Ses critiques
15 critiques
8,5/10
Vous savez quoi ? Il est très agréable d’aller au théâtre, dit «de boulevard » quand tout est «impec », quand le texte n’est ni indigent ni vulgaire et plutôt drôle, que la mise en scène est réglée au cordeau et que les comédiens ont le respect du public, c’est à dire qu’on peut les entendre, du dernier rang de l’orchestre ou de là haut, du poulailler, même s’ils sont supposés chuchoter. Un fait de plus en plus rare, puisque la mode, pour faire soi-disant « intériorisé » est de détimbrer sa voix, si bien que passé le cinquième rang, on n’entend plus rien…
Ce préambule pour dire quel plaisir est d’assister, au Théâtre de Paris à « La Garçonnière ».
De quoi s’agit-il ? De l’adaptation, pour le théâtre, du scénario de l’un des films les plus célèbres de Billy Wilder, « The Apartment », sorti en 1960, et dont la distribution était emmenée par Jack Lemmon, Shirley MacLaine et Fred MacMurray.
Ecrite sous les plumes fines et efficaces de Judith Elmaleh et Gérald Sibleyras, cette adaptation met en scène, dans le New York gigantesque et déshumanisé des années 50, une histoire de petit employé d’une compagnie d’assurances, qui prête son petit appartement à ses supérieurs hiérarchiques pour qu’ils y abritent leurs parties extra conjugales, et cela, dans l’espoir qu’ils le pistonnent pour un avancement. Tout se compliquera quand le big boss de la boite viendra lui demander les mêmes services, mais en exigeant l’exclusivité. Les portes vont claquer, les quiproquos s’accélérer, les rires s’enfler.
C'est comme si on était coincé dans une porte tambour dont le mouvement s’emballerait. Jubilatoire !
Très bien dirigés par José Paul, évoluant dans un décor créé par Edouard Laug (à la fois tournant, élégant et équipé de vidéos), les douze comédiens sont tous excellents. A commencer par Claire Keim, plus qu’irrésistible dans son rôle de liftière sentimentale amoureuse de son patron, Guillaume de Tonquedec, impayable de gentillesse et de naïveté dans son personnage de « prêteur » de la garçonnière et Jean-Pierre Lorit qui compose, avec une jubilation perceptible sous chacune de ses répliques, un patron plus désinvolte que cynique. On cite trois interprètes, mais tous les neuf autres de la distribution devraient l’être tant ils sont parfaits d’élégance, de drôlerie, de précision et de virtuosité.
Vous aimez le bon théâtre de boulevard ? Allez voir cette « Garçonnière ».Elle se regarde comme on boit du petit lait. (Théâtre de Paris)
Ce préambule pour dire quel plaisir est d’assister, au Théâtre de Paris à « La Garçonnière ».
De quoi s’agit-il ? De l’adaptation, pour le théâtre, du scénario de l’un des films les plus célèbres de Billy Wilder, « The Apartment », sorti en 1960, et dont la distribution était emmenée par Jack Lemmon, Shirley MacLaine et Fred MacMurray.
Ecrite sous les plumes fines et efficaces de Judith Elmaleh et Gérald Sibleyras, cette adaptation met en scène, dans le New York gigantesque et déshumanisé des années 50, une histoire de petit employé d’une compagnie d’assurances, qui prête son petit appartement à ses supérieurs hiérarchiques pour qu’ils y abritent leurs parties extra conjugales, et cela, dans l’espoir qu’ils le pistonnent pour un avancement. Tout se compliquera quand le big boss de la boite viendra lui demander les mêmes services, mais en exigeant l’exclusivité. Les portes vont claquer, les quiproquos s’accélérer, les rires s’enfler.
C'est comme si on était coincé dans une porte tambour dont le mouvement s’emballerait. Jubilatoire !
