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A bride Abattue
A bride Abattue
Mini-Molière du Critique
51 ans
21 espions
espionner Ne plus espionner
Passionnée de théâtre, je pense qu'on ne parle jamais assez des bonnes pièces!
Son blog : http://abrideabattue.blogspot.fr/search/label/spectacle
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Ses critiques

384 critiques
Dans la solitude des champs de coton

Dans la solitude des champs de coton

10/10
7
Je croyais avoir fait toutes les expériences possibles en matière de théâtre.

Très peu sur un plateau, en toute logique puisque ce n'est pas mon métier d'être comédienne, même si, en tant que conteuse, j'ai été plusieurs fois face à un public, que je me suis trouvée sur scène en avril 2019 presque une heure trente à côté de Constance Dollé dans une représentation de Girls and boys, quelques jours après avoir participé au Grand Bazar des Savoirs mis en espace par Didier Ruiz pour les dix ans du Théâtre Firmin Gémier-La Piscine de Châtenay-Malabry (92) parmi une centaine d'experts en tous genres qui ont partagé leur passion avec des petits groupe de spectateurs.

Et en tant que spectatrice je ne manque pas de souvenirs insolites. J'ai apprécié des mises en scène fracassants le fameux quatrième mur qui isole (théoriquement) les spectateurs des acteurs. En suivant des représentations dans une chambre d'hôtel, dans une reconstitution de palais de justice, sur une barque, dans une zone industrielle, en déambulation en pleine nature ou entre les différents espaces d'un ancien cinéma, et même au coeur d'un embouteillage.

Rien de tout cela n'était gadget. Le parti pris dramaturgique se justifiait. Ce sont de beaux et bons souvenirs. Mais Dans la solitude des champs de coton, conçue et mise en scène par Roland Auzet (qui a également créé la musique) surpasse de loin tout ce qui a précédé. Je croyais connaitre le théâtre immersif. Je me trompais.

Jusque là je n'avais vécu que des moments collectifs, même lorsqu'ils se déroulaient en petits groupes. Cette fois, et bien que la représentation se déroule à la vue de tous, on la vit de manière individuelle, personnelle, je dirais "solitaire", précisément solitaire et donc en parfait accord avec le thème du texte de Bernard-Marie Koltès, tant de fois représenté dans un espace théâtral.

Je n'avais pas programmé la soirée pour son originalité, mais parce que c'était le dernier événement de cette mini-première saison au Théâtre 14 qui nous a offert un si beau festival. Je suis venue aussi pour entendre Anne Alvaro qui est une comédienne exceptionnelle, ce qui ne signifie pas que sa partenaire de jeu, Audrey Bonnet ne le soit pas. Elle était l'été dernier dernier dans Architecture, le spectacle d'ouverture du festival d'Avignon, dans la Cour d'honneur du Palais des papes où Olivier Py affirmait vouloir désarmer les solitudes.

Ce soir c'est plus que jamais d'actualité.

Pour vous dire combien je venais les yeux fermés, je m'apprêtais à rejoindre le Gymnase Auguste Renoir, un des lieux du ParisOFFestival quand j'ai compris qu'il fallait se rendre au Gymnase Didot. Outre les recommandations sanitaires de port de masque et de désinfection des mains il fallait récupérer la contremarque (à signaler que ce spectacle exceptionnel était gratuit, sur réservation) puis échanger une pièce d'identité contre un jeton, lequel donnait accès à un équipement HF dont le fonctionnement était patiemment expliqué à chacun avant d'être lâché sur le terrain alors que la nuit tombait doucement sur le stade Didot.

J’ignorais quelle était la jauge. Je ne m’attendais pas à un extérieur (le gymnase est un lieu fermé) mais je trouvais -a priori- le cadre propice au sujet, et rassurant en cette période de reprise d'épidémie.

Ça se remplissait bien. Des petits groupes se sont assis sur la pelouse, dispersés. J'avais repéré les poursuites de part et d'autre, et un dispositif plus important en place sur la terrasse mais je ne disposais d'aucun indice pour me positionner. On m'ait juste dit qu'on avait le droit de bouger. J’ai fait intuitivement le bon choix, celui du banc sous abri, situé en bordure du terrain, où d'habitude prennent place les joueurs remplaçants.

Restait à deviner quand le spectacle proprement dit allait commencer. A quoi le saurait-t-on ? A une annonce ? A l'éclairage des comédiennes ?

Le spectateur est seul, parmi la foule. Il fait, les yeux grands ouverts, l'expérience déconcertante de la cécité. Quand on est interpelé dans le noir on se repère d'habitude à la perception de l'endroit d'où vient le son. L'entendre dans le casque abolit toute direction. On reçoit la voix dans la tête sans pouvoir déterminer si la comédienne est devant, derrière, loin, proche ... Alors le public s'ébranle dans l’espoir d’apercevoir son visage. En vain.

Comme notre position est étrange. Nous sommes contraints à accepter la frustration et à vivre la patience. Quelques notes de piano se superposent (j'apprendrais plus tard que les actrices sont privées de la musique). Des lampes s'allument ça et là aux étages des immeubles voisins.

On perçoit nettement, au débit des paroles, que la comédienne n'est pas immobile. Alors je fais le pari de ne pas bouger et de la laisser venir, comme on le ferait d'un animal sauvage, en vivant la scène de intérieur.

La question du désir, avec l'apprivoisement pour corollaire, est au coeur de la pièce dont chaque mot résonne comme jamais. Et plus encore depuis que nous avons vu Ultra-girl contre Schopenhauer ... car le philosophe nous prévenait que la satisfaction du désir ne garantissait pas d'atteindre le bonheur. Il y a ce soir des néophytes qui ne sont probablement jamais allés au théâtre et qui ont été rassurés par la gravité et le déroulement en extérieur, moins intimidant que dans une salle dont ils ne connaissent pas les codes de bonne conduite. Il y a aussi des gens de théâtre, qui connaissent le texte par coeur et qui le redécouvrent car ils l'entendent différemment.

Le client (Audrey Bonnet) intervient alors, en précisant, reprenant les mots précédents, et faisant du coup avancer la discussion en cahotant sans qu'elle ne soit un vrai dialogue : Je ne marche pas en un certain endroit et à une certaine heure. (...) je ne connais aucun crépuscule ni aucune sorte de désirs (...) J’allais de cette fenêtre éclairée derrière moi, là-haut, à cette autre fenêtre éclairée, là-bas devant moi, selon une ligne bien droite qui passe à travers vous parce que vous vous y êtes délibérément placé (p. 13).

Nous percevons toujours le son sans l'image, sachant simplement qu'ils sont deux à se louvoyer sur cette scène immense où nous sommes acceptés. Va-t-on abandonner toute tentative de repérage ? Le souffle de la comédienne est saccadé, sans doute en raison des grandes enjambées qui la propulsent d'un point à un autre selon une trajectoire décidée d'elle seule. Le metteur en scène n'a imposé, je le saurai plus tard, que trois points de rencontres en dehors desquels les comédiennes sont libres de suivre les lignes et les courbes qu'elles souhaitent.

Le claquement sec d'un portillon a beau se produire dans l'oreille gauche on sait que le terrain est ceinturé d'une clôture percée en quelques endroits. Les yeux se sont maintenant habitués à l'obscurité et on peut balayer l'espace, chercher en quel lieu ça a cogné sèchement.

Dès lors on parviendra à poursuivre du regard le dealer et le client qui parfois nous échapperont. On sait désormais qu'on les attrapera de nouveau dans le filet de nos yeux, à la faveur d'un pinceau lumineux ou d'un frôlement car les deux comédiennes n'évitent pas la proximité avec les spectateurs sans pour autant jamais "jouer" avec leur présence. C'est comme si deux réalités s'étaient superposées sans se rencontrer, la leur et la nôtre. Comme si ce qu'on appelle le quatrième mur était devenu gazeux, mais néanmoins tout à fait étanche.

On avait perdu la notion du lieu, on avait perdu le sens de l’orientation, et voilà qu'on les a vus grimper sur la terrasse. Elles s'y affrontent maintenant.

Un chat s'enfuit à toute vitesse alors devant moi, de cour à jardin si je puis dire en me basant sur ma position face aux deux comédiennes. Et je pense furtivement à celui qui avait traversé imperturbablement la largeur de la scène avignonnaise l'été dernier.

