Ses critiques
1005 critiques
8,5/10
Pas de mariages, mais beaucoup d'enterrements !
C'est la deuxième fois que Krzysztof Warlikowski s'empare d'un texte du dramaturge Hanokh Levin.
Après avoir mis en scène en 2003 Kroum l'ectoplasme, cette fois-ci, le metteur en scène a adapté l'auteur israëlien.
Il a pioché ici et là, dans ses différentes comédies, mais principalement dans Sur les valises, ce qui allait devenir On s'en va.
Le texte, publié aux éditions Théâtrales-Maison Antoine Vitez, fait partie d'un recueil intitulé « Comédies grinçantes ».
Nous n'allons pas tarder à comprendre pourquoi.
Oui, ces personnages sont grinçants.
Tous ces habitants de Varsovie, plus ou moins déjantés, à la dérive, tous ont une obsession : partir. Se casser, mettre les bouts, se carapater, décamper. S'évader.
Parmi les quelque dix-neuf composants de cette micro-société de loosers magnifiques, on trouve notamment une prostituée en culotte de peau allemande de couleur rose, un bossu blond à la coiffure mulet et au costume rouge vif, des veuves de bridge, une mère plus ou moins nymphomane, un travesti à la fesse droite tatouée, un bellâtre au chapeau mou, ou encore une touriste blonde à la recherche de ses origines filmant en permanence pour les réseaux sociaux sa trépidante vie.
Tous veulent s'échapper donc. Tous veulent partir de Pologne, notamment pour se retrouver dans cette terre promise fantasmée qu'est la Suisse. Tous, et ce, toutes générations confondues, ont leurs valises prêtes pour un monde meilleur.
Mais le voyage, pour certains, sera ultime.
Nous allons assister pendant trois heures à une jubilatoire série de décès et de cérémonies funèbres elles aussi déjantées.
Krzysztof Warlikowski va nous faire rire.
Avec des situations tirant souvent sur le grotesque, avec ces femmes et ces hommes pour le moins allumés, pour reprendre un terme à la mode, nous allons nous amuser de ces morts en série.
Ces départs, voulus, subis, ou fortuits, vont être le prétexte pour le metteur en scène de nous embarquer dans sa propre vision du départ.
Pour lui, tous « les départs sont ratés par nature ». Les départs positifs, ou négatifs.
Tous ratés ? Non, un seul est vraiment réussi : l'ultime départ, lot de chaque être humain.
Bien entendu, Warlikowski nous livre une puissante métaphore sur un départ qu'il pratique souvent : le départ de son propre pays, la Pologne.
Il est très bien placé pour nous dire dans sa note d'intention que la Pologne, de plus en plus liberticide, se dirige vers la sortie de l'Union Européenne (elle aussi...) et surtout vers une forme de fascisme.
Treize ans après sa première confrontation avec Levin, la vie polonaise est beaucoup plus difficile.
Avec une Eglise qui rend furieux le metteur en scène.
Pour autant, lui qui a jadis quitté son pays pour étudier, qui passe beaucoup de temps par son métier à l'étranger, lui revient toujours à Varsovie.
Sur le plateau, tous les comédiens vont déployer une énergie phénoménale à incarner ces hommes et ces femmes en partance. Ils ne vont vraiment pas ménager leur peine.
Nous retrouvons tout ce qui fait le « style Krzysztof Warlikowski ».
- les lavabos, les cuvettes de toilettes blancs. Incontournables.
- les dispositifs amovibles matérialisant des espaces définis. (Ici, en l'occurrence les toilettes ou le funérarium qui se rapproche au fur et à mesure des cérémonies).
- la mise en scène très cinématographique, avec de la vidéo, des musiques lancinantes et minimalistes évoquant certains films très spécialisés...
(A propos de musique, certains passages sont diffusés à très fort volume. Qu'on se le dise )
Avec toujours cette impression que la direction d'acteurs est réalisée en permanence par le prisme d'une caméra.
La formidable troupe du Nowy Teatr de Varsovie est pour beaucoup dans la réussite de cette entreprise dramaturgique.
Krzysztof Warlikowski nous embarque donc avec brio et sa maîtrise habituelle dans un voyage engagé, acide et drôle.
Une nouvelle fois, ce spectacle fait partie de ceux qui ne laissent personne indifférent.
Un très beau et très intense moment de théâtre !
Sans compter que l'on apprend, cerise sur le gâteau, qu'au Paradis on mange des esquimaux glacés !
C'est la deuxième fois que Krzysztof Warlikowski s'empare d'un texte du dramaturge Hanokh Levin.
Après avoir mis en scène en 2003 Kroum l'ectoplasme, cette fois-ci, le metteur en scène a adapté l'auteur israëlien.
Il a pioché ici et là, dans ses différentes comédies, mais principalement dans Sur les valises, ce qui allait devenir On s'en va.
Le texte, publié aux éditions Théâtrales-Maison Antoine Vitez, fait partie d'un recueil intitulé « Comédies grinçantes ».
Nous n'allons pas tarder à comprendre pourquoi.
Oui, ces personnages sont grinçants.
Tous ces habitants de Varsovie, plus ou moins déjantés, à la dérive, tous ont une obsession : partir. Se casser, mettre les bouts, se carapater, décamper. S'évader.
Parmi les quelque dix-neuf composants de cette micro-société de loosers magnifiques, on trouve notamment une prostituée en culotte de peau allemande de couleur rose, un bossu blond à la coiffure mulet et au costume rouge vif, des veuves de bridge, une mère plus ou moins nymphomane, un travesti à la fesse droite tatouée, un bellâtre au chapeau mou, ou encore une touriste blonde à la recherche de ses origines filmant en permanence pour les réseaux sociaux sa trépidante vie.
Tous veulent s'échapper donc. Tous veulent partir de Pologne, notamment pour se retrouver dans cette terre promise fantasmée qu'est la Suisse. Tous, et ce, toutes générations confondues, ont leurs valises prêtes pour un monde meilleur.
