Ses critiques
19 critiques
10/10
Wajdi Thérapie
Ceux qui ont eu le douloureux bonheur de faire un travail thérapeutique ont appris que les petites phrases aux allures anodines que peuvent lancer un thérapeute au cours d’une séance sont parfois ravageuses et peuvent déclencher beaucoup plus tard des séismes intérieurs.
Une fois la séance terminée, on repart dans les rues de la ville en se demandant pourquoi cette petite phrase, ces quelques mots souvent sans rapport avec notre lourde choucroute ! Mais pourquoi m’a t’il dit ça ?
Ce sont les heures et les jours qui viennent qui apporteront, par bribes et souvent quand cela nous arrange le moins, les fils qui vont relier ces simples mots au nœud du problème.
Puis peu à peu, on apprend que les silences et les intervalles entre deux séances sont les moments où s’élaborent le plus ce qu’on est venu chercher dans le huis clos du cabinet.
C’est ce qui se passe au théâtre de la Colline avec « Seuls » de et par Wajdi Mouawad.
Le propos est très simple : tout va à peu près de travers dans la vie d’Harwan.
En rupture de ban sentimental, en début de rébellion contre la pression familiale, en colère contre son père et bousculé dans sa vie professionnelle elle même à priori un peu enlisée, Harwan se débat avec les événements, les objets, la météo et les exigences matérielles de l’existence.
Cette succession d’incidents et de contrariété qu’il nous conte de façon désabusée et drolatique finissent par aboutir à un véritable accident de vie : le coma de son père.
A partir de là, la pièce change de tour, Harwan cesse de subir et commence à exprimer ses souvenirs et ses regrets, il part à Saint Pétersbourg à la poursuite éperdue d’un auteur dramatique.
De ce commencement de confession on glisse par étape à une nouvelle rupture de ton sur la dernière partie et, sans en dévoiler le point de bascule, on regarde Harwan, isolé du monde, seul, peindre et se peindre, déployer des panneaux qu’il va frénétiquement colorer, jeter rageusement son corps peinturluré sur les surfaces solides et translucides qui le séparent de l’autre coté, celui ou un corps dans le coma ne peut plus s’exprimer.
Cette dernière étape sans parole est la plus intense : au fur et à mesure de la performance artistique, on reconstitue une cohérence avec tous les éléments fictionnels précédents : le spectateur se voit commencer, sans l’avoir décidé, un travail silencieux en miroir de celui de l’acteur.
De ce coma, de cet exil au corps, resurgit tout ce qui a été enfoui, parole, enfance, langue, capacité à communiquer, inventer et créer et la nécessité du retour à la langue paternel, aux racines, aux rêves d’enfant, d’un retour à soi , tel le fils prodigue.
Cette orgie colorée de peinture finit dans une dernière vision à la beauté frappante et quasi religieuse où Harwan prend sa place dans le tableau du fils de Rembrandt.
Arrivée au théâtre avec le poids des banalités lourdes et collantes du quotidien, Wajdi Mouawad nous cueille avec son humour triste, nous empoigne par ses pérégrinations gentiment absurdes, puis nous promène dans ses exils intérieurs ; une fois qu’il nous a mené là, sans même qu’on s’en rende compte, il élargit l’horizon, fait voler en éclat la vie rationnelle et nous confronte à nos propres turpitudes qui ressemblent beaucoup aux siennes puis, il nous expose à sa réinvention et nous abandonne dans la salle avec le sentiment urgent d’avoir nous aussi à procéder à notre propre réinvention ; bon prince, il nous fournit quelques matériaux (si on veut bien être un peu attentifs).
Pour nous mener là, jusqu’à nos fibres profondes et amochées, certains auraient procédé avec un intellectualisme opaque, Wajdi Mouawad nous emmène avec clarté et par étape vers notre capacité à nous réinventer dans une émotion intense, tant musicale, verbale qu'esthétique qui va nous poursuivre longtemps.
Et c’est là sa force.
Pour le prix d’un billet de théâtre (subventionné !) n’hésitez pas à suivre cette Wajdi- thérapie.
