Ses critiques
6 critiques
2/10
Le drame romantique de Hugo est bien connu, et peut être source d'émotions puissantes; encore faut-il qu'il soit bien monté. Ici, tout est cheap: décor, costumes, jeu (sauf Stéphane Caillard, la reine, et Kad Merad, quoi qu'en roue libre). Weber acteur n'est plus du tout ce qu'il était, et Weber metteur en scène est inexistant. Une honte, dans ce beau théâtre Marigny, où les places ne sont pas données.
4,5/10
Je ne pensais pouvoir perdre ma soirée au Français avec Marivaux, et ce fut pourtant le cas avec ce "petit Maître corrigé", pièce "tombée" en 1734, jamais rejouée depuis dans ces murs... peut-être pas sans raison.
L'intrigue est du Marivaux classique : un mariage est programmé pour deux jeunes gens de bonne famille. Le jeune homme est accompagné par sa mère dans la famille de sa promise, à la campagne. Il plairait s'il n'avait des manières de snob parisien, pour qui il n'est pas de bon ton de tomber amoureux. Aussi ne déclare-t-il pas ses sentiments et se laisse-t-il manipuler par Dorimène, une amie de Paris (Florence Viala) qui voudrait faire échouer le mariage. Heureusement, le valet du petit maître et la servante de la jeune fille vont faire en sorte de le "corriger": il déclarera in extremis son vrai sentiment pour sa promise et sera agréé.
Sur ce schéma assez classique, la seule originalité est la relation entre jeunes Parisiens méprisants et poseurs (les "petits-maîtres"), et provinciaux plus près de l'authenticité et de la nature.
Peu importerait que la situation soit peu originale, si les personnages étaient bien dessinés et l'intrigue bien menée jusqu'à son dénouement. Or, ce n'est pas le cas: seul le couple de valets est vraiment intéressant. Le personnage de la jeune fille est à peine esquissé, celui du petit maître très caricatural, et les deux parents (la mère du jeune homme, le père de la jeune fille) n'ont quasiment rien à jouer : c'est bien la peine d'y avoir distribué Didier Sandre et Dominique Blanc...
Le couple d'amis parisiens (Florence Viala et Pierre Hancisse) n'a comme fonction que de différer le moment, tant attendu, où Rosimond avouera qu'amour et mariage sont compatibles.
La pièce est longue, quasiment aussi longue que "Le Jeu", sans avoir l'approfondissement, la variété des situations et l'humanité touchante de ce chef d'oeuvre. Elle paraît interminable: on croit que c'est fini, que le petit maître est enfin "corrigé", et voilà qu'une intervention d'un autre personnage le fait replonger dans l'erreur... Il aurait sans doute été possible de couper quelques scènes sans dommage, car il n'y a pas de réelle matière pour deux heures de représentation: si la pièce était aux oubliettes, ce n'est pas sans raison, a-t-on envie de dire... Dès le premier quart d'heure, j'ai regardé ma montre en pestant intérieurement.
De plus, la mise en scène ralentit le tempo. Clément Hervieu-Léger a choisi de représenter la campagne, avec un beau décor (Éric Ruf) représentant une dune escarpée, recouverte d'herbes folles. Il y fait beaucoup courir en tous sens ses "provinciaux", tandis que les Parisiens ne s'y déplacent qu'à petits pas, y glissent, prennent mille précautions... On a vite compris l'opposition, et cette gestuelle répétitive et simpliste finit par lasser.
Au moins, ce choix de mise en scène est-il clair, comme celui consistant à faire constamment éclater de rire Lisette (joué par l'excellente Adeline D'Hermy, ce personnage qui voit clair est comme un metteur en scène qui s'amuse de la posture de Rosimond). Mais certaines intentions sont inintelligibles: pourquoi Claire de la Rue du Cam (actrice bien faible, qui articule mal, et que l'on n'entend pas quand elle parle dos public, bien qu'elle crie) s'installe-t-elle au début avec un carton à dessin pour croquer sa servante ?
Ces dessins restent à terre pendant une bonne partie de la représentation, pourquoi? Pourquoi le petit-maître Rosimond (Corbery) a -t-il un jeu si outré (on dirait un pantin), qui rend invraisemblable sa "conversion" finale, comme le penchant qu'éprouve pour lui sa promise?
Le hic est là d'ailleurs: c'est une pièce qui doit montrer une évolution, tant du maître que du valet (qui au début imite le maître dans son affectation), et on a plutôt affaire à un passage brutal et, pour le valet, inexpliqué, de la posture à l'authenticité. Christophe Montenez, (remarquable) dit à un moment qu'il est désormais corrigé, mais cela tombe de nulle part -à moins que ce ne soient les faveurs de Lisette qui l'aient déniaisé? Oui, ce doit être la justification pour l'inévitable scène d'accouplement (interrompu) dans l'herbe folle entre les valets: comment l'esprit vient aux hommes... Ce n'est pas bien fin, en vérité.
On a parfois l'impression que tout cela est sans queue ni tête: pourquoi Dorimène cesse-t-elle soudainement de s'opposer au mariage? Il se passe des choses hors-scène, qui pèsent sur l'action (entretien entre Dorimène et la mère de Rosimond), mais la mise en scène ne rend pas claires ces interactions...
À l'exception de Claire de la Rue du Cam, la troupe est bonne -bien que Corbery soit un peu âgé pour être crédible en jeune évaporé. Mais entre les faiblesses du texte de Marivaux, et une mise en scène qui le ralentit et l'opacifie, et malgré quelques bons moments au début de la deuxième partie, on s'ennuie fort. Clément Hervieux-Léger souhaiterait sans doute qu'on en attribue la faute à Marivaux: c'est vrai, mais c'est aussi la sienne.
L'intrigue est du Marivaux classique : un mariage est programmé pour deux jeunes gens de bonne famille. Le jeune homme est accompagné par sa mère dans la famille de sa promise, à la campagne. Il plairait s'il n'avait des manières de snob parisien, pour qui il n'est pas de bon ton de tomber amoureux. Aussi ne déclare-t-il pas ses sentiments et se laisse-t-il manipuler par Dorimène, une amie de Paris (Florence Viala) qui voudrait faire échouer le mariage. Heureusement, le valet du petit maître et la servante de la jeune fille vont faire en sorte de le "corriger": il déclarera in extremis son vrai sentiment pour sa promise et sera agréé.
Sur ce schéma assez classique, la seule originalité est la relation entre jeunes Parisiens méprisants et poseurs (les "petits-maîtres"), et provinciaux plus près de l'authenticité et de la nature.
Peu importerait que la situation soit peu originale, si les personnages étaient bien dessinés et l'intrigue bien menée jusqu'à son dénouement. Or, ce n'est pas le cas: seul le couple de valets est vraiment intéressant. Le personnage de la jeune fille est à peine esquissé, celui du petit maître très caricatural, et les deux parents (la mère du jeune homme, le père de la jeune fille) n'ont quasiment rien à jouer : c'est bien la peine d'y avoir distribué Didier Sandre et Dominique Blanc...
Le couple d'amis parisiens (Florence Viala et Pierre Hancisse) n'a comme fonction que de différer le moment, tant attendu, où Rosimond avouera qu'amour et mariage sont compatibles.
La pièce est longue, quasiment aussi longue que "Le Jeu", sans avoir l'approfondissement, la variété des situations et l'humanité touchante de ce chef d'oeuvre. Elle paraît interminable: on croit que c'est fini, que le petit maître est enfin "corrigé", et voilà qu'une intervention d'un autre personnage le fait replonger dans l'erreur... Il aurait sans doute été possible de couper quelques scènes sans dommage, car il n'y a pas de réelle matière pour deux heures de représentation: si la pièce était aux oubliettes, ce n'est pas sans raison, a-t-on envie de dire... Dès le premier quart d'heure, j'ai regardé ma montre en pestant intérieurement.
De plus, la mise en scène ralentit le tempo. Clément Hervieu-Léger a choisi de représenter la campagne, avec un beau décor (Éric Ruf) représentant une dune escarpée, recouverte d'herbes folles. Il y fait beaucoup courir en tous sens ses "provinciaux", tandis que les Parisiens ne s'y déplacent qu'à petits pas, y glissent, prennent mille précautions... On a vite compris l'opposition, et cette gestuelle répétitive et simpliste finit par lasser.
Au moins, ce choix de mise en scène est-il clair, comme celui consistant à faire constamment éclater de rire Lisette (joué par l'excellente Adeline D'Hermy, ce personnage qui voit clair est comme un metteur en scène qui s'amuse de la posture de Rosimond). Mais certaines intentions sont inintelligibles: pourquoi Claire de la Rue du Cam (actrice bien faible, qui articule mal, et que l'on n'entend pas quand elle parle dos public, bien qu'elle crie) s'installe-t-elle au début avec un carton à dessin pour croquer sa servante ?