Mais le voyage, pour certains, sera ultime.
Nous allons assister pendant trois heures à une jubilatoire série de décès et de cérémonies funèbres elles aussi déjantées.
Krzysztof Warlikowski va nous faire rire.
Avec des situations tirant souvent sur le grotesque, avec ces femmes et ces hommes pour le moins allumés, pour reprendre un terme à la mode, nous allons nous amuser de ces morts en série.
Ces départs, voulus, subis, ou fortuits, vont être le prétexte pour le metteur en scène de nous embarquer dans sa propre vision du départ.
Pour lui, tous « les départs sont ratés par nature ». Les départs positifs, ou négatifs.
Tous ratés ? Non, un seul est vraiment réussi : l'ultime départ, lot de chaque être humain.
Bien entendu, Warlikowski nous livre une puissante métaphore sur un départ qu'il pratique souvent : le départ de son propre pays, la Pologne.
Il est très bien placé pour nous dire dans sa note d'intention que la Pologne, de plus en plus liberticide, se dirige vers la sortie de l'Union Européenne (elle aussi...) et surtout vers une forme de fascisme.
Treize ans après sa première confrontation avec Levin, la vie polonaise est beaucoup plus difficile.
Avec une Eglise qui rend furieux le metteur en scène.
Pour autant, lui qui a jadis quitté son pays pour étudier, qui passe beaucoup de temps par son métier à l'étranger, lui revient toujours à Varsovie.
Sur le plateau, tous les comédiens vont déployer une énergie phénoménale à incarner ces hommes et ces femmes en partance. Ils ne vont vraiment pas ménager leur peine.
Nous retrouvons tout ce qui fait le « style Krzysztof Warlikowski ».
- les lavabos, les cuvettes de toilettes blancs. Incontournables.
- les dispositifs amovibles matérialisant des espaces définis. (Ici, en l'occurrence les toilettes ou le funérarium qui se rapproche au fur et à mesure des cérémonies).
- la mise en scène très cinématographique, avec de la vidéo, des musiques lancinantes et minimalistes évoquant certains films très spécialisés...
(A propos de musique, certains passages sont diffusés à très fort volume. Qu'on se le dise )
Avec toujours cette impression que la direction d'acteurs est réalisée en permanence par le prisme d'une caméra.
La formidable troupe du Nowy Teatr de Varsovie est pour beaucoup dans la réussite de cette entreprise dramaturgique.
Krzysztof Warlikowski nous embarque donc avec brio et sa maîtrise habituelle dans un voyage engagé, acide et drôle.
Une nouvelle fois, ce spectacle fait partie de ceux qui ne laissent personne indifférent.
Un très beau et très intense moment de théâtre !
Sans compter que l'on apprend, cerise sur le gâteau, qu'au Paradis on mange des esquimaux glacés !
9/10
On dirait qu'on jouerait au diabolo avec un dindon à la place du diabolo !
On dirait qu'on ferait les équilibristes sur un fil de fer à 30 mètres de hauteur !
On dirait qu'on boirait un verre tout au fond d'une piscine !
Julien Cottereau possède ce don rare de nous ramener dans notre enfance, ce monde où tout est possible, ce monde où l'on peut faire ce que l'on veut, sans entraves, sans avoir besoin d'aucun matériel, sans rendre de comptes à personne. Un monde de liberté.
L'enfance...
Ce Bibi, (hommage au surnom du grand-père Cottereau) pénètre difficilement sur la scène.
Dans un hommage à l'immense clown russe Вячеслав (Слава) Иванович Полунин, je veux bien entendu parler de Slava, il affronte une véritable tempête, et nous plonge au plus profond de la tourmente. Que de difficultés pour arriver au centre du plateau de la salle noire du Lucernaire !
Ce type en costume à fines rayures va enfin trouver son habit de lumière. Un petit gilet rouge à brandebourgs dorés. Le monde du cirque est bel et bien là.
En trente secondes, il va nous préparer à ce qui va suivre.
Durant l'heure qui succède à ce premier tableau, nous allons assister à un formidable moment de rêve, d'onirisme, de surréalisme parfois.
Julien Cottereau, mis en scène par Erwan Daouphars, au sein de la scénographie astucieuse de Philippe Casaban est un merveilleux clown-mime-bruiteur.
Grâce à ces trois facettes artistiques, l'artiste circassien va nous inviter dans différentes saynètes, différents tableaux, différentes réalités parallèles.
Ces mondes que j'évoquais un peu plus haut, ces mondes où tout peut arriver.
Julien Cottereau mêle toutes ces disciplines pour nous émerveiller, certes, mais nous faire également beaucoup rire, avec des gags visuels ou sonores très réussis.
Dans une création sonore (chapeau à Rafy Wared et Ariski Lucas) constituée d'une multitude de séquences rythmiques, musicales ou sonores avec plus ou moins de réverbération ou d'écho, sans jamais rien exprimer que différents bruitages réalisés avec sa bouche, il incarne ce type confronté à la fatalité des choses et des situations.
A la fatalité et à la dérision de la vie. C'est cette dérision qui va nous faire beaucoup rire !
Quel fantastique mime !
Deux situations m'ont véritablement fascinées.
Dans la première, il met son nez rouge et nous mime un violoniste en train de jouer.
Noir de deux secondes. Tour sur lui-même et réapparition à la lumière, sans nez rouge, les bras ballants.
Et moi de me dire : «bon, je sais où il a mis son nez rouge, dans la poche bien sûr, mais son violon, où l'a-t-il caché ?»
Faut-il avoir du talent pour nous «berner» de la sorte, faire croire à la réalité de ce violon qui pourtant n'existe pas.
Il y a là une vraie forme de poésie, celle qui nous fait imaginer et surtout rêver.
Et puis un autre moment m'a impressionné.
Il incarne à un autre moment un funambule qui doit descendre très rapidement de son échelle.
