La dernière bande

La dernière bande
De Samuel Beckett
Avec Denis Lavant
  • Denis Lavant
  • Théâtre 14 Jean-Marie Serreau
  • 20, Avenue Marc Sangnier
  • 75014 Paris
  • Porte de Vanves (l.13)
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Beckett encore ! Après avoir essuyé ensemble les tempêtes de Cap au pire, Jacques Osinski et Denis Lavant s’attellent à la magnétique Dernière Bande. À chacun de ses anniversaires, Krapp enregistre ses états et ses actions de l’année écoulée. Pour un soir, son vieil être avachi et son jeune être disparu vont dialoguer par magnétophone interposé…

L’écrin rêvé pour un comédien indomptable, et, pour le metteur en scène, “la pièce de théâtre parfaite”.

 

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10/10
1
Envoûtante performance de Denis Lavant. Halluciné, fou, ailleurs. Dans une mise en scène implacable et têtue dans son parti-pris de Jacques Osinski, cette « Dernière Bande » est un spectacle mémorable, captivant du début à la fin.

C’est la journée anniversaire de Krapp, le jour où il enregistre sur bande les moments marquants de l’année.

Le spectacle commence par un noir très long qui nous plonge dans l'expectative et nous force à se concentrer, à se couper des repères du temps. Tout à coup, une lumière crue au dessus de Krapp, immobile, assis devant un bureau encombré de boites en carton et d’un magnétophone à bande.

Il reste ainsi longtemps, face public, figé dans l’image arrêtée d’un vieux fantôme placide. Son immobilité devient envoûtante tant elle perdure et nous fait nous illusionner de ses raisons probables et de la suite possible. Alors, comme un automate à ressorts qu’il faudra bientôt remonter, il se lève et cherche dans les tiroirs du bureau.

Comme un cérémonial qui commence, il sort une bobine de bande enregistrée, la regarde, semble hésiter et la remet en place. D'un autre tiroir, une banane qu'il caresse avec délectation et qu'il mange, puis une autre qu'il chérit à nouveau, l'épluche et après un nouveau temps suspendu, la range dans sa poche, pour la route, pour plus tard.

Il retourne s’asseoir et écoute une bande avant d’enregistrer la nouvelle. Pas n’importe laquelle. La bobine 5 de la boite numéro 3, celle sans doute de souvenirs marquants. Il va commenter, réagir, contester, soupirer et revivre les mots dits dans sa 39ème année. Le tout entrecoupé de pauses où il ira boire. Krapp semble vouloir déchirer son histoire pour redire sa vie. Il reste là, pétri et meurtri par les remords et les douleurs qu'il fait ressurgir, obnubilé par ses propres pensées.

Cette pièce de Samuel Beckett, qualifiée de monodrame, a été jouée pour la première fois en France en 1960, reprise ensuite de nombreuses fois (notamment par les magnifiques Serge Merlin et Jacques Weber, que nous avons vus). Le style volontairement dépouillé du récit permet à Krapp, seul sur le plateau, de construire une forme de dialogue avec lui-même et avec son histoire par le truchement de ce magnétophone et de ses enregistrements, témoins de son passé et de lui-même. Une dérision permanente, sourde et ricaneuse, nourrie de rancœur, baigne la pièce.

La mise en scène de Jacques Osinski met en exergue délibérément le texte pour qu’il s’immisce avec ajustement dans la bouche de Krapp et nous empreigne aussitôt. Le parti-pris est centré sur le personnage avant tout, ses mots, son débit, ses digressions, sa puissance d’évocation. La situation ne prévaut jamais même si elle se fait spectaculaire par instants. Une volonté manifeste d'imprégnation lente et profonde se distingue, un élargissement du temps de la narration s'impose, poussé par les silences.

Denis Lavant nous subjugue, vibrant et incarné. Les nombreux silences habités, les mouvements subtils et métrés de son corps nous parlent autant que sa voix. Sa narration nous saisit. Minutie de l'intonation, des gestes et des mouvements, de leurs répétitions jamais lassées. Façonnant d'une expressivité impressionnante les rituels de Krapp, qui scandent l'attente de la vieillesse ou l'annonce de sa fin à venir. Il nous montre un Krapp pris dans le tourbillon de la démence ou de la sénilité, les deux peut-être, on ne sait pas. Il est ce vieux fou malheureux, un demi-clown, trouvant refuge dans l’alcoolisme et la manie pour supporter la souffrance et le renoncement.

Une époustouflante performance de comédien, d’une intensité pure. Un moment rare de théâtre.
10 nov. 2019
9/10
2
La mise en scène efficace, l'interprétation remarquable et la "présence" de D. Lavant collent parfaitement au texte.
J'ai trouvé aussi beaucoup de références à l'art du mime dans son jeu d'acteur.