Très bien dirigés par José Paul, évoluant dans un décor créé par Edouard Laug (à la fois tournant, élégant et équipé de vidéos), les douze comédiens sont tous excellents. A commencer par Claire Keim, plus qu’irrésistible dans son rôle de liftière sentimentale amoureuse de son patron, Guillaume de Tonquedec, impayable de gentillesse et de naïveté dans son personnage de « prêteur » de la garçonnière et Jean-Pierre Lorit qui compose, avec une jubilation perceptible sous chacune de ses répliques, un patron plus désinvolte que cynique. On cite trois interprètes, mais tous les neuf autres de la distribution devraient l’être tant ils sont parfaits d’élégance, de drôlerie, de précision et de virtuosité.
Vous aimez le bon théâtre de boulevard ? Allez voir cette « Garçonnière ».Elle se regarde comme on boit du petit lait. (Théâtre de Paris)
9/10
Quand le théâtre transcende un fait divers sordide, le poétise, sans, pourtant, en édulcorer la noirceur…
En 1968, une journaliste anglaise, Gitta Sereny assiste à un procès hors du commun, celui de Mary Bell, une petite fille d’à peine onze ans qui a étranglé, à un moins et demi d’intervalle et sans motif apparent, deux petits garçons de trois et quatre ans. Parce qu’elle est très jeune, Marie est condamnée pour homicide involontaire et est libérée en 1980. Plusieurs années après sa libération, pour tenter d’échapper, à ses cauchemars, elle va accepter de rencontrer Gitta Sereny et lui livrer ses souvenirs. Ces entretiens donneront lieu à un livre intitulé « Une si jolie petite fille ».
C’est de ce livre, et aussi d’une enquête réalisée dans la ville où se sont déroulés les faits, que s’inspire ce « Mayday » signé de la dramaturge Dorothée Zumstein.
On ne s’en rend pas compte au premier acte, un peu trop « vide », mal porté, surtout, par une actrice qui chuchote, n’articule pas son texte et le rend par moments inaudible (malgré le soutien d’un micro HF !), mais la pièce est formidable ! Elle brosse, de façon presque onirique, en remontant le temps, le portrait de trois figures féminines, très différentes et pourtant d’une même lignée : celle de Marie, la petite meurtrière, qui fut maltraitée à en perdre raison et sens moral, celle de Betty, sa mère, une prostituée qui l’enfanta à l’âge de seize ans, et celle d’Alice, sa grand-mère, qui fut tant soumise à son mari qu’elle ferma les yeux sur tout, même sur le fait, qu’il couche avec sa fille Betty.
Misère sociale, violence, délinquance, inceste, « Mayday » n’édulcore rien. Chaque scène donne à comprendre le chaos noir des existences de ces trois femmes d’une même famille. Et pourtant, nulle lourdeur misérabiliste. Grâce au texte, très poétique de Dorothée Zumstein, grâce aussi à la mise en scène très onirique de Julie Duclos, on assiste à un spectacle qui échappe à la pesanteur du réalisme. C’est fascinant, poignant aussi. Il faut dire que les comédiennes qui jouent Alice et Betty, clouent les regards, tant elles sont belles, sauvages, paumées. Il faut dire aussi que le dispositif scénique conçu par Hélène Jourdan (décor habilement éclairé par de gros projecteurs, fumées et projections vidéos), donne à la scène des allures d’un plateau de cinéma. L’atmosphère plonge le spectateur dans le fantasmagorique. On est face à des personnages de chair et de sang, mais comme dans un espace suspendu, dont on peut penser qu’il est une proposition de représentation de la conscience de ces femmes perdues. (Jusqu’au 17 mars au Théâtre de la Colline. Puis en tournée).
En 1968, une journaliste anglaise, Gitta Sereny assiste à un procès hors du commun, celui de Mary Bell, une petite fille d’à peine onze ans qui a étranglé, à un moins et demi d’intervalle et sans motif apparent, deux petits garçons de trois et quatre ans. Parce qu’elle est très jeune, Marie est condamnée pour homicide involontaire et est libérée en 1980. Plusieurs années après sa libération, pour tenter d’échapper, à ses cauchemars, elle va accepter de rencontrer Gitta Sereny et lui livrer ses souvenirs. Ces entretiens donneront lieu à un livre intitulé « Une si jolie petite fille ».
