Ses critiques
87 critiques
8/10
Voici un spectacle intelligent, subtil, à la gloire d'un auteur trop souvent méconnu. Catherine Sauval a découvert le Journal de Jules Renard suite aux représentations de Poil de Carotte au Studio-Théâtre de la Comédie-Frrançaise en 2010. Ce fut une révélation, un véritable coup de foudre. Cette passion pour l'homme, pour le poète, elle la dépose avec douceur, intensité, sensibilité sur la scène du "petit Poche-Montparnasse".
Son spectacle ne serait pas ce petit bijou si l'ancienne sociétaire du Français y proposait une simple succession des plus célèbres aphorismes du poète ("Si l'on bâtissait la maison du bonheur, le plus petite pièce serait la salle d'attente", "La nature fait du fumier avec les souvenirs de son année", "Dieu n'est pas une solution, ça n'arrange rien", "Je vois la vie en rosse"...).
Catherine Sauval raconte que l'agencement des différents extraits qu'elle avait retenus "se fit comme par magie en moins d'une heure".
Elle nous apprend ou nous rappelle que Jules Renard était mal aimé (sa mère ne le surnommait-elle pas "le chieur d'encre" ?), d'une timidité maladive, neurasthénique, voire suicidaire...
"C'est l'homme que je suis qui me rend misanthrope".
Cette magie opère au plateau et nous fait voyager dans les différents univers de Jules Renard : sa famille plus ou moins bienveillante, son travail d'écriture plus ou moins facile, sa campagne toujours chérie... Car l'auteur d'Histoires Naturelles et de Bucoliques, chronique paysanne avait un rapport à la nature qui est ici souligné. Les "scènes de vie de campagne" modifient le rythme du spectacle. Pleines de vie, elles sont souvent très drôles.
La scénographie de Catherine Sauval est toute simple, épurée, faisant la part elle aux jeux de lumières et à son jeu à elle, immense comédienne, tout en justesse, retenue, sensibilité et délicatesse.
Si l'émotion est toujours présenté, la dernière scène nous "cueille" littéralement. Preuve que Catherine Sauval, elle aussi magicienne, parvient à transformer ses spectateurs, l'espace d'un instant, en une véritable petite forêt...
Son spectacle ne serait pas ce petit bijou si l'ancienne sociétaire du Français y proposait une simple succession des plus célèbres aphorismes du poète ("Si l'on bâtissait la maison du bonheur, le plus petite pièce serait la salle d'attente", "La nature fait du fumier avec les souvenirs de son année", "Dieu n'est pas une solution, ça n'arrange rien", "Je vois la vie en rosse"...).
Catherine Sauval raconte que l'agencement des différents extraits qu'elle avait retenus "se fit comme par magie en moins d'une heure".
Elle nous apprend ou nous rappelle que Jules Renard était mal aimé (sa mère ne le surnommait-elle pas "le chieur d'encre" ?), d'une timidité maladive, neurasthénique, voire suicidaire...
"C'est l'homme que je suis qui me rend misanthrope".
Cette magie opère au plateau et nous fait voyager dans les différents univers de Jules Renard : sa famille plus ou moins bienveillante, son travail d'écriture plus ou moins facile, sa campagne toujours chérie... Car l'auteur d'Histoires Naturelles et de Bucoliques, chronique paysanne avait un rapport à la nature qui est ici souligné. Les "scènes de vie de campagne" modifient le rythme du spectacle. Pleines de vie, elles sont souvent très drôles.
La scénographie de Catherine Sauval est toute simple, épurée, faisant la part elle aux jeux de lumières et à son jeu à elle, immense comédienne, tout en justesse, retenue, sensibilité et délicatesse.
Si l'émotion est toujours présenté, la dernière scène nous "cueille" littéralement. Preuve que Catherine Sauval, elle aussi magicienne, parvient à transformer ses spectateurs, l'espace d'un instant, en une véritable petite forêt...
7/10
Stefan Zweig continue d'inspirer les metteurs en scène qui s'emparent de ses nouvelles plus ou moins connues. Elodie Menant n'en est pas à sa première adaptation de l'auteur. Après une très remarquée Pitié dangereuse il y a quelques années, la voici sur une scène parisienne avec un spectacle qui a déjà fait une jolie tournée et joué à guichet fermé sur les deux derniers festivals d'Avignon.
Le pitch : Irène, une jeune femme au foyer qui se sent délaissée par son avocat de mari décide de prendre des cours de piano pour se changer les idées. De leçon de piano en leçon de piano, elle devient la maitresse de son professeur. Mais un soir, en sortant de chez son amant, elle est surprise par une inconnue qui lui réclame de l'argent, sous peine de dévoiler son secret. Le terrible chantage vient de débuter, et avec lui la peur qui ne quittera plus le ventre d'Irène.