Si l'on demande à n'importe qui de mimer la descente rapide d'une échelle, on joue celui qui enlève les pieds des barreaux pour glisser avec les mains sur les deux montants.
Julien Cottereau, lui, va plus loin.
Parce qu'il va pousser le mime jusqu'au bout du bout de la logique du geste et du mouvement.
En faisant semblant d'arriver en bas, il va se frotter les mains et souffler dessus, parce qu'en glissant, il s'est brûlé.
Cette observation et cette décomposition de la gestuelle est la marque d'un sacré talent.
Le clown Cottereau ira quant à lui chercher des spectateurs, pour les faire jouer avec lui, les emmenant sur le plateau et dans ses mondes.
Les apprentis-mimes s'en sont fort bien tirés, hier soir. (Il faut quand même dire que les jeunes choisis au hasard font partie de l'excellente école de théâtre du Lucernaire.)
L'artiste travaille, certes, mais nous aussi.
Nous, il nous faut «décoder» ses petits bruits, ses imitations, ses gestes, ses mimes.
C'est à nous de nous rendre compte par exemple qu'il a dans ses bras un dindon. Mais c'est à lui, au préalable, de faire en sorte que la précision de ses mouvements, ses expressions faciales, ses mimiques, soient suffisamment lisibles.
Le contrat du mime relève de cette relation duelle.
Au final, cette heure merveilleuse tient du sens premier du mot Poésie.
Poiêsis pour les Grecs signifiait « création », du verbe poiein (« faire », « créer »).
Julien Cottereau est ce poète-créateur-là, ce type qui fait en sorte de vous extirper d'une réalité pour vous emmener ailleurs, souvent très loin, là où personne ne s'attend à aller.
Un spectacle époustouflant et incontournable !
On dirait qu'on ferait les équilibristes sur un fil de fer à 30 mètres de hauteur !
On dirait qu'on boirait un verre tout au fond d'une piscine !
Julien Cottereau possède ce don rare de nous ramener dans notre enfance, ce monde où tout est possible, ce monde où l'on peut faire ce que l'on veut, sans entraves, sans avoir besoin d'aucun matériel, sans rendre de comptes à personne. Un monde de liberté.
L'enfance...
Ce Bibi, (hommage au surnom du grand-père Cottereau) pénètre difficilement sur la scène.
Dans un hommage à l'immense clown russe Вячеслав (Слава) Иванович Полунин, je veux bien entendu parler de Slava, il affronte une véritable tempête, et nous plonge au plus profond de la tourmente. Que de difficultés pour arriver au centre du plateau de la salle noire du Lucernaire !
Ce type en costume à fines rayures va enfin trouver son habit de lumière. Un petit gilet rouge à brandebourgs dorés. Le monde du cirque est bel et bien là.
En trente secondes, il va nous préparer à ce qui va suivre.
Durant l'heure qui succède à ce premier tableau, nous allons assister à un formidable moment de rêve, d'onirisme, de surréalisme parfois.
Julien Cottereau, mis en scène par Erwan Daouphars, au sein de la scénographie astucieuse de Philippe Casaban est un merveilleux clown-mime-bruiteur.
Grâce à ces trois facettes artistiques, l'artiste circassien va nous inviter dans différentes saynètes, différents tableaux, différentes réalités parallèles.
Ces mondes que j'évoquais un peu plus haut, ces mondes où tout peut arriver.
Julien Cottereau mêle toutes ces disciplines pour nous émerveiller, certes, mais nous faire également beaucoup rire, avec des gags visuels ou sonores très réussis.
Dans une création sonore (chapeau à Rafy Wared et Ariski Lucas) constituée d'une multitude de séquences rythmiques, musicales ou sonores avec plus ou moins de réverbération ou d'écho, sans jamais rien exprimer que différents bruitages réalisés avec sa bouche, il incarne ce type confronté à la fatalité des choses et des situations.
A la fatalité et à la dérision de la vie. C'est cette dérision qui va nous faire beaucoup rire !
Quel fantastique mime !
Deux situations m'ont véritablement fascinées.
Dans la première, il met son nez rouge et nous mime un violoniste en train de jouer.
Noir de deux secondes. Tour sur lui-même et réapparition à la lumière, sans nez rouge, les bras ballants.
Et moi de me dire : «bon, je sais où il a mis son nez rouge, dans la poche bien sûr, mais son violon, où l'a-t-il caché ?»
Faut-il avoir du talent pour nous «berner» de la sorte, faire croire à la réalité de ce violon qui pourtant n'existe pas.
Il y a là une vraie forme de poésie, celle qui nous fait imaginer et surtout rêver.
Et puis un autre moment m'a impressionné.
Il incarne à un autre moment un funambule qui doit descendre très rapidement de son échelle.
Si l'on demande à n'importe qui de mimer la descente rapide d'une échelle, on joue celui qui enlève les pieds des barreaux pour glisser avec les mains sur les deux montants.
Julien Cottereau, lui, va plus loin.
Parce qu'il va pousser le mime jusqu'au bout du bout de la logique du geste et du mouvement.
En faisant semblant d'arriver en bas, il va se frotter les mains et souffler dessus, parce qu'en glissant, il s'est brûlé.
Cette observation et cette décomposition de la gestuelle est la marque d'un sacré talent.
Le clown Cottereau ira quant à lui chercher des spectateurs, pour les faire jouer avec lui, les emmenant sur le plateau et dans ses mondes.
Les apprentis-mimes s'en sont fort bien tirés, hier soir. (Il faut quand même dire que les jeunes choisis au hasard font partie de l'excellente école de théâtre du Lucernaire.)
L'artiste travaille, certes, mais nous aussi.
Nous, il nous faut «décoder» ses petits bruits, ses imitations, ses gestes, ses mimes.
C'est à nous de nous rendre compte par exemple qu'il a dans ses bras un dindon. Mais c'est à lui, au préalable, de faire en sorte que la précision de ses mouvements, ses expressions faciales, ses mimiques, soient suffisamment lisibles.