Pour la première fois la pièce devient dialogue et les échanges s'accélèrent jusqu'au message final que Bernard-marie Koltès a sans doute voulu nous donner à propos de la fatalité qui pèse sur l’humanité. Il n'y a pas d'amour. Non, vous ne pourrez rien atteindre qui ne le soit déjà (p. 60). Le dealer s'effondre devant le client.

On pourrait croire que Koltès a écrit Dans la solitude des champs de coton spécialement pour cet endroit, en extérieur. Pourtant on sait que Patrice Chéreau l'a créé en février 1987, au théâtre des Amandiers de Nanterre, avec Laurent Mallet et Isaach de Bankolé, puis repris fin 1987-début 1988, en interprétant lui-même le rôle du dealer, ce qui n’a pas plu à Koltès car il trouvait que cela donnait une sensation de compréhension possible entre les personnages. Il tenait à ce que le dealer soit joué par un homme noir. Une troisième version a été donnée bien après la mort de l'écrivain, en 1995-1996, à la Manufacture des Œillets, avec Pascal Greggory et Patrice Chéreau.

D'autres mises en scène ont eu lieu depuis. Et notamment en 2016 celle de Charles Berling au Théâtre national de Strasbourg dans laquelle il interprète le client et confie le rôle du dealer à une femme (Mata Gabin), de couleur noire. C'est cette version qui aurait dû être jouée sur la scène du Théâtre 14 du 9 au 26 juin 2020, mais les restrictions sanitaires en ont voulu autrement. Autre coïncidence c'est Audrey Bonnet qui avait ouvert la saison du Théâtre 14 après les travaux en janvier 2020 avec Clôture de l'amour, texte, conception, réalisation de Pascal Rambert, qu'elle interprétait avec Stanislas Nordey.

Quoiqu'il en soit et malgré les qualités de son travail (que je n'ai pas vu) je conserverai longtemps la version de Roland Auzet qui apporte une clarté et une actualité au texte. Jamais la marchandisation de notre époque n'a été si justement pointée. On peut imaginer le choc que fut la première représentation au Centre commercial de la Part-Dieu de Lyon en 2016. Et avoir confié les deux rôles à deux femmes est extrêmement intéressant.

Ne manquez pas une des prochaines représentations ! Le 2 septembre sur le Parvis de la BNF, Paris 13e et les 3 et 4 septembre – lieu surprise (réservations ouvertes à partir de la fin août). Vous avez la garantie d'un spectacle très étonnant, forcément, toujours particulier, puisque la scénographie n’est pas figée et s’adapte au lieu où il se déroule.
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Une vie de Gérard en Occident

Une vie de Gérard en Occident

7/10
3
Je n'avais pas lu le descriptif d'Une vie de Gérard en Occident avant de venir écouter Gérard Potier la raconter ... et à mesure que le spectacle se déroulait je retrouvais une proximité avec un univers que je connais assez bien, celui du conte. Quelques noms me venaient à l'esprit, comme s'il pouvait exister une sorte de fraternité entre celui qui était sur scène et certains autres que j'ai pris tant de plaisir à écouter.

La brève discussion que j'ai eue après la représentation avec Gérard Potier m'a surprise par son refus d'être associé à cet art, comme s'il y avait une sorte d'échelle entre la parole d'un conteur, supposée sans doute être en quelque sorte brute de décoffrage, ou disons un peu sauvage, et celle qu'il porte en se situant dans une lignée sur laquelle on trouve par exemple Joël Pommerat.

Et pourtant en lisant le feuillet remis aux spectateurs je lis bien que Gérard est présenté comme "un griot de notre temps". Dans sa notice biographique je remarque qu'il apprend le théâtre, le conte, le chant, la danse, le collectage d’histoires. Qu'il a participé à la création du festival La Roche aux contes ...

Je peux donc me sentir autoriser à dire -et cela de manière positive- que son spectacle s'inscrit dans cet interstice où se glissent les conteurs contemporains quand ils produisent un travail d'oralité entre le réel et la fiction documentaire.

Une vie de Gérard en Occident serait l’histoire de Gérard Airaudeau. Dans la salle des fêtes de Saint-Jean-des-Oies, on attend la visite de Marianne, une députée qui veut rencontrer "des vrais gens". La table est dressée sur des tréteaux avec ses gobelets en plastique et ses chips premiers prix. Pour faire patienter l'assistance, Gérard raconte sa vie, sa commune, son pays, sa France des années 70 à nos jours.

C'est vraiment Gérard (Gérard Potier) qui raconte ... mais c'est en fait l'histoire d'un certain Bernard, vendéen pur souche, que François Beaune a enregistré pendant des heures avant de s'inspirer de son récit pour écrire son livre. Le comédien s'en est emparé ensuite et en a fait son miel en s'appuyant sur ses propres racines puisqu'il est fils de paysan vendéen. Outre son talent il est probable que ce contexte a été un atout.

L'équipe revendique des références à Rabelais et à Coluche. Peut-être à ce dernier dans l'humour noir qui transparaît souvent lorsqu'il s'agit de caractériser le caractère vendéen : ils vivent et se pendent dans le sous-sol de leur maison.

Les culs de plomb estiment que c'est pas la peine d'aller au bout du monde puisque le monde vient chez eux. C'est pourtant sur la chanson de l'Eté indien de Joe Dassin que Gérard et sa femme vont rêver et tomber amoureux. Les paroles promettent un sacré voyage.

Et c'est un sport peu banal, même s'il a le vent en poupe, qui passionne leur fille, le roller derby dont on va apprendre les codes, subtilités est rituels.

Enracinés comme un cep de vigne, mais pas exempts de soucis, notamment d'emploi. Ce sont sans doute les passages les plus difficiles à soutenir, de mon point de vue, que la description des manigances de licenciement et on espère que la députée prendra note de leurs difficulté, en espérant qu'elle arrive.

Gérard Potier joue bien entendu tous les rôles, sans forcer, sans vraiment changer de voix, sauf lorsqu'il mime le travail à l'usine et on pense au si troublant premier roman de Joseph Ponthus, A la ligne. Il trouve les gestes adéquats pour dénoncer la duperie de l'actionnariat ouvrier qu'il nous mime à la manière d'un jeu de bonneteau avec les gobelets vides.

En fait Le comédien a raison. Ce qu'il nous montre n'est pas un conte parce que chez les conteurs il y a toujours une lumière au bout du tunnel, même ténue, même éteinte ... Dans Une vie de Gérard en Occident soit la route fait un coude, soit elle pousse l'individu au bout d'une impasse, avec la justification que c'était joué d'avance : Papa a toujours dit que t'étais con depuis le début !

Et pourtant il y a un grand sursaut : c'est pas quand on meurt qu'on est mort, c'est quand on vous oublie. Alors Gérard a bien raison d'exhumer les copains, Dédé, les collègues, Annie, les enfants ... Il les raconte (conte) avec une sorte d'ironie désabusée et fataliste.

Souvent, il dit ce qu'ils ne sont pas, loin des références imposantes, les Lelouch, De Villiers ou Brel.

Il nous fait réfléchir sur le poids des choses comme le faisait un autre Gérard... Manset, en 1978 avec les paroles de la chanson le Jardin des délices qui clôture le spectacle, avant l'arrivée de la députée qui a peut-être déclaré forfait. C'est vraiment un spectacle qui gagne à être vu en famille, et avec ses enfants (à partir de 14 ans).

Quand le monde autour de toi aura tant changé
Que toutes ces choses que tu frôlais sans danger
Seront devenues si lourdes à bouger
Seront devenues des objets étrangers
Où l'a-t-on rangé
Ce bout de verger

François Beaune est né en 1978 à Clermont-Ferrand. Il a publié chez Verticales un recueil d’Histoires vraies : La Lune dans le puits, 2013 (Folio, 2017) et trois romans : Un homme louche, 2009 (Folio, avril 2011) ; Un ange noir, 2011 ; Une vie de Gérard en Occident, 2016. En 2018, il publie au Nouvel Attila Omar et Greg, sur l’itinéraire politique et social de deux militants marseillais du FN partis de l’extrême-gauche, qui lui a valu le Prix du livre du Réel décerné par la librairie Mollat (Florence Aubenas, Jean-Paul Kauffmann et Philippe Lançon faisant partie du jury).

