Critiques pour l'événement La Règle du jeu
2 févr. 2018
9/10
17
Bravo ! Quel vent frais !
'ai été submergé durant toute la représentation comme si on avait un théâtre frais et innovant qui nous était présenté. Evidemment cela ne plaira pas à tout le monde, mais cela a bien marché sur moi :)
1 déc. 2017
9/10
42
C'est quand même incroyable que le théâtre le plus traditionnel de France soit devenu le plus avant-gardiste.
"La règle du jeu" a changé les règles, et il se pourrait bien que nous assistions là à une vraie révolution du théâtre !
Cette caméra dans les coulisses brouille les pistes, est ce que le spectacle a déjà commencé ?
Cette même caméra qui poursuit les comédiens dans la rue, est ce que le spectacle est aussi hors de la scène ?
Il y a fort à parier que cette "Règle du jeu" va donner envie à d'autres…
Allez y avec l'esprit et les yeux grand ouverts !
24 mai 2017
9/10
54
Plus de 20 ans que je n'avais pas remis les pieds à la Comédie Française, je n'ai pas été déçue du voyage, j'en suis même sortie ébouriffée de cette règle du jeu.

Connaissant le film de Renoir, je n'ai pas de surprise concernant l'histoire mais quel choc ce nouveau concept de 'théaciné', c'est juste génial car on a plus de liberté de mise en scène en profitant du théâtre en entier et même de ses alentours. Ensuite il y a le coté improvisation qui est en fait totalement scénarisée et maitrisée et c'est très prenant, on suit les aventures de Robert qui se lâche devant la caméra en se demandant quelle va être sa prochaine action.

Je comprends qu'on puisse ne pas accrocher en s'attendant à une pièce de théâtre classique où toute l'action se déroule sur scène mais personnellement, j'aime l'espace de liberté que ce concept procure.
25 avr. 2017
8,5/10
44
Robert donne une soirée pour des centaines d’invités dans son somptueux manoir parisien, en l’honneur de son ami André qui vient de réaliser un exploit héroïque en Méditerranée. Robert est aussi dandy arrogant que son ami est libre. André est amoureux de Christine, l’épouse de Robert, qui lui-même entretient une liaison avec Geneviève.

La fête est sans limite, presque décadente, on boit, on chante, on danse… Le film projeté au début du spectacle est tourné par Robert lui-même, il nous laisse croire que nous resterons de simples spectateurs, quand soudain… la fête surgit : elle est ici, salle Richelieu. Les invités, c’est nous ! Le drame est en embuscade, la tension s’installe et monte crescendo.

Envie de danser avec Suliane Brahim, de fondre devant Serge Bagdassarian, de boire un verre avec Jeremy Lopez, de faire un câlin à Jérôme Pouly ? Et que diriez-vous de reprendre en cœur avec vos voisins « Paroles, Paroles » de Dalida ou « For me -Formidable » d’Aznavour ?
Ici, c’est possible ; mais attention, avant d’accepter, sachez qu’il n’y a plus de règles, il n’y a que du jeu !
Ici, on bouscule les conventions… et les spectateurs !
Le public est partagé entre enthousiasme et inquiétude. Il passe par toutes les émotions, il s’interroge, il rit, il chante. Certains voudraient se lever et monter sur scène, attrapant volontiers les verres et les mains tendus par les comédiens. D’autres restent figés, quasi consternés, se demandant à quelle sauce ils vont être mangés par ces acteurs virevoltants et débridés, en apparence sans limite. Que va-t-il se passer maintenant? Jusqu’où iront-ils ? Tout cela est-il écrit ou sont-ils en pleine improvisation ? Ambiance !

Ici, le théâtre se confronte au cinéma et réciproquement. Christiane Jatahy travaille beaucoup sur les rapports entre les deux arts ; ils s’y succèdent tout d’abord, puis se mélangent, provoquant le spectateur avec une audacieuse transition. Se pose aussi la question de nos propres rapports avec le théâtre, et de notre regard sur le réel et la fiction.

Ici, la caméra fait tomber plus vite le masque du mensonge. Les infidélités lovées au fond des alcôves, se découvrent par écran interposé en direct. Les cocus en prennent pour leur compte, l’huile est jetée sur le feu.

Ici, on regrette cependant que le scénario reste un peu trop sage par rapport à l’original. Le héros André Jurieux interprété par un Laurent Lafitte imposant, n’est plus le navigateur aérien de l’Atlantique de Renoir mais devient un marin qui sauve des migrants en Méditerranée. Le garde-chasse allemand se métamorphose en africain. Christine est d’origine arabe alors qu’elle était une autrichienne exilée…

Tous ces personnages se déchirent finalement, non pour des raisons politiques ou sociales, mais par orgueil… Ce qui se dessinait comme la promesse d’une joute intellectuelle, politique engagée, sur fond de relations amoureuses impossibles, cède finalement la politesse à la tragédie, atemporelle. Peu importe ce que les personnages feront, d’où ils viennent, qui ils sont… ils ne sont ici que pour servir cette tragédie.

C’est un peu dommage, car la caméra, malicieuse complice du théâtre, a également cette vertu de lui permettre de jouir de plus de complexité avec plus de vitesse.
Ici, la Comédie-Française sort une nouvelle fois de sa zone de confort, fait preuve d’audace, revisite avec brio sa propre modernité et nourrit le dialogue nécessaire avec la société d’aujourd’hui. Elle incarne pleinement le spectacle vivant, elle crée, elle prend sa part de risques, elle provoque les mélanges et les échanges artistiques…

Au risque de déplaire à ceux qui préfèrent souvent y voir autre chose par facilité et nostalgie, et qui enragent de se faire ainsi bousculer, le miroir tendu par ce théâtre-là nous renvoie une image de nous-mêmes.
Le changement rencontre toujours ses résistances, la nouveauté agace, mais le vent de liberté et de création qui souffle au Français est irrésistible et y pousse joyeusement ceux qui n’y viennent jamais, ceux qui pensent qu’il n’est pas pour eux.

Ici, le 4è mur n’a plus de mur que le nom, il est une offrande, un partage, une invitation, une claque, une caresse aussi… qui vient se poser sur ma bouche mais surtout sur mon cœur.
23 mars 2017
8/10
22
Fascinant, tourbillonnant, troublant.
La Règle du jeu adaptée par Christiane Jatahy propose un théâtre renouvelé, fusion entre la vidéo et le spectacle vivant, entre le cinéma et le théâtre.

Parfois un peu brouillon, la force de la pièce repose sur la virtuosité de ses comédiens, en (fausse) roue-libre.
Un moment précieux parce qu'étonnant.
12 févr. 2017
9,5/10
52
Bien que la pièce soit assez déconstruite, on comprend facilement le propos et à aucun moment on ne se trouve perdu : Robert de la Chesnaye, riche bourgeois, invite de nombreux amis à fêter le retour de André Jurieux parmi eux, après qu’il a sauvé de nombreux migrants en Méditerranée. Si la relation entre André et Christine, la femme de Robert, semble ambiguë, il en va de même pour celle qui lie Robert à Geneviève, une autre invitée. Le monde de la transfiguration s’ouvre alors aux convives : Robert organise une grande fête, imposant à ses invités de se déguiser, de chanter, de danser et de s’amuser. Un spectacle en apparence explosif et joyeux mais dont l’implosion à retardement nous agresse petit à petit.

Pour nous présenter son adaptation, Christiane Jatahy a imaginé un dispositif encore jamais mis en oeuvre dans la Salle Richelieu : les spectateurs vont devenir acteurs de sa propre pièce. L’idée est de nous intégrer au mieux à l’histoire, au décor, au casting. Et pour cela, toutes les barrières sont levées : la notion de 4e mur n’existe plus. Les acteurs jouent dans la salle, avec le public, armés de caméra et jonglant entre théâtre et cinéma. Cela peut choquer au premier abord, mais pourtant dès que le film initial s’installe, plus aucun doute n’est possible : la précision des prises, son timing impeccable, les gestes millimétrés, presque insondables, et qui pourtant transpercent l’écran comme s’ils avaient été hurlés, annoncent la teneur du spectacle qui va suivre. Très vite, on oublie que l’on est au théâtre et qu’on regarde l’écran : lorsque les premiers invités arrivent, j’étais étonnée de ne pas voir une trentaine de convives s’installer sur scène. J’avais oublié la distribution.

J’ai été prise dans la fête, de manière très subtile : ça paraît immédiat et pourtant la transition est là. Lentement, on passe du film initial à la salle, et on se retrouve alors intégré au scénario. Si les premières minutes sont malaisantes, avec cette chasse à courre où les gibiers sont les femmes conviées à la soirée, on se retrouve très vite projeté en plein milieu de la soirée. Et, alors que le malaise était là l’instant d’avant, on est soudainement en train de chanter avec les invités, les bras levés, conquis. Nous sommes comme les autres convives, à rire, à chanter, danser et boire. La fête bat son plein, mais ce n’est qu’une apparence et toute la suite cherchera à nous le montrer. Les scènes finales, où un calme presque inquiétant règne sur le plateau, sont plus cruelles, de par le contraste qu’elle présentent avec ce qui a précédé mais également par l’absurdité des réactions qu’elles proposent : Robert, venant d’apprendre qu’il est trompé, entre dans la salle de fête soudainement désertée à la manière d’un paysage de guerre, le filmant de manière dérisoire et presque triste. L’expérience spectateur proposée lors de ce spectacle est unique : loin de ressentir depuis notre fauteuil l’émotion qui se dégage du plateau, il s’agit ici de vivre, et de vivre pleinement l’action, de prendre part à l’histoire. Suivez mon conseil : sortez de votre zone de confort, oubliez le cadre, lâchez-vous, et il ne s’agira alors plus simplement d’éprouver, mais de consommer à pleines dents cette proposition unique, extravagante, exceptionnelle.

J’ai trouvé le spectacle très porté sur la distinction entre l’être et le paraître, d’une cruauté sans pareille. Certes, on est gai et on chante tous ensemble l’espace d’un instant suspendu. Mais l’instant d’après, notre hôte change du tout au tout. Il aperçoit sa femme qui le trompe et son regard trahit ses pensées. Jamais je n’ai vu pareille colère, pareille tristesse, transparaître ainsi, aussi soudainement, à travers un regard. Un peu malsain, un peu satanique, il est un maître de cérémonie étrange, dérangeant, à l’hospitalité inhabituelle. On connaît l’ampleur du talent de Jérémy Lopez, et une fois encore il parvient à nous surprendre : son effet réside en ce qu’à aucun moment il ne va tricher. Il ne joue pas, c’est à peine s’il incarne ; il est. C’est le même homme qui joue avec son public, le regarde droit dans les yeux et lui lance des punchline, et qui l’instant d’après sera déchiré et trahi par sa femme. Ce sont les mêmes yeux, les mêmes émotions, le même regard. Et la puissance de ce regard réside bien plus en la sensibilité et l’implication de l’homme qu’en la technique de l’acteur.

Tout nous rappelle le fossé qui sépare le monde de la figuration de celui du sentiment vrai. D’abord, par le personnage de Serge Bagdassarian : je sens bien que je me répète, mais il fait partie de nos Grands du Français et sa présence sur ce plateau s’avère absolument incontournable : à travers ses reprises de Paroles, paroles et Non ho l’eta, il souligne à lui seul le côté désabusé et parfois malheureux de telles soirées. Malgré leur présence, ils ne parviennent pas à être ensemble, et cette désillusion présente tout au long du spectacle laisse un goût amer chez le spectateur. On semble s’amuser et pourtant quelque chose dérange. Jérôme Pouly, déchirant lors des scènes finales, emprunte à l’Octave et au Coelio de Musset, et au Cyrano de Rostand. Désenchanté, il met des mots durs sur ce qu’il vient de vivre, et laisse la place à un Laurent Lafitte aux allures de héros de notre siècle. Éric Génovèse, transformé et difficilement reconnaissable, est un Marceau séduisant ; et sa voix, inimitable et douce, qui amène une humanité évidente à son personnage, contraste avec celle de Bakary Sangaré, plus dure, qui se retrouve exclu de cette société qu’il contrôle à l’entrée. Du côté des femmes, on retrouve ce contraste entre Suliane Brahim, Christine fébrile et hors du Jeu, et Elsa Lepoivre, qui semble connaître les règles et jongler avec aussi facilement qu’avec les bouteilles d’alcool.