Ceux qui ont eu le douloureux bonheur de faire un travail thérapeutique ont appris que les petites phrases aux allures anodines que peuvent lancer un thérapeute au cours d’une séance sont parfois ravageuses et peuvent déclencher beaucoup plus tard des séismes intérieurs.
Une fois la séance terminée, on repart dans les rues de la ville en se demandant pourquoi cette petite phrase, ces quelques mots souvent sans rapport avec notre lourde choucroute ! Mais pourquoi m’a t’il dit ça ?
Ce sont les heures et les jours qui viennent qui apporteront, par bribes et souvent quand cela nous arrange le moins, les fils qui vont relier ces simples mots au nœud du problème.
Puis peu à peu, on apprend que les silences et les intervalles entre deux séances sont les moments où s’élaborent le plus ce qu’on est venu chercher dans le huis clos du cabinet.
C’est ce qui se passe au théâtre de la Colline avec « Seuls » de et par Wajdi Mouawad.
Le propos est très simple : tout va à peu près de travers dans la vie d’Harwan.
En rupture de ban sentimental, en début de rébellion contre la pression familiale, en colère contre son père et bousculé dans sa vie professionnelle elle même à priori un peu enlisée, Harwan se débat avec les événements, les objets, la météo et les exigences matérielles de l’existence.
Cette succession d’incidents et de contrariété qu’il nous conte de façon désabusée et drolatique finissent par aboutir à un véritable accident de vie : le coma de son père.
A partir de là, la pièce change de tour, Harwan cesse de subir et commence à exprimer ses souvenirs et ses regrets, il part à Saint Pétersbourg à la poursuite éperdue d’un auteur dramatique.
De ce commencement de confession on glisse par étape à une nouvelle rupture de ton sur la dernière partie et, sans en dévoiler le point de bascule, on regarde Harwan, isolé du monde, seul, peindre et se peindre, déployer des panneaux qu’il va frénétiquement colorer, jeter rageusement son corps peinturluré sur les surfaces solides et translucides qui le séparent de l’autre coté, celui ou un corps dans le coma ne peut plus s’exprimer.
Cette dernière étape sans parole est la plus intense : au fur et à mesure de la performance artistique, on reconstitue une cohérence avec tous les éléments fictionnels précédents : le spectateur se voit commencer, sans l’avoir décidé, un travail silencieux en miroir de celui de l’acteur.
De ce coma, de cet exil au corps, resurgit tout ce qui a été enfoui, parole, enfance, langue, capacité à communiquer, inventer et créer et la nécessité du retour à la langue paternel, aux racines, aux rêves d’enfant, d’un retour à soi , tel le fils prodigue.
Cette orgie colorée de peinture finit dans une dernière vision à la beauté frappante et quasi religieuse où Harwan prend sa place dans le tableau du fils de Rembrandt.
Arrivée au théâtre avec le poids des banalités lourdes et collantes du quotidien, Wajdi Mouawad nous cueille avec son humour triste, nous empoigne par ses pérégrinations gentiment absurdes, puis nous promène dans ses exils intérieurs ; une fois qu’il nous a mené là, sans même qu’on s’en rende compte, il élargit l’horizon, fait voler en éclat la vie rationnelle et nous confronte à nos propres turpitudes qui ressemblent beaucoup aux siennes puis, il nous expose à sa réinvention et nous abandonne dans la salle avec le sentiment urgent d’avoir nous aussi à procéder à notre propre réinvention ; bon prince, il nous fournit quelques matériaux (si on veut bien être un peu attentifs).
Pour nous mener là, jusqu’à nos fibres profondes et amochées, certains auraient procédé avec un intellectualisme opaque, Wajdi Mouawad nous emmène avec clarté et par étape vers notre capacité à nous réinventer dans une émotion intense, tant musicale, verbale qu'esthétique qui va nous poursuivre longtemps.
Et c’est là sa force.
Pour le prix d’un billet de théâtre (subventionné !) n’hésitez pas à suivre cette Wajdi- thérapie.