C’est de ce livre, et aussi d’une enquête réalisée dans la ville où se sont déroulés les faits, que s’inspire ce « Mayday » signé de la dramaturge Dorothée Zumstein.
On ne s’en rend pas compte au premier acte, un peu trop « vide », mal porté, surtout, par une actrice qui chuchote, n’articule pas son texte et le rend par moments inaudible (malgré le soutien d’un micro HF !), mais la pièce est formidable ! Elle brosse, de façon presque onirique, en remontant le temps, le portrait de trois figures féminines, très différentes et pourtant d’une même lignée : celle de Marie, la petite meurtrière, qui fut maltraitée à en perdre raison et sens moral, celle de Betty, sa mère, une prostituée qui l’enfanta à l’âge de seize ans, et celle d’Alice, sa grand-mère, qui fut tant soumise à son mari qu’elle ferma les yeux sur tout, même sur le fait, qu’il couche avec sa fille Betty.
Misère sociale, violence, délinquance, inceste, « Mayday » n’édulcore rien. Chaque scène donne à comprendre le chaos noir des existences de ces trois femmes d’une même famille. Et pourtant, nulle lourdeur misérabiliste. Grâce au texte, très poétique de Dorothée Zumstein, grâce aussi à la mise en scène très onirique de Julie Duclos, on assiste à un spectacle qui échappe à la pesanteur du réalisme. C’est fascinant, poignant aussi. Il faut dire que les comédiennes qui jouent Alice et Betty, clouent les regards, tant elles sont belles, sauvages, paumées. Il faut dire aussi que le dispositif scénique conçu par Hélène Jourdan (décor habilement éclairé par de gros projecteurs, fumées et projections vidéos), donne à la scène des allures d’un plateau de cinéma. L’atmosphère plonge le spectateur dans le fantasmagorique. On est face à des personnages de chair et de sang, mais comme dans un espace suspendu, dont on peut penser qu’il est une proposition de représentation de la conscience de ces femmes perdues. (Jusqu’au 17 mars au Théâtre de la Colline. Puis en tournée).
9/10
Inutile de tergiverser : Parce qu’elle bouscule les codes de la narration, ne fait appel à aucune émotion, et que ses « personnages » peuvent être considérés plus comme des « figures » que comme des êtres de chair et de sang, la pièce « Le Temps et la Chambre », signée du dramaturge allemand Botho Strauss et présentée en ce moment au théâtre de La Colline à Paris dans une mise en scène d’Alain Françon va soit, emballer les uns, soit rebuter les autres. Sans aucun compromis possible !
Quand le rideau (imaginaire) se lève au son d’une musique assez assourdissante, deux êtres de sexe masculin, Julius et Olaf (Jacques Weber et Gilles Privat) devisent sur ce qu’ils voient (croient voir), dans le contre-bas de la pièce où ils se trouvent, et qui est peut-être une chambre (comme le titre le suggère) ou un hall d’hôtel. Quoiqu’il en soit, ces deux là aperçoivent soudain une femme. A peine l’ont-ils décrite qu’elle apparaît comme par magie, dans le chambranle d’une porte… Cette femme (Giorgia Scalliet), nommée Marie Steuber par Botho Strauss, sera, à cet instant de son apparition, et jusqu’au baisser de rideau (toujours imaginaire), le pivot féminin de la pièce. Selon les figures masculines qui viendront se croiser dans ce lieu (on ne saura jamais ni comment ni pourquoi), cette Marie Steuber, sans âge ni biographie définie, apparaitra tour à tour, comme « une » représentation imaginaire possible de « la » femme, tour à tour, maitresse, voyageuse, putain, femme d’affaires, cliente d’hôtel, etc.
Toute la pièce va se jouer comme si tous ses « personnages » se rencontraient, se heurtaient, se frottaient, s’évitaient, ou se repoussaient de façon totalement aléatoire, un peu comme des particules prises dans un champ magnétique..