Ce spectacle, c’est également un travail de troupe absolument dingue. On les voit prendre un pied total, et on n’a parfois qu’une envie : se lever et les rejoindre sur scène. Le pari était risqué et fort, et si les acteurs ne faisaient que leur boulot, jamais cela ne prendrait. Ils sont au-delà de toutes limites, sur un fil si mince que la menace de tomber est présente à chaque réplique. Mais cela, on ne s’en rend compte qu’en sortant du spectacle. Faire des expériences pareilles à la Comédie-Française nécessite culot, courage, et maîtrise absolue. Il fallait oser, ils l’ont fait. Pour l’audace, pour l’enjaillement, pour l’excellence, et bien sûr pour cette soirée, merci. Je reviendrai.

Une expérience théâtrale comme je n’en avais jamais vécu. Incroyable, vivifiante, unique, paralysante. Totale.
11 févr. 2017
8/10
91
Après Les Damnés version van Hove, au tour de Christiane Jatahy de chambouler les codes du Français. Attentif au microcosme théâtral, Éric Ruf a su convaincre les grands metteurs en scène du moment de travailler avec sa troupe. En adaptant La Règle du jeu, la Brésilienne poursuit son exploration sur la porosité des genres cinématographique et dramatique. Ce spectacle hybride décuple notre plaisir voyeuriste et se plaît à proposer un jeu de piste entre fiction et réel qui souligne le faste de la maison de Molière.

Jatahy donne le la dès le lever de rideau ; où plutôt lorsque l’écran géant commence à projeter un film. La caméra en plan subjectif invite le spectateur à pénétrer dans les arcanes d’une fête chatoyante et pleine de surprises. Les invités triés sur le volet papotent, se font la bise et se réunissent pour célébrer le retour en fanfare d’André Jurieux, un navigateur héroïque qui a traversé la Méditerranée en sauvant des émigrés. La soirée ne fait que commencer…

Renoir convoque Marivaux et Musset dans son film : ces références au répertoire ainsi que la réappropriation des classiques sont autant de questionnements qui passionnent la metteur en scène. Ces chassés-croisés amoureux, entre cocufiage, révélations et renonciations, donnent le tournis et servent d’écrin à la beauté des lieux. Jatahy explore littéralement de fond en comble les loges, les façades, les couloirs, les escaliers. Aucun recoin n’est épargné et la Comédie-Française se transforme véritablement en un personnage à part entière. On se retrouve perdu dans ce dédale, en proie à un vertige hagard qui nous désoriente avec un plaisir certain.

Pulsions scopiques
Si la vidéo occupe près de la moitié de la représentation, elle ne s’avère pas théâtrophage. Les deux genres dialoguent avec une fluidité qui joue sur les mises en abyme à gogo : pièce dans la pièce dans la pièce… La caméra, omnipotente, scrute sans pitié les visages de ces âmes amoureuses, enragées ou désillusionnées. Elle zoome les moindres expressions faciales, carte du Tendre des surprises du désir. Lorsque l’on passe sur le plateau, les corps sont davantage appréhendés dans un mouvement global, d’ensemble. On s’épie, on joue à s’épier, on veut s’épier. Une démarche voyeuriste qui fait mouche.

Jatahy pousse les comédiens à s’encanailler, à lâcher prise, à sortir de leur zone de confort. Une chasse au lapin SM malsaine qui dégénère, un remix un brin alcoolisé des meilleurs tubes de Chantal Goya, du Dalida en mode karaoké… Le quatrième mur vole en éclats et la troupe se démène allègrement parmi un public médusé. Non, non vous ne rêvez pas. Tout cela se passe salle Richelieu.

