- Théâtre contemporain
- Théâtre du Rond-Point
- Paris 8ème
Pierre Ciseaux Papier
- Benoît Guibert
- Julie Recoing
- Thomas Rortais
- Théâtre du Rond-Point
- 2bis, Avenue Franklin D. Roosevelt
- 75008 Paris
- Franklin D. Roosevelt (l.1, l.9)
Le monde est autant un mystère qu’un terrain de jeu – sans fin.
Sur une sorte de ring, ils se succèdent au micro, ils croisent leurs regards, leurs jugements, leurs souvenirs. Ils se dénoncent, se racontent, se dissèquent. Un jeune homme, une femme et un homme mûr, comme pris au piège d’un jeu de pouvoir, une mise à l’épreuve tordue, sans pitié. Chacun dit les deux autres, les décrit, les dépeint. Les liens se dessinