- Classique
- Comédie Française - Salle Richelieu
- Paris 1er
La Tempête

- Serge Bagdassarian
- Jérôme Pouly
- Hervé Pierre
- Loïc Corbery
- Georgia Scalliet
- Pierre Hancisse
- Stéphane Varupenne
- Comédie Française - Salle Richelieu
- 2, rue de Richelieu
- 75001 Paris
- Palais Royal (l.1, l.7)
Metteur en scène de renommée internationale, grand connaisseur de l’œuvre de Shakespeare qu’il a maintes fois travaillée à l’opéra, Robert Carsen signe avec La Tempête sa première collaboration avec la Troupe et sa première mise en scène de théâtre en France.
Ce créateur d’images aux beautés inspirées, également réputé pour sa direction d’acteurs et la qualité dramaturgique de ses intentions, s’empare de cette pièce à part dans le répertoire shakespearien, jouée pour la première fois à la Comédie-Française il y a seulement vingt ans. Ce « tissage de matières d’une richesse inouïe » qui l’a toujours fasciné fait plus que tout autre appel à l’imaginaire, le réel et l’irréel s’y mêlant en permanence.
Dans ce texte sur le pouvoir – pouvoir politique mais aussi pouvoir de la pensée – chaque instant, chaque parole renverse nos certitudes. Il s’ouvre sur la tempête que provoque Prospero, et avec elle le naufrage de son frère qui a usurpé son royaume. Ce dernier échoue avec ses compagnons d’infortune sur l’île où l’exilé vit depuis douze ans avec sa fille Miranda et deux esprits obligés de le servir, mais qui cherchent eux aussi leur liberté : Ariel et Caliban. La tempête qui fait rage, surtout dans l’âme de Prospero, ne cessera pas d’éclater tout au long des cinq actes, précise Robert Carsen.
La Salle Richelieu se transforme le temps du spectacle en cette île, antre de la magie, espace mental et psychologique, qu’il orchestre en nous assurant que « nous sommes de cette étoffe dont les rêves sont faits ».
Il a été destitué 12 ans plus tôt de son duché de Milan par son frère. Il vit isolé avec sa fille, Miranda, sur une île où il a échoué suite à une tempête. Son cœur brûle de se venger de la trahison qu’il a subi. Aidé d’un esprit qu’il a délivré, Ariel, ils vont faire échouer ses ennemis sur son rivage et les mettre à sa merci. Un esprit sous les traits de l’excellent Christophe Montenez, de plus en plus, présent dans les pièces de la Comédie Française. C’est toujours un vrai plaisir de le retrouver. Il montre à chaque spectacle la richesse et la subtilité de son jeu.
Prospero est un magicien entouré d’Ariel et de Caliban, tous deux habillés de blanc également. Serions-nous enfermés dans un hôpital ? Un Caliban interprété avec une incroyable folie par Stéphane Varupenne. Quelle prestation ahurissante ! Plus je découvre ce comédien sur scène et plus il me surprend par son talent. Un ravissement de le retrouver à chaque fois.
Mais les naufragés arrivent tout de gris vêtus avec des valises à la main. Différents personnes arrivent à des endroits très précis de l’île. On va d’une part découvrir deux matelots alcooliques, Stéphano et Trinculo crasseux et pouilleux. Ce duo, Jérôme Pouly et Hervé Pierre, va jouer des scènes d’une incroyable bouffonnerie qui ne pourront qu’emporter le public vers un rire sincère. J’adore ces comédiens qui prouvent qu’au français, ils peuvent tout jouer et avec un savoir-faire incroyable.
Puis d’autre part, on va rencontrer les soldats, les militaires en tenu avec leurs médailles. Le frère Antonio, cruel, jaloux et calculateur est prêt à tout pour rester proche du pouvoir. La famille et les amis, ce n’est pas très important contrairement au pouvoir. Serge Bagdassarian lui donne ces traits. Quelle belle prestation de ce comédien au panel de personnages assez riche.