Cette sauterie-massacre réunit la crème du Français. Depuis quelques années, Jérémy Lopez se voit attribuer des rôles de plus en conséquents et s’impose comme l’un des jeunes les plus prometteurs et polymorphes de la maison. Après Roméo, voici Robert, un maître des lieux un peu schizo et sur la brèche. La gravité mélancolique et l’angoisse de la solitude siéent bien au trentenaire. Il retrouve Suliane Brahim, sa Juliette, fébrile et si farouche à la fois. Elsa Lepoivre campe une maîtresse à la dérive avec aplomb ; Jérôme Pouly un éternel numéro 2 charismatique ; Serge Bagdassarian une Zaza ultra extravertie et Laurent Lafitte un héros belle gueule qui joue parfaitement les golden boys. Du lourd, on vous dit.
10 févr. 2017
10/10
49
Moteur ! Et....... Action ! Ça tourne !

Faut-il tout de même être talentueuse, inspirée, surdouée (oui, j'assume cet attribut, faisant totalement partie du prédicat de ma première phrase...) faut-il être sûre de ses choix, de ses partis-pris, de son travail, de son art, pour proposer ce qu'elle nous propose actuellement Salle Richelieu !
Christiane Jatahy, puisque c'est évidemment elle dont je parle, nous offre un puissant spectacle, un spectacle enivrant, foisonnant, luxuriant !

Luxuriant comme la forêt amazonienne brésilienne, tout près de Rio, la ville natale de Melle Jatahy.

Et si cette jeune femme avait purement et simplement réussi à inventer le spectacle total ?
Le spectacle total de ce début de XXIème siècle ?

Il faut dire qu'elle est habituée au « mélange des genres artistiques ».

Ici, se côtoient Cinéma, Théâtre, Video embarquée, Spectacle de clown, Chanson, Music-Hall (Le retour du Cabaret interlope, n'est-ce pas M. Bagdassarian ?...).
Sans oublier l'interactivité avec le public, ce qui est assez rarissime Salle Richelieu...

(D'ailleurs, à ce propos, votre serviteur a beaucoup donné, hier soir, en chantant le dalidesque « Paroles, paroles » et en ayant Jérémy Lopez qui lui est passé au dessus de la tête... Si si... C'est comme je vous l'écris...)

S'attaquer donc à la « Règle du jeu » de Renoir, le mythique film ?
Melle Jatahy a totalement gagné son pari, elle a tout à fait relevé le gant et a remporté haut la main la gageure.

Le spectacle commence par un moyen-métrage de... vingt-six minutes.
Pendant ce film, pas moins de trente-deux Sociétaires, Pensionnaires et Elèves-Comédiens sont à l'image. (C'est bien simple, sur le programme, n'ont jamais autant figuré de petites cibles rouges... Comprenne qui veut, comprenne qui peut...)

Puis, une fois l'écran relégué dans les cintres, « seuls » dix comédiens seront présents « en chair et en os » sur le plateau, dans la salle et même dans le public, à certains moments.

Tous se dépensent sans compter, tous y vont franchement, pour notre plus grand plaisir, sans avoir l'air de rien, sans avoir l'air d'y toucher... Sensation délicieuse ! )
Ca m'embête un peu de vous narrer plus avant les différents tableaux drôlissimes ou émouvants, tellement je ne voudrais pas vous gâcher la suprise...

Le pitch de tout ça, c'est exactement le scénario du film, à ceci près que la metteure en scène a opéré des ajustements et des adaptations pour coller au plus près à notre époque.
C'est ainsi que la grande demeure de Robert (le décidément de plus en plus excellent jérémy Lopez), c'est la Comédie Française. C'est donc l'occasion de découvrir davantage le Saint des Saints.
C'est ainsi également que l'aviateur André Jurieux (le toujours pince-sans-rire Laurent Laffite) est devenu un héros navigateur qui a sauvé du désastre un grand nombre de migrants.
Et d'autres...