Aussi étrange que cela puisse paraître, au milieu de toutes ces rencontres, fragmentaires, parfois furtives, et qui arrivent et s’enchainent sans chronologie ni logique apparentes, « Le Temps et la Chambre » va réussir à donner une vision de la folie du monde d’aujourd’hui et de sa perte de repère. On ne comprend pas bien comment son auteur a construit son texte, mais le fait est qu’il arrive à dire, avec acuité et férocité, ce qu’est devenue la société occidentale, une société en perpétuel mouvement, mais qui s’agite de façon désordonnée ; qui croit penser et réfléchir, mais ne se comprend pas, une société aussi, dont les manques et les ratages fabriquent parfois de la cocasserie, de l’absurdité et une drôlerie à pleurer…
On devine que monter cette pièce, par moments d’un humour inattendu, doit être une entreprise exaltante pour un metteur en scène (Patrice Chéreau s’y était attelé en 1991, et son travail lui avait valu un Molière). Car il faut essayer de rendre « lisible » une pièce sans réelle temporalité, où circulent des figures masculines et féminines, comme sorties soudainement du néant (avant d’y retourner, tout aussi soudainement), et cela dans un lieu à la fois circonscrit (une chambre) et impersonnel. Pour ceux qui acceptent ce « voyage » spatio-temporel, Alain Françon a réussi son pari.
Le soir où je me suis embarquée pour ce « voyage » théâtral, un seul spectateur est parti, certains m’ont semblé s’assoupir, mais la majorité a paru subjuguée. Il faut dire que la traduction de Michel Vinaver est d’une fluidité remarquable, et que la distribution est parfaite, de Gilles Privat à Charlie Nelson, en passant par Wladimir Yordanoff. Mention spéciale pour la Marie Steuber de Giorgia Scalliet. L’interprétation de la jeune pensionnaire de la Comédie française a une grâce et une vitalité rares, un magnétisme impressionnant.
Quand le rideau (imaginaire) se lève au son d’une musique assez assourdissante, deux êtres de sexe masculin, Julius et Olaf (Jacques Weber et Gilles Privat) devisent sur ce qu’ils voient (croient voir), dans le contre-bas de la pièce où ils se trouvent, et qui est peut-être une chambre (comme le titre le suggère) ou un hall d’hôtel. Quoiqu’il en soit, ces deux là aperçoivent soudain une femme. A peine l’ont-ils décrite qu’elle apparaît comme par magie, dans le chambranle d’une porte… Cette femme (Giorgia Scalliet), nommée Marie Steuber par Botho Strauss, sera, à cet instant de son apparition, et jusqu’au baisser de rideau (toujours imaginaire), le pivot féminin de la pièce. Selon les figures masculines qui viendront se croiser dans ce lieu (on ne saura jamais ni comment ni pourquoi), cette Marie Steuber, sans âge ni biographie définie, apparaitra tour à tour, comme « une » représentation imaginaire possible de « la » femme, tour à tour, maitresse, voyageuse, putain, femme d’affaires, cliente d’hôtel, etc.
Toute la pièce va se jouer comme si tous ses « personnages » se rencontraient, se heurtaient, se frottaient, s’évitaient, ou se repoussaient de façon totalement aléatoire, un peu comme des particules prises dans un champ magnétique..
Aussi étrange que cela puisse paraître, au milieu de toutes ces rencontres, fragmentaires, parfois furtives, et qui arrivent et s’enchainent sans chronologie ni logique apparentes, « Le Temps et la Chambre » va réussir à donner une vision de la folie du monde d’aujourd’hui et de sa perte de repère. On ne comprend pas bien comment son auteur a construit son texte, mais le fait est qu’il arrive à dire, avec acuité et férocité, ce qu’est devenue la société occidentale, une société en perpétuel mouvement, mais qui s’agite de façon désordonnée ; qui croit penser et réfléchir, mais ne se comprend pas, une société aussi, dont les manques et les ratages fabriquent parfois de la cocasserie, de l’absurdité et une drôlerie à pleurer…
On devine que monter cette pièce, par moments d’un humour inattendu, doit être une entreprise exaltante pour un metteur en scène (Patrice Chéreau s’y était attelé en 1991, et son travail lui avait valu un Molière). Car il faut essayer de rendre « lisible » une pièce sans réelle temporalité, où circulent des figures masculines et féminines, comme sorties soudainement du néant (avant d’y retourner, tout aussi soudainement), et cela dans un lieu à la fois circonscrit (une chambre) et impersonnel. Pour ceux qui acceptent ce « voyage » spatio-temporel, Alain Françon a réussi son pari.
