je n’ai pas décroché, je ne me suis pas particulièrement ennuyée. Il y a d’abord ce texte, immuable, frappant de sa puissance à chaque écoute – peut-être le plus grand texte de Shakespeare (mais je reconnais que je dis ça à chaque fois que je vois un Shakespeare). Mais il y a aussi la raison pour laquelle je continue de venir malgré les ratés successifs du Français. Les comédiens. Ils ne sont certes pas à leur sommet – il manque une direction d’acteurs – mais ils se battent pour ce texte. Bridés par des déplacements probablement imposés par Rodolphe Dana, ce sont des pantins. Mais des pantins avec voix et visage. J’ai entendu le grand discours de Marc Antoine avec toutes ses petites lignes lorsque Georgia Scalliet, particulièrement émue – mais j’en parlerai dans la suite – déclame son fameux « Ils le sont tous, tous des hommes honorables ». J’ai aimé, comme souvent, la légère ironie mêlée d’authenticité que Noam Morgenstern sait donner à ses personnages, toujours évidents en apparence et pourtant si incarnés. J’ai suivi les craintes de Brutus, ses doutes, ses questionnements, à travers les regards de Nâzim Boudjenah. Ses yeux révélaient à eux seuls tout l’enjeu de la pièce, le gouffre dans lequel il se jetait tout en sachant pertinemment que là n’était pas la bonne solution, sans lâcheté, cherchant juste à faire ce qu’il croyait être bon. Cette quête de la vérité était dans ses yeux. Un grand Brutus.

Et puis il y a eu un moment dans le spectacle – de ces moments rares qui vous laissent quelque chose gravé en vous. Je sais que ce moment n’était pas voulu, mais il m’a profondément marquée. Il s’est passé durant la scène qui suit la mort de César – scène par ailleurs plutôt réussie dans sa scénographie. Marc Antoine revient et discute avec les assassins de son ami, mort sur le sol. Cela faisait peut-être une dizaine de minutes que César était mort quand soudain, il se mit à tousser, de cette toux qui ne peut être retenue. Aussitôt dans la salle, tout le monde se tend. On sent les efforts de Martine Chevallier pour repousser ce souffle inopportun, mais impossible. Alors sur le plateau quelque chose se passe. Georgia Scalliet, très réactive, a un geste d’une extrême bienveillance tout en restant dans son personnage de Marc Antoine : elle dépose délicatement sa veste sous la tête de César. Acte en apparence quasi insignifiant, il était en réalité un grand moment de ma soirée. Derrière Marc Antoine, les conspirateurs, qu’on sentait tendus, semblaient soudain questionner leur geste, comédiens unis dans une même crainte pour leur partenaire. Dans ces quelques secondes s’est trouvée toute la vie qui manquait à ce spectacle. Un instant incarné et saisissant.
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La vie de Galilée (Philippe Torreton)

La vie de Galilée (Philippe Torreton)

10/10
23
Forcément, on y pense : cette Vie de Galilée est montée trop près de celle de Ruf pour qu’on ne soit pas tenté de les comparer. Une comparaison qui dessert le patron du premier théâtre de France autant qu’il avantage Claudia Stavisky.

Je pourrais choisir la facilité et me contenter de comparer les deux propositions où pratiquement tout s’oppose. Mais ce ne serait ni juste pour le travail de Claudia Stavisky – on pourrait croire que je n’ai apprécié son spectacle que parce que j’en ai vu une version moins marquante quelques temps auparavant – ni agréable pour Eric Ruf dont la mise en scène, qui déjà ne m’avait pas convaincue, souffre d’autant plus de ce nouveau spectacle qu’il met en lumière tous ses manqués.

La Vie de Galilée, comme son nom l’indique, retrace le combat de cet homme de science pour faire reconnaître au monde, et particulièrement à l’Eglise, que la conception de Ptolémée qui met la Terre au centre du monde est fausse. Désormais, il l’a prouvé, la Terre tourne autour du Soleil. Pourtant, et il le dit lui-même, il suffirait que les hommes d’Église regardent dans la lunette pour constater ce fait. Mais il se heurte à pire que l’ignorance : l’idéologie. La Vie de Galilée, ou comment croire et savoir s’affrontent, la diffusion du premier entraînant la mort dans l’oeuf du second.