La force de tout ceci, c'est évidemment de donner au public la possibilité de s'affranchir de l'inévitable distanciation envers le grand écran.
Nous sommes dedans, nous participons (je me répète...), nous chantons, nous hurlons de rire, nous vibrons d'émotion....

Et tout ceci fonctionne pleinement et à plein régime.

Une démesure totalement contrôlée.

Je voudrais terminer avec une dernière constatation.

Faut-il tout de même être un Administrateur doté d'un sacré sens de la transformation du langage et des codes du théâtre actuel pour confier les clefs de la prestigieuse Maison à cette très grande metteure en scène qu'est Christiane Jatahy !

Au passage, ne ratez pas le cameo d'Eric Ruf, en tout début de spectacle... Je ne vous en dis pas plus, le symbole est hilarant...)

Entendez-vous, il vous faut impérativement aller voir cette « Règle du jeu ».
Tout comme pour les « Damnés », vous pourrez dire dans vingt ans : « J'y étais » !

And........ CUT !
7 févr. 2017
10/10
23
La Comédie-Française nous étonne à nouveau et se surpasse ici, nous montrant sa maitrise d’orfèvre des arts du spectacle dans cette explosion spectaculaire à l’audace inouïe, mêlant Cinéma, Théâtre, Vidéos, Chansons, Musiques… Sur le plateau, dans la salle, jouant des interactions avec le public.

Ce Théâtre d’excellence dépasse les limites habituelles, se mettant en scène également et compose avec cette réalisation une ode affirmée à la modernité, à l’avant-garde, outrepassant les règles du jeu dramaturgique, ajoutant ainsi une facette novatrice à son répertoire qui devient on ne peut plus éclectique et d’une incontournable lecture actualisée au service du spectacle vivant classique ou contemporain.

Christiane Jatahy, auteure de cette mise en vie du film magnifique de Jean Renoir, qu’il nommait « fantaisie dramatique », semble réinventer sous nos yeux, dans une théâtralité surprenante par sa diversité d’expressions, ce drame amoureux. L’étonnement nous saisit tout le long où tout apparait se jouer en temps réel, là devant nous, avec les scènes filmées qui se mêlent au reste et qui nous emportent tout à fait. Le plaisir est ahurissant comme celui d’un enfant découvrant un objet extraordinaire.

C’est une histoire d’amours entremêlés et empêchés qui nous est contée. Des jeux de l’amour et de l’amitié, trahis au gré des attirances insouciantes et faciles, des hasards crasses et ravageurs où le déchainement des sentiments, la transgression des interdits font confondre le jeu et la vie. Plus de règles du jeu. Plus de règles de vie. La passion règne et gère les enjeux.

Christine et Robert sont mariés depuis trois ans. Ils mènent une vie d’aristocrates repus de plaisirs et de richesses. À l’occasion du retour d’André, aviateur venant de réussir un exploit, ils organisent une grande fête aux allures d’orgiaques agapes dans laquelle la confusion sèmera son trouble.

André aime Christine plus qu’elle ne semble l’aimer. Par ailleurs, Robert tente de mettre un terme à sa liaison avec Geneviève qui l’aime encore et qui se laissera sombrer dans les effluves festifs de l’oubli. Octave, l’ami d’enfance de Christine, ami d’André, fait tout pour le bonheur des autres, oubliant le sien, à deux doigts de l’atteindre. Les domestiques et les maîtres se côtoient au rythme de l’avancée de la fête, de ses détours horrifiants et de son implacable fin.

Une sensualité débridée regorgeant d’audaces inonde les sentiments des personnages s’exposant dans de tendancieuses et passionnelles situations sans chercher ni pouvoir se cacher du regard des autres.

La volonté critique de cette société de nantis, baignant dans le tout-est-possible, ressort avec violence et précision. Le plus riche conduit sa vie comme s’il commandait celles des autres. La chasse organisée au cours de la fête porte le symbole de cette dénonciation sociale. Renoir n’est pas trahi. Son message semble même renforcé.