Né en 1960, Gérard Potier intègre à 18 ans une troupe d’art et tradition populaire. Durant les années qui vont suivre, il apprend le théâtre, le conte, le chant, la danse, le collectage d’histoires. Il participe à la création du festival La Roche aux contes, où il présente ses premiers spectacles, Brin d’amour (1988), Carnaval (1989) et Narcisse (1990). En 1993, c’est Beaux et Courageux qui va l’imposer sur la scène hexagonale et internationale. Passionné par les mythologies familiales il co-écrit avec Philippe Raulet S’il pleut vous ramasserez mon linge à partir de témoignages de sa mère, de ses tantes, des femmes de son entourage. Son parcours est jalonné de rencontres déterminantes. Il travaille avec plusieurs metteurs en scène dont Alain Sabaud, François Rollin, Claude Aufaure, Chantal Morel et Joël Pommerat dans Ça ira (1) fin de Louis.
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Mon Isménie

Mon Isménie

8,5/10
23
Mon Isménie n'est pas une maladie mais le prénom d'une jeune fille. La comédie d’Eugène Labiche revient à l’affiche du Poche avec un nouveau "prétendu" destiné à la jeune fille que son père refuse de marier. Le comédien Guano, titulaire du rôle de Dardenboeuf, s’étant cassé le nez, c’est William Mesguich qui reprend le flambeau en attendant le retour à la scène du promis !

Le même William Mesguich continue à interpréter le rôle de l’écrivain Sylvain Tesson dans l’adaptation qu’il a tiré du livre de ce dernier Dans les forêts de Sibérie que j'avais vu en décembre à la Huchette et qui poursuit sa route désormais au Poche Montparnasse.

Tous les interprètes sont justes et fort drôles mais si j'insiste sur William c'est parce qu'il est de mon point de vue insuffisamment distribué dans le registre de la comédie.

Je l'avais découvert capable de faire rire et de surprendre plusieurs fois le spectateur au cours d'une même représentation dans Chagrin pour soi où il avait (déjà) Sophie Forte comme partenaire et dans lequel il avait repris, là encore, un rôle au débotté.

Mais pourquoi donc fait-on appel à lui uniquement en catastrophe ? S'il a suffisamment de talent pour jouer en pompier comme il en aurait en première intention ! Si j'étais auteur de théâtre j'écrirais pour lui.

Ce que je dis de William est vrai aussi pour Daniel Mesguich car ce metteur en scène a surtout la réputation d'exceller dans le drame. Comme il a eu raison de s'intéresser au théâtre d'Eugène Labiche, dont il monte une pièce pour la première fois.

Si l'auteur est né et a longtemps vécu en région parisienne il s'apprête à acheter une très grande propriété à Souvigny-en-Sologne alors que Mon Isménie est représentée pour la première fois à Paris sur le Théâtre du Palais-Royal le 17 décembre 1852. Rien d'étonnant donc à ce que l'action se passe en province, en l'occurence Chateauroux. L'atmosphère y est plus codifiée que dans la capitale et la bourgeoisie y est plus soucieuse des conventions.

Quand la pièce commence un prétendu nommé Dardenboeuf se présente chez la famille Vancouver pour tenter d'épouser la jeune Isménie, fille d'un père très possessif. C'est la huitième fois que l'histoire se répète depuis le début de l'année. Le cher papa semble à bout d'arguments pour refuser de lui donner la main de son "héliotrope"... mais il croit malgré tout pouvoir encore maitriser la situation. Le jeune homme a l’appui de Galathée, la sœur de Vancouver, une vieille fille très fortunée qui veut le bien de sa nièce. Cela suffira-t-il à faire pencher la balance en sa faveur ?

Daniel Mesguich a beaucoup modelé le texte, le ponctuant de nombreuses allusions. Par exemple quand un personnage exige parle plus bas, un autre murmure car on pourrait bien nous entendre. Le public pense à Dalida, et à l'amour fou qu'elle chantait si langoureusement.

Un peu plus tard on pense inévitablement au regretté Marcel Philippot, l'égérie d'une campagne publicitaire pour une compagnie d'assurances, dont nous attendions à chaque nouvel épisode, la réplique devenue culte : "Je l’aurai un jour, je l’aurai."