5,5/10
L’affiche était alléchante : d’un coté Modiano l’écrivain de la mémoire, des silences, des interstices, de l’absence, nobélisé pour ce talent même : parler de et pour les disparus ; de l’autre un acteur confirmé un peu dandy un peu Droopy avec l’extraordinaire talent de savoir rendre grave la légèreté ou l’inverse. On s’attendait donc à une rencontre au sommet, Edouard BAER nous semblant l’acteur idéal pour incarner et nous faire vivre les mots de MODIANO.
Dans son discours de réception du prix NOBEL, Modiano évoquait Paris sous l’occupation, comme « absente à elle-même », sur la scène c’est Edouard BAER que l’on a senti absent à lui-même, absent au texte pendant cette interprétation.
On ne sait pas trop si les hésitations de son jeu étaient volontaires, par mimétisme avec la diction de l’écrivain ou si elles ont relevé d’un « mauvais soir »; mais on a senti BAER absent, distancié, voir en péril avec son texte ; en tant que spectateur on a frisé la gêne de le voir se débattre ainsi.
Bien sûr, incarner sans dénaturer un texte d’atmosphère non démonstratif, sans pathos, presque clinique mais d’une haute sensibilité est certainement périlleux, et ceci d’autant plus que Modiano est un écrivain qui laisse une grande part de liberté sensitive à son lecteur, ouvrant à travers ses mots et la construction même de son style de si larges possibilités interprétatives qu’elles peuvent être désaccordées avec l’imaginaire de chacun. Mais la déception n’est pas tant venue du choix d’atmosphère de l’interprétation que du manque d’incarnation de celle-ci.
Bien sur, même « absent » Edouard BAER reste correct, par fugaces instant il a instillé un peu d’émotion : le minimum syndical est fait mais il a manqué sérieusement d’imprégnation avec ce grand texte faussement simple, puissant et fluide, d’un petit bout d’âme, qui aurait incarné cette atmosphère.
Dans ce même discours de réception Modiano a dit : « Mais c’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan. »
Là où on attendait que ce grand acteur réussisse à nous faire apercevoir ces silhouettes d’icebergs sur la scène du théâtre Antoine, nous n’avons eu que l’ombre de la blancheur de la page.
Dans son discours de réception du prix NOBEL, Modiano évoquait Paris sous l’occupation, comme « absente à elle-même », sur la scène c’est Edouard BAER que l’on a senti absent à lui-même, absent au texte pendant cette interprétation.
On ne sait pas trop si les hésitations de son jeu étaient volontaires, par mimétisme avec la diction de l’écrivain ou si elles ont relevé d’un « mauvais soir »; mais on a senti BAER absent, distancié, voir en péril avec son texte ; en tant que spectateur on a frisé la gêne de le voir se débattre ainsi.
Bien sûr, incarner sans dénaturer un texte d’atmosphère non démonstratif, sans pathos, presque clinique mais d’une haute sensibilité est certainement périlleux, et ceci d’autant plus que Modiano est un écrivain qui laisse une grande part de liberté sensitive à son lecteur, ouvrant à travers ses mots et la construction même de son style de si larges possibilités interprétatives qu’elles peuvent être désaccordées avec l’imaginaire de chacun. Mais la déception n’est pas tant venue du choix d’atmosphère de l’interprétation que du manque d’incarnation de celle-ci.
Bien sur, même « absent » Edouard BAER reste correct, par fugaces instant il a instillé un peu d’émotion : le minimum syndical est fait mais il a manqué sérieusement d’imprégnation avec ce grand texte faussement simple, puissant et fluide, d’un petit bout d’âme, qui aurait incarné cette atmosphère.
Dans ce même discours de réception Modiano a dit : « Mais c’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan. »
Là où on attendait que ce grand acteur réussisse à nous faire apercevoir ces silhouettes d’icebergs sur la scène du théâtre Antoine, nous n’avons eu que l’ombre de la blancheur de la page.
9/10
Sous les toits de Paris 3 voisins de chambres, un maniaque de la propreté psychorigide, une gueule cassée en voie de clochardisation et une merveilleuse miss catastrophe sexy se croisent, s’invitent, s’aiment, se séparent, cohabitent tant bien que mal.
Dans l’esprit des films muets de Keaton à Mel Brooks en passant par Chaplin et Tati, nous est donné un spectacle inventif et intelligent, bourré de trouvailles visuelles et sonores mené à un rythme haletant qui ne baisse jamais.