La troupe de la Comédie-Française brille de ses plus beaux éclats dans cette féerie spectaculaire où tout est au cordeau bien sûr mais dans laquelle la virtuosité est particulièrement saisissante.

Un spectacle incontournable et mémorable.
6 févr. 2017
9,5/10
24
Pourquoi "La Règle du Jeu" est-il le plus grand film de l'histoire du cinéma ?

Parce que c'est le théâtre et le cinéma mélangés, dans une mise en scène moderne, audacieuse, risquée, où tout se joue dans la profondeur de champ, l'art d'un découpage révolutionnaire, où l'action est devant, au milieu, derrière (surtout derrière); c'est une grande oeuvre formelle, la plus grande, deux ans avant Citizen Kane. Les techniques du cinéma primitif au service d'une oeuvre dramatique qui se paie de luxe d'embrasser tous les styles. Bref, ce film est un monstre !

Cette pièce ose et réussit un chef d'oeuvre formel et dramatique, en prenant des risques considérables! Mettre au premier plan le futile (fête, chansons, limite karoke) quand tout se déroule au fond, au dessus, sur les côtés, ailleurs que là où se porte habituellement notre regard au théâtre.
C'est déroutant, volontairement, le futile étant poussé au maximum (faux rythme, jeu avec le public, etc.), ce qui ne manque pas d'agacer parfois, voire pire: en faire partir certains.

Et pourtant, tout est là...
C'est l'audace et le génie de Renoir revisités au théâtre, sous nos yeux, en profondeur, en hauteur, en largeur. La scène de la salle Richelieu se prête parfaitement à la mise en scène de Christiane Jatahy, toute en volumes.
Les comédiens sont sublimes, vivant, hésitant, hurlant, aimant, détestant, chantant, faisant l'amour, tuant. Ils prennent aussi des risques énormes, jouant parfois le ridicule parce que l'essentiel est derrière eux et que le premier plan doit être ridicule, pour donner toute sa dimension à l'arrière plan, parce que la pièce doit être autre chose que du théâtre classique.

Je n'aurai qu'un conseil: allez voir la pièce. Vous n'en avez jamais vu de pareille. Vous serez peut-être agacés, surpris, déroutés, heurtés, séduits... comme les spectateurs du film de Renoir à son époque.

Personnellement, j'y retourne, cette pièce vaut d'être vue plusieurs fois!
5 févr. 2017
9/10
10
Le jeu de l'amour et du cinéma.

La règle du jeu est une adaptation libre du film de Jean Renoir, lui-même inspiré des pièces de Marivaux et de Beaumarchais. La boucle est donc bouclée. Et cela crée un nouveau style, le « kinemathron », une pièce dans un film ou un film dans une pièce ou les deux, je ne serais dire. Je suis encore sous le choc et le charme de la découverte. Un concept encore différent de celui Des damnés de Ivan Van Jove, pièce jouée cette saison aussi à la Comédie Française où la caméra servait à lire les non-dits sur les visages des comédiens. Ici, le film sert à étendre la scène, abattre les murs et les concepts du théâtre.

L’histoire est des plus classique. Il y a le mari, la femme, la maitresse du mari, les amoureux de la femme, la bonne, le mari de la bonne et l’amant de la bonne. Vous aurez donc compris qu’il s’agit d’une pièce sur l’amitié, l’amour et la sincérité, le jeu des sentiments.

Et le jeu, Christiane Jatahy le poursuit dans sa mise en scène. Le décor est un puzzle, fait de panneaux pris çà et là dans les pièces jouées à la comédie françaises. Les costumes sont un jeu d’empilement où Serge Bagdassarian excelle. La scénographie, une course poursuite. Les acteurs sont partout, dans les coulisses, dans les allées, dans les loges. Surprendre le spectateur est le mot d’ordre. Jeremy Lopez l’a bien compris, il y met tout son cœur et de sa personne pour rendre la pièce encore plus festive.

C’est déstabilisant comme tout ce qui est nouveau, mais ingénieux, habile et imaginatif. Génial en somme.
Spectateur classique s’abstenir, pour les autres, à voir sans modération.