Pour mettre en scène ce trio infernal, Elodie Menant s'est inspirée de l'un de ses maîtres du cinéma, et notamment du film "Fenêtre sur cour". Le spectateur devient voyeur, au gré des décors qui ne cessent de se dérober.
Les trois comédiens parviennent à faire monter le suspense jusqu'à une fin que l'on ne dévoilera pas mais qui est un véritable coup de théâtre, comme il n'en arrive...qu'au théâtre !
Mention toute spéciale à Hélène Degy qui est sur scène chaque minute, chaque seconde et dont le jeu est est sans doute plus nuancé et plus subtil que celui de ses partenaires.
Elle parvient à faire douter le spectateur : est-elle réellement menacée par cette femme ? Ou bien a-t-elle des visions ? Est-elle paranoïaque, folle à lier ? Réponse juste avant les saluts... et les tonnerres d'applaudissements.
Le pitch : Irène, une jeune femme au foyer qui se sent délaissée par son avocat de mari décide de prendre des cours de piano pour se changer les idées. De leçon de piano en leçon de piano, elle devient la maitresse de son professeur. Mais un soir, en sortant de chez son amant, elle est surprise par une inconnue qui lui réclame de l'argent, sous peine de dévoiler son secret. Le terrible chantage vient de débuter, et avec lui la peur qui ne quittera plus le ventre d'Irène.
Pour mettre en scène ce trio infernal, Elodie Menant s'est inspirée de l'un de ses maîtres du cinéma, et notamment du film "Fenêtre sur cour". Le spectateur devient voyeur, au gré des décors qui ne cessent de se dérober.
Les trois comédiens parviennent à faire monter le suspense jusqu'à une fin que l'on ne dévoilera pas mais qui est un véritable coup de théâtre, comme il n'en arrive...qu'au théâtre !
Mention toute spéciale à Hélène Degy qui est sur scène chaque minute, chaque seconde et dont le jeu est est sans doute plus nuancé et plus subtil que celui de ses partenaires.
Elle parvient à faire douter le spectateur : est-elle réellement menacée par cette femme ? Ou bien a-t-elle des visions ? Est-elle paranoïaque, folle à lier ? Réponse juste avant les saluts... et les tonnerres d'applaudissements.
9,5/10
D’abord, il y a un texte.
Et un grand texte. Celui d’Anton Tchekhov, qui a écrit ce chef d’œuvre à l’âge de 36 ans. On connaît l’argument, simplissime, de la pièce : un professeur à la retraite vient séjourner avec sa nouvelle femme chez Vania, le frère de sa première épouse disparue. Sa présence, ainsi que celle d’un médecin, viendra bouleverser l’équilibre fragile des âmes de cette petite société russe de campagne.
Un texte qu’on a souvent vu joué dans des versions ultra classiques, où les patronymes slaves des personnages étaient assénés avec une vigueur qui frôlait parfois le ridicule. Un texte qu’on a vu également représenté dans de prétentieuses tentatives de transpositions modernes. Point d’afféteries de ce type ici.
Ensuite, il y a une mise en scène et une relecture épatantes.
Car on vient voir ici « Vania, d’aprés Oncle Vania ». Et c’est toute l’intelligence et le savoir-faire de la jeune mais déjà très remarquée Julie Deliquet. Le travail au plateau de cette talentueuse metteuse en scène offre aux comédiens la liberté d’ajouter quelques plages improvisées au texte du grand auteur russe. Ce n’est jamais gratuit, c’est toujours à son service. Et le résultat est absolument formidable. Rarement le texte de Tchekhov avait été aussi audible, clair, atteignant directement nos âmes de spectateurs. Rarement nous avions eu ce sentiment d’une totale vérité dans le jeu. Rarement nous avions eu l’impression d’assister au jaillissement en direct d’une création de très grande valeur, de subir un entrechoc d’émotions au sein d’un dispositif bi-frontal qui est ici totalement légitime. Devant nous, il y a la vie, tout simplement.
Il y a, enfin, une troupe exceptionnelle.
On l’a dit, on le redit, on le crie à nouveau haut et fort : la troupe actuelle du Français est absolument exceptionnelle.
Sept comédiens défendent ici leurs personnages avec force et passion, que ce soit pour quelques répliques (Noam Morgensztern, Dominique Blanc) ou des moments de bravoure qu’on imagine extrêmement jouissifs à incarner (Florence Viala, Hervé Pierre).
Stéphane Varupenne confirme de pièce en pièce qu’il est comme le très grand vin : il vieillit bien mais il est à consommer, lui, sans modération.