Le contrat du mime relève de cette relation duelle.
Au final, cette heure merveilleuse tient du sens premier du mot Poésie.
Poiêsis pour les Grecs signifiait « création », du verbe poiein (« faire », « créer »).
Julien Cottereau est ce poète-créateur-là, ce type qui fait en sorte de vous extirper d'une réalité pour vous emmener ailleurs, souvent très loin, là où personne ne s'attend à aller.
Un spectacle époustouflant et incontournable !
9,5/10
Je suis ton père !
Hélas pour Don Carlo l'Infant d'Espagne, ce père-là, le souverain Philippe II, ne va rien trouver de mieux à faire que de lui voler sous le nez sa fiancée, la très française Elizabeth de Valois qui deviendra son épouse.
Et ce, à Fontainebleau !
On comprend vite que la relation filiale est dans ce cas-là très problématique.
C'est d'ailleurs le seul opéra de Giuseppe Verdi dans lequel s'affrontent un père et son fils.
Don Carlo, Œdipe, même combat ?
Non, pas vraiment, puisque c'est le papa qui fait tout son possible pour tuer son fiston...
Don Carlo, Hamlet, cousins dans le malheur ?
Non, vous n'y êtes toujours pas, puisque Don Carlo n'a pas de mère...
Nous sommes vraiment dans un conflit de moins en moins larvé entre le roi et son rejeton, avec dans cette histoire nombre de pulsions. De mort, et sexuelles, les pulsions.
D'emblée, nous savons que Krzysztof Warlikowski est aux manettes.
Immédiatement nous retrouvons sur scène un petit lavabo. (L'origine du metteur en scène expliquerait-elle cet attrait pour la plomberie polonaise ? Allez savoir...)
La mise en scène est toujours très cinématographique, avec des projections vidéo représentants des défauts et des rayures d'amorce de pellicule. On a l'impression d'être parfois dans un vieux film.
Des gros plans des héros sont également projetés au lointain, à la Viridiana, ou encore comme dans Psychose, avec la figure d'Anthony Perkins occupant tout l'écran.
Le visage des personnages principaux expriment alors toute leurs douleur et souffrance.
Autre signature warlikowskienne : différents plateaux mobiles (de grosses boîtes) arrivent du jardin (une salle d'escrime), du lointain (une assemblée de dignitaires assistant au couronnement du roi, puis la prison de Don Carlo), ou encore de la cour (la salle de cinéma privée du palais de l'Escurial.)
Oui, j'ai oublié de vous dire que l'action avait été transposée du XVIème siècle aux années 1940.
En dehors de ces espaces recréés, la scène sera souvent très vide, avec souvent un seul meuble et un seul accessoire, comme le grand cheval en carton pâte du premier acte.
Ce qui a intéressé le metteur en scène, indubitablement, c'est de mettre à nu les personnages du livret.
Cette histoire familiale est terrible.
Ici, tous sont à la dérive. Pas un qui n'ait de graves soucis et d'importantes préoccupations.
Dans de somptueux costumes, certes, tous sont en proie à leurs propres démons.
Fabio Luisi a su tirer le meilleur de l'Orchestre national de Paris.
Le chef connaît bien l'œuvre, c'est évident.
La partition, qu'on qualifie parfois de « wagnérienne », en opposition aux œuvres plus connues du compositeur italien, la partition est restituée de façon ample, majestueuse.
Les musiciens interprètent magistralement toutes les nuances, pouvant passer des plus infimes pianissimi aux plus tonitruants et intenses forte !
Et puis une exceptionnelle distribution va procurer bien des frissons et des émotions aux spectateurs.
Le couple Roberto Alagna-Aleksandra Kurzak fait des merveilles, même si à deux reprises, hier, nous avons pu être légèrement étonnés par deux notes un peu « étranges » du célèbre ténor. Un peu de fatigue ?
Pour autant, il en impose, comme à son habitude. Les notes tenus en fin de ses airs sont exceptionnelles, son parlé-chanté est irréprochable. Le lyrisme intense du chanteur nous transporte.
Melle Kurzak est une Elizabeth de Valois impressionnante.
Le rôle est difficile, mais sa maîtrise et sa technique vocales sont toujours aussi impressionnantes.
Les arias de la soprano sont tout simplement merveilleux. Quels aigus, quel vibrato Quel talent !
Une autre qui va confiner au merveilleux (j'assume les trois derniers mots), c'est Anita Rachvelishvili.
La mezzo-soprano, qui fut ici même une époustouflante Carmen voici deux saisons, m'a enthousiasmé ! Elle est une grandiose Princesse Eboli.
Le public ne s'y trompe pas, qui lui réservera la plus imposante salve d'applaudissements aux saluts.
En cheftaine-escrimeuse toute en noire régnant sur un gynécée de sportives en tenues blanches, ou bien en maîtresse royale bafouée, son timbre est d'une incroyable chaleur.
Son grand air « O don fatale » met en valeur ses talents de chanteuse mais également de tragédienne.
Bravo, Mademoiselle Rachvelishvili
J'ai beaucoup aimé également Etienne Dupuis, qui lui, fut un épatant Don Giovanni.
Ici, le baryton interprète le rôle ingrat de Rodrigue, l'ami de Don Carlo. Lui aussi sera très applaudi,
La basse René Pape est un impressionnant Philippe II d'Espagne.
Les graves sont ronds, sonores et donnent au rôle une grande ampleur.
Le chanteur confère à son personnage une vraie ambivalence, un salaud émouvant.
Tous les airs sont systématiquement applaudis, sans attendre la fin de l'œuvre.
Et puis il faut noter une nouvelle fois la magnifique homogénéité du chœur dirigé par l'excellent (c'est un pléonasme) José-Luis Basso. Quelle pâte sonore, quel ensemble, quel rendu !
Les quatre heures et trente minutes (avec deux entractes) que dure cet opéra passent à une incroyable vitesse.
Le metteur en scène, le directeur musical, les musiciens et les choristes nous transportent.
Cette reprise de Don Carlo (la création à l'Opéra-Bastille eut lieu en 2017) est une vraie et incontestable réussite.
Hélas pour Don Carlo l'Infant d'Espagne, ce père-là, le souverain Philippe II, ne va rien trouver de mieux à faire que de lui voler sous le nez sa fiancée, la très française Elizabeth de Valois qui deviendra son épouse.
Et ce, à Fontainebleau !
On comprend vite que la relation filiale est dans ce cas-là très problématique.
C'est d'ailleurs le seul opéra de Giuseppe Verdi dans lequel s'affrontent un père et son fils.
Don Carlo, Œdipe, même combat ?
Non, pas vraiment, puisque c'est le papa qui fait tout son possible pour tuer son fiston...
Don Carlo, Hamlet, cousins dans le malheur ?
Non, vous n'y êtes toujours pas, puisque Don Carlo n'a pas de mère...
Nous sommes vraiment dans un conflit de moins en moins larvé entre le roi et son rejeton, avec dans cette histoire nombre de pulsions. De mort, et sexuelles, les pulsions.
D'emblée, nous savons que Krzysztof Warlikowski est aux manettes.
Immédiatement nous retrouvons sur scène un petit lavabo. (L'origine du metteur en scène expliquerait-elle cet attrait pour la plomberie polonaise ? Allez savoir...)
La mise en scène est toujours très cinématographique, avec des projections vidéo représentants des défauts et des rayures d'amorce de pellicule. On a l'impression d'être parfois dans un vieux film.
Des gros plans des héros sont également projetés au lointain, à la Viridiana, ou encore comme dans Psychose, avec la figure d'Anthony Perkins occupant tout l'écran.
Le visage des personnages principaux expriment alors toute leurs douleur et souffrance.
Autre signature warlikowskienne : différents plateaux mobiles (de grosses boîtes) arrivent du jardin (une salle d'escrime), du lointain (une assemblée de dignitaires assistant au couronnement du roi, puis la prison de Don Carlo), ou encore de la cour (la salle de cinéma privée du palais de l'Escurial.)
Oui, j'ai oublié de vous dire que l'action avait été transposée du XVIème siècle aux années 1940.
En dehors de ces espaces recréés, la scène sera souvent très vide, avec souvent un seul meuble et un seul accessoire, comme le grand cheval en carton pâte du premier acte.
Ce qui a intéressé le metteur en scène, indubitablement, c'est de mettre à nu les personnages du livret.
Cette histoire familiale est terrible.
Ici, tous sont à la dérive. Pas un qui n'ait de graves soucis et d'importantes préoccupations.
Dans de somptueux costumes, certes, tous sont en proie à leurs propres démons.
Fabio Luisi a su tirer le meilleur de l'Orchestre national de Paris.
Le chef connaît bien l'œuvre, c'est évident.
La partition, qu'on qualifie parfois de « wagnérienne », en opposition aux œuvres plus connues du compositeur italien, la partition est restituée de façon ample, majestueuse.
Les musiciens interprètent magistralement toutes les nuances, pouvant passer des plus infimes pianissimi aux plus tonitruants et intenses forte !
Et puis une exceptionnelle distribution va procurer bien des frissons et des émotions aux spectateurs.
Le couple Roberto Alagna-Aleksandra Kurzak fait des merveilles, même si à deux reprises, hier, nous avons pu être légèrement étonnés par deux notes un peu « étranges » du célèbre ténor. Un peu de fatigue ?
Pour autant, il en impose, comme à son habitude. Les notes tenus en fin de ses airs sont exceptionnelles, son parlé-chanté est irréprochable. Le lyrisme intense du chanteur nous transporte.
Melle Kurzak est une Elizabeth de Valois impressionnante.
Le rôle est difficile, mais sa maîtrise et sa technique vocales sont toujours aussi impressionnantes.
Les arias de la soprano sont tout simplement merveilleux. Quels aigus, quel vibrato Quel talent !
Une autre qui va confiner au merveilleux (j'assume les trois derniers mots), c'est Anita Rachvelishvili.
La mezzo-soprano, qui fut ici même une époustouflante Carmen voici deux saisons, m'a enthousiasmé ! Elle est une grandiose Princesse Eboli.
Le public ne s'y trompe pas, qui lui réservera la plus imposante salve d'applaudissements aux saluts.
En cheftaine-escrimeuse toute en noire régnant sur un gynécée de sportives en tenues blanches, ou bien en maîtresse royale bafouée, son timbre est d'une incroyable chaleur.
Son grand air « O don fatale » met en valeur ses talents de chanteuse mais également de tragédienne.
Bravo, Mademoiselle Rachvelishvili
J'ai beaucoup aimé également Etienne Dupuis, qui lui, fut un épatant Don Giovanni.
Ici, le baryton interprète le rôle ingrat de Rodrigue, l'ami de Don Carlo. Lui aussi sera très applaudi,
La basse René Pape est un impressionnant Philippe II d'Espagne.
Les graves sont ronds, sonores et donnent au rôle une grande ampleur.
Le chanteur confère à son personnage une vraie ambivalence, un salaud émouvant.
Tous les airs sont systématiquement applaudis, sans attendre la fin de l'œuvre.
Et puis il faut noter une nouvelle fois la magnifique homogénéité du chœur dirigé par l'excellent (c'est un pléonasme) José-Luis Basso. Quelle pâte sonore, quel ensemble, quel rendu !
Les quatre heures et trente minutes (avec deux entractes) que dure cet opéra passent à une incroyable vitesse.
Le metteur en scène, le directeur musical, les musiciens et les choristes nous transportent.
Cette reprise de Don Carlo (la création à l'Opéra-Bastille eut lieu en 2017) est une vraie et incontestable réussite.
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8,5/10
Venise n'est pas en Russie !
Ca, il le sait, le dessinateur de motifs pour soiries Anzoletto, lui qui doit prochainement se rendre à Moscou, invité qu'il est par des confrères russes.