Le soir où je me suis embarquée pour ce « voyage » théâtral, un seul spectateur est parti, certains m’ont semblé s’assoupir, mais la majorité a paru subjuguée. Il faut dire que la traduction de Michel Vinaver est d’une fluidité remarquable, et que la distribution est parfaite, de Gilles Privat à Charlie Nelson, en passant par Wladimir Yordanoff. Mention spéciale pour la Marie Steuber de Giorgia Scalliet. L’interprétation de la jeune pensionnaire de la Comédie française a une grâce et une vitalité rares, un magnétisme impressionnant.
9/10
Publiée en 1892, et créée l’année suivante au théâtre des Bouffes Parisiens à Paris, « Pelléas et Mélisande » est l’une des plus envoûtantes histoires d’amour jamais écrites. Il faut dire qu’elle a été composée par le belge Maurice Maeterlinck, dont l’œuvre fut couronnée en 1911 par le prix Nobel de littérature.
C’est une histoire qui commence comme un conte de fée et se termine sur un drame.
Il était une fois, dans une époque lointaine, un prince nommé Golaud qui s’était perdu dans une forêt de son royaume. Au bord d’une fontaine, il rencontra une jeune fille en pleurs, égarée, comme lui, et qui s’appelait Mélisande. Ce fut comme si la foudre tombait sur le jeune homme. Il ramena Mélisande dans son château et l’épousa, sans vraiment lui demander son avis. Mais Golaud avait un demi frère, Pelléas, qui lui aussi s’éprit de la jeune fille, et, cette fois là, il y eut amour réciproque. Pendant longtemps les deux amoureux ne se dirent rien et ne se touchèrent pas. Mais le jour où, enfin, ils s’avouèrent leurs sentiments, Golaud les surprit. Rendu fou par la jalousie, ce dernier tua Pelléas et blessa Mélisande, qui bien qu’ayant accouché d’une petite fille, mourut de chagrin…
Enigmatique comme un rêve, d’une étrangeté à la fois inquiétante et mélancolique, ce drame, dont Debussy s’empara en 1902 pour en faire un opéra, est un chef d’œuvre du théâtre symboliste. Il est transposé du mythe de Tristan et Yseult, mais a des accents shakespeariens et sa langue est d’une beauté qui confine au sublime.
Encore faut-il savoir en restituer l’atmosphère, si « romantique ». Le metteur en scène Alain Batis a su. Sa scénographie très sobre, très dépouillée, construite autour de savants jeux de voiles et de lumières laisse la charge poétique du texte envahir le plateau. Il est beaucoup aidé par une distribution plus qu’impeccable. Tous ses comédiens, sans aucune exception, semblent comme portés par la langue de Maeterlinck, qu’il faut dire avec simplicité et sans emphase. Ce qu’ils font est magnifique de retenue et d’abandon simultanés. Ils sont accompagnés, sur une musique signée Cyriaque Bellot, par une violoniste et une pianiste, toutes les deux chanteuses.
Parce qu’il tombe souvent dans un maniérisme ou un « pompiérisme » qui le rend insupportable, le théâtre symboliste a déserté les scènes. On se prend à le regretter devant ce « Pelléas et Mélisande » joué sans aucune concession, c’est-à-dire travaillé en se laissant simplement conduire par sa charge poétique, qui est ici d’une profondeur et d’un chatoiement infinis.
Ce travail laissera sûrement quelques spectateurs sur le bord de la route.