Les comédiens sont généreux et déploient une énergie folle. Une mention spéciale à Agathe L’Huillier dont la présence physique sensuelle et les expressions du visage sont particulièrement drolatiques.
Les écueils principaux de ce type de spectacles sont tous soigneusement évités, pas de porte ouvertes enfoncées, pas de comique de répétition, pas de vulgarité facile, il y a bien un soupçon de « caca-prout » mais il reste savamment dosé et très drôle (j’allais dire délicat).
On rit aux éclats, on émet parfois des cris de dégouts ou d’effroi, on se surprend à réagir comme lorsqu’on avait 8 ans au cirque.
Mais Bigre n’est pas qu’une pièce muette ou l’on rit beaucoup, il s’y dégage aussi une vraie poésie à la Tati, une forme de miroir sur nos ultra modernes solitudes dans les villes, métaphore de tout ce qui peut se détraquer dans nos vies et nous emmener au-delà de la normalité, la recherche d’un peu de bonheur, d’une place au soleil. On peut même y voir une morale dans la scène finale qui nous ramène à notre condition première et réelle d’humain sur la terre malgré nos différences physiques sociales et intellectuelles.
A Bigre, intitulé « Mélo burlesque » j’ajouterai « et philosophique ».
Dans l’esprit des films muets de Keaton à Mel Brooks en passant par Chaplin et Tati, nous est donné un spectacle inventif et intelligent, bourré de trouvailles visuelles et sonores mené à un rythme haletant qui ne baisse jamais.
Les comédiens sont généreux et déploient une énergie folle. Une mention spéciale à Agathe L’Huillier dont la présence physique sensuelle et les expressions du visage sont particulièrement drolatiques.
Les écueils principaux de ce type de spectacles sont tous soigneusement évités, pas de porte ouvertes enfoncées, pas de comique de répétition, pas de vulgarité facile, il y a bien un soupçon de « caca-prout » mais il reste savamment dosé et très drôle (j’allais dire délicat).
On rit aux éclats, on émet parfois des cris de dégouts ou d’effroi, on se surprend à réagir comme lorsqu’on avait 8 ans au cirque.
Mais Bigre n’est pas qu’une pièce muette ou l’on rit beaucoup, il s’y dégage aussi une vraie poésie à la Tati, une forme de miroir sur nos ultra modernes solitudes dans les villes, métaphore de tout ce qui peut se détraquer dans nos vies et nous emmener au-delà de la normalité, la recherche d’un peu de bonheur, d’une place au soleil. On peut même y voir une morale dans la scène finale qui nous ramène à notre condition première et réelle d’humain sur la terre malgré nos différences physiques sociales et intellectuelles.
A Bigre, intitulé « Mélo burlesque » j’ajouterai « et philosophique ».
9/10
A partir d’une séquence de « l’Allemagne en automne » (la fameuse et sidérante scène de dialogue de Fassbinder avec sa mère au sujet du régime politique qu’elle trouverait idéal), Falk Richter transpose le climat politique d’alors à celui de l’Europe actuelle face à ses arrivées de migrants.
Au fil de la pièce il s’efforcera sans cesse de relier les thématiques des films de Fassbinder aux événements d’aujourd’hui.
Si on appartient à la génération qui s’est vautré entre 13 et 18 ans sur les frères aînés des tapis blanc à poil long qui parsèment le plateau, si on a vu ses parents retapisser le salon de papier peint à ellipses psychédéliques en dégradé d’orange ; si on a vécu ces années terrifiantes allant des JO de Münich, cette fête indécente qui continuait alors qu’on assassinait des sportifs parce qu’ils étaient juifs, aux exactions de la Rote Armee Fraktion en passant par le choc pétrolier, et le début du chômage massif, cette époque où il n’y avait que 3 chaines de télé qui arrêtaient d’émettre vers minuit ; si c’est dans ces années là qu’on s’est forgé sa vision du monde et une conscience politique, si on a vécu en même temps que Fassbinder, mort quelque jours avant nos 20 ans : on trouvera ce parallèle un peu facile et artificiel voire superficiel.
Une fois ceci posé, le texte balaye large, allant du raccourci politique confinant à la malhonnêteté intellectuelle, jusqu’aux propos démagogiques et sentencieux en passant par la paresse du manichéisme.
Le texte relève à la fois de la thèse socio-politique (« de l’expansion médiatique de la haine sur les réseaux sociaux et son influence sur le climat politique »), de la critique historique sur la construction de l’Europe, de ce qui pourrait être une auto-analyse de l’auteur lorsqu’il aborde ce qu’est devenu l’homme européen, son rapport aux femmes, ou du manuel de la seule conduite possible à adopter en tant que citoyen de cette Europe.
Ça fait beaucoup ! On aurait envie de lui dire : Falk, il aurait fallu choisir… mais Falk ne veut pas choisir, il nous balance sans précaution en pleine gueule son sac bourré de mots et d’images et en cela il est très Fassbinderien.
On entraperçoit cependant qu’il a senti cette lourdeur, d’où les quelques notes trop rares où il prend de la distance avec lui-même et son écriture par le rire et l’autodérision à travers le personnage Stan/ Fassbinder/ Richter.
Qui trop embrasse souvent mal étreint et on frise l’indigestion : ne sachant pas très bien si le sentiment de KO qu’on éprouve à la fin provient de ce mélange excessif ou du feu d’artifice visuel, auditif et émotionnel qui l’a accompagné.
A cela Richter pourrait répondre qu’il ne fait pas du théâtre politique ou didactique, qu’il reste seulement un capteur de l’air du temps, et qu’il n’a fait que décrire l’époque, encore plus foutraque que son texte ; cela relève à notre sens du déni, son texte ne se contentant pas de décrire cet air du temps puisqu’il le qualifie (en l’occurrence de nauséabond) or, qualifier est éminemment politique .
La plus belle fille du monde ne pouvant donner que ce qu'elle a, la démarche d’écriture de Falk Richter marque ainsi les limites de ce qui peut être mis en scène : de l’écriture dans l’immédiateté, voire l’urgence ne peut donc résulter qu’à une représentation à hauteur, fulgurante, brouillonne, décomplexée, épidermique, provocante, agaçante par son manque de recul, poignante d’émotion brute.
Nordey suit alors le mouvement par sa mise en scène qui s’adresse à la part adolescente qui perdure en nous, rejetant comme inutile tout ce que qui pourrait constituer un théâtre d’introspection déconnecté de l’instant présent. Il fait alterner tout ces sentiments, scènes déclamatoires intenses, scènes de troupe réalistes et drolatiques, scènes poignantes, le tout entrecoupés d’intermèdes musicaux (magnifiquement interprétés par Thomas Gonzales) cassant le rythme, surfant ostensiblement sur la nostalgie, et avec une énergie incroyable, un rythme calibré, des acteurs aiguisés.
Judith Henry, parfaite et nuancée, sait manier un point de tragédie dans le rôle d’une Europe malade, fatiguée mais toujours superbe et toujours arrogante.
Thomas Gonzales, dans le rôle de l’amant déjanté et bouc émissaire du cinéaste Fassbinder /Stan, ose tout avec un naturel confondant, jouant la décomplexion et la décadence avec justesse et sans excès caricaturaux.I
Laurent Sauvage, dont la seule présence sur la scène est dévorante, reproduit admirablement la mère de Fassbinder dont on pensait le naturel indépassable : il en devient pus crédible que le modèle.
Face à ces grands fauves , Eloise Mignon, plus effacée, défend néanmoins très bien son territoire .
Et Stanislas Nordey, sans vampiriser par sa présence ces acteurs superbes, nous offre un très beau morceau de bravoure à la fin de la pièce ou en tant que Fassbinder / Stan, il interroge le spectateur avec une distance intelligente.
Au final cela donne une pièce « animale », premier degré, brute de décoffrage, une sorte d’énorme théatro-clip efficace qui efface le reste. On se laisse gagner par cette joie brute, cette mélancolie assumée, cette rage adolescente, cette culpabilité énergique, cette peur créatrice. Il n’en restera pas forcement quelque chose de structuré ou fondamental pour nos vies intellectuelles mais une marque intense comme une cicatrice d’enfance dont on ne se souvient plus des circonstances mais qui nous rappelle qu’on a eu 10 ans.