Il n'est point nécessaire de connaitre la version originale de Labiche pour s'apercevoir de la modification. " Il est malin, mais je le repincerai !" est devenu "Il est très fort, mais je l'aurai". Les puristes et les fans trouveront le texte du spectacle transformé par Daniel Mesguich, ainsi que le texte original de Mon Isménie au bar du théâtre (Avant-Scène Théâtre / Editions des Quatre- Vents).

A la fin de la pièce j'étais partagée entre l'envie d'applaudir et celle de m'offusquer. J'ai pensé au Bourgeois gentilhomme, revisité en 1981 par Jérôme Savary, avec le Grand Magic Circus, et ... j'approuve totalement l'audace de Daniel Mesguich.

Quand on sait que cette comédie-vaudeville fait partie de la nombreuse liste des œuvres que Labiche a écrites à quatre mains, en collaboration avec Marc-Michel on peut penser qu'il apprécierait qu'elle continue d'évoluer.

On pourrait croire que le metteur en scène ait donné à chacun de ses comédiens une carte blanche avec l'injonction d'oser. Le spectacle s'appuie sur plusieurs registres comiques incluant les dialogues, le jeu, les bruitages, les effets, la répétition ... Tout est prétexte à nous surprendre et nous faire rire. Tout cela sans l'ombre d'un décor mais avec quelques accessoires, des masques essentiels à la dramaturgie, et surtout des costumes époustouflants (créés par la très inspirée Corinne Rossi).
Bravo !
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Anne Delaleu
Anne Delaleu

Je me suis barbée comme jamais... et un Labiche en plus !

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Mercredi 17 juin 2020
Les sincères

Les sincères

7,5/10
4
De toute évidence je ne peux qu'être authentique dans mes propos pour parler des Sincères que Jean-Marie Ledo a monté au théâtre du Guichet-Montparnasse.

Néanmoins l'exercice est difficile parce que, dans mon souvenir, se mêlent des moments vus en répétition fin janvier, des discussions avec le metteur en scène et la représentation "définitive" à laquelle j'ai assisté le 5 mars.

Par où commencer ? Sans nul doute par cette célèbre réplique de Molière : Je veux qu'on soit sincère et qu'en homme d'honneur on ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur, Le Misanthrope, Acte I, scène 1 (v. 35-36).

Ces mots datent de 1666, et Marivaux, né 22 ans plus tard, ne pouvait les ignorer lorsqu'il s'attela à cette comédie en un acte et en prose. Le metteur en scène et nous pas davantage et vous remarquerez que le personnage d'Ergaste (Olivier Ducaillou) ne lâche pas le texte de cette pièce qu'il semble apprendre par coeur.

Jean-Marie Ledo annonçait une pièce de guerre et de manipulation où s'affrontent la peur, l'égoïsme, le dépit, sur fond d'intrigues amoureuses. Lisette et Frontin vont tout faire pour rompre l'union de leurs patrons en se jouant de leur vanité et de leur amour propre jusqu'à les casser tous deux.
Qui sont les sincères interroge-t-il dans cette comédie aussi féroce et cruelle que drôle : Lisette et Fontin valets peu scrupuleux, la Marquise et Ergaste qui revendiquent parler "vrai" ou Araminte et Dorante malheureux en amour ?

Pour moi, être sincère n’est pas forcément avoir raison, si bien qu'on peut "en toute bonne foi" exprimer des affirmations erronées. Ergaste lui-même le reconnaitra : Je réponds de la sincérité de mes sentiments mais je ne garantis pas la justesse. Par ailleurs la question se pose toujours en société de parvenir, dans le meilleur des cas, à concilier la politesse et la sincérité.

Ces deux axes sont parfaitement traités par Marivaux et la mise en scène souligne habilement les paradoxes. Quelle bonne idée il a eu de choisir la chanson de Lucienne Boyer pour lancer la soirée :
Parlez-moi d'amour
Redites-moi des choses tendres
Votre beau discours
Mon cœur n'est pas las de l'entendre
Pourvu que toujours
Vous répétiez ces mots suprêmes
Je vous aime
Vous savez bien
Que dans le fond, je n'en crois rien
Mais cependant je veux encore
Écouter ces mots que j'adore

La soubrette (Michelle Sevault) chantonne et nous devinons, nous spectateurs, que le beau discours sera celui que nous allons écouter. Son complice et manipulateur Frontin (Jean-Marie Ledo) joue cartes sur tables : Je m’appelle Frontin le taciturne. Rompons, brisons, détruisons ! Il va la convaincre de comploter. Ils (nos maîtres) s’imaginent sympathiser ensemble à cause de leur prétendu caractère de sincérité. Il ajoute un argument terrible pour caractériser le comportement de son maître : Si pour paraître vrai il fallait mentir il mentirait.