La vengeance va se faire. Prospero va marier son attachante fille au fils de son ennemi, le beau Ferdinand. Le couple est incarné par Loïc Corbery et Georgia Scalliet,. Un couple qu’ils avaient déjà formé dans « Le Misanthrope ». Loïc Corbery incarne toujours avec aisance ce jeune et innocent amoureux. On les croit sincère en les regardant. Ils sont touchants. Et puis tout finira bien avec Prospero qui pardonne à tout le monde : « Vous, ma chair et mon sang ! vous, mon frère, qui avez choyé l’ambition, en repoussant le remords et la nature ; vous qui, d’accord avec Sébastien, que torturent en conséquence les morsures intérieures, avez voulu tuer votre roi… je te pardonne, si dénaturé que tu sois ! ». Il a calmé ces tempêtes intérieures et peut maintenant aller en paix. "Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont faits et notre petite vie est nimbée de sommeil".
Le texte a été adapté par Jean-Claude Carrière dans une langue classique, efficace et dynamique. Une traduction mise au service de Robert Carsen pour la mise en scène. Dans un bruit retentissant, il va faire tomber des centaines de bouteilles. Une façon de montrer l’importance des déchets qui polluent la mer. Mais aussi un moyen scénique incroyable qui demande aux comédiens un déplacement particulier qui génère un bruit. J'ai trouvé cela doublement malin. Mais cette mise en scène qui ne fait pas l’unanimité dans la presse. Certains la reproche trop froide et d’autres la trouve sublime pour sa simplicité. Dès le lever de rideau on comprend que la mise en scène sera très moderne. Notre regard est guidé sur le fond de scène et les murs sont blancs. Une couleur idéale pour y faire des projections pour raconter l’histoire de Prospero avec les images de Will Duke ou créer un mirage. Ces murs blancs vont aussi permettre de créer de magnifiques ombres chinoises qui vont prendre des propensions gigantesques. Est-ce la petite part de magie qu’a concédé Robert Carsen ?
J'ai beaucoup aimé ce qui m'a été proposé. Il faut dire que les comédiens du français sont vraiment des artistes exceptionnels.
« Nous sommes faits de la matière dont nos songes sont faits... » j’ai failli m’endormir
Première fois que je trouve Mr Vuillermoz fade.
Shakespeare, comme dit Victor Hugo est "un homme océan", un auteur qui renverse tout, une tempête sous un crâne. Prenons d’ailleurs le temps de la citation exacte : « Il y a des hommes océans en effet. Ces ondes, ce flux et ce reflux, ce va-et-vient terrible, ce bruit de tous les souffles […] cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s'appelle génie, et vous avez Shakespeare, et c'est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l'océan. » (Victor Hugo, William Shakespeare, II). Et moi de penser : quoi de mieux pour cet univers que la troupe de la Comédie Française ! Détrompez-vous : Ô comme nous en sommes loin de cette tempête !
Histoire de pouvoir, de destitution puis de pardon, de renoncement à la vengeance et enfin d'amour… Mais tout ici se perd dans des arguties faussement intellectuelles, des effets d’intériorisation prétentieux… Quelle cuistrerie ! Et le public dans tout ça ?! Tout est étouffé, rien ne s'anime dans la lumière bleue hivernale de cette île hôpital ! Cette pièce n’est déjà pas au demeurant la pièce de Shakespeare la plus accessible et cette mise en scène, à mon sens, ne fait que brider le talent immense des acteurs du Français Plus de Vuillermoz tonitruant, de Bagdassarian lumineux, de Sandre caméléon, de Lavernhe étoile montante mais des hommes en pyjama ou en costume (sans parler de Loïc Corbery toujours cantonné à ses rôles de jeune premier et d’amoureux transi. Cela finit par lasser un peu, on n’entre plus au Français avec un emploi défini de valet, soubrette, tragédien, comédien etc. Il serait intéressant de voir Loïc Corbery dans un autre registre). Rien dans la mise en scène de Robert Carsen n’aide à s’accrocher, à expliciter le propos de Shakespeare. Une mise en scène qui déconstruit la pièce, quel ennui ! Ajoutons à cela, l’utilisation des écrans pour faire apparaître les déesses grecques et c’est la tartine contemporaine de trop.
Je n'ai vraiment pas réussi à lire, à décoder l'histoire racontée par cette mise en scène. Le seul immense dans la tempête c'est Hervé Pierre : quel jeu, quel sens de la comédie- le trio des trois alcooliques interprétés par Stéphane Varupenne, Jérôme Pouly et Hervé Pierre est le seul élément vraiment réjouissant dans ce naufrage. Tout le reste est passé comme un mauvais rêve.
Pendant la pièce j'ai attendu le déclic mais il n'est pas venu.
Que nenni ! Son parti pris est radical et profondément déconcertant : exit les couleurs chatoyantes et bonjour les cinquantes nuances de gris ! Privilégiant une approche intériorisée de la pièce, Carsen va jusqu'au bout de son idée mais nous laisse au bord de la route. On regarde souvent sa montre, faute d'incarnation, de chaleur, de flamboyance.
D'emblée, tout est dit. Prospero siège dans un lit d'hôpital et semble se réveiller d'un long coma. Des toiles grises tendues constituent le décor. Plutôt aride. On comprend rapidement que cette tempête va se déchaîner à l'intérieur de l'esprit du magicien destitué de son titre de duc de Milan. Carsen navigue donc à contre-courant de l'idée qu'on se fait de la pièce et propose une représentation toute mentale et, avouons-le, trop sèche pour être percutante. L'exercice s'avère trop périlleux pour Carsen, qui par ce choix d'une élégance minimaliste et monochrome, surprend un peu trop brutalement son public.
Féerie en sourdine
Cependant, cette esthétique d'une prison mentale est menée avec cohérence et intelligence. Carsen va jusqu'au bout de son idée. Simplement, on s'attendait à un feu d'artifice au vu d'une telle pièce. L'ensemble est d'un sinistre trop effrayant pour la tonalité générale. En noircissant à outrance Shakespeare, le metteur en scène semble avoir oublié la démesure propre à l'Anglais. On retrouve, avec bonheur, cette hybris lors de la réunion des trois alcooliques fêtards : Caliban, l'esprit sauvage incarné avec brio par Stéphane Varupenne, à la force tellurique ; Stephano et Trinculo deux bouffons respectivement incarnés par un Jérôme Pouly et un Hervé Pierre au sommet de leur forme comique ! Leur apparition apporte une légèreté bienvenue et salvatrice.
Si Carsen ménage un peu trop ses effets, quelques scènes éblouissent par l'enchantement qu'elles suscitent à l'instar de cette vidéo en noir et blanc (décidément) célébrant l'hymen de Mirando et Ferdinand par un trio de déesses élégamment interprété par la superbe Elsa Lepoivre. Ou bien encore les facéties d'Ariel, l'esprit de l'air, qui déchaîne les éléments avec une voix amplifiée et des ombres effrayantes. Ce magicien de pacotille se retrouve incarné sous les traits graciles et enfantins d'un Christophe Montenez tout en délicatesse. Ici, Carsen nous prouve qu'effectivement pas besoin d'effusion pour engendrer l'illusion théâtrale.
Michel Vuillermoz, lui, est d'une autorité implacable. Sa souffrance est perceptible, sa dignité d'homme bafoué aussi. Serge Bagdassarian jubile en odieux personnage manipulateur. On retrouve la Georgia Scalliet des débuts, à la voix traînante et aux accents trop mièvres. Son jeu sonne faux mais le rôle d'une vierge de quinze ans qui s'ouvre au désir est compliqué à tenir...
Robert Carsen a-t-il été impressionné par les enjeux de la maison de Molière et s'est-il bridé de lui-même ? Si sa vision psychanalytique de la pièce souligne avec pertinence la folie et la paranoïa de Prospero, la gravité de l'ensemble plombe l'ambiance.