Le public a beaucoup applaudi !
9 nov. 2019
10/10
36
J'en ai vu des débuts de pièce saisissants.
Ce que fait Denis Lavant au début de cette Dernière bande est tout bonnement au-delà du saisissant !

Noir puis lumière très vive au dessus de ce bureau à l'envers, derrière lequel il est arrivé et s'est assis en catimini, sans crier gare, en douce.
Et là...
Et là !

Nous assistons à un moment unique. Un long moment, que je ne décrirai évidemment pas, (et pourtant, comme j'en aurais envie...), et qui fait qu'immédiatement, le propos de la pièce est posé.

L'histoire de ce vieux type, Krapp, qui s'étant enregistré chaque année va écouter une bande magnétique vieille de trente ans, cette histoire-là est un éloge de la temporalité.
Le temps qui passe, le temps qui s'arrête, le temps qui est fixé sur un support, le temps sur lequel on revient, le temps qu'on voudrait retrouver, le temps qu'on ne veut pas oublier, le temps, quoi.

Le temps fondateur également : « Sois de nouveau ! », écrit l'auteur : Krapp veut rechercher et surtout retrouver un moment qui participe au fondement de sa vie.
Pour Beckett, ce instant fondateur est probablement celui où il renonça à exercer le métier de professeur pour entreprendre la carrière dramaturgique que l'on sait.

Le temps « palpable » également.

Une bobine de bande magnétique est certes un support d'un contenu enregistré, mais c'est surtout un objet qui matérialise le temps.
Pour moi, qui naguère, montais mes interviews radio à partir du medium magnétique, avec des ciseaux en laiton et une réglette en maillechort, ceci m'a sauté aux yeux.
Le support numérique n'a plus cette dimension de la « durée matérialisée ».

Et puis et peut-être surtout le temps, qui comme le dit si justement Jacques Osinski, le metteur en scène de la pièce, est « la force du théâtre » !

Cette histoire est également une ode au son.
Le son de la voix du comédien, reconnaissable entre toutes, et puis un son hors-plateau, qui ne meuble pas un vide, mais qui fait totalement partie de la dramaturgie, et qui a sa signification propre. Là non plus, je me garderai bien d'aller plus loin.

Beckett, en écrivant cette pièce suite au décès d'une amie, nous propose cette réflexion-là, par le biais de ce vieil homme, qui se retrouve trois décennies en arrière, et qui se qualifie de crétin, alors que maintenant... Oui enfin...

Jacques Osinski et Denis Lavant se retrouvent pour la deuxième fois autour de Beckett.

Dans Cap au pire, voici quelques saisons, donnée ici-même à l'Athénée, ils avaient devant eux une page blanche.
Ici, La dernière bande est une véritable pièce de théâtre, qui comporte nombre de didascalies.
Ces nombreuses didascalies vont permettre paradoxalement une vraie liberté !

Les deux, dans une véritable osmose, ont fait de ce texte un moment burlesque inoubliable.

Dans la première demi-heure, nous allons assister à un festival à la Buster Keaton.

Ici, pas besoin de maquillage du clown, nous ne sommes pas dans ce registre.

(On se souvient au passage que Beckett écrivit un court métrage « expérimental » de vingt-quatre minutes, réalisé en 1965 par Alain Schneider, avec un Buster Keaton filmé de dos pendant les trois quarts du temps.)

La façon d'aller chercher une bande magnétique dans le tiroir du bureau après avoir contourné le meuble qui je le rappelle, est à l'envers, la manière d'éplucher une banane, de se débarrasser de la peau, de tenir le fruit sans le manger, ces allées et venues en évitant la dite peau, tous ces moments relèvent d'un art consommé du mime, d'une perception du corps dans l'espace d'une rare acuité, et d'une magnification passionnante et permanente du geste.
La scène drôlissime avec un dictionnaire poussiéreux est à cet égard extraordinaire.

Cette « gestion du corps », va également se calquer sur le fonctionnement du magnétophone à bandes.
Denis Lavant nous fait visuellement des retours en arrière, des pauses, des avances rapides.
La mise en scène est là aussi d'une remarquable efficacité.

Et puis il y a les yeux de Denis Lavant.
Des yeux expressifs, perçants, malicieux, des yeux qui lorsqu'ils vous fixent si vous avez la chance d'être assis dans les quatre premiers rangs, semblent vous sonder.

Une nouvelle fois, il faut absolument aller voir le comédien.
Ce qu'il nous montre, ce qu'il nous dit, ce qu'il nous joue relève d'un art merveilleux et rare.
Un homme seul sur une scène en captive trois cents autres, qui lui réservent au final une ovation finale.

C'est une nouvelle leçon de théâtre à laquelle il faut assister toutes affaire cessantes.
Chapeau ! ( Et bonnet !)
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Notes détaillées (pour les plus courageux)
Texte
Jeu des acteurs
Emotions
Intérêt intellectuel
Mise en scène et décor