Ses critiques
1005 critiques
10/10
« Let me introduce the band : Avishai Cohen ! »
Ou quand l’un des plus grands pianistes actuels présente d’emblée avec un pointe d'humour l’un des plus talentueux trompettistes.
Deux Jazzmen de la plus grande importance, deux immenses musiciens, trop rares en France.
Quatrième et dernier concert de Fred Hersch au Bal Blomet, le plus passionnant, le plus intense à mon sens.
Et pourtant, je peux vous assurer que les trois précédents ont marqué les esprits parisiens !
Mais ce que ces deux-là vont nous donner est phénoménal de cohésion, d’entente musicale, de complémentarité au travers de deux singularités.
Dans un répertoire composé de grands standards et de compositions personnelles de Mister Hersch, les deux grands artistes vont nous plonger dans un véritable enchantement.
C’est bien simple, je me demande si je n’ai pas assisté hier au plus beau duo jazz de toute ma carrière de critique et de spectateur.
Les deux vont nous emmener aux confins du jazz, dans ses coins les plus sublimes, là où l’inspiration, la virtuosité, la délicatesse, la puissance et la grâce règnent en maîtresses absolues.
Immédiatement le ton est donné.
Bemsha Swing. Thelonius Monk
Nous comprenons tout de suite l’osmose musicale qui lie Messieurs Hersch et Cohen.
Ici, pas d’accompagnateur, pas d’accompagné.
Le discours musical, s’il est virtuose, s’il délivre beaucoup de notes (les aigus du trompettistes sont admirables), ce discours est pourtant empreint d’un lyrisme, d’une sensibilité de tous les instants.
Telle une suite de Bach, les deux se lancent dans de vertigineux contrepoints. L’architecture générale de ce premier morceau évoque immanquablement une fugue magnifique, avec ses chassés-croisés instrumentaux subtils et délicats.
Le style du pianiste est aisément reconnaissable, avec ces notes aériennes, éthérées, et ces improvisations à base d’accords sophistiqués base de huit ou neuf de notes plus bleues les unes que les autres, des accords plaqués qui se succèdent sur le tempo swingué.
Quant à Avishai Cohen (qui au passage a laissé sa grande barbe pour une moustache digne de nos gendarmes à cheval du XIXème siècle), lui se lance dans des volutes de notes, très claires et très puissantes dans les aigus, douces, veloutées dans les mediums et les graves.
Quelle technique, quelle sensibilité, quelle virtuosité, n’en finis-je pas de me répéter !
D’autres très grands moments nous attendent, tout au long de cette trop courte heure et vingt minutes qu’a duré le concert.
La version de Blues connotation, d’Ornette Coleman va faire frissonner les spectateurs, l’arrangement est merveilleux et permet aux deux de s’exprimer de la plus belle des manières qui soit.
Voici Mandevilla, une composition de Fred Hersch, dont l’introduction n’est pas sans rappeler la célébrissime Habanera, le premier aria de la Carmencita.
Les nuances délicates, la beauté du thème nous rappellent s’il en était encore besoin quel mélodiste et quel harmoniste est Fred Hersch.
Et puis nous allons être transportés par une hallucinante version du Hurricane de Sonny Rollins.
Je serais curieux de voir la partition résultant de la transcription de ce que ceux deux là jouent alors : il doit y avoir plus de noir que de blanc, tellement les triples, quadruples croches s’enchaînent à une vitesse grand V.
Et pourtant, encore et toujours, quelle grâce envoûtante, quelle subtilité, quelle délicatesse !
Il faudra bien une nouvelle ballade herschienne pour que nous puissions nous remettre de nos émotions.
Voici venir Groovin’ high, de Dizzie Gillespie, avec un épatant chase entre les deux instruments. Pianiste et trompettiste s’amusent beaucoup à faire dialoguer leurs instruments.
Deux pièces profondes et passionnantes de Thelionus Monk (encore et toujours Monk) nous rappellent l’importance musicale de celui qui reste l'un des plus grands improvisateurs ayant jamais existé.
Fred Hersch et Avishai Cohen recevront une véritable ovation lors des saluts.
Quoi de plus normal...
Tous avons compris que nous venions d’assister à un exceptionnel concert, faisant de nous de véritables privilégiés.
En guise d’« Encore », nous aurons droit une nouvelle fois à la merveilleuse composition Valentine, dont les mythiques éditions classiques américaines Peters ont tenu à intégrer dans leur catalogue.
Ou quand l’un des plus grands pianistes actuels présente d’emblée avec un pointe d'humour l’un des plus talentueux trompettistes.
Deux Jazzmen de la plus grande importance, deux immenses musiciens, trop rares en France.
Quatrième et dernier concert de Fred Hersch au Bal Blomet, le plus passionnant, le plus intense à mon sens.
Et pourtant, je peux vous assurer que les trois précédents ont marqué les esprits parisiens !
Mais ce que ces deux-là vont nous donner est phénoménal de cohésion, d’entente musicale, de complémentarité au travers de deux singularités.
Dans un répertoire composé de grands standards et de compositions personnelles de Mister Hersch, les deux grands artistes vont nous plonger dans un véritable enchantement.
C’est bien simple, je me demande si je n’ai pas assisté hier au plus beau duo jazz de toute ma carrière de critique et de spectateur.
Les deux vont nous emmener aux confins du jazz, dans ses coins les plus sublimes, là où l’inspiration, la virtuosité, la délicatesse, la puissance et la grâce règnent en maîtresses absolues.
Immédiatement le ton est donné.
Bemsha Swing. Thelonius Monk
Nous comprenons tout de suite l’osmose musicale qui lie Messieurs Hersch et Cohen.
Ici, pas d’accompagnateur, pas d’accompagné.
Le discours musical, s’il est virtuose, s’il délivre beaucoup de notes (les aigus du trompettistes sont admirables), ce discours est pourtant empreint d’un lyrisme, d’une sensibilité de tous les instants.
Telle une suite de Bach, les deux se lancent dans de vertigineux contrepoints. L’architecture générale de ce premier morceau évoque immanquablement une fugue magnifique, avec ses chassés-croisés instrumentaux subtils et délicats.
Le style du pianiste est aisément reconnaissable, avec ces notes aériennes, éthérées, et ces improvisations à base d’accords sophistiqués base de huit ou neuf de notes plus bleues les unes que les autres, des accords plaqués qui se succèdent sur le tempo swingué.
Quant à Avishai Cohen (qui au passage a laissé sa grande barbe pour une moustache digne de nos gendarmes à cheval du XIXème siècle), lui se lance dans des volutes de notes, très claires et très puissantes dans les aigus, douces, veloutées dans les mediums et les graves.
Quelle technique, quelle sensibilité, quelle virtuosité, n’en finis-je pas de me répéter !
D’autres très grands moments nous attendent, tout au long de cette trop courte heure et vingt minutes qu’a duré le concert.
La version de Blues connotation, d’Ornette Coleman va faire frissonner les spectateurs, l’arrangement est merveilleux et permet aux deux de s’exprimer de la plus belle des manières qui soit.
Voici Mandevilla, une composition de Fred Hersch, dont l’introduction n’est pas sans rappeler la célébrissime Habanera, le premier aria de la Carmencita.
Les nuances délicates, la beauté du thème nous rappellent s’il en était encore besoin quel mélodiste et quel harmoniste est Fred Hersch.
Et puis nous allons être transportés par une hallucinante version du Hurricane de Sonny Rollins.
Je serais curieux de voir la partition résultant de la transcription de ce que ceux deux là jouent alors : il doit y avoir plus de noir que de blanc, tellement les triples, quadruples croches s’enchaînent à une vitesse grand V.
Et pourtant, encore et toujours, quelle grâce envoûtante, quelle subtilité, quelle délicatesse !
Il faudra bien une nouvelle ballade herschienne pour que nous puissions nous remettre de nos émotions.
Voici venir Groovin’ high, de Dizzie Gillespie, avec un épatant chase entre les deux instruments. Pianiste et trompettiste s’amusent beaucoup à faire dialoguer leurs instruments.
Deux pièces profondes et passionnantes de Thelionus Monk (encore et toujours Monk) nous rappellent l’importance musicale de celui qui reste l'un des plus grands improvisateurs ayant jamais existé.
Fred Hersch et Avishai Cohen recevront une véritable ovation lors des saluts.
Quoi de plus normal...
Tous avons compris que nous venions d’assister à un exceptionnel concert, faisant de nous de véritables privilégiés.
En guise d’« Encore », nous aurons droit une nouvelle fois à la merveilleuse composition Valentine, dont les mythiques éditions classiques américaines Peters ont tenu à intégrer dans leur catalogue.
9,5/10
A un, c’est très bien.
A deux, c’est bien mieux,
A sept, c’est plus chouette !
Pour ce deuxième concert exceptionnel au Bal Blomet, Fred Hersch a entrepris de nous présenter son nouvel album, enregistré avec un quatuor à cordes et une section rythmique contrebasse-batterie.
Vous avez recompté ?
Sept musiciens étaient donc sur la scène de cette salle parisienne, que le pianiste apprécie tout particulièrement.
Cet album, Breathe by Breathe a été enregistré durant la pandémie, en août 2021, à l’hôtel Astoria de New-York
Suite à « dix-huit mois d’impermanence collective », nous dit Mister Hersch, au cours desquels il a trouvé refuge dans la pratique de la méditation, un refuge propice à la composition de nouveaux morceaux.
Il sera question de souffle, de respiration...
Huit mouvements constituent la Sati suite, chacun inspiré de sa longue pratique de la méditation Vipassana, dont ils sont le reflet musical.
C’est le quatuor Desguin, qui va jouer aux côtés du grand musicien.
Wolfram Van Mechelen et Ludovic Bataille sont au violon, Rhea Vanhellemont est l’alto et le pupitre de violoncelle est tenue par Pieter-Jan de Smet.
Le contrebassiste Clemens Van der Freen et le batteur Jonas Burwinkel complètent la distribution.
Le quatuor ouvre le bal, pour la première pièce Awakened Heart .
Immédiatement, ils vont installer le climat de cette suite. Un climat où va régner une magnifique sérénité, avec parfois une inspiration issue de la musique française du début du XXième siècle, et notamment Maurice Ravel.
Un dialogue délicat, précis se met en place : ici, le discours musical sera très équilibré, entre les notes éthérées du pianiste, les belles nappes des cordes, et la rythmique.
Le swing ne tarde pas à débuter, notamment grâce à la pulsation générée par le batteur, totalement habité par son rôle.
Un sentiment de plénitude règne, dans ce début de concert. Un sentiment d’une totale communion entre les sept musiciens.
Fred Hersch dirige discrètement ses camarades d’un soir, qui ferment souvent les yeux lorsque le piano prend un solo, comme pour mieux ressentir les notes.
Nous sommes priés de ne pas applaudir entre les huit mouvements, mais il est très difficile de résister à la tentation.
Parfois, une couleur venue d’Amérique latine vient teinter délicieusement le concert, avec un rythme très chaloupé, des cordes parfois très légèrement (et volontairement) dissonantes.
Fred Hersch, outre son talent de pianiste, nous démontre également qu’il sait admirablement composer une partition pour un ensemble à cordes.
On connaît le mélodiste, on connaissait moins ses talents de compositeur pour une petite formation que l’on rencontre habituellement dans le monde de la musique dite « classique ».
Il faut dire que durant son enfance, il a été baigné par l'écoute de nombreux quatuors classiques.
On comprend ceci, en écoutant attentivement toutes les subtilités des beaux contrepoints au dessus de partie du piano, et des figures stylistiques en jeu.
Une magnifique pièce, Mara, sera entièrement interprétée par les cordes, dans une inspiration très musique romantique.
La pièce donnant son titre à l’album est interprétée au moyen de pizzicati, les instruments se passant le relai pour les jouer, dans un très bel effet de latéralisation.
Les spectateurs apprécient pleinement.
Après cette suite, les sept musiciens interpréteront notamment une adaptation de la Pastorale de Schumann et une version orchestrée du célèbre Valentine.
Les six instrumentistes seront très chaleureusement applaudis, laissant « le patron » seul derrière son clavier.
Fred Hersch poursuivra seul son clavier, pour quatre rappels, pas moins.
Le public pourra une nouvelle fois s’émerveiller du toucher, de la sensibilité, de la délicatesse uniques de cet immense artiste, avec notamment une merveilleuse version de Blue Monk.
Une nouvelle fois, celui qui figure parmi les plus grands pianistes de jazz actuels aura envoûté son auditoire.
Une nouvelle soirée sous le signe de la plus grande beauté musicale.
Le troisième et prochain concert sera quant lui consacré au Brésil d’un certain Antonio Carlos Jobim. Retour donc en Amérique du Sud.
A suivre...
A deux, c’est bien mieux,
A sept, c’est plus chouette !
Pour ce deuxième concert exceptionnel au Bal Blomet, Fred Hersch a entrepris de nous présenter son nouvel album, enregistré avec un quatuor à cordes et une section rythmique contrebasse-batterie.
Vous avez recompté ?
Sept musiciens étaient donc sur la scène de cette salle parisienne, que le pianiste apprécie tout particulièrement.
Cet album, Breathe by Breathe a été enregistré durant la pandémie, en août 2021, à l’hôtel Astoria de New-York
Suite à « dix-huit mois d’impermanence collective », nous dit Mister Hersch, au cours desquels il a trouvé refuge dans la pratique de la méditation, un refuge propice à la composition de nouveaux morceaux.
Il sera question de souffle, de respiration...
Huit mouvements constituent la Sati suite, chacun inspiré de sa longue pratique de la méditation Vipassana, dont ils sont le reflet musical.
C’est le quatuor Desguin, qui va jouer aux côtés du grand musicien.
Wolfram Van Mechelen et Ludovic Bataille sont au violon, Rhea Vanhellemont est l’alto et le pupitre de violoncelle est tenue par Pieter-Jan de Smet.
Le contrebassiste Clemens Van der Freen et le batteur Jonas Burwinkel complètent la distribution.
Le quatuor ouvre le bal, pour la première pièce Awakened Heart .
Immédiatement, ils vont installer le climat de cette suite. Un climat où va régner une magnifique sérénité, avec parfois une inspiration issue de la musique française du début du XXième siècle, et notamment Maurice Ravel.
Un dialogue délicat, précis se met en place : ici, le discours musical sera très équilibré, entre les notes éthérées du pianiste, les belles nappes des cordes, et la rythmique.
Le swing ne tarde pas à débuter, notamment grâce à la pulsation générée par le batteur, totalement habité par son rôle.
Un sentiment de plénitude règne, dans ce début de concert. Un sentiment d’une totale communion entre les sept musiciens.
Fred Hersch dirige discrètement ses camarades d’un soir, qui ferment souvent les yeux lorsque le piano prend un solo, comme pour mieux ressentir les notes.
Nous sommes priés de ne pas applaudir entre les huit mouvements, mais il est très difficile de résister à la tentation.
Parfois, une couleur venue d’Amérique latine vient teinter délicieusement le concert, avec un rythme très chaloupé, des cordes parfois très légèrement (et volontairement) dissonantes.
Fred Hersch, outre son talent de pianiste, nous démontre également qu’il sait admirablement composer une partition pour un ensemble à cordes.
On connaît le mélodiste, on connaissait moins ses talents de compositeur pour une petite formation que l’on rencontre habituellement dans le monde de la musique dite « classique ».
Il faut dire que durant son enfance, il a été baigné par l'écoute de nombreux quatuors classiques.
On comprend ceci, en écoutant attentivement toutes les subtilités des beaux contrepoints au dessus de partie du piano, et des figures stylistiques en jeu.
Une magnifique pièce, Mara, sera entièrement interprétée par les cordes, dans une inspiration très musique romantique.
La pièce donnant son titre à l’album est interprétée au moyen de pizzicati, les instruments se passant le relai pour les jouer, dans un très bel effet de latéralisation.
Les spectateurs apprécient pleinement.
Après cette suite, les sept musiciens interpréteront notamment une adaptation de la Pastorale de Schumann et une version orchestrée du célèbre Valentine.
Les six instrumentistes seront très chaleureusement applaudis, laissant « le patron » seul derrière son clavier.
Fred Hersch poursuivra seul son clavier, pour quatre rappels, pas moins.
Le public pourra une nouvelle fois s’émerveiller du toucher, de la sensibilité, de la délicatesse uniques de cet immense artiste, avec notamment une merveilleuse version de Blue Monk.
Une nouvelle fois, celui qui figure parmi les plus grands pianistes de jazz actuels aura envoûté son auditoire.
Une nouvelle soirée sous le signe de la plus grande beauté musicale.
Le troisième et prochain concert sera quant lui consacré au Brésil d’un certain Antonio Carlos Jobim. Retour donc en Amérique du Sud.
A suivre...
9,5/10
Première soirée consacrée au retour de Fred Hersch au Bal Blomet, un lieu qu’il affectionne tout particulièrement.
Celui qui figure parmi les plus grands pianistes de jazz actuels aime venir dans cette salle chaleureuse à la parfaite acoustique, un lieu qui pour lui est l’équivalent du mythique Village Vanguard, 178 7th Ave S, New York, NY 10014, U.S.A.
Première soirée car cet immense musicien semble avoir élu domicile ici même, puis qu’il inaugurait hier une série de quatre concerts, au cours desquels il a invité plusieurs artistes, et pas des moindres.
Ce soir, c’est Nathalie Dessay qui viendra le rejoindre sur la scène.
Dans la première heure de ce concert, Mister Hersch sera seul, derrière le clavier du magnifique Steinway & Sons.
Une nouvelle fois, cet homme va plonger tout un auditoire, certes entièrement acquis à sa cause, tout un auditoire donc, dans un véritable état de grâce.
Oui, ce soir, nous allons de nouveau retenir notre souffle à de nombreux moments, tellement ce qu’il va nous donner est émouvant et poignant de beauté.
C’est à la main gauche seulement qu’il commence le concert. (L’an passé, c’était la droite...)
Une pièce à l’origine composée par le saxophoniste Benny Golson, Whisper not.
Dans cet arrangement, le jeu immédiatement identifiable de celui qui fut le professeur de Brad Meldhau, ce jeu nous fait comprendre s’il en était encore besoin pourquoi cet homme figure au panthéon des pianistes.
Un peu voûté, comme un certain Glenn Gould, il ferme les yeux, derrière ses fines lunettes, comme à chaque fois.
Il joue en effet pratiquement en permanence « à l’aveugle », comme pour mieux être isolé dans sa musique et comme pour encore mieux ressentir ce qu’il joue.
Hersch, c’est avant tout la délicatesse et la précision du toucher.
Une grâce et une émotion phénoménales émanent de la technique hors-norme de ce pianiste.
Ici, le but de la manœuvre n’est pas de jouer le plus de notes à la minute.
Bien au contraire.
Les notes jouées sont jouées seulement parce qu’elles sont nécessaires. Pas pour démontrer la virtuosité.
Ces notes sont au service d’un discours musical précis, passionnant, technique, peut-être parfois sévère, certes, mais accessible à tous.
Le swing est bien là, solide, charpenté, léger à la fois. Avec une précision rythmique hallucinante, les syncopes, les breaks s’enchaînant de façon sidérante, avec ce soir de nombreux passages dans les touches les plus aigües du piano.
Et puis, pour moi, Fred Hersch, c’est le Jean-Sébastien Bach du jazz.
Une fois le thème énoncé, généralement après une introduction faite d’accords annonçant habilement la grille de ce qui va suivre, le pianiste se lance dans une vertigineuse improvisation.
Ce soir, d’ailleurs, il jouera un arrangement d’une Sarabande du Cantor de Leipzig.
Ses improvisations sont des fugues et des contrepoints dont les volutes sonores s’entremêlent de façon onirique.
A tel point que je me demande presque à chaque fois comment va-t-il s’y prendre pour retomber « sur ses pattes », et retrouver le thème initial, afin de conclure le morceau.
Chaque titre est une aventure musicale unique, captivante et sensuelle. Une atmosphère faite de multiples couleurs procurant énormément d’émotions.
Au menu du concert, des titres issus de son album enregistré à la maison durant l’épidémie que l’on sait, comme Wichita Linniman, et puis des titres attendus, avec notamment les somptueuses versions de When I’m sixty-four, (de Paul Mc Cartney), And so it goes (de Billy Joël), Round’ Midnight, (de Thelonius Monk), sans oublier sa très personnelle Pastorale de Schumann.
Nathalie Dessay monte sur scène à son tour, pour nous interpréter quatre titres.
La célèbre Chanson de Maxence de Michel Legrand ouvre le bal.
Les deux artistes nous plongent alors dans la félicité la plus totale. Ce que nous entendons, la voix immédiatement reconnaissable elle aussi, la tessiture si étendue, la délicatesse du phrasé, alliés à la sensibilité du pianiste, tout ceci force le respect.
Nous savons tous alors que nous assistons à un moment musical et artistique rare.
Le duo enchaîne avec une composition « herschesque », Endless Stars, où la communion entre les deux est totale, le dialogue musical est intense et parfait.
Ce sera un peu moins vrai pour le titre suivant, puisque de façon très drôle et totalement involontaire, Fred Hersch « mangera » et sera "débiteur" de quelques mesures dans l’adaptation par Mademoiselle Dessay d’un standard de la musique brésilienne.
Pour ce titre, elle a appris à chanter dans la langue d’origine, et surtout, elle a elle-même composé les paroles de l’adaptation française Tout recommencer. (« C’est la première fois que je me livre à cet exercice », nous confiera-t-elle, toute fière d’elle.)
Pas besoin d’être grand clerc pour constater que les paroles lui tiennent très à cœur, l’émotion est palpable !
Et puis, retour vers Michel Legrand, pour une magnifique version de On my way to you.
Une fois leurs dernières notes envolées, les deux artistes s’embrassent, pendant une ovation ô combien méritée.
En guise de rappels, (les fameux Encore…) Fred Hersch interprétera avec toujours autant de lyrisme son célèbre « tube » Valentine.
Les applaudissements les plus nourris qui soient saluent cette première soirée.
Comme me disait l’un de mes voisins de table : « C’était indécent de beauté, nous ne méritons pas tout ça ! »
Demain, Fred Hersch se produira avec le quatuor Desguin, pour nous présenter son dernier album en date, justement enregistré avec un quatuor cordes.
A suivre…
Celui qui figure parmi les plus grands pianistes de jazz actuels aime venir dans cette salle chaleureuse à la parfaite acoustique, un lieu qui pour lui est l’équivalent du mythique Village Vanguard, 178 7th Ave S, New York, NY 10014, U.S.A.
Première soirée car cet immense musicien semble avoir élu domicile ici même, puis qu’il inaugurait hier une série de quatre concerts, au cours desquels il a invité plusieurs artistes, et pas des moindres.
Ce soir, c’est Nathalie Dessay qui viendra le rejoindre sur la scène.
Dans la première heure de ce concert, Mister Hersch sera seul, derrière le clavier du magnifique Steinway & Sons.
Une nouvelle fois, cet homme va plonger tout un auditoire, certes entièrement acquis à sa cause, tout un auditoire donc, dans un véritable état de grâce.
Oui, ce soir, nous allons de nouveau retenir notre souffle à de nombreux moments, tellement ce qu’il va nous donner est émouvant et poignant de beauté.
C’est à la main gauche seulement qu’il commence le concert. (L’an passé, c’était la droite...)
Une pièce à l’origine composée par le saxophoniste Benny Golson, Whisper not.
Dans cet arrangement, le jeu immédiatement identifiable de celui qui fut le professeur de Brad Meldhau, ce jeu nous fait comprendre s’il en était encore besoin pourquoi cet homme figure au panthéon des pianistes.
Un peu voûté, comme un certain Glenn Gould, il ferme les yeux, derrière ses fines lunettes, comme à chaque fois.
Il joue en effet pratiquement en permanence « à l’aveugle », comme pour mieux être isolé dans sa musique et comme pour encore mieux ressentir ce qu’il joue.
Hersch, c’est avant tout la délicatesse et la précision du toucher.
Une grâce et une émotion phénoménales émanent de la technique hors-norme de ce pianiste.
Ici, le but de la manœuvre n’est pas de jouer le plus de notes à la minute.
Bien au contraire.
Les notes jouées sont jouées seulement parce qu’elles sont nécessaires. Pas pour démontrer la virtuosité.
Ces notes sont au service d’un discours musical précis, passionnant, technique, peut-être parfois sévère, certes, mais accessible à tous.
Le swing est bien là, solide, charpenté, léger à la fois. Avec une précision rythmique hallucinante, les syncopes, les breaks s’enchaînant de façon sidérante, avec ce soir de nombreux passages dans les touches les plus aigües du piano.
Et puis, pour moi, Fred Hersch, c’est le Jean-Sébastien Bach du jazz.
Une fois le thème énoncé, généralement après une introduction faite d’accords annonçant habilement la grille de ce qui va suivre, le pianiste se lance dans une vertigineuse improvisation.
Ce soir, d’ailleurs, il jouera un arrangement d’une Sarabande du Cantor de Leipzig.
Ses improvisations sont des fugues et des contrepoints dont les volutes sonores s’entremêlent de façon onirique.
A tel point que je me demande presque à chaque fois comment va-t-il s’y prendre pour retomber « sur ses pattes », et retrouver le thème initial, afin de conclure le morceau.
Chaque titre est une aventure musicale unique, captivante et sensuelle. Une atmosphère faite de multiples couleurs procurant énormément d’émotions.
Au menu du concert, des titres issus de son album enregistré à la maison durant l’épidémie que l’on sait, comme Wichita Linniman, et puis des titres attendus, avec notamment les somptueuses versions de When I’m sixty-four, (de Paul Mc Cartney), And so it goes (de Billy Joël), Round’ Midnight, (de Thelonius Monk), sans oublier sa très personnelle Pastorale de Schumann.
Nathalie Dessay monte sur scène à son tour, pour nous interpréter quatre titres.
La célèbre Chanson de Maxence de Michel Legrand ouvre le bal.
Les deux artistes nous plongent alors dans la félicité la plus totale. Ce que nous entendons, la voix immédiatement reconnaissable elle aussi, la tessiture si étendue, la délicatesse du phrasé, alliés à la sensibilité du pianiste, tout ceci force le respect.
Nous savons tous alors que nous assistons à un moment musical et artistique rare.
Le duo enchaîne avec une composition « herschesque », Endless Stars, où la communion entre les deux est totale, le dialogue musical est intense et parfait.
Ce sera un peu moins vrai pour le titre suivant, puisque de façon très drôle et totalement involontaire, Fred Hersch « mangera » et sera "débiteur" de quelques mesures dans l’adaptation par Mademoiselle Dessay d’un standard de la musique brésilienne.
Pour ce titre, elle a appris à chanter dans la langue d’origine, et surtout, elle a elle-même composé les paroles de l’adaptation française Tout recommencer. (« C’est la première fois que je me livre à cet exercice », nous confiera-t-elle, toute fière d’elle.)
Pas besoin d’être grand clerc pour constater que les paroles lui tiennent très à cœur, l’émotion est palpable !
Et puis, retour vers Michel Legrand, pour une magnifique version de On my way to you.
Une fois leurs dernières notes envolées, les deux artistes s’embrassent, pendant une ovation ô combien méritée.
En guise de rappels, (les fameux Encore…) Fred Hersch interprétera avec toujours autant de lyrisme son célèbre « tube » Valentine.
Les applaudissements les plus nourris qui soient saluent cette première soirée.
Comme me disait l’un de mes voisins de table : « C’était indécent de beauté, nous ne méritons pas tout ça ! »
Demain, Fred Hersch se produira avec le quatuor Desguin, pour nous présenter son dernier album en date, justement enregistré avec un quatuor cordes.
A suivre…
9,5/10
Vol au dessus d’un nid de nous tous.
Bienvenue dans la salle commune de cet hôpital psychiatrique, dans lequel nous allons faire la connaissance de Mohammed, Roger, Sofia, Martin, et tous les autres.
Ces autres, Lars Noren les a côtoyés, il a vécu avec, puisque vers l’âge de vingt ans, dans les années 60, il a été personnellement interné, frappé qu’il était d’une crise de schizophrénie. Il y a connu les séances d’électrochocs d’alors.
Cette pièce, Kliniken (publiée en Français sous le titre Crise), il l’a écrite des années plus tard.
Pour nous renvoyer un miroir implacable de nos sociétés, de notre monde qui lui non plus ne va pas bien.
Cette folie, c’est la nôtre.
Au fond, nous pourrions pratiquement tous nous reconnaître à un moment ou un autre dans ces malades, qui se débattent dans leurs histoires personnelles, se les ressassant, se les racontant les uns aux autres.
Avec cette vraie question concernant la soi-disant « normalité ».
Cette pièce n’a pas une histoire, mais de multiples histoires. C’est une pièce chorale dans laquelle se télescopent des récits de vie.
Dans cette salle commune, ils vont parler, pour nous dire leurs blessures intimes, certes, mais ces blessures vont également parler pour nous dire qui ils sont.
Des personnages, au passage, à qui l’on inflige d’avoir la télé allumée en permanence…
Julie Duclos a brillamment relevé le défi qui consiste à montrer la maladie psychiatrique. Les maladies psychiatriques.
Et puis surtout montrer les malades.
Tout comme Milos Forman, dans son chef d’œuvre évoqué en début de mon papier, tourné en 1975, ou bien comme Terry Gilliam, dans son Armée des 12 singes, sorti vingt ans plus tard, et dans une certaine mesure Dominique Pitoiset, dans sa version ici même à l’Odéon de Cyrano de Bergerac se déroulant elle aussi dans un hôpital psy, elle s’est attelée à rechercher - et à trouver - la plus grande des vérités.
Pour ce faire, pour nous immerger dans cet univers bien particulier, elle a elle-même passé du temps dans l’un de ces hôpitaux, à Valenciennes, à rencontrer soignés et soignants.
Pour pouvoir nous faire voir, elle a vu.
Pas étonnant donc que sur le plateau, une impression de véritable documentaire règne en permanence.
A tel point que souvent, toute cette vérité nue explose dans une véritable dimension poétique.
Nous sommes embarqués durant deux heures et vingt minutes, sans aucun temps mort, sans jamais que l’intensité dramaturgique ne se relâche, sans jamais que la pression et l’intensité ne retombent, dans les récits de ces treize personnages.
Des malades, des parents, un soignant qui sans doute pourrait se retrouver facilement de l’autre côté...
Treize comédiens magnifiques vont nous faire exploser cette vérité !
Tous vont porter cette parole crue, sans filtre, tous vont nous dire ces récits totalement désinhibés. Cette expérience sera très troublante, pour nous autres spectateurs : en entendant les souvenirs racontés, mais aussi les projets évoqués, en voyant ces personnages prostrés, schizophrènes, suicidaires, paranoïaques, nous ne pouvons qu’être frappés par la stupéfiante justesse qui se dégage des propos et des attitudes.
Ils et elles parviennent parfaitement à faire ressortir l’humour des situations racontées par Noren, avec des formules qui font mouche tout coup ! « Toi, t’es tellement malade, tu vas jamais mourir ! »
Les spectateurs rient, dans un premier temps assez timidement, comme s’ils se retenaient, de peur sans doute de froisser leurs voisins de rire de ces malades.
Er puis, au bout d’un certain temps, l’humour prend vraiment le dessus.
Parfois ce sont des moments de grande violence, psychologique ou physique qui sont montrés. Là encore, la plus grande justesse règne. Nous n’en menons alors pas large…
Il faut très souvent regarder les comédiens ou les comédiennes qui ne parlent pas pour comprendre combien tous sont au service de ce texte intense.
Julie Duclos s’est servie d’un autre moyen que ses acteurs pour nous faire ressentir cette vérité.
Elle utilise à très bon escient la vidéo.
Souvent, les comédiens sont filmés en très gros plans (nous ne voyons jamais les cadreurs), ou bien sont suivis « hors champ », dans les coulisses en train de courir, de s’apostropher.
Projetées sur le mur du lointain, ces images en noir et blanc s’intègrent parfaitement dans la dramaturgie et constituent un véritable apport.
C’est Mathieu Sampeur qui pour la première fois de sa carrière signe la scénographie de ce spectacle.
L’ouverture sur le jardin intérieur, avec les bancs sous l’arbre, avec la lumière qui change en fonction de l’heure et des éléments climatiques, cette grande fenêtre tranchant avec la couleur uniforme et la lumière crue de cette salle commune, tout ceci est très réussi.
Un dernier élément qui lui aussi va contribuer au rendu « documentaire » de cette entreprise artistique : l’absence de musique additionnelle. (Seul le 6ème prélude du Clavier bien tempéré de Bach permettra de réaliser une transition entre deux scènes.)
Ce brillant spectacle, intense, totalement maîtrisé, est de ceux qui vous captivent et vous interpellent bien longtemps après être sortis de la salle.
Julie Duclos, en nous montrant ce que l’on voit rarement sur un plateau de théâtre, nous pointe le caractère pathétique (au sens premier du terme) de notre monde.
Bienvenue dans la salle commune de cet hôpital psychiatrique, dans lequel nous allons faire la connaissance de Mohammed, Roger, Sofia, Martin, et tous les autres.
Ces autres, Lars Noren les a côtoyés, il a vécu avec, puisque vers l’âge de vingt ans, dans les années 60, il a été personnellement interné, frappé qu’il était d’une crise de schizophrénie. Il y a connu les séances d’électrochocs d’alors.
Cette pièce, Kliniken (publiée en Français sous le titre Crise), il l’a écrite des années plus tard.
Pour nous renvoyer un miroir implacable de nos sociétés, de notre monde qui lui non plus ne va pas bien.
Cette folie, c’est la nôtre.
Au fond, nous pourrions pratiquement tous nous reconnaître à un moment ou un autre dans ces malades, qui se débattent dans leurs histoires personnelles, se les ressassant, se les racontant les uns aux autres.
Avec cette vraie question concernant la soi-disant « normalité ».
Cette pièce n’a pas une histoire, mais de multiples histoires. C’est une pièce chorale dans laquelle se télescopent des récits de vie.
Dans cette salle commune, ils vont parler, pour nous dire leurs blessures intimes, certes, mais ces blessures vont également parler pour nous dire qui ils sont.
Des personnages, au passage, à qui l’on inflige d’avoir la télé allumée en permanence…
Julie Duclos a brillamment relevé le défi qui consiste à montrer la maladie psychiatrique. Les maladies psychiatriques.
Et puis surtout montrer les malades.
Tout comme Milos Forman, dans son chef d’œuvre évoqué en début de mon papier, tourné en 1975, ou bien comme Terry Gilliam, dans son Armée des 12 singes, sorti vingt ans plus tard, et dans une certaine mesure Dominique Pitoiset, dans sa version ici même à l’Odéon de Cyrano de Bergerac se déroulant elle aussi dans un hôpital psy, elle s’est attelée à rechercher - et à trouver - la plus grande des vérités.
Pour ce faire, pour nous immerger dans cet univers bien particulier, elle a elle-même passé du temps dans l’un de ces hôpitaux, à Valenciennes, à rencontrer soignés et soignants.
Pour pouvoir nous faire voir, elle a vu.
Pas étonnant donc que sur le plateau, une impression de véritable documentaire règne en permanence.
A tel point que souvent, toute cette vérité nue explose dans une véritable dimension poétique.
Nous sommes embarqués durant deux heures et vingt minutes, sans aucun temps mort, sans jamais que l’intensité dramaturgique ne se relâche, sans jamais que la pression et l’intensité ne retombent, dans les récits de ces treize personnages.
Des malades, des parents, un soignant qui sans doute pourrait se retrouver facilement de l’autre côté...
Treize comédiens magnifiques vont nous faire exploser cette vérité !
Tous vont porter cette parole crue, sans filtre, tous vont nous dire ces récits totalement désinhibés. Cette expérience sera très troublante, pour nous autres spectateurs : en entendant les souvenirs racontés, mais aussi les projets évoqués, en voyant ces personnages prostrés, schizophrènes, suicidaires, paranoïaques, nous ne pouvons qu’être frappés par la stupéfiante justesse qui se dégage des propos et des attitudes.
Ils et elles parviennent parfaitement à faire ressortir l’humour des situations racontées par Noren, avec des formules qui font mouche tout coup ! « Toi, t’es tellement malade, tu vas jamais mourir ! »
Les spectateurs rient, dans un premier temps assez timidement, comme s’ils se retenaient, de peur sans doute de froisser leurs voisins de rire de ces malades.
Er puis, au bout d’un certain temps, l’humour prend vraiment le dessus.
Parfois ce sont des moments de grande violence, psychologique ou physique qui sont montrés. Là encore, la plus grande justesse règne. Nous n’en menons alors pas large…
Il faut très souvent regarder les comédiens ou les comédiennes qui ne parlent pas pour comprendre combien tous sont au service de ce texte intense.
Julie Duclos s’est servie d’un autre moyen que ses acteurs pour nous faire ressentir cette vérité.
Elle utilise à très bon escient la vidéo.
Souvent, les comédiens sont filmés en très gros plans (nous ne voyons jamais les cadreurs), ou bien sont suivis « hors champ », dans les coulisses en train de courir, de s’apostropher.
Projetées sur le mur du lointain, ces images en noir et blanc s’intègrent parfaitement dans la dramaturgie et constituent un véritable apport.
C’est Mathieu Sampeur qui pour la première fois de sa carrière signe la scénographie de ce spectacle.
L’ouverture sur le jardin intérieur, avec les bancs sous l’arbre, avec la lumière qui change en fonction de l’heure et des éléments climatiques, cette grande fenêtre tranchant avec la couleur uniforme et la lumière crue de cette salle commune, tout ceci est très réussi.
Un dernier élément qui lui aussi va contribuer au rendu « documentaire » de cette entreprise artistique : l’absence de musique additionnelle. (Seul le 6ème prélude du Clavier bien tempéré de Bach permettra de réaliser une transition entre deux scènes.)
Ce brillant spectacle, intense, totalement maîtrisé, est de ceux qui vous captivent et vous interpellent bien longtemps après être sortis de la salle.
Julie Duclos, en nous montrant ce que l’on voit rarement sur un plateau de théâtre, nous pointe le caractère pathétique (au sens premier du terme) de notre monde.
10/10
Les Balkans au balcon !
Où quand les trubači d’Europe de l’Est font résonner leurs cuivres sous les ors de la salle Richelieu !
De l’or, il y en aura beaucoup, dans cette somptueuse version d’anthologie de cette comédie-ballet que le grand Jean-Baptiste donna pour la première fois le 14 octobre 1670 Chambord.
Une version qui fera assurément date dans l’histoire de la grande Maison, et sans aucun doute dans la liste des grandes mises en scène de cette pièce et de ses turqueries.
Une nouvelle fois, et ceci devient un trivial pléonasme, une nouvelle fois le duo Christian Hecq – Valérie Lesort va plonger toute une salle, et pas n’importe laquelle, dans un véritable état de grâce et une félicité des plus complètes.
Dans la poursuite totalement cohérente de leur démarche dramaturgique, ces deux-là se posent en désopilants amuseurs publics, ce qui sous mon traitement de texte est un vrai compliment.
On connaît ici mon admiration pour ce tandem d’épatants déclencheurs de folie créatrice totalement maîtrisée, qui n’ont pas leur pareil pour tirer les fou-rires du public, grâce à leur vision particulière, faite de drôlerie et de poésie, des œuvres qu’ils montent sur un plateau.
Pour notre plus grand plaisir, ils ont encore cette fois-ci utilisé les « recettes » qui font leur succès.
La première de ces recettes, c’est à mon sens cette capacité à faire appel au monde de l’enfance, un monde débordant d’imagination et où l’on ne s’interdit strictement rien. « On dirait qu’on ferait ceci, on dirait qu’on serait cela... »
Avec eux, tout semble possible, les spectateurs peuvent s’attendre à tout.
Bien entendu, par là-même, nous aussi retombons en enfance.
Cette impression (rare) que tout est possible est en grande partie rendue possible grâce à l’utilisation des marionnettes de Valérie Hecq et Carole Allemand.
Avec ces personnages et ces objets de latex, on peut faire voler des épées, on peut soulever de terre une servante, on peut s’attendre à ce que des moutons chantent, qu’un éléphant surgisse du lointain, ou encore que des mets raffinés s’animent lors d’une scène de banquet.
(Pour ma plus grande et indicible joie, les deux nous offrent un nouveau banquet hilarant, auto-citation de celui du Domino noir, à l’Opéra Comique, qui contenait l’une des scènes de comédie les plus désopilantes que je connaisse.)
Le tandem Hecq-Lesort non seulement sait faire rire, mais sait faire rire avec trois fois rien.
« Juste » une idée, un petit accessoire, une « simple » manipulation et toute une salle s’esclaffe.
Le comique visuel vient se mettre au service du propos général. Un toupet au sommet du crâne, une perruque brinquebalante, un urinoir à la Duchamp, des rouleaux de papier-toilette, tout ceci ne coûte rien et fait fonctionner nos zygomatiques à plein régime.
Tout ceci est également porteur d’une réelle poésie. L’humour de ces deux-là finit par générer cette poésie, grâce à toutes ces trouvailles inventives, toutes ces petites saynètes drôlatiques et très réussies.
Et puis il y a le comédien Christian Hecq.
Formé à l’école du mime, cet homme, sur une scène, a une gestuelle unique, bien à lui, immédiatement reconnaissable. Sa façon de se déplacer, de démultiplier ses gestes, de les pousser à leur paroxysme, sa capacité à placer le curseur à sa juste place en matière d’outrances, tout ceci force le respect.
De plus, on connaît bien sur scène sa vis comica, sa faconde, ses ruptures, ses changements subits de registres.
Son Monsieur Jourdain va nous faire hurler de rire. J’assume totalement ce groupe verbal, hurler de rire. A de nombreuses reprises, le public applaudira durant le spectacle, ce qui dans cette salle est suffisamment rare pour être souligné.
Mais le comédien va mettre en avant un autre aspect du personnage.
Un aspect très touchant, très authentique.
Christian Hecq va nous faire vite comprendre que son personnage est le seul qui ne triche pas, qui ne se joue pas des autres. Lui, il est honnête et cohérent.
Ce bourgeois est en permanence dans sa logique, et n’en bougera pas.
Le personnage est finalement émouvant à vouloir s’élever coûte que coûte, à vouloir apprendre, à se bricoler lui-même ses petits décors, avec son petit pot pot de peinture, son petit pinceau, tous ses petits objets destinés à le faire devenir noble.
Et puis la fin.
Comme un enfant que l’on aurait trompé, et qui s’en aperçoit soudain, Jourdain comprend que tout le monde l’a floué, à tel point qu’il reste seul.
La dernière scène du comédien est alors bouleversante. Et nous de finalement compatir.
A ses côtés, c’est peu de dire que la troupe du Français est excellente.
Portés de façon tourbillonnante et virevoltante par les deux metteurs-en scène, les comédiens et les comédiennes sont particulièrement « mignon, moignon, chignon, trognon, ou très gnons ».
Je n’en finirais pas de citer leurs hauts faits respectifs !
La scénographie du patron en personne, Eric Ruf, est impressionnante.
D’un noir digne d’un Soulages au mieux de sa forme (il faut en effet un plateau le plus sombre possible pour permettre les manipulations de marionnettes), jusqu’aux dorures très bling-bling, le décor est absolument magnifique.
Des « tables » roulantes aux multiples fonctions (qui permettent de déclencher bien des surprises...) sont utilisées avec beaucoup d’ingéniosité.
La chaise à porteurs, très œuf de Fabergé, de M. Jourdain est elle aussi drôlissime. Rien n’est laissé au hasard !
Et puis comment ne pas évoquer les magnifiques costumes, toujours imaginés par Vanessa Sannino ?
Eux aussi noirs ou dorés, ne caractérisant ni géographiquement, ni temporellement un lieu ou une époque, eux aussi tirent sur le noir ou l’or.
Les costumes « turcs », faits de bric et de broc, sont tout aussi réussis et drôles.
Quant à la musique de Lully, elle est bien présente, arrangée par Mich Ochowiak et Ivica Bogdanič. Nous reconnaissons sans peine les grands airs, joués aux trompettes, trombone et autre soubassophone.
Quant à M. Jourdain, qui connaît donc un peu la musique, c’est l'énorme saxophone basse qu’il régale nos oreilles.
L’ovation qui attend les comédiens dès le premier salut, les « bravo ! » qui fusent, les spectateurs qui se lèvent sont là qui ne trompent personne quant au plaisir et au bonheur procurés par cette somptueuse entreprise artistique.
Au risque de me répéter, ce Bourgois gentilhomme à la sauce Christian Hecq - Valérie Lesort restera dans les annales théâtrales.
Il faut absolument l’aller découvrir, sa première exploitation ayant été interrompue la saison passée en raison de la pandémie que l’on sait.
Où quand les trubači d’Europe de l’Est font résonner leurs cuivres sous les ors de la salle Richelieu !
De l’or, il y en aura beaucoup, dans cette somptueuse version d’anthologie de cette comédie-ballet que le grand Jean-Baptiste donna pour la première fois le 14 octobre 1670 Chambord.
Une version qui fera assurément date dans l’histoire de la grande Maison, et sans aucun doute dans la liste des grandes mises en scène de cette pièce et de ses turqueries.
Une nouvelle fois, et ceci devient un trivial pléonasme, une nouvelle fois le duo Christian Hecq – Valérie Lesort va plonger toute une salle, et pas n’importe laquelle, dans un véritable état de grâce et une félicité des plus complètes.
Dans la poursuite totalement cohérente de leur démarche dramaturgique, ces deux-là se posent en désopilants amuseurs publics, ce qui sous mon traitement de texte est un vrai compliment.
On connaît ici mon admiration pour ce tandem d’épatants déclencheurs de folie créatrice totalement maîtrisée, qui n’ont pas leur pareil pour tirer les fou-rires du public, grâce à leur vision particulière, faite de drôlerie et de poésie, des œuvres qu’ils montent sur un plateau.
Pour notre plus grand plaisir, ils ont encore cette fois-ci utilisé les « recettes » qui font leur succès.
La première de ces recettes, c’est à mon sens cette capacité à faire appel au monde de l’enfance, un monde débordant d’imagination et où l’on ne s’interdit strictement rien. « On dirait qu’on ferait ceci, on dirait qu’on serait cela... »
Avec eux, tout semble possible, les spectateurs peuvent s’attendre à tout.
Bien entendu, par là-même, nous aussi retombons en enfance.
Cette impression (rare) que tout est possible est en grande partie rendue possible grâce à l’utilisation des marionnettes de Valérie Hecq et Carole Allemand.
Avec ces personnages et ces objets de latex, on peut faire voler des épées, on peut soulever de terre une servante, on peut s’attendre à ce que des moutons chantent, qu’un éléphant surgisse du lointain, ou encore que des mets raffinés s’animent lors d’une scène de banquet.
(Pour ma plus grande et indicible joie, les deux nous offrent un nouveau banquet hilarant, auto-citation de celui du Domino noir, à l’Opéra Comique, qui contenait l’une des scènes de comédie les plus désopilantes que je connaisse.)
Le tandem Hecq-Lesort non seulement sait faire rire, mais sait faire rire avec trois fois rien.
« Juste » une idée, un petit accessoire, une « simple » manipulation et toute une salle s’esclaffe.
Le comique visuel vient se mettre au service du propos général. Un toupet au sommet du crâne, une perruque brinquebalante, un urinoir à la Duchamp, des rouleaux de papier-toilette, tout ceci ne coûte rien et fait fonctionner nos zygomatiques à plein régime.
Tout ceci est également porteur d’une réelle poésie. L’humour de ces deux-là finit par générer cette poésie, grâce à toutes ces trouvailles inventives, toutes ces petites saynètes drôlatiques et très réussies.
Et puis il y a le comédien Christian Hecq.
Formé à l’école du mime, cet homme, sur une scène, a une gestuelle unique, bien à lui, immédiatement reconnaissable. Sa façon de se déplacer, de démultiplier ses gestes, de les pousser à leur paroxysme, sa capacité à placer le curseur à sa juste place en matière d’outrances, tout ceci force le respect.
De plus, on connaît bien sur scène sa vis comica, sa faconde, ses ruptures, ses changements subits de registres.
Son Monsieur Jourdain va nous faire hurler de rire. J’assume totalement ce groupe verbal, hurler de rire. A de nombreuses reprises, le public applaudira durant le spectacle, ce qui dans cette salle est suffisamment rare pour être souligné.
Mais le comédien va mettre en avant un autre aspect du personnage.
Un aspect très touchant, très authentique.
Christian Hecq va nous faire vite comprendre que son personnage est le seul qui ne triche pas, qui ne se joue pas des autres. Lui, il est honnête et cohérent.
Ce bourgeois est en permanence dans sa logique, et n’en bougera pas.
Le personnage est finalement émouvant à vouloir s’élever coûte que coûte, à vouloir apprendre, à se bricoler lui-même ses petits décors, avec son petit pot pot de peinture, son petit pinceau, tous ses petits objets destinés à le faire devenir noble.
Et puis la fin.
Comme un enfant que l’on aurait trompé, et qui s’en aperçoit soudain, Jourdain comprend que tout le monde l’a floué, à tel point qu’il reste seul.
La dernière scène du comédien est alors bouleversante. Et nous de finalement compatir.
A ses côtés, c’est peu de dire que la troupe du Français est excellente.
Portés de façon tourbillonnante et virevoltante par les deux metteurs-en scène, les comédiens et les comédiennes sont particulièrement « mignon, moignon, chignon, trognon, ou très gnons ».
Je n’en finirais pas de citer leurs hauts faits respectifs !
La scénographie du patron en personne, Eric Ruf, est impressionnante.
D’un noir digne d’un Soulages au mieux de sa forme (il faut en effet un plateau le plus sombre possible pour permettre les manipulations de marionnettes), jusqu’aux dorures très bling-bling, le décor est absolument magnifique.
Des « tables » roulantes aux multiples fonctions (qui permettent de déclencher bien des surprises...) sont utilisées avec beaucoup d’ingéniosité.
La chaise à porteurs, très œuf de Fabergé, de M. Jourdain est elle aussi drôlissime. Rien n’est laissé au hasard !
Et puis comment ne pas évoquer les magnifiques costumes, toujours imaginés par Vanessa Sannino ?
Eux aussi noirs ou dorés, ne caractérisant ni géographiquement, ni temporellement un lieu ou une époque, eux aussi tirent sur le noir ou l’or.
Les costumes « turcs », faits de bric et de broc, sont tout aussi réussis et drôles.
Quant à la musique de Lully, elle est bien présente, arrangée par Mich Ochowiak et Ivica Bogdanič. Nous reconnaissons sans peine les grands airs, joués aux trompettes, trombone et autre soubassophone.
Quant à M. Jourdain, qui connaît donc un peu la musique, c’est l'énorme saxophone basse qu’il régale nos oreilles.
L’ovation qui attend les comédiens dès le premier salut, les « bravo ! » qui fusent, les spectateurs qui se lèvent sont là qui ne trompent personne quant au plaisir et au bonheur procurés par cette somptueuse entreprise artistique.
Au risque de me répéter, ce Bourgois gentilhomme à la sauce Christian Hecq - Valérie Lesort restera dans les annales théâtrales.
Il faut absolument l’aller découvrir, sa première exploitation ayant été interrompue la saison passée en raison de la pandémie que l’on sait.
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