Nous sommes à la campagne, chez la marquise (Natacha Simic) qui, tiraillée par ses sentiments, a invité plusieurs amis. Elle voudrait croire en l'amour de Dorante (Guillaume Kovacs) qui ne lui déplait pas, mais elle a besoin de mettre ses sentiments à l'épreuve et de confronter son opinion à celle des autres, pourvu qu'ils soient sincères, sinon comment s'y retrouver ? Elle exprime très vite son désir le plus profond : je veux être véritablement aimée.

Et pour atteindre cet objectif, elle serait disposée à élire un autre homme si son âme lui apparaissait plus noble. Une autre femme est là, prête à se mettre les pieds dans le tapis. C'est Amarinte (Maïna Louboutin) éprise d'Ergaste qui va petit à petit se détourner d'elle.

Dorante, Ergaste, Araminte et la Marquise (qui n'a pas de nom) vont danser un quatuor en glissant parfois vers l'un, parfois vers l'autre, comme des marionnettes dont les ficelles seraient actionnées par les deux valets, Frontin et Lisette. Ceux-ci ne s'aiment pas et se regardent avec une lucidité qui favorise leur alliance. D'autant qu'ils ont la capacité à se fondre dans le décor pour mettre au point leur stratégie.

Le tapis joue un rôle métaphorique. L'objet délimite l'arène où chacun viendra toréer. C'est aussi la piste de danse où les sentiments valseront. Ses couleurs commandent celles des costumes. Le motif compose une mosaïque ou un puzzle, et scène après scène, la vérité finira bien par éclater.

Mais d'ici là, la sincérité, l'amour et la vérité vont faire un drôle de ménage. Surtout quand, comme la marquise, on veut être aimée sans être étouffée. Elle freinera Ergaste : Laissez-moi respirer : en vérité, vous allez si vite que je me suis crue mariée ! (…) N’aime-t-on pas toujours les gens à proportion de ce qu’ils sont aimables ?

Celui-ci nous donnera à entendre de belles répliques sur tous les aspects de la sincérité, dignes de la tirade des nez. Ah la comique aventure ! nous dira-t-on.

Ce texte représentée pour la première fois par les Comédiens italiens le 13 janvier 1739 à l'Hôtel de Bourgogne continue de résonner avec justesse.
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Le Quai de Ouistreham

Le Quai de Ouistreham

6/10
7
Je suis allée voir Le quai de Ouistreham au Théâtre 14, bien entendu parce que j'avais énormément apprécié le retour d'expérience de Florence Aubenas, laquelle avait fait sensation à la publication de son livre et que j'avais eu la chance de rencontrer au Livre sur la Place, à Nancy.

Mais aussi parce que je n'avais pas encore eu l'occasion de revenir dans cet établissement et que j'étais curieuse d'en découvrir les transformations.

Il est devenu joli comme une bonbonnière, accueillant comme un pub anglais. J’ai toujours eu beaucoup de plaisir à venir dans ce théâtre mais cette fois il est renforcé par l’ambiance qui met davantage en condition le spectateur que le traditionnel lever de rideau. On a le sentiment qu’on accède à une soirée privée, un peu underground. C’est étrange, troublant, délicieux.

La salle d'attente est un salon cosy. Le bar est vaste, largement ouvert sur le hall. Le changement est radical et réussi. Bravo à Mathieu Touzé et son équipe !

La salle a subi un lifting discret mais efficace en supprimant l’allée centrale et en facilitant l’accès aux fauteuils. Du coup la scène semble immense.

J'avais vu des photos du spectacle, en réalité des clichés que j'avais attribués à la scénographie, mais le plateau est étonnamment vide avec un dispositif ultra dépouillé se limitant à une chaise, une bouteille d'eau et un paper-board.