Je crois que j’ai adoré ; l’espace d’une soirée ma petite voix intérieure agacée, blasée, cynique et ricanante s’est tue ; même si elle crie très fort au moment où je rédige ces lignes.
Au fil de la pièce il s’efforcera sans cesse de relier les thématiques des films de Fassbinder aux événements d’aujourd’hui.
Si on appartient à la génération qui s’est vautré entre 13 et 18 ans sur les frères aînés des tapis blanc à poil long qui parsèment le plateau, si on a vu ses parents retapisser le salon de papier peint à ellipses psychédéliques en dégradé d’orange ; si on a vécu ces années terrifiantes allant des JO de Münich, cette fête indécente qui continuait alors qu’on assassinait des sportifs parce qu’ils étaient juifs, aux exactions de la Rote Armee Fraktion en passant par le choc pétrolier, et le début du chômage massif, cette époque où il n’y avait que 3 chaines de télé qui arrêtaient d’émettre vers minuit ; si c’est dans ces années là qu’on s’est forgé sa vision du monde et une conscience politique, si on a vécu en même temps que Fassbinder, mort quelque jours avant nos 20 ans : on trouvera ce parallèle un peu facile et artificiel voire superficiel.
Une fois ceci posé, le texte balaye large, allant du raccourci politique confinant à la malhonnêteté intellectuelle, jusqu’aux propos démagogiques et sentencieux en passant par la paresse du manichéisme.
Le texte relève à la fois de la thèse socio-politique (« de l’expansion médiatique de la haine sur les réseaux sociaux et son influence sur le climat politique »), de la critique historique sur la construction de l’Europe, de ce qui pourrait être une auto-analyse de l’auteur lorsqu’il aborde ce qu’est devenu l’homme européen, son rapport aux femmes, ou du manuel de la seule conduite possible à adopter en tant que citoyen de cette Europe.
Ça fait beaucoup ! On aurait envie de lui dire : Falk, il aurait fallu choisir… mais Falk ne veut pas choisir, il nous balance sans précaution en pleine gueule son sac bourré de mots et d’images et en cela il est très Fassbinderien.
On entraperçoit cependant qu’il a senti cette lourdeur, d’où les quelques notes trop rares où il prend de la distance avec lui-même et son écriture par le rire et l’autodérision à travers le personnage Stan/ Fassbinder/ Richter.
Qui trop embrasse souvent mal étreint et on frise l’indigestion : ne sachant pas très bien si le sentiment de KO qu’on éprouve à la fin provient de ce mélange excessif ou du feu d’artifice visuel, auditif et émotionnel qui l’a accompagné.
A cela Richter pourrait répondre qu’il ne fait pas du théâtre politique ou didactique, qu’il reste seulement un capteur de l’air du temps, et qu’il n’a fait que décrire l’époque, encore plus foutraque que son texte ; cela relève à notre sens du déni, son texte ne se contentant pas de décrire cet air du temps puisqu’il le qualifie (en l’occurrence de nauséabond) or, qualifier est éminemment politique .
La plus belle fille du monde ne pouvant donner que ce qu'elle a, la démarche d’écriture de Falk Richter marque ainsi les limites de ce qui peut être mis en scène : de l’écriture dans l’immédiateté, voire l’urgence ne peut donc résulter qu’à une représentation à hauteur, fulgurante, brouillonne, décomplexée, épidermique, provocante, agaçante par son manque de recul, poignante d’émotion brute.
Nordey suit alors le mouvement par sa mise en scène qui s’adresse à la part adolescente qui perdure en nous, rejetant comme inutile tout ce que qui pourrait constituer un théâtre d’introspection déconnecté de l’instant présent. Il fait alterner tout ces sentiments, scènes déclamatoires intenses, scènes de troupe réalistes et drolatiques, scènes poignantes, le tout entrecoupés d’intermèdes musicaux (magnifiquement interprétés par Thomas Gonzales) cassant le rythme, surfant ostensiblement sur la nostalgie, et avec une énergie incroyable, un rythme calibré, des acteurs aiguisés.