Un homme qui doit quitter son pays, laissant en plan celle qui nourrit de tendres et maritales intentions à son égard.
Anzoletto, c'est Goldoni.
L'auteur vénitien, par le biais de cette pièce, dit adieu à son public.
Lui, c'est à Paris qu'il espère être mieux compris. (Un contrat de deux ans à la Comédie des Italiens l'attend.)
La dernière soirée de Carnaval, c'est l'une des dernières soirées de Goldoni dans la Sérénissime.
Nous allons donc assister à un moment de vie au sein d'une petite communauté d'artisans locaux : des tisserands, des marchands de tissus se réunissent à l'invitation du maître de maison, il signor Zamaria. De nos jours, ce serait une petite fête entre membres du Rotary Club local.
Les personnages goldoniens n'ont besoin ni de masques, ni de costumes à losanges colorés ou à bosses. Nous ne sommes définitivement plus dans les archétypes de la Comedia dell'Arte.
Durant deux heures et vingt minutes, le metteur en scène Clément Hervieu-Léger va donc nous montrer les relations qui vont interagir entre les quinze personnages de la pièce.
Oui, c'est une pièce qui décrit ces relations-là. Il n'y aura ni véritable intrigue, ni coups de théâtre, ni rebondissements.
Ici, ce qui importe, ce sont tous les liens qui vont se nouer (ou pas) entre ces hommes et ces femmes.
Aujourd'hui, on dirait que Goldoni interroge le vivre-ensemble de cette micro-société de bourgeois vénitiens.
C'est bien ce qu'a voulu nous proposer le metteur en scène.
Clément Hervieu-Léger signe un spectacle tout en délicatesse, à partir d'une pièce, qui, il faut bien le dire, n'est pas la plus passionnante de Goldoni.
Pour cet instantané sociétal, nous remontons le temps aux Bouffes du Nord, qui se révèle être un écrin incomparable.
Les tons ocres, les murs de pierre évoquent vraiment le XVIIIème siècle vénitien.
Les bougies, les beaux costumes de Caroline de Vivaise, les jolies lumières de Bertrand Couderc, les parties musicales jouées à la viole de gambe, mandoline, violoncelle et à la guitare, tout ceci participe également à cette plongée dans la Venise classique.
Et puis, bien entendu, les comédiens membres de la Compagnie des Petits Champs vont contribuer ô combien à la réussite de ce délicieux moment de théâtre.
Très vite, nous allons constater que l'esprit de troupe règne sur le plateau.
Les comédiens s'amusent à nous conter ces micro-péripéties sociétales.
Daniel San Pedro est un patron tisserand très paternaliste, tout en bonhommie. Il incarne avec le talent qu'on lui connaît ce père seul avec sa grande fille Domenica (l'irréprochable Juliette Léger).
Les moments comiques et humoristiques nous sont fournis par Charlotte Dumartheray (une Elenetta à la coiffure poussiéreuse, je n'en dis pas plus...), par Aymelyne Alix, irrésistible en épouse acariâtre et mal embouchée, Marie Drusc, qui joue une espèce de cougar de l'époque, sans oublier Stéphane Marco, qui lui est un calandreur extraverti (la calandre était une machine à lustrer les tissus), beau parleur et fort en gueule, un peu paillard sur les bords.
Tous sont on ne peut plus crédibles, dans ces rôles de notables vénitiens.
Tous participent à rendre on ne peut plus réaliste cette photographie d'une micro-société donnée.
Les comédiens, dirigés avec une vraie efficacité et un vrai sens de l'espace scénique, nous rendent passionnants ces petits moments qui pourraient paraître insignifiants.
Tout finira bien, ceux qui espéraient bien se marier se marieront, ceux qui ne s'y attendaient pas également.
On dînera. (Il faut noter que c'est également une pièce délicieusement olfactive, surtout si l'on aime les raviolis et le poulet...). On chantera. On dansera.
Et la soirée vénitienne se terminera.
Voici donc un spectacle tout en grâce et délicatesse, qui m'a fait quant à moi découvrir une pièce goldonienne très rarement jouée, créée en France seulement en 1990, par le Théâtre du Campagnol, au CDN de la banlieue sud à Châtenay-Malabry.
Ca, il le sait, le dessinateur de motifs pour soiries Anzoletto, lui qui doit prochainement se rendre à Moscou, invité qu'il est par des confrères russes.
Un homme qui doit quitter son pays, laissant en plan celle qui nourrit de tendres et maritales intentions à son égard.
Anzoletto, c'est Goldoni.
L'auteur vénitien, par le biais de cette pièce, dit adieu à son public.
Lui, c'est à Paris qu'il espère être mieux compris. (Un contrat de deux ans à la Comédie des Italiens l'attend.)
La dernière soirée de Carnaval, c'est l'une des dernières soirées de Goldoni dans la Sérénissime.
Nous allons donc assister à un moment de vie au sein d'une petite communauté d'artisans locaux : des tisserands, des marchands de tissus se réunissent à l'invitation du maître de maison, il signor Zamaria. De nos jours, ce serait une petite fête entre membres du Rotary Club local.
Les personnages goldoniens n'ont besoin ni de masques, ni de costumes à losanges colorés ou à bosses. Nous ne sommes définitivement plus dans les archétypes de la Comedia dell'Arte.
Durant deux heures et vingt minutes, le metteur en scène Clément Hervieu-Léger va donc nous montrer les relations qui vont interagir entre les quinze personnages de la pièce.
Oui, c'est une pièce qui décrit ces relations-là. Il n'y aura ni véritable intrigue, ni coups de théâtre, ni rebondissements.
Ici, ce qui importe, ce sont tous les liens qui vont se nouer (ou pas) entre ces hommes et ces femmes.
Aujourd'hui, on dirait que Goldoni interroge le vivre-ensemble de cette micro-société de bourgeois vénitiens.
C'est bien ce qu'a voulu nous proposer le metteur en scène.