Laurent Stocker est un prodigieux Vania. Il réalise le tour de force de faire de cet attachant désespéré un terrien et un aérien à la fois. Sa fantaisie naturelle se mêle habilement à sa sombre dépression. Il passe de l’ivresse à l’émotion en un centième de seconde. Le désespoir qu’il incarne, celui de l’implacable certitude d’avoir raté sa vie, est absolument déchirant. Il est à couper le souffle.
Enfin, Anna Cervinka compose une Sonia inoubliable, fragile, touchante, entre rires et larmes. Son célèbre monologue de fin (« …nous nous reposerons »), au milieu du silence incroyable d’une salle, et de ses trois partenaires restés sur scène, littéralement suspendus à tant de talent, est un de ces grands moments de théâtre qu’on n’oubliera pas de sitôt.
Il y a ainsi des moments dans la vie d’un spectateur de théâtre où les planètes sont parfaitement alignées. C’est ce délicieux prodige qu’est arrivé à réaliser Julie Deliquet, au Vieux-Colombier, pendant quelques jours de cet automne 2016.
Et un grand texte. Celui d’Anton Tchekhov, qui a écrit ce chef d’œuvre à l’âge de 36 ans. On connaît l’argument, simplissime, de la pièce : un professeur à la retraite vient séjourner avec sa nouvelle femme chez Vania, le frère de sa première épouse disparue. Sa présence, ainsi que celle d’un médecin, viendra bouleverser l’équilibre fragile des âmes de cette petite société russe de campagne.
Un texte qu’on a souvent vu joué dans des versions ultra classiques, où les patronymes slaves des personnages étaient assénés avec une vigueur qui frôlait parfois le ridicule. Un texte qu’on a vu également représenté dans de prétentieuses tentatives de transpositions modernes. Point d’afféteries de ce type ici.
Ensuite, il y a une mise en scène et une relecture épatantes.
Car on vient voir ici « Vania, d’aprés Oncle Vania ». Et c’est toute l’intelligence et le savoir-faire de la jeune mais déjà très remarquée Julie Deliquet. Le travail au plateau de cette talentueuse metteuse en scène offre aux comédiens la liberté d’ajouter quelques plages improvisées au texte du grand auteur russe. Ce n’est jamais gratuit, c’est toujours à son service. Et le résultat est absolument formidable. Rarement le texte de Tchekhov avait été aussi audible, clair, atteignant directement nos âmes de spectateurs. Rarement nous avions eu ce sentiment d’une totale vérité dans le jeu. Rarement nous avions eu l’impression d’assister au jaillissement en direct d’une création de très grande valeur, de subir un entrechoc d’émotions au sein d’un dispositif bi-frontal qui est ici totalement légitime. Devant nous, il y a la vie, tout simplement.
Il y a, enfin, une troupe exceptionnelle.
On l’a dit, on le redit, on le crie à nouveau haut et fort : la troupe actuelle du Français est absolument exceptionnelle.
Sept comédiens défendent ici leurs personnages avec force et passion, que ce soit pour quelques répliques (Noam Morgensztern, Dominique Blanc) ou des moments de bravoure qu’on imagine extrêmement jouissifs à incarner (Florence Viala, Hervé Pierre).
Stéphane Varupenne confirme de pièce en pièce qu’il est comme le très grand vin : il vieillit bien mais il est à consommer, lui, sans modération.
Laurent Stocker est un prodigieux Vania. Il réalise le tour de force de faire de cet attachant désespéré un terrien et un aérien à la fois. Sa fantaisie naturelle se mêle habilement à sa sombre dépression. Il passe de l’ivresse à l’émotion en un centième de seconde. Le désespoir qu’il incarne, celui de l’implacable certitude d’avoir raté sa vie, est absolument déchirant. Il est à couper le souffle.
Enfin, Anna Cervinka compose une Sonia inoubliable, fragile, touchante, entre rires et larmes. Son célèbre monologue de fin (« …nous nous reposerons »), au milieu du silence incroyable d’une salle, et de ses trois partenaires restés sur scène, littéralement suspendus à tant de talent, est un de ces grands moments de théâtre qu’on n’oubliera pas de sitôt.
Il y a ainsi des moments dans la vie d’un spectateur de théâtre où les planètes sont parfaitement alignées. C’est ce délicieux prodige qu’est arrivé à réaliser Julie Deliquet, au Vieux-Colombier, pendant quelques jours de cet automne 2016.
6,5/10
Quelle déception !
Sans doute à la hauteur de l'attente, comme souvent...
Car le trio Jean-François Sivadier, Daniel Jeanneteau et Nicolas Bouchaud m'avait émerveillée sur cette même scène de l'Odéon Théâtre de l'Europe avec leur Misanthrope ultramoderne et sensationnel.