Mais si on accepte de se laisser embarquer, ce voyage dans cet univers de songe et de féérie pourra procurer un plaisir fou, un dépaysement total.
C’est une histoire qui commence comme un conte de fée et se termine sur un drame.
Il était une fois, dans une époque lointaine, un prince nommé Golaud qui s’était perdu dans une forêt de son royaume. Au bord d’une fontaine, il rencontra une jeune fille en pleurs, égarée, comme lui, et qui s’appelait Mélisande. Ce fut comme si la foudre tombait sur le jeune homme. Il ramena Mélisande dans son château et l’épousa, sans vraiment lui demander son avis. Mais Golaud avait un demi frère, Pelléas, qui lui aussi s’éprit de la jeune fille, et, cette fois là, il y eut amour réciproque. Pendant longtemps les deux amoureux ne se dirent rien et ne se touchèrent pas. Mais le jour où, enfin, ils s’avouèrent leurs sentiments, Golaud les surprit. Rendu fou par la jalousie, ce dernier tua Pelléas et blessa Mélisande, qui bien qu’ayant accouché d’une petite fille, mourut de chagrin…
Enigmatique comme un rêve, d’une étrangeté à la fois inquiétante et mélancolique, ce drame, dont Debussy s’empara en 1902 pour en faire un opéra, est un chef d’œuvre du théâtre symboliste. Il est transposé du mythe de Tristan et Yseult, mais a des accents shakespeariens et sa langue est d’une beauté qui confine au sublime.
Encore faut-il savoir en restituer l’atmosphère, si « romantique ». Le metteur en scène Alain Batis a su. Sa scénographie très sobre, très dépouillée, construite autour de savants jeux de voiles et de lumières laisse la charge poétique du texte envahir le plateau. Il est beaucoup aidé par une distribution plus qu’impeccable. Tous ses comédiens, sans aucune exception, semblent comme portés par la langue de Maeterlinck, qu’il faut dire avec simplicité et sans emphase. Ce qu’ils font est magnifique de retenue et d’abandon simultanés. Ils sont accompagnés, sur une musique signée Cyriaque Bellot, par une violoniste et une pianiste, toutes les deux chanteuses.
Parce qu’il tombe souvent dans un maniérisme ou un « pompiérisme » qui le rend insupportable, le théâtre symboliste a déserté les scènes. On se prend à le regretter devant ce « Pelléas et Mélisande » joué sans aucune concession, c’est-à-dire travaillé en se laissant simplement conduire par sa charge poétique, qui est ici d’une profondeur et d’un chatoiement infinis.
Ce travail laissera sûrement quelques spectateurs sur le bord de la route.
Mais si on accepte de se laisser embarquer, ce voyage dans cet univers de songe et de féérie pourra procurer un plaisir fou, un dépaysement total.
9,5/10
Décidément la pétillante et délicieuse Caroline Loeb aime les femmes de lettres et cette passion lui va bien.
Au début des années 2000, elle avait convaincu Judith Magre de redonner vie aux carnets de l’américaine Shirley Golfarb sur le Saint-Germain des existentialistes, et cela s’était soldé par un Molière. En 2013, elle avait évoqué la féministe et scandaleuse George Sand, et ce spectacle, musical, avait rencontré un succès fou. Voici qu’aujourd’hui, elle ressuscite, en l’interprétant elle même, une autre icône féminine littéraire, Françoise Sagan.
Quand la comédienne entre en scène, dans une pénombre savamment étudiée, c’est à s’y méprendre. Gabarit, allure, gestuelle, tenue vestimentaire, raideur blonde des cheveux, la ressemblance avec l’écrivaine disparue il y a treize ans est hallucinante. Cette ressemblance va s’étendre jusqu’à la voix, même timbre, même débit un peu saccadé. Seule différence avec son modèle, et cela rassurera les futurs spectateurs, Caroline Loeb, qui est fine comédienne, articule ! On ne va donc perdre aucun des mots de son spectacle, mots qui sont exclusivement ceux de Sagan et qui ont été extraits des entretiens que l’écrivaine accorda entre 1954 et 1992, et furent rassemblés dans un livre paru chez Stock, sous le titre « Je ne renie rien ».