Clément Hervieu-Léger signe un spectacle tout en délicatesse, à partir d'une pièce, qui, il faut bien le dire, n'est pas la plus passionnante de Goldoni.
Pour cet instantané sociétal, nous remontons le temps aux Bouffes du Nord, qui se révèle être un écrin incomparable.
Les tons ocres, les murs de pierre évoquent vraiment le XVIIIème siècle vénitien.
Les bougies, les beaux costumes de Caroline de Vivaise, les jolies lumières de Bertrand Couderc, les parties musicales jouées à la viole de gambe, mandoline, violoncelle et à la guitare, tout ceci participe également à cette plongée dans la Venise classique.
Et puis, bien entendu, les comédiens membres de la Compagnie des Petits Champs vont contribuer ô combien à la réussite de ce délicieux moment de théâtre.
Très vite, nous allons constater que l'esprit de troupe règne sur le plateau.
Les comédiens s'amusent à nous conter ces micro-péripéties sociétales.
Daniel San Pedro est un patron tisserand très paternaliste, tout en bonhommie. Il incarne avec le talent qu'on lui connaît ce père seul avec sa grande fille Domenica (l'irréprochable Juliette Léger).
Les moments comiques et humoristiques nous sont fournis par Charlotte Dumartheray (une Elenetta à la coiffure poussiéreuse, je n'en dis pas plus...), par Aymelyne Alix, irrésistible en épouse acariâtre et mal embouchée, Marie Drusc, qui joue une espèce de cougar de l'époque, sans oublier Stéphane Marco, qui lui est un calandreur extraverti (la calandre était une machine à lustrer les tissus), beau parleur et fort en gueule, un peu paillard sur les bords.
Tous sont on ne peut plus crédibles, dans ces rôles de notables vénitiens.
Tous participent à rendre on ne peut plus réaliste cette photographie d'une micro-société donnée.
Les comédiens, dirigés avec une vraie efficacité et un vrai sens de l'espace scénique, nous rendent passionnants ces petits moments qui pourraient paraître insignifiants.
Tout finira bien, ceux qui espéraient bien se marier se marieront, ceux qui ne s'y attendaient pas également.
On dînera. (Il faut noter que c'est également une pièce délicieusement olfactive, surtout si l'on aime les raviolis et le poulet...). On chantera. On dansera.
Et la soirée vénitienne se terminera.
Voici donc un spectacle tout en grâce et délicatesse, qui m'a fait quant à moi découvrir une pièce goldonienne très rarement jouée, créée en France seulement en 1990, par le Théâtre du Campagnol, au CDN de la banlieue sud à Châtenay-Malabry.
10/10
J'en ai vu des débuts de pièce saisissants.
Ce que fait Denis Lavant au début de cette Dernière bande est tout bonnement au-delà du saisissant !
Noir puis lumière très vive au dessus de ce bureau à l'envers, derrière lequel il est arrivé et s'est assis en catimini, sans crier gare, en douce.
Et là...
Et là !
Nous assistons à un moment unique. Un long moment, que je ne décrirai évidemment pas, (et pourtant, comme j'en aurais envie...), et qui fait qu'immédiatement, le propos de la pièce est posé.
L'histoire de ce vieux type, Krapp, qui s'étant enregistré chaque année va écouter une bande magnétique vieille de trente ans, cette histoire-là est un éloge de la temporalité.
Le temps qui passe, le temps qui s'arrête, le temps qui est fixé sur un support, le temps sur lequel on revient, le temps qu'on voudrait retrouver, le temps qu'on ne veut pas oublier, le temps, quoi.
Le temps fondateur également : « Sois de nouveau ! », écrit l'auteur : Krapp veut rechercher et surtout retrouver un moment qui participe au fondement de sa vie.
Pour Beckett, ce instant fondateur est probablement celui où il renonça à exercer le métier de professeur pour entreprendre la carrière dramaturgique que l'on sait.
Le temps « palpable » également.
Une bobine de bande magnétique est certes un support d'un contenu enregistré, mais c'est surtout un objet qui matérialise le temps.
Pour moi, qui naguère, montais mes interviews radio à partir du medium magnétique, avec des ciseaux en laiton et une réglette en maillechort, ceci m'a sauté aux yeux.
Le support numérique n'a plus cette dimension de la « durée matérialisée ».
Et puis et peut-être surtout le temps, qui comme le dit si justement Jacques Osinski, le metteur en scène de la pièce, est « la force du théâtre » !
Cette histoire est également une ode au son.
Le son de la voix du comédien, reconnaissable entre toutes, et puis un son hors-plateau, qui ne meuble pas un vide, mais qui fait totalement partie de la dramaturgie, et qui a sa signification propre. Là non plus, je me garderai bien d'aller plus loin.
Beckett, en écrivant cette pièce suite au décès d'une amie, nous propose cette réflexion-là, par le biais de ce vieil homme, qui se retrouve trois décennies en arrière, et qui se qualifie de crétin, alors que maintenant... Oui enfin...
Jacques Osinski et Denis Lavant se retrouvent pour la deuxième fois autour de Beckett.
Dans Cap au pire, voici quelques saisons, donnée ici-même à l'Athénée, ils avaient devant eux une page blanche.
Ici, La dernière bande est une véritable pièce de théâtre, qui comporte nombre de didascalies.
Ces nombreuses didascalies vont permettre paradoxalement une vraie liberté !
Les deux, dans une véritable osmose, ont fait de ce texte un moment burlesque inoubliable.
Dans la première demi-heure, nous allons assister à un festival à la Buster Keaton.
Ici, pas besoin de maquillage du clown, nous ne sommes pas dans ce registre.
(On se souvient au passage que Beckett écrivit un court métrage « expérimental » de vingt-quatre minutes, réalisé en 1965 par Alain Schneider, avec un Buster Keaton filmé de dos pendant les trois quarts du temps.)