Judith Henry, parfaite et nuancée, sait manier un point de tragédie dans le rôle d’une Europe malade, fatiguée mais toujours superbe et toujours arrogante.
Thomas Gonzales, dans le rôle de l’amant déjanté et bouc émissaire du cinéaste Fassbinder /Stan, ose tout avec un naturel confondant, jouant la décomplexion et la décadence avec justesse et sans excès caricaturaux.I
Laurent Sauvage, dont la seule présence sur la scène est dévorante, reproduit admirablement la mère de Fassbinder dont on pensait le naturel indépassable : il en devient pus crédible que le modèle.
Face à ces grands fauves , Eloise Mignon, plus effacée, défend néanmoins très bien son territoire .
Et Stanislas Nordey, sans vampiriser par sa présence ces acteurs superbes, nous offre un très beau morceau de bravoure à la fin de la pièce ou en tant que Fassbinder / Stan, il interroge le spectateur avec une distance intelligente.
Au final cela donne une pièce « animale », premier degré, brute de décoffrage, une sorte d’énorme théatro-clip efficace qui efface le reste. On se laisse gagner par cette joie brute, cette mélancolie assumée, cette rage adolescente, cette culpabilité énergique, cette peur créatrice. Il n’en restera pas forcement quelque chose de structuré ou fondamental pour nos vies intellectuelles mais une marque intense comme une cicatrice d’enfance dont on ne se souvient plus des circonstances mais qui nous rappelle qu’on a eu 10 ans.
Je crois que j’ai adoré ; l’espace d’une soirée ma petite voix intérieure agacée, blasée, cynique et ricanante s’est tue ; même si elle crie très fort au moment où je rédige ces lignes.
8,5/10
Il y a cette phase de l’immédiat après, une fois la rupture consommée, les drames de la séparation apaisés, ce moment où l’on se retrouve, juste après le bureau du juge, dans les couloirs du palais de justice, quand on réalise très concrètement que l’autre va devenir un inconnu, qu’on va devenir une inconnu pour lui malgré les années d’amour fou, les promesses et la proximité, ce moment étrange qu’on vit à deux mais seul(e) et où l’on donnerait beaucoup pour retrouver un infime instant de complicité avec l’autre.
C’est ce moment que M Duras nous décline 3 fois avec d’infinies nuances.
Dans la première partie c’est la lourde gêne du couple qui se retrouve, n’a pas grand-chose ou trop à se dire, mais ne sait comment et se regarde, s’épie, se tourne autour.
Le temps s’étire, les paroles sont rares les corps s’évitent dans cette salle remplie en son coin droit de vieux meubles et objets de bric et de broc, à l’image de ce qu’on laisse derrière soit, à travers lesquels, selon des chemins connus d’eux seuls, se meuvent les deux acteurs.
Artificiellement dans le début de la 2eme partie, la scène se rejoue sur le mode joyeux avec un ton enjoué et anodin, mais tout sonne faux et les acteurs ne cessent de boire et remplir des verres ; c’est l’alcool qui rend joyeux artificiellement et libère la parole et la fausse joie, Florence VIALLA se fait mutine, limite garce et Thierry HANCISSE chaleureux.
Puis dans la 3 eme partie, s’épanouissent toutes les touches parsemées dans les deux premières, soulignées merveilleusement par la musique. Le plateau s’est chargé peu à peu de meubles et de cartons qui envahissent de plus en plus l’espace dans lequel peuvent se mouvoir les comédiens, comme une remonté de souvenirs, obligeant ceux-ci à se placer à l’avant scène, dos au mur ; La parole se fait plus intense, des explications sont données sur ce que chacun a vécu dans ce mariage et sur les raisons qui ont mené à l’incompréhension puis la séparation.