Avec cette Vie de Galilée, je découvrais le travail de Claudia Stavisky. Des copains m’avaient prévenue : « ce spectacle, il est pour toi, tu vas adorer ». Pas parce que la mise en scène y est particulièrement classique, mais parce qu’on entend vraiment le texte. Ils avaient tout à fait raison. Moi qui avais pourtant vu la pièce il y a peu de temps, j’ai eu l’impression de découvrir des répliques, parfois même des scènes et jusqu’aux personnages. Sa mise en scène est brillante, c’est l’intelligence de tous les instants : chaque scène est dramatisée, chaque phrase est pensée, chaque mot est pesé. C’est un véritable travail de sismographe : chaque parole est une onde qui vibre de son sens. Pourtant, rien n’est jamais souligné : la direction d’acteur est simple, sans chichi, et donne l’impression que tout a été construit avec la seule préoccupation de la clarté du texte. Claudia Stavisky s’est tellement mise au service de l’auteur qu’elle a littéralement traduit le texte scéniquement et, se faisant, s’est entièrement mise au service du spectateur. La lecture est parfaitement claire et le message semble transmis. C’est ce genre de travail qui donne mes spectacles préférés.

Il faut dire que rien n’a été laissé au hasard dans cette proposition. Durant le spectacle, on sent qu’on est face à quelque chose de grand mais tous nos sens sont tellement en alerte qu’on n’a pas le temps de tout mesurer. Lorsqu’on repense à ce qu’on vient de voir, en revanche, on perçoit tous les petits détails ingénieux qui nous ont mené à cet état de parfaite symbiose avec le spectacle. Comment ce passage mettant en scène deux enfants préparait tout le reste de la pièce, suggérant aisément les notions de jeu de pouvoir et de vérité dans nos esprits déjà fascinés par la mise en scène. Comment un simple masque peut révéler bien plus qu’une discussion entre deux hommes d’église. Comment les projections insinuent avec subtilité l’impression de bureaucratie, comment elles ajoutent la pointe de modernité idéale au spectacle sans peser sur le texte, comment elle nous connecte à tout ce qui se passe sur le plateau, sans que nous en ayons toujours conscience. Ce spectacle, c’est presque de l’hypnose.

Impossible de parler de ce spectacle sans évoquer la distribution qu’elle a réunie sur le plateau. Si Galilée passe son temps à observer les étoiles, c’est sur le plateau que les astres brillaient, ce soir-là, à commencer par Philippe Torreton, Galilée tragique et complexe. Il voit grand, ce Galilée – il est grand, ce Galilée ! – et au-delà du scientifique on entend souvent l’homme engagé qui souhaite que le savoir soit accessible à tous. Il met dans son jeu tout ce qu’il a puisé dans le texte. Il ose des silences si intenses qu’on y entendrait presque ses pensées. Il fait passer dans ses regards la douleur qui accompagne les nombreuses limites auxquelles il se heurte, mais on y lit également la nécessité de sa démarche, sorte de sens du devoir inaliénable. Il est si bien dirigé qu’il peut se permettre de ralentir le rythme dans la scène finale sans jamais nous perdre. Et il a cette intelligence de jeu, lui qui pourrait facilement écraser ses partenaires, de savoir donner autant que recevoir.

Car Claudia Stavisky ne s’est pas contentée de trouver son Galilée. Elle a trouvé en Gabin Batsard un jeune roi qui oscille à merveille entre l’enfant et l’adulte, entre l’insouciance et le devoir. Elle a trouvé en Frédéric Borie un pape tourmenté et pluriel, conscient de l’importance des recherches de Galilée mais écrasé par le poids de l’Eglise. Elle a trouvé en Maxime Coggio un petit moine qui a su ajuster son jeu à ce qualificatif qui le caractérise, et qui mêle aisément l’infiniment petit et l’infiniment grand. Elle a trouvé en Guy-Pierre Couleau un polisseur de lentilles aux accents de gilets jaunes qui donne à entendre toute la dimension sociale et révolutionnaire de la pièce. Elle a trouvé en Matthias Distefano un jeune Andrea enthousiaste et attachant, plein de vie et d’envie, qui contraste d’autant plus avec son Andrea adulte qu’elle a trouvé en Benjamin Jungers, méfiant, distant, déçu, presque blasé, mais chez qui on sent, derrière cette carapace désenchantée, le coeur de l’enfant qu’il était, battre encore. Elle a trouvé en Nanou Garcia l’incarnation parfaite de Madame Sarti qui parvient à s’imposer comme une présence essentielle de la maison de Galilée, toute en dignité et en éclats. Elle a trouvé en Michel Hermon un inquisiteur inquiétant, menaçant, et redoutable qui nous fait hésiter parfois sur les véritables motifs de son combat : une vérité, une idéologie, ou un homme ? Elle a trouvé en Marie Torreton le dévouement absolu pour un père pourtant marqué par des contradictions issues de cette époque patriarcale.

Elle a tout trouvé.
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