La façon d'aller chercher une bande magnétique dans le tiroir du bureau après avoir contourné le meuble qui je le rappelle, est à l'envers, la manière d'éplucher une banane, de se débarrasser de la peau, de tenir le fruit sans le manger, ces allées et venues en évitant la dite peau, tous ces moments relèvent d'un art consommé du mime, d'une perception du corps dans l'espace d'une rare acuité, et d'une magnification passionnante et permanente du geste.
La scène drôlissime avec un dictionnaire poussiéreux est à cet égard extraordinaire.
Cette « gestion du corps », va également se calquer sur le fonctionnement du magnétophone à bandes.
Denis Lavant nous fait visuellement des retours en arrière, des pauses, des avances rapides.
La mise en scène est là aussi d'une remarquable efficacité.
Et puis il y a les yeux de Denis Lavant.
Des yeux expressifs, perçants, malicieux, des yeux qui lorsqu'ils vous fixent si vous avez la chance d'être assis dans les quatre premiers rangs, semblent vous sonder.
Une nouvelle fois, il faut absolument aller voir le comédien.
Ce qu'il nous montre, ce qu'il nous dit, ce qu'il nous joue relève d'un art merveilleux et rare.
Un homme seul sur une scène en captive trois cents autres, qui lui réservent au final une ovation finale.
C'est une nouvelle leçon de théâtre à laquelle il faut assister toutes affaire cessantes.
Chapeau ! ( Et bonnet !)
Ce que fait Denis Lavant au début de cette Dernière bande est tout bonnement au-delà du saisissant !
Noir puis lumière très vive au dessus de ce bureau à l'envers, derrière lequel il est arrivé et s'est assis en catimini, sans crier gare, en douce.
Et là...
Et là !
Nous assistons à un moment unique. Un long moment, que je ne décrirai évidemment pas, (et pourtant, comme j'en aurais envie...), et qui fait qu'immédiatement, le propos de la pièce est posé.
L'histoire de ce vieux type, Krapp, qui s'étant enregistré chaque année va écouter une bande magnétique vieille de trente ans, cette histoire-là est un éloge de la temporalité.
Le temps qui passe, le temps qui s'arrête, le temps qui est fixé sur un support, le temps sur lequel on revient, le temps qu'on voudrait retrouver, le temps qu'on ne veut pas oublier, le temps, quoi.
Le temps fondateur également : « Sois de nouveau ! », écrit l'auteur : Krapp veut rechercher et surtout retrouver un moment qui participe au fondement de sa vie.
Pour Beckett, ce instant fondateur est probablement celui où il renonça à exercer le métier de professeur pour entreprendre la carrière dramaturgique que l'on sait.
Le temps « palpable » également.
Une bobine de bande magnétique est certes un support d'un contenu enregistré, mais c'est surtout un objet qui matérialise le temps.
Pour moi, qui naguère, montais mes interviews radio à partir du medium magnétique, avec des ciseaux en laiton et une réglette en maillechort, ceci m'a sauté aux yeux.
Le support numérique n'a plus cette dimension de la « durée matérialisée ».
Et puis et peut-être surtout le temps, qui comme le dit si justement Jacques Osinski, le metteur en scène de la pièce, est « la force du théâtre » !
Cette histoire est également une ode au son.
Le son de la voix du comédien, reconnaissable entre toutes, et puis un son hors-plateau, qui ne meuble pas un vide, mais qui fait totalement partie de la dramaturgie, et qui a sa signification propre. Là non plus, je me garderai bien d'aller plus loin.
Beckett, en écrivant cette pièce suite au décès d'une amie, nous propose cette réflexion-là, par le biais de ce vieil homme, qui se retrouve trois décennies en arrière, et qui se qualifie de crétin, alors que maintenant... Oui enfin...
Jacques Osinski et Denis Lavant se retrouvent pour la deuxième fois autour de Beckett.
Dans Cap au pire, voici quelques saisons, donnée ici-même à l'Athénée, ils avaient devant eux une page blanche.
Ici, La dernière bande est une véritable pièce de théâtre, qui comporte nombre de didascalies.
Ces nombreuses didascalies vont permettre paradoxalement une vraie liberté !
Les deux, dans une véritable osmose, ont fait de ce texte un moment burlesque inoubliable.
Dans la première demi-heure, nous allons assister à un festival à la Buster Keaton.
Ici, pas besoin de maquillage du clown, nous ne sommes pas dans ce registre.
(On se souvient au passage que Beckett écrivit un court métrage « expérimental » de vingt-quatre minutes, réalisé en 1965 par Alain Schneider, avec un Buster Keaton filmé de dos pendant les trois quarts du temps.)
La façon d'aller chercher une bande magnétique dans le tiroir du bureau après avoir contourné le meuble qui je le rappelle, est à l'envers, la manière d'éplucher une banane, de se débarrasser de la peau, de tenir le fruit sans le manger, ces allées et venues en évitant la dite peau, tous ces moments relèvent d'un art consommé du mime, d'une perception du corps dans l'espace d'une rare acuité, et d'une magnification passionnante et permanente du geste.
La scène drôlissime avec un dictionnaire poussiéreux est à cet égard extraordinaire.
Cette « gestion du corps », va également se calquer sur le fonctionnement du magnétophone à bandes.
Denis Lavant nous fait visuellement des retours en arrière, des pauses, des avances rapides.
La mise en scène est là aussi d'une remarquable efficacité.
Et puis il y a les yeux de Denis Lavant.
Des yeux expressifs, perçants, malicieux, des yeux qui lorsqu'ils vous fixent si vous avez la chance d'être assis dans les quatre premiers rangs, semblent vous sonder.
Une nouvelle fois, il faut absolument aller voir le comédien.
Ce qu'il nous montre, ce qu'il nous dit, ce qu'il nous joue relève d'un art merveilleux et rare.
Un homme seul sur une scène en captive trois cents autres, qui lui réservent au final une ovation finale.
C'est une nouvelle leçon de théâtre à laquelle il faut assister toutes affaire cessantes.
Chapeau ! ( Et bonnet !)