Ces dessins restent à terre pendant une bonne partie de la représentation, pourquoi? Pourquoi le petit-maître Rosimond (Corbery) a -t-il un jeu si outré (on dirait un pantin), qui rend invraisemblable sa "conversion" finale, comme le penchant qu'éprouve pour lui sa promise?
Le hic est là d'ailleurs: c'est une pièce qui doit montrer une évolution, tant du maître que du valet (qui au début imite le maître dans son affectation), et on a plutôt affaire à un passage brutal et, pour le valet, inexpliqué, de la posture à l'authenticité. Christophe Montenez, (remarquable) dit à un moment qu'il est désormais corrigé, mais cela tombe de nulle part -à moins que ce ne soient les faveurs de Lisette qui l'aient déniaisé? Oui, ce doit être la justification pour l'inévitable scène d'accouplement (interrompu) dans l'herbe folle entre les valets: comment l'esprit vient aux hommes... Ce n'est pas bien fin, en vérité.
On a parfois l'impression que tout cela est sans queue ni tête: pourquoi Dorimène cesse-t-elle soudainement de s'opposer au mariage? Il se passe des choses hors-scène, qui pèsent sur l'action (entretien entre Dorimène et la mère de Rosimond), mais la mise en scène ne rend pas claires ces interactions...
À l'exception de Claire de la Rue du Cam, la troupe est bonne -bien que Corbery soit un peu âgé pour être crédible en jeune évaporé. Mais entre les faiblesses du texte de Marivaux, et une mise en scène qui le ralentit et l'opacifie, et malgré quelques bons moments au début de la deuxième partie, on s'ennuie fort. Clément Hervieux-Léger souhaiterait sans doute qu'on en attribue la faute à Marivaux: c'est vrai, mais c'est aussi la sienne.
4/10
"La Mort de Danton" est une pièce historique écrite par le romantique Büchner en 1834. Elle raconte les quelques jours qui aboutissent à la condamnation à mort du tribun révolutionnaire et de ses amis, à l'instigation de Robespierre et Saint-Just. C'est une pièce magnifique, qui m'avait fait forte impression la première fois que je l'ai vue, il y a longtemps, au théâtre de l'Est parisien. Mais c'est aussi une pièce difficile, qui demande des connaissance historiques, et qui devrait pour cela être montée avec un but de clarté, car elle fait appel à la compréhension de mécanismes politiques, et s'adresse avant tout à l'intellect: il faut comprendre pour être touché, c'est indispensable dans cette oeuvre.
Or la clarté manque dans cette mise en scène de François Orsini. Pour tout dire, dans le premier tiers, on ne comprend pas grand-chose. Cela tient à plusieurs choix: tous les personnages sont joués par une poignée d'acteurs, ce qui est une source de confusion. Les changements d'accessoires et les déplacements ne permettent pas toujours de comprendre qui parle, s'il s'agit d'un homme politique ou d'un comparse. Cela est accentué par la monotonie du phrasé des acteurs, qui, tous et tout le temps, déclament; peut-être le metteur en scène veut-il par là nous plonger dans l'atmosphère de 93, en faisant ainsi parler tous les acteurs comme à la tribune, mais cela émousse absolument l'intérêt: il n'y a jamais ces ruptures si importantes au théâtre. On est forcé de dire que les acteurs ne sont pas bons, qu'ils sont souvent faux, alors qu'on les a connus ailleurs excellents, tel Yannick Landrein: il faut donc bien que ce soit une directive du metteur en scène.
Celui-ci a choisi un dispositif bi-frontal, tous les acteurs sont assis autour d'une très longue table (ou
parfois marchent le long de celles-ci), à chaque bout de laquelle se trouvent les accessoires qui leur permettent de changer de figure. La monotonie tient donc aussi au grand statisme de ce dispositif: l'immense table occupe quasi tout l'espace scénique. Ce statisme ne serait pas trop gênant si l'on comprenait les enjeux du dialogue, mais, là, il contribue à l'ennui.
Les changements à vue brisent l'illusion théâtrale -c'est à la mode, et F. Orsoni a sans doute voulu accentuer cette distance en distribuant ironiquement ses acteurs à contre-emploi: Danton est joué par un acteur fluet, pâle, et c'est le massif Jean-Louis Coulloc’h qui tient le rôle de Robespierre. Cette inversion ôte beaucoup de force au personnage de Danton, devenu une espèce de dandy, affublé même de ces fameuses lunettes teintées qu'on associe à Robespierre. L'intérêt de cela m'échappe, à vrai dire...