Magali Bonat est une comédienne remarquable mais son look androgyne ne parvient pas à me faire oublier la douceur et la blondeur de l'auteure. Je me dis que je n'aurais pas dû risquer de confronter la mise en scène de Louise Vignaud à mes souvenirs.

L'expérience avait eu lieu en 2010. Florence Aubenas avait raconté son immersion totale durant six mois dans le monde des travailleuses précaires. Son témoignage rendait visible ce qu'on ne voulait alors pas voir : la misère quotidienne de femmes de l'ombre (car la précarité touche davantage les femmes, 8 précaires sur 10 étaient des femmes en 2009).

Peut-être était-elle fatiguée ce soir ... ou est-ce moi qui ait du mal à la suivre... toujours est-il que son débit de paroles mitraille mon cerveau, m'épuise, et que je me surprends à m'agacer de l'entendre savonner, comme on dit dans le jargon pour désigner l'action de bafouiller son texte ou de buter sur les mots.

Je me suis précipitée dans ma bibliothèque en rentrant à la maison pour relire le livre ... qui n'a pas subi de modification. Tout y est. Mais c'est peut-être cela qui est dérangeant, avec en plus l'évidente déception que rien n'a changé depuis 11 ans.

Il est terrifiant de constater que la condition humaine n'a pas progressé. Peut-être s'est-elle dégradée encore davantage. Un tel spectacle devrait, de mon point de vue, s'accompagner au minimum d'une discussion de bord de plateau, même si Florence Aubenas a lancé le sujet en voix off pour camper le contexte : La crise (...) Tout donnait l’impression d’un monde en train de s’écrouler.

Tout donnait l'impression ... et aujourd'hui quelle évolution a connu cette région de Caen où la journaliste a fait cette expérience ? Car à l'époque, en 2009, on a cru que son livre exploserait les mentalités. Qu'il servirait de détonateur pour provoquer une prise de conscience.

Mes pensées tournaient en boucle ce soir. Je faisais l'exercice mental de m'interroger sur les mutations d'autres secteurs que celui de l'entretien. Je songeais aux manifestations des gilets jaunes. Je voyais les blouses blanches des personnels hospitaliers dénonçant le démantèlement de l'hôpital public. J'espérais que le spectacle allait prendre un chemin de traverse pour analyser comment on en était venu à quitter l’époque du social pour à ce point faire du chiffre.

La description des procédures de recherche d'emploi, la course aux heures par ceux qui ont intégré qu'ils ne retrouveront jamais "un" travail, la bascule dans l'invisibilité ... tout est incompréhensible sur le plan humain, à l'instar des gribouillis que la comédienne trace sur le paper-board.

Il me semblait que, dans le roman, les agents d'entretien partageaient quelques instants de solidarité, de complicité et de timide révolte. Mes pensées sont perturbées par les paroles de la chanson de France Gall dans lesquelles je cherche en vain un message :
Ne dites pas que ce garçon était fou
Il ne vivait pas comme les autres, c'est tout
Et pour quelles raisons étranges
Les gens qui n'sont pas comme nous, ça nous dérange

Qui sont ces "nous" ? Comment décoder ce parti-pris artistique ? Peut-être que si je n'avais pas lu le livre auparavant, j'aurais perçu la volonté de l'équipe artistique de "recréer les situations, les interroger, nous interroger sur un plateau devenu un lieu d'enquête et de questionnement. Un lieu de prise de conscience, toujours aussi nécessaire et urgent."

Au moins sommes-nous d'accord sur ces objectifs. Par contre notre point de vue diffère probablement sur la question de la représentation et de ses limites, et la manière de faire entendre un texte dans ce qu'il a de plus subversif. Le spectacle a été créé en mai 2018, à Lyon, au Théâtre des Clochards Célestes par la Compagnie La Résolue qui ne prétend pas apporter des réponses, mais ouvrir des brèches, inquiéter, interroger. On ne saurait donc le lui reprocher.

Je rappellerai aussi que Florence Aubenas, née en 1961 à Bruxelles, est journaliste et reporter de guerre. C'est dans le cadre d'une mission qu'elle a été retenue en otage pendant plusieurs mois en Irak en 2005. Il faut lire cette femme d'exception, impliquée et impliquante dans tout ce qu'elle fait.
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