Dans Dom Juan, on a le sentiment que Sivadier a trop voulu multiplier les "effets de style". Qu'il s'agisse des séances de karaoké (Sexuel Healing de Marvin Gaye, Les Passantes de Brassens), la pendule indiquant le nombre de fois où le mot "ciel" est prononcé, les improvisations et le jeu avec le public (Dom Juan draguant ouvertement les jeunes femmes des premiers rangs) : autant de trucs inutiles qui perdent peu à peu le spectateur.
Dommage, réellement, car la scénographie de Daniel Jeanneteau est toujours aussi admirable, métamorphosant le plateau au fil des actes.
Dommage car Nicolas Bouchaud est un Dom Juan charismatique, taquin, parfait libertin qui n'a peur de rien, joueur et jouisseur devant l'éternel. Le couple qu'il forme avec Vincent Guédon-Sganarelle fonctionne à merveille, bien mieux que celui que forment Pierrot- Stephane Butel et Charlotte-Lucie Valon (il semble que ces deux-là ne savent pas faire autrement que hurler...).
Dommage car toutes les idées de mise en scène de Sivadier ne sont pas saugrenues, certaines sont même bienvenues, astucieuses et inventives, notamment la dernière.
Dommage, vraiment dommage que cette mise en scène ait voulu séduire à tout prix, à l'image de son incorrigible héros...
Sans doute à la hauteur de l'attente, comme souvent...
Car le trio Jean-François Sivadier, Daniel Jeanneteau et Nicolas Bouchaud m'avait émerveillée sur cette même scène de l'Odéon Théâtre de l'Europe avec leur Misanthrope ultramoderne et sensationnel.
Dans Dom Juan, on a le sentiment que Sivadier a trop voulu multiplier les "effets de style". Qu'il s'agisse des séances de karaoké (Sexuel Healing de Marvin Gaye, Les Passantes de Brassens), la pendule indiquant le nombre de fois où le mot "ciel" est prononcé, les improvisations et le jeu avec le public (Dom Juan draguant ouvertement les jeunes femmes des premiers rangs) : autant de trucs inutiles qui perdent peu à peu le spectateur.
Dommage, réellement, car la scénographie de Daniel Jeanneteau est toujours aussi admirable, métamorphosant le plateau au fil des actes.
Dommage car Nicolas Bouchaud est un Dom Juan charismatique, taquin, parfait libertin qui n'a peur de rien, joueur et jouisseur devant l'éternel. Le couple qu'il forme avec Vincent Guédon-Sganarelle fonctionne à merveille, bien mieux que celui que forment Pierrot- Stephane Butel et Charlotte-Lucie Valon (il semble que ces deux-là ne savent pas faire autrement que hurler...).
Dommage car toutes les idées de mise en scène de Sivadier ne sont pas saugrenues, certaines sont même bienvenues, astucieuses et inventives, notamment la dernière.
Dommage, vraiment dommage que cette mise en scène ait voulu séduire à tout prix, à l'image de son incorrigible héros...
7/10
Un écrivain, seul chez lui, face à son ordinateur, est en train de retaper son roman qui parle d’un médecin humanitaire en zone de guerre. Et tout à coup, comme par magie, le personnage en question se trouve dans la pièce, avec lui.
Qu'adviendra-t-il de cette rencontre inopinée ? Fera-t-elle basculer l'écrivain dans la folie ?
C'est autour de cette question que se tisse peu à peu le spectacle écrit, mis en scène et interprété par Fabio Alessandrini. Une question qui devient de plus en plus oppressante, à mesure que le personnage incarné par un énigmatique et troublant Yann Collette se rebelle. Il tente de persuader son Frankenstein de réécrire l'histoire, de lui proposer une vie plus douce, loin des horreurs d'une guerre sanglante et cruelle.
La confrontation entre les deux hommes nous tient en haleine pendant une bonne partie d'un spectacle que l'auteur lui-même définit comme du théâtre psychologique. Cependant, on regrette quelques lenteurs, surtout vers la fin, liées sans doute à l'écriture qui peine à ne pas tourner en boucle autour du thème du Kaïros - ce personnage insaisissable...
Qu'adviendra-t-il de cette rencontre inopinée ? Fera-t-elle basculer l'écrivain dans la folie ?
C'est autour de cette question que se tisse peu à peu le spectacle écrit, mis en scène et interprété par Fabio Alessandrini. Une question qui devient de plus en plus oppressante, à mesure que le personnage incarné par un énigmatique et troublant Yann Collette se rebelle. Il tente de persuader son Frankenstein de réécrire l'histoire, de lui proposer une vie plus douce, loin des horreurs d'une guerre sanglante et cruelle.
La confrontation entre les deux hommes nous tient en haleine pendant une bonne partie d'un spectacle que l'auteur lui-même définit comme du théâtre psychologique. Cependant, on regrette quelques lenteurs, surtout vers la fin, liées sans doute à l'écriture qui peine à ne pas tourner en boucle autour du thème du Kaïros - ce personnage insaisissable...