Comme m'échappe l'intérêt de mêler au texte de Büchner des passages chantés, ou d'y ajouter des extraits de Pierre Michon ou de Michel Houellebecq: cela ajoute à la confusion qui est la dominante de ce spectacle, que je qualifierais en fin de compte de prétentieux.
Il ne reste plus qu'à attendre que cette grande pièce soit remontée, pour pouvoir l'apprécier à sa juste valeur...
Or la clarté manque dans cette mise en scène de François Orsini. Pour tout dire, dans le premier tiers, on ne comprend pas grand-chose. Cela tient à plusieurs choix: tous les personnages sont joués par une poignée d'acteurs, ce qui est une source de confusion. Les changements d'accessoires et les déplacements ne permettent pas toujours de comprendre qui parle, s'il s'agit d'un homme politique ou d'un comparse. Cela est accentué par la monotonie du phrasé des acteurs, qui, tous et tout le temps, déclament; peut-être le metteur en scène veut-il par là nous plonger dans l'atmosphère de 93, en faisant ainsi parler tous les acteurs comme à la tribune, mais cela émousse absolument l'intérêt: il n'y a jamais ces ruptures si importantes au théâtre. On est forcé de dire que les acteurs ne sont pas bons, qu'ils sont souvent faux, alors qu'on les a connus ailleurs excellents, tel Yannick Landrein: il faut donc bien que ce soit une directive du metteur en scène.
Celui-ci a choisi un dispositif bi-frontal, tous les acteurs sont assis autour d'une très longue table (ou
parfois marchent le long de celles-ci), à chaque bout de laquelle se trouvent les accessoires qui leur permettent de changer de figure. La monotonie tient donc aussi au grand statisme de ce dispositif: l'immense table occupe quasi tout l'espace scénique. Ce statisme ne serait pas trop gênant si l'on comprenait les enjeux du dialogue, mais, là, il contribue à l'ennui.
Les changements à vue brisent l'illusion théâtrale -c'est à la mode, et F. Orsoni a sans doute voulu accentuer cette distance en distribuant ironiquement ses acteurs à contre-emploi: Danton est joué par un acteur fluet, pâle, et c'est le massif Jean-Louis Coulloc’h qui tient le rôle de Robespierre. Cette inversion ôte beaucoup de force au personnage de Danton, devenu une espèce de dandy, affublé même de ces fameuses lunettes teintées qu'on associe à Robespierre. L'intérêt de cela m'échappe, à vrai dire...
Comme m'échappe l'intérêt de mêler au texte de Büchner des passages chantés, ou d'y ajouter des extraits de Pierre Michon ou de Michel Houellebecq: cela ajoute à la confusion qui est la dominante de ce spectacle, que je qualifierais en fin de compte de prétentieux.
Il ne reste plus qu'à attendre que cette grande pièce soit remontée, pour pouvoir l'apprécier à sa juste valeur...
8/10
Jean-Paul Tribout a l'art de retrouver des pièces un peu oubliées des années 1930 à 1950.
Je me souviens avoir pris grand-plaisir au "Donogoo" de Jules Romains qu'il avait monté, et je regrette d'avoir manqué son "Nekrassov". Ici, c'est une pièce d'Édouard Bourdet sur le milieu des hommes de lettres et de l'édition qu'il nous propose.
Pièce inégale (trop longue, elle pourrait finir à l'acte III, sur une excellente réplique pleine d'ironie), mais intéressante et globalement bien faite, d'une satire sans méchanceté. Un éditeur qui a une conception purement commerciale de son métier (joué par Jean-Paul Tribout avec beaucoup d'alacrité et de cynisme bon enfant) veut se venger d'un de ses auteurs, qui a accepté les propositions d'une maison adverse. Alors qu'il avait intrigué pour qu'il décroche le "Prix Zola", il le lâche, et celui-ci est attribué à un parfait inconnu, Fournier (Éric Herson-Macarel), qu'il va prendre sous son aile. Tel est le point de départ, qui situe l'action dans une grande maison d'édition, à la veille de la remise d'un prix. La suite est plus intime: tout se joue entre le nouvel écrivain, en panne d'inspiration pour son second roman, la femme de celui-ci, (Caroline Maillard) et l'auteur évincé, Gilbert Maréchal, un bellâtre (Jean-Paul Bordes). L'éditeur, prenant conscience que l'inspiration ne peut venir à Fournier que d'une souffrance conjugale, va manipuler sa femme pour qu'il retrouve une matière romanesque.
Les scènes satiriques qui brocardent l'incoercible vanité des littérateurs et les méthodes "marketing" de l'éditeur plus soucieux de gros tirages que de talent littéraire, sont excellentes, pétillantes, pleines de mots "rosses" que la mise en scène rythmée de J.-P. Tribout met parfaitement en valeur. D'autres scènes, plus sentimentales, entre Madame Fournier et Maréchal, convainquent moins: elles sont essentiellement là pour faire évoluer la situation, et l'écriture paraît désuète. Jean-Paul Bordes, qui compose un personnage de littérateur imbu de lui-même, force un peu la dose pour mettre une distance ironique avec ce marivaudage un peu daté, difficile il est vrai à jouer au premier degré... Caroline Maillard incarne avec beaucoup d'élégance et d'esprit la femme de l'auteur lancé malgré lui, à la fois éblouie et gardant les pieds sur terre.
Mais c'est Éric Herson-Macarel qui donne la composition la plus marquante, dans le rôle de cet auteur de hasard qui va quitter son emploi de bureau pour le monde des salons. Il s'est composé un personnage à la fois timoré, lunaire (à la Harold Lloyd), et capricieux, et le moindre de ses gestes nous ravit tant la stylisation est réussie, sans pour autant exclure un fond d'humanité, qui le rend touchant. Chacune de ses apparitions a été pour moi un régal. C'est un acteur de grande classe, vraiment, qui avait déjà été un parfait Figaro sous la direction du même Tribout.
Voilà une pièce qui méritait d'autant plus d'être exhumée qu'elle a trouvé le metteur en scène qui lui convient (il y a une "patte" Tribout) et un interprète exceptionnel, dans une distribution de qualité. Une très bonne soirée.
Je me souviens avoir pris grand-plaisir au "Donogoo" de Jules Romains qu'il avait monté, et je regrette d'avoir manqué son "Nekrassov". Ici, c'est une pièce d'Édouard Bourdet sur le milieu des hommes de lettres et de l'édition qu'il nous propose.
Pièce inégale (trop longue, elle pourrait finir à l'acte III, sur une excellente réplique pleine d'ironie), mais intéressante et globalement bien faite, d'une satire sans méchanceté. Un éditeur qui a une conception purement commerciale de son métier (joué par Jean-Paul Tribout avec beaucoup d'alacrité et de cynisme bon enfant) veut se venger d'un de ses auteurs, qui a accepté les propositions d'une maison adverse. Alors qu'il avait intrigué pour qu'il décroche le "Prix Zola", il le lâche, et celui-ci est attribué à un parfait inconnu, Fournier (Éric Herson-Macarel), qu'il va prendre sous son aile. Tel est le point de départ, qui situe l'action dans une grande maison d'édition, à la veille de la remise d'un prix. La suite est plus intime: tout se joue entre le nouvel écrivain, en panne d'inspiration pour son second roman, la femme de celui-ci, (Caroline Maillard) et l'auteur évincé, Gilbert Maréchal, un bellâtre (Jean-Paul Bordes). L'éditeur, prenant conscience que l'inspiration ne peut venir à Fournier que d'une souffrance conjugale, va manipuler sa femme pour qu'il retrouve une matière romanesque.
Les scènes satiriques qui brocardent l'incoercible vanité des littérateurs et les méthodes "marketing" de l'éditeur plus soucieux de gros tirages que de talent littéraire, sont excellentes, pétillantes, pleines de mots "rosses" que la mise en scène rythmée de J.-P. Tribout met parfaitement en valeur. D'autres scènes, plus sentimentales, entre Madame Fournier et Maréchal, convainquent moins: elles sont essentiellement là pour faire évoluer la situation, et l'écriture paraît désuète. Jean-Paul Bordes, qui compose un personnage de littérateur imbu de lui-même, force un peu la dose pour mettre une distance ironique avec ce marivaudage un peu daté, difficile il est vrai à jouer au premier degré... Caroline Maillard incarne avec beaucoup d'élégance et d'esprit la femme de l'auteur lancé malgré lui, à la fois éblouie et gardant les pieds sur terre.
Mais c'est Éric Herson-Macarel qui donne la composition la plus marquante, dans le rôle de cet auteur de hasard qui va quitter son emploi de bureau pour le monde des salons. Il s'est composé un personnage à la fois timoré, lunaire (à la Harold Lloyd), et capricieux, et le moindre de ses gestes nous ravit tant la stylisation est réussie, sans pour autant exclure un fond d'humanité, qui le rend touchant. Chacune de ses apparitions a été pour moi un régal. C'est un acteur de grande classe, vraiment, qui avait déjà été un parfait Figaro sous la direction du même Tribout.
Voilà une pièce qui méritait d'autant plus d'être exhumée qu'elle a trouvé le metteur en scène qui lui convient (il y a une "patte" Tribout) et un interprète exceptionnel, dans une distribution de qualité. Une très bonne soirée.
9/10
On m'avait dit beaucoup de bien de ce "Personnage désincarné" d'Arnaud Denis, mais le spectacle est encore meilleur que ce que j'attendais. Je savais, pour avoir vu Arnaud Denis jouer ou mettre en scène, que les acteurs seraient bien dirigés, que le metteur en scène (l'auteur lui-même) aurait utilisé au mieux les (faibles) moyens de cette petite salle de La Huchette, mais je n'imaginais pas que le texte serait d'une telle qualité et d'un tel intérêt.
C'est une pièce sur le théâtre, qui repose sur un jeu constant, parfois vertigineux, entre l'illusion et la réalité, qui fait du théâtre le révélateur de la vérité tout en plaçant les personnages (et les spectateurs en sont) sur la scène d'un vaste Théâtre du monde dont un grand auteur mystérieux tire les ficelles. C'est très troublant.
Dit ainsi, cela pourrait paraître conceptuel, abstrait, intello, bref possiblement ennuyeux, mais le texte est bien construit et manifeste un grand talent dramatique: c'est très écrit, et pourtant toujours parfaitement "en bouche", naturel. Construit en deux panneaux, il joue sur la répétition, soir après soir de cette pièce que nous voyons, tout en déjouant nos attentes. Un auteur sûr de lui veut remettre à sa place un personnage qui demande son émancipation, mais jusqu'à quel degré le contrôle-t-il? Un personnage, poussé par le régisseur, prend le pouvoir sur son auteur, prenant même la salle à témoin de ses faiblesses, mais n'est-ce pas un "jeu" dangereux? On est vraiment tenu en haleine par la relation entre ces deux personnages, d'autant que le texte mêle tension, voire tragique, et un humour très fin. L'auteur nous mène vraiment à sa guise!
Les deux acteurs principaux sont excellents, dirigés de main de maître. Marcel Philippot, avec la prestance un peu vaniteuse qui a fait sa réputation, est très bon dans le personnage de l'auteur plus fragile qu'on ne croirait. Audran Cattin (dont, seul bémol, la diction n'est pas excellente au début) a un côté chien fou très moderne. L'affrontement est en effet aussi celui des générations... L'espace scène-salle est utilisé avec brio, les lumières sont belles, et le public de La Huchette manifeste à la fin un enthousiasme très mérité.
C'est une pièce sur le théâtre, qui repose sur un jeu constant, parfois vertigineux, entre l'illusion et la réalité, qui fait du théâtre le révélateur de la vérité tout en plaçant les personnages (et les spectateurs en sont) sur la scène d'un vaste Théâtre du monde dont un grand auteur mystérieux tire les ficelles. C'est très troublant.
Dit ainsi, cela pourrait paraître conceptuel, abstrait, intello, bref possiblement ennuyeux, mais le texte est bien construit et manifeste un grand talent dramatique: c'est très écrit, et pourtant toujours parfaitement "en bouche", naturel. Construit en deux panneaux, il joue sur la répétition, soir après soir de cette pièce que nous voyons, tout en déjouant nos attentes. Un auteur sûr de lui veut remettre à sa place un personnage qui demande son émancipation, mais jusqu'à quel degré le contrôle-t-il? Un personnage, poussé par le régisseur, prend le pouvoir sur son auteur, prenant même la salle à témoin de ses faiblesses, mais n'est-ce pas un "jeu" dangereux? On est vraiment tenu en haleine par la relation entre ces deux personnages, d'autant que le texte mêle tension, voire tragique, et un humour très fin. L'auteur nous mène vraiment à sa guise!
Les deux acteurs principaux sont excellents, dirigés de main de maître. Marcel Philippot, avec la prestance un peu vaniteuse qui a fait sa réputation, est très bon dans le personnage de l'auteur plus fragile qu'on ne croirait. Audran Cattin (dont, seul bémol, la diction n'est pas excellente au début) a un côté chien fou très moderne. L'affrontement est en effet aussi celui des générations... L'espace scène-salle est utilisé avec brio, les lumières sont belles, et le public de La Huchette manifeste à la fin un enthousiasme très mérité.
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