Ce qu’il y a d’aussi formidable qu’émouvant dans ce spectacle en forme de monologue, c’est ,qu’en une heure, il parvient à dessiner, avec netteté, le portrait psychologique de celle que François Mauriac avait surnommée « le charmant petit monstre ». Tout est dit, en vrac, de sa soif de liberté, de son élégance morale, de ses entêtements, de sa détestation des faux-semblants et des mondanités, de son penchant pour le jeu, de sa fascination pour la vitesse, de ses admirations pour les grands écrivains, de sa passion pour l’écriture, de son dédain de l’argent et de l’importance qu’elle accordait… à l’amour charnel.
L’auteur de « Bonjour Tristesse », est, comme là devant nous, et ses confidences murmurées dans un sublime camaïeu de lumières sombres, comme autant de décors, nous rappellent quelle femme elle fut, drôle, fine, délicate, lucide, à la fois libérée et bien élevée, discrète, généreuse, obstinée aussi.
Caroline Loeb est toute entière au service de cette femme irrésistible de charme, qui ne cessait de dire qu’elle aurait voulu être adulte et avoir toujours dix ans.
Ce « Françoise Sagan » est sans doute le spectacle le plus délicat qu’on puisse voir aujourd’hui. Sa douceur, son élégance, font un bien fou.
Au début des années 2000, elle avait convaincu Judith Magre de redonner vie aux carnets de l’américaine Shirley Golfarb sur le Saint-Germain des existentialistes, et cela s’était soldé par un Molière. En 2013, elle avait évoqué la féministe et scandaleuse George Sand, et ce spectacle, musical, avait rencontré un succès fou. Voici qu’aujourd’hui, elle ressuscite, en l’interprétant elle même, une autre icône féminine littéraire, Françoise Sagan.
Quand la comédienne entre en scène, dans une pénombre savamment étudiée, c’est à s’y méprendre. Gabarit, allure, gestuelle, tenue vestimentaire, raideur blonde des cheveux, la ressemblance avec l’écrivaine disparue il y a treize ans est hallucinante. Cette ressemblance va s’étendre jusqu’à la voix, même timbre, même débit un peu saccadé. Seule différence avec son modèle, et cela rassurera les futurs spectateurs, Caroline Loeb, qui est fine comédienne, articule ! On ne va donc perdre aucun des mots de son spectacle, mots qui sont exclusivement ceux de Sagan et qui ont été extraits des entretiens que l’écrivaine accorda entre 1954 et 1992, et furent rassemblés dans un livre paru chez Stock, sous le titre « Je ne renie rien ».
Ce qu’il y a d’aussi formidable qu’émouvant dans ce spectacle en forme de monologue, c’est ,qu’en une heure, il parvient à dessiner, avec netteté, le portrait psychologique de celle que François Mauriac avait surnommée « le charmant petit monstre ». Tout est dit, en vrac, de sa soif de liberté, de son élégance morale, de ses entêtements, de sa détestation des faux-semblants et des mondanités, de son penchant pour le jeu, de sa fascination pour la vitesse, de ses admirations pour les grands écrivains, de sa passion pour l’écriture, de son dédain de l’argent et de l’importance qu’elle accordait… à l’amour charnel.
L’auteur de « Bonjour Tristesse », est, comme là devant nous, et ses confidences murmurées dans un sublime camaïeu de lumières sombres, comme autant de décors, nous rappellent quelle femme elle fut, drôle, fine, délicate, lucide, à la fois libérée et bien élevée, discrète, généreuse, obstinée aussi.
Caroline Loeb est toute entière au service de cette femme irrésistible de charme, qui ne cessait de dire qu’elle aurait voulu être adulte et avoir toujours dix ans.
Ce « Françoise Sagan » est sans doute le spectacle le plus délicat qu’on puisse voir aujourd’hui. Sa douceur, son élégance, font un bien fou.