On peut bien sur remettre en question les parties pris de mise en scène d’une pièce initialement prévue pour être radiophonique, cette scène fermée (sauf une fenêtre) où les déplacements ne se font qu’en sous sol par le biais deux escaliers (avec toutes les interprétation psychanalytique qu’ont peut en donner), on peut se montrer agacés par certain type de dictions, on peut regretter la lenteur de la première partie… reste l’intensité de ces silences habités, des regards extraordinaire de Thierry HENCISSE et Florence VIALLA ; reste ces mouvements dansés qu’ils opèrent l’un vers l’autre, l’un autour de l’autre, reste l’ambiguïté du désamour, reste l’incompréhension de ce qu’est la vie en couple, de sa compatibilité avec l’amour, reste toute cette glue de sentiments paradoxaux mélangés et incertains. C’est cela la Musica hypnotique de DURAS et elle permet de passer outre ces partis pris.
On, peut aussi rester totalement hermétique à l’univers DURASSIEN tel que traduit par VASSILIEV, à toutes ces nuances de gris; on peut ne pas comprendre ce qui se joue, mais pour ceux qui ont traversé cela de cette façon là, la MUSICA met des mots et des situations en scène qui permettent de saisir un peu le reflet de ce qu’on a vécu et qu’on n’a pas alors su exprimer tant cela est banal et pourtant si déchirant.
C’est une injection lente de nuance, magnifiquement intense et complexe sur la fin de l’amour et la séparation sans haine.
Une dernière danse et puis Adieu…
C’est ce moment que M Duras nous décline 3 fois avec d’infinies nuances.
Dans la première partie c’est la lourde gêne du couple qui se retrouve, n’a pas grand-chose ou trop à se dire, mais ne sait comment et se regarde, s’épie, se tourne autour.
Le temps s’étire, les paroles sont rares les corps s’évitent dans cette salle remplie en son coin droit de vieux meubles et objets de bric et de broc, à l’image de ce qu’on laisse derrière soit, à travers lesquels, selon des chemins connus d’eux seuls, se meuvent les deux acteurs.
Artificiellement dans le début de la 2eme partie, la scène se rejoue sur le mode joyeux avec un ton enjoué et anodin, mais tout sonne faux et les acteurs ne cessent de boire et remplir des verres ; c’est l’alcool qui rend joyeux artificiellement et libère la parole et la fausse joie, Florence VIALLA se fait mutine, limite garce et Thierry HANCISSE chaleureux.
Puis dans la 3 eme partie, s’épanouissent toutes les touches parsemées dans les deux premières, soulignées merveilleusement par la musique. Le plateau s’est chargé peu à peu de meubles et de cartons qui envahissent de plus en plus l’espace dans lequel peuvent se mouvoir les comédiens, comme une remonté de souvenirs, obligeant ceux-ci à se placer à l’avant scène, dos au mur ; La parole se fait plus intense, des explications sont données sur ce que chacun a vécu dans ce mariage et sur les raisons qui ont mené à l’incompréhension puis la séparation.
On peut bien sur remettre en question les parties pris de mise en scène d’une pièce initialement prévue pour être radiophonique, cette scène fermée (sauf une fenêtre) où les déplacements ne se font qu’en sous sol par le biais deux escaliers (avec toutes les interprétation psychanalytique qu’ont peut en donner), on peut se montrer agacés par certain type de dictions, on peut regretter la lenteur de la première partie… reste l’intensité de ces silences habités, des regards extraordinaire de Thierry HENCISSE et Florence VIALLA ; reste ces mouvements dansés qu’ils opèrent l’un vers l’autre, l’un autour de l’autre, reste l’ambiguïté du désamour, reste l’incompréhension de ce qu’est la vie en couple, de sa compatibilité avec l’amour, reste toute cette glue de sentiments paradoxaux mélangés et incertains. C’est cela la Musica hypnotique de DURAS et elle permet de passer outre ces partis pris.
On, peut aussi rester totalement hermétique à l’univers DURASSIEN tel que traduit par VASSILIEV, à toutes ces nuances de gris; on peut ne pas comprendre ce qui se joue, mais pour ceux qui ont traversé cela de cette façon là, la MUSICA met des mots et des situations en scène qui permettent de saisir un peu le reflet de ce qu’on a vécu et qu’on n’a pas alors su exprimer tant cela est banal et pourtant si déchirant.
C’est une injection lente de nuance, magnifiquement intense et complexe sur la fin de l’amour et la séparation sans haine.
Une dernière danse et puis Adieu…