Ses critiques
205 critiques
9/10
Résumer la pièce va sans doute être perçu comme une atteinte à Genet… Disséquer ce qui s’avère être un tout de pure poésie pourrait briser quelque chose, mais je vais m’y risquer. La pièce se passe en prison. Devant nous, trois hommes : Yeux-Verts (Sébastien Pouderoux), le criminel à l’état pur, celui qui n’a pas décidé de passer à l’acte mais qui a commis le crime comme un acte du destin. Respecté de tous dans la prison, tant ses camarades que le caïd Boule-de-Neige, et même les gardiens de la prison (Pierre Louis-Calixte). Il partage sa cellule avec Lefranc (Jérémy Lopez) – le seul lettré de la bande, plus réfléchi qu’instinctif, et que la jalousie amènera à renier sa véritable nature pour se faire bien voir par Yeux-Verts – et Maurice (Christophe Montenez), jouant constamment sur sur la séduction et de sa « belle gueule » pour essayer de se rapprocher de Yeux-Verts.
Sans aucune originalité : Jérémy Lopez y est magistral. Encore une fois il ne s’agit pas ici de jeu mais de vie, d’émotion, de tripes. En réalité, on le sent parfois au bord du gouffre, et la violence qu’il renferme en lui éclate jusqu’à nous donner la chair de poule. Sa souffrance, à fleur de peau, est palpable, et c’est presque gênant – voire insoutenable – pour le spectateur de le voir devenir celui qu’il n’est pas, au point de détourner les yeux. Christophe Montenez est éblouissant dans ce rôle qui lui sied à merveille : appuyant constamment l’ambiguïté sensuelle qui est la sienne, à la fois fasciné et fascinant, il semble adapter le moindre de ses mouvements à ceux de Yeux-Verts.
Seul Sébastien Pouderoux reste en-dehors de l’intensité et de la tension qui règnent sur la scène – mais après tout, n’est-ce le propre de son personnage d’être au-dessus de tout cela ? J’aurais tout de même aimé qu’on perçoive l’humanité derrière la carapace, là où il semble presque vide. Pierre Louis-Calixte, qui ouvre avec brio le spectacle, est un gardien de prison blasé, aussi prisonnier que le reste de ses congénères. Il est un « nous » intemporel et observe, à la manière du spectateur, les différentes actions qui se déroulent dans la cellule. Mais alors que nous y assistons impuissants, sans forcément prendre parti, lui se range au côté du reste des prisonniers et, à leur manière, semble montrer pour Yeux-Verts un certain respect.
Avec une mise en scène minimaliste et une scénographie millimétrée, esthétiquement très travaillée et mettant en valeur ce texte d’une richesse monstrueuse, Cédric Goumelon propose un spectacle exigeant intellectuellement et même physiquement : dans ma crainte d’interrompre cette espèce de cérémonial qui se déroulait sur scène, impossible de bouger le moindre membre pendant 1 heure. D’ailleurs, la salle semblait partager ma vision car le silence avait quelque chose de religieux. Cela permet d’entendre ce texte minutieux, et de se concentrer pour en percevoir les moindres nuances.
Sans aucune originalité : Jérémy Lopez y est magistral. Encore une fois il ne s’agit pas ici de jeu mais de vie, d’émotion, de tripes. En réalité, on le sent parfois au bord du gouffre, et la violence qu’il renferme en lui éclate jusqu’à nous donner la chair de poule. Sa souffrance, à fleur de peau, est palpable, et c’est presque gênant – voire insoutenable – pour le spectateur de le voir devenir celui qu’il n’est pas, au point de détourner les yeux. Christophe Montenez est éblouissant dans ce rôle qui lui sied à merveille : appuyant constamment l’ambiguïté sensuelle qui est la sienne, à la fois fasciné et fascinant, il semble adapter le moindre de ses mouvements à ceux de Yeux-Verts.
Seul Sébastien Pouderoux reste en-dehors de l’intensité et de la tension qui règnent sur la scène – mais après tout, n’est-ce le propre de son personnage d’être au-dessus de tout cela ? J’aurais tout de même aimé qu’on perçoive l’humanité derrière la carapace, là où il semble presque vide. Pierre Louis-Calixte, qui ouvre avec brio le spectacle, est un gardien de prison blasé, aussi prisonnier que le reste de ses congénères. Il est un « nous » intemporel et observe, à la manière du spectateur, les différentes actions qui se déroulent dans la cellule. Mais alors que nous y assistons impuissants, sans forcément prendre parti, lui se range au côté du reste des prisonniers et, à leur manière, semble montrer pour Yeux-Verts un certain respect.
Avec une mise en scène minimaliste et une scénographie millimétrée, esthétiquement très travaillée et mettant en valeur ce texte d’une richesse monstrueuse, Cédric Goumelon propose un spectacle exigeant intellectuellement et même physiquement : dans ma crainte d’interrompre cette espèce de cérémonial qui se déroulait sur scène, impossible de bouger le moindre membre pendant 1 heure. D’ailleurs, la salle semblait partager ma vision car le silence avait quelque chose de religieux. Cela permet d’entendre ce texte minutieux, et de se concentrer pour en percevoir les moindres nuances.
5/10
On ne le dira jamais trop : le Théâtre de Poche est un lieu incontournable à Paris. Sa programmation, éclectique, toujours exigeante, est à surveiller de près. Pour ouvrir cette saison, c’est simple : les trois spectacles m’attiraient. Comme mon agenda est blindé, et qu’il faut bien arriver à faire un choix, c’est avec Amphitryon, mis en scène par Stéphanie Tesson, que je retrouvais le théâtre ; dans la distribution, Jean-Paul Bordes et Nicolas Vaude, deux comédiens que j’adore. Cela promettait d’être un très bon moment. Malheureusement de bons comédiens ne suffisent pas toujours à proposer une belle production…
Et pourtant, avec une bonne comédie de Molière, on peut passer de très bons moments. Surtout celle-ci, qui joue sur les quiproquo pour notre plus grand plaisir : Jupiter ayant été séduit par Alcmène, fraîchement mariée à Amphitryon, il prend l’apparence du mari le temps d’une soirée alors que celui-ci est au combat – Mercure de son côté prenant l’apparence de Sosie, le valet d’Amphitryon, pour seconder son père. Lorsque son mari revient, évidemment, Alcmène s’étonne de le voir revenir si tôt, alors que lui ne pense pas l’avoir vue depuis un moment… Les Dieux, maîtres de la situation, s’amusent un peu avant de tout ramener dans l’ordre.
Amphitryon est donc un pur divertissement, et supporte mal les mises en scène grandiloquentes. Au contraire, il lui faut du rythme et un grain de folie, et c’est ce qui m’a semblé manquer dans la mise en scène de Stéphanie Tesson. De rythme, d’abord, puisque la direction d’acteurs m’a laissée perplexe : la manière de dire les vers, particulièrement, trop récitée, les réactions des personnages, trop jouées, sont autant de choses qui m’ont laissée sur le côté. De folie, ensuite : on sent qu’il y a quelque chose qui est là, mais qui n’est pas forcément abouti. De belles idées scénographiques mais un ensemble qui retombe un peu à plat, comme un peu mou…
Et puis, il y a Nicolas Vaude. Je pense que je pourrais presque conseiller le spectacle rien que pour voir ce petit génie en action. C’est un concentré de vivacité, de bizarrerie, de gaieté, d’extravagance et de loufoquerie. Il est un Sosie succulent, et nous enchante à chacune de ses apparitions.
Étrangement, il est le seul dont la diction des vers est naturelle et agréable à l’oreille. A ses côtés, ses partenaires nous font malheureusement trop sentir que nous sommes au théâtre : diction appuyée, sanglots abusifs, tirades en force, et un peu de cabotinerie… Dommage.
Et pourtant, avec une bonne comédie de Molière, on peut passer de très bons moments. Surtout celle-ci, qui joue sur les quiproquo pour notre plus grand plaisir : Jupiter ayant été séduit par Alcmène, fraîchement mariée à Amphitryon, il prend l’apparence du mari le temps d’une soirée alors que celui-ci est au combat – Mercure de son côté prenant l’apparence de Sosie, le valet d’Amphitryon, pour seconder son père. Lorsque son mari revient, évidemment, Alcmène s’étonne de le voir revenir si tôt, alors que lui ne pense pas l’avoir vue depuis un moment… Les Dieux, maîtres de la situation, s’amusent un peu avant de tout ramener dans l’ordre.
Amphitryon est donc un pur divertissement, et supporte mal les mises en scène grandiloquentes. Au contraire, il lui faut du rythme et un grain de folie, et c’est ce qui m’a semblé manquer dans la mise en scène de Stéphanie Tesson. De rythme, d’abord, puisque la direction d’acteurs m’a laissée perplexe : la manière de dire les vers, particulièrement, trop récitée, les réactions des personnages, trop jouées, sont autant de choses qui m’ont laissée sur le côté. De folie, ensuite : on sent qu’il y a quelque chose qui est là, mais qui n’est pas forcément abouti. De belles idées scénographiques mais un ensemble qui retombe un peu à plat, comme un peu mou…
Et puis, il y a Nicolas Vaude. Je pense que je pourrais presque conseiller le spectacle rien que pour voir ce petit génie en action. C’est un concentré de vivacité, de bizarrerie, de gaieté, d’extravagance et de loufoquerie. Il est un Sosie succulent, et nous enchante à chacune de ses apparitions.
Étrangement, il est le seul dont la diction des vers est naturelle et agréable à l’oreille. A ses côtés, ses partenaires nous font malheureusement trop sentir que nous sommes au théâtre : diction appuyée, sanglots abusifs, tirades en force, et un peu de cabotinerie… Dommage.
9/10
Il y a ces critiques qu’on peine à écrire, celles qui rament un peu, qu’on a du mal à sortir de notre ventre parce que le spectacle était certes bon, mais qu’il nous laissera finalement un souvenir plutôt flou. Et il y a les critiques qu’on aimerait incroyables, aussi entraînantes que le spectacle dont on sort, celles dont on s’imagine un nombre incalculable de bons mots superbement rythmés à la sortie de la pièce mais qui au fond déçoivent toujours tant elles sont en dessous de ce qu’on voudrait écrire, dire, et même crier au monde entier. La critique qui va suivre est de celles-là.
Ceux que je vois grincer des dents à l’annonce d’une pièce de Sacha Guitry ne connaissent pas Faisons un Rêve. A mon sens, c’est un chef-d’oeuvre de théâtre : l’un de plus beaux monologues, l’une des plus belles fins, l’une des répliques les plus perspicaces sur les réactions humaines absurdes (mais je vous laisse la découvrir…). Et pourtant, tout cela part d’une situation bien banale : le mari, la femme, l’amant. Mais la finesse et le charme des dialogues de Guitry nous entraîne bien plus loin qu’une simple scène de boulevard et je vous invite à découvrir (ou à redécouvrir) cette pièce entre les mains de Nicolas Briançon.
C’est un texte que je devinais fait pour lui. Il a ce talent-là de faire éclater des bulles de Guitry sans jamais perdre la saveur du délicieux champagne qu’il nous sert. Le texte lui sied à merveille, et il lui rend si bien : endossant la casquette de metteur en scène, il nous livre un spectacle éclatant, sans aucun artifice : il le sait, ce texte a du génie, et si on l’entend bien le résultat sera là. Partant de ce constat, sa direction d’acteur est impeccable, et il a su créer une belle harmonie sur la scène – du trio amoureux, aucun ne cherche à se démarquer, et cet accord parfait est un charme supplémentaire de ce spectacle.
Mais, on le sait, il a plus d’une corde à son arc, et il peut diriger brillamment un spectacle tout en incarnant l’un des personnages principaux avec maestria. Son Lui est exquis : charmeur sans lourdeur, plaisant sans bouffonnerie, il a le regard vif et l’oeil coquin. Il faut bien le reconnaître : il est absolument délicieux, et il nous conquiert aussi rapidement qu’il séduit Elle, incarnée par Marie-Julie Baup. Grâcieuse et très touchante, elle confère à son personnage une dimension que je n’avais jusqu’alors pas observée chez Elle : une réelle humanité et une délicatesse de femme. Son Je t’aime ! déclaré avec une réelle spontanéité est des plus beaux, des plus sincères, et des plus émouvants qu’il m’ait été donné de voir. Pour compléter le trio, Éric Laugérias campe un mari plutôt simple, en contrepoint des deux autres, dont l’accent chantant et les remarques décalées soulèvent tout autant les rires que ses camarades. Et comme la finesse est de mise dans ce spectacle, j’aurais aussi un mot pour Michel Dussarat qui est un valet de chambre cocasse, jamais pesant !
Je l’attendais, le voilà : mon coup de coeur de cette rentrée théâtrale.
Ceux que je vois grincer des dents à l’annonce d’une pièce de Sacha Guitry ne connaissent pas Faisons un Rêve. A mon sens, c’est un chef-d’oeuvre de théâtre : l’un de plus beaux monologues, l’une des plus belles fins, l’une des répliques les plus perspicaces sur les réactions humaines absurdes (mais je vous laisse la découvrir…). Et pourtant, tout cela part d’une situation bien banale : le mari, la femme, l’amant. Mais la finesse et le charme des dialogues de Guitry nous entraîne bien plus loin qu’une simple scène de boulevard et je vous invite à découvrir (ou à redécouvrir) cette pièce entre les mains de Nicolas Briançon.
C’est un texte que je devinais fait pour lui. Il a ce talent-là de faire éclater des bulles de Guitry sans jamais perdre la saveur du délicieux champagne qu’il nous sert. Le texte lui sied à merveille, et il lui rend si bien : endossant la casquette de metteur en scène, il nous livre un spectacle éclatant, sans aucun artifice : il le sait, ce texte a du génie, et si on l’entend bien le résultat sera là. Partant de ce constat, sa direction d’acteur est impeccable, et il a su créer une belle harmonie sur la scène – du trio amoureux, aucun ne cherche à se démarquer, et cet accord parfait est un charme supplémentaire de ce spectacle.
Mais, on le sait, il a plus d’une corde à son arc, et il peut diriger brillamment un spectacle tout en incarnant l’un des personnages principaux avec maestria. Son Lui est exquis : charmeur sans lourdeur, plaisant sans bouffonnerie, il a le regard vif et l’oeil coquin. Il faut bien le reconnaître : il est absolument délicieux, et il nous conquiert aussi rapidement qu’il séduit Elle, incarnée par Marie-Julie Baup. Grâcieuse et très touchante, elle confère à son personnage une dimension que je n’avais jusqu’alors pas observée chez Elle : une réelle humanité et une délicatesse de femme. Son Je t’aime ! déclaré avec une réelle spontanéité est des plus beaux, des plus sincères, et des plus émouvants qu’il m’ait été donné de voir. Pour compléter le trio, Éric Laugérias campe un mari plutôt simple, en contrepoint des deux autres, dont l’accent chantant et les remarques décalées soulèvent tout autant les rires que ses camarades. Et comme la finesse est de mise dans ce spectacle, j’aurais aussi un mot pour Michel Dussarat qui est un valet de chambre cocasse, jamais pesant !
Je l’attendais, le voilà : mon coup de coeur de cette rentrée théâtrale.
7,5/10
L’histoire se base sur un beau quiproquo : deux frères jumeaux devant épouser deux femmes différentes sont présents dans la même ville, Vérone, au même moment, sans le savoir. Si ces jumeaux sont semblables d’aspects, ils sont en revanche complètement disparate de caractère et de mentalité : le premier, Tonino, est un homme intelligent, vif, et courageux, alors que son frère Zanetto est bien plus simple d’esprit, et se laisserait avoir par le premier venu. Tonino doit épouser Béatrice, une vénitienne qu’il a fait s’échapper exprès de la ville pour l’épouser sans le consentement paternel ; Zanetto doit épouser Rosahora après un arrangement avec son père. Tonino, qui craint d’être reconnu, adopte alors le nom de Zanetto sans savoir que son frère est engagé pour les mêmes motifs que lui dans la ville, ce qui entraînera bien sûr une série de quiproquos jusqu’à un dénouement plutôt sombre.
Je ne le cache pas : je ne suis pas une grande fan de Goldoni, et surtout de sa période de Comedia dell’arte. Certes, on sent que Les jumeaux vénitiens est une pièce d’entre-deux, et qu’il se dirige déjà un peu vers ses futures grandes comédies sérieuses telles que La Trilogie de la Villégiature. Malgré tout, la pièce reste très codée, très agitée, un peu « bruyante » : les allées et venues pourraient devenir lourdes si la mise en scène ne fluidifiait pas le tout, rendant le plus léger possible un ensemble parfois trop chargé. Par ailleurs, elle permet d’amener ce dénouement tragique – attendu pour des raisons pratiques – en le rendant le plus vraisemblable possible (il pourrait en effet passer pour bien trop excessif sans la main habile de Jean-Louis Benoît). Pour ce faire, il faut reconnaître que l’adaptation du metteur en scène est moderne et dynamique, et que la traduction choisie est éclatante, sans jamais trahir l’auteur.
Il faut bien le dire : Maxime d’Aboville porte ce spectacle avec brio. Sans lui, l’intérêt serait moindre. D’ailleurs, son absence de la scène se fait sentir, et je n’ai eu d’yeux que pour lui lorsqu’il y était présent. Et pourtant il est bien loin de cabotiner ; non, simplement, il joue, et sa composition est tellement minutieuse, tellement rythmée, tellement drôle, qu’il nous ravit à chacune de ses apparitions. Ne l’ayant pas vu depuis quelque temps sur scène, j’avais presque oublié à quel point l’acteur était surprenant et parvenait à constamment renouveler son jeu. Sa performance impressionne, convainc, et ravit totalement !
Même s’il éclipse parfois – sans le vouloir – ses camarades, la troupe qui l’entoure est également brillante. À commencer par Olivier Sitruk qui campe un faux vertueux au ton douceâtre, détestable à souhait. Les jeunes valets, brillamment incarnés par Agnès Pontier et Benjamin Jungers – qu’on a plaisir à retrouver depuis son évincement de la Comédie-Française – animent ce spectacle avec un dynamisme très efficace. Une pointe de déception peut-être devant le jeu de Victoire Bélézy, un peu monotone – mais il faut reconnaître que ce rôle de jeune première n’est pas évident…
Je ne le cache pas : je ne suis pas une grande fan de Goldoni, et surtout de sa période de Comedia dell’arte. Certes, on sent que Les jumeaux vénitiens est une pièce d’entre-deux, et qu’il se dirige déjà un peu vers ses futures grandes comédies sérieuses telles que La Trilogie de la Villégiature. Malgré tout, la pièce reste très codée, très agitée, un peu « bruyante » : les allées et venues pourraient devenir lourdes si la mise en scène ne fluidifiait pas le tout, rendant le plus léger possible un ensemble parfois trop chargé. Par ailleurs, elle permet d’amener ce dénouement tragique – attendu pour des raisons pratiques – en le rendant le plus vraisemblable possible (il pourrait en effet passer pour bien trop excessif sans la main habile de Jean-Louis Benoît). Pour ce faire, il faut reconnaître que l’adaptation du metteur en scène est moderne et dynamique, et que la traduction choisie est éclatante, sans jamais trahir l’auteur.
Il faut bien le dire : Maxime d’Aboville porte ce spectacle avec brio. Sans lui, l’intérêt serait moindre. D’ailleurs, son absence de la scène se fait sentir, et je n’ai eu d’yeux que pour lui lorsqu’il y était présent. Et pourtant il est bien loin de cabotiner ; non, simplement, il joue, et sa composition est tellement minutieuse, tellement rythmée, tellement drôle, qu’il nous ravit à chacune de ses apparitions. Ne l’ayant pas vu depuis quelque temps sur scène, j’avais presque oublié à quel point l’acteur était surprenant et parvenait à constamment renouveler son jeu. Sa performance impressionne, convainc, et ravit totalement !
Même s’il éclipse parfois – sans le vouloir – ses camarades, la troupe qui l’entoure est également brillante. À commencer par Olivier Sitruk qui campe un faux vertueux au ton douceâtre, détestable à souhait. Les jeunes valets, brillamment incarnés par Agnès Pontier et Benjamin Jungers – qu’on a plaisir à retrouver depuis son évincement de la Comédie-Française – animent ce spectacle avec un dynamisme très efficace. Une pointe de déception peut-être devant le jeu de Victoire Bélézy, un peu monotone – mais il faut reconnaître que ce rôle de jeune première n’est pas évident…
10/10
Mon deuxième Pommerat. Fascinée par Cendrillon que j’ai vu en mai dernier à la Porte Saint-Martin, j’ai décrété que je devais voir tous les Pommerat que j’avais ratés (et qui seraient joués en région parisienne, au moins pour l’instant). Avant de découvrir Ça ira (1) Fin de Louis en février prochain, je suis restée encore un peu dans l’univers des contes si cher à l’artiste, et ce pour mon plus grand bonheur. Devant ce Pinocchio, le dédoublement est rapide : l’âme d’enfant se mêle à un l’intellect de l’adulte et si le recul des années permet une perception plus en profondeur de la proposition de Pommerat, la fascination créée par le visuel qu’il propose nous fait vite retomber en enfance.
Ce n’est pas le conte que je connaissais le mieux, mais j’avais en tête les étapes principales : la construction de Pinocchio à partir d’un vieux tronc d’arbre, le désir de l’enfant de devenir un vrai petit garçon, la promesse de la fée d’exaucer son voeu s’il se conduit bien, le nez qui grandit à chaque mensonge, le départ pour cet endroit merveilleux où tous les enfants s’amusent pour finalement devenir des ânes, les retrouvailles avec son père dans le ventre d’une baleine… C’est fou car écrits ainsi à la suite, ces événements semblent presque décorrélés, et pourtant ils n’ont jamais fait autant sens que dans la mise en scène proposée par Joël Pommerat. Il a quelque chose de très moderne, ce Pinocchio qui rêve d’une maison avec piscine et qui ne pense qu’à l’argent. Arriver à voir plus loin que la satisfaction de possession primaire, c’est peut-être ça après tout, devenir un vrai petit garçon…
Joël Pommerat est un maître des lumières – et croyez-moi je sais de quoi je parle ! Si on part autant avec lui dans son histoire, c’est non seulement grâce au talent de ses acteurs mais également grâce aux ambiances incroyables qu’il parvient à créer. Visuellement, son spectacle est une perfection, et complète totalement la partie jouée, à la manière d’un ultime acteur : que ce soit pour créer une ambiance festive ou nous replacer dans l’estomac d’une baleine, l’illusion est toujours plus intense ; même lorsqu’il ne s’agit que d’isoler un acteur du reste du plateau, ses lumières ont quelque chose de magique.
Comme il ne fait pas les choses à moitié, il va sans dire qu’il a réuni une troupe d’acteurs brillants. Myriam Assouline campe un Pinocchio sensible dont l’évolution est visible sans être artificielle. Elle mène la danse avec finesse tout en restant poignante et déterminée. Pierre-Yves Chapalain est un narrateur mystérieux et parfois inquiétant, qui nous emmène dans une autre dimension dès qu’il ouvre la bouche. Sa voix, porteuse et presque mystique, restera pour moi le guide de ce spectacle. Daniel Dubois est un père touchant, dont on souhaiterait une présence plus importante dans le spectacle tant il est émouvant et juste dans sa tendresse paternelle qui irradie le plateau. Maya Vignando enfin, ajoute encore – oui, c’est possible – de la grâce à ce spectacle déjà absolument charmant : captivante dans sa robe surdimensionnée, elle aussi semble appartenir au monde des rêves qu’on croit toucher du doigt tout au long du spectacle…
Un moment envoûtant, quelque part au pays des rêves.
Ce n’est pas le conte que je connaissais le mieux, mais j’avais en tête les étapes principales : la construction de Pinocchio à partir d’un vieux tronc d’arbre, le désir de l’enfant de devenir un vrai petit garçon, la promesse de la fée d’exaucer son voeu s’il se conduit bien, le nez qui grandit à chaque mensonge, le départ pour cet endroit merveilleux où tous les enfants s’amusent pour finalement devenir des ânes, les retrouvailles avec son père dans le ventre d’une baleine… C’est fou car écrits ainsi à la suite, ces événements semblent presque décorrélés, et pourtant ils n’ont jamais fait autant sens que dans la mise en scène proposée par Joël Pommerat. Il a quelque chose de très moderne, ce Pinocchio qui rêve d’une maison avec piscine et qui ne pense qu’à l’argent. Arriver à voir plus loin que la satisfaction de possession primaire, c’est peut-être ça après tout, devenir un vrai petit garçon…
Joël Pommerat est un maître des lumières – et croyez-moi je sais de quoi je parle ! Si on part autant avec lui dans son histoire, c’est non seulement grâce au talent de ses acteurs mais également grâce aux ambiances incroyables qu’il parvient à créer. Visuellement, son spectacle est une perfection, et complète totalement la partie jouée, à la manière d’un ultime acteur : que ce soit pour créer une ambiance festive ou nous replacer dans l’estomac d’une baleine, l’illusion est toujours plus intense ; même lorsqu’il ne s’agit que d’isoler un acteur du reste du plateau, ses lumières ont quelque chose de magique.
Comme il ne fait pas les choses à moitié, il va sans dire qu’il a réuni une troupe d’acteurs brillants. Myriam Assouline campe un Pinocchio sensible dont l’évolution est visible sans être artificielle. Elle mène la danse avec finesse tout en restant poignante et déterminée. Pierre-Yves Chapalain est un narrateur mystérieux et parfois inquiétant, qui nous emmène dans une autre dimension dès qu’il ouvre la bouche. Sa voix, porteuse et presque mystique, restera pour moi le guide de ce spectacle. Daniel Dubois est un père touchant, dont on souhaiterait une présence plus importante dans le spectacle tant il est émouvant et juste dans sa tendresse paternelle qui irradie le plateau. Maya Vignando enfin, ajoute encore – oui, c’est possible – de la grâce à ce spectacle déjà absolument charmant : captivante dans sa robe surdimensionnée, elle aussi semble appartenir au monde des rêves qu’on croit toucher du doigt tout au long du spectacle…
Un moment envoûtant, quelque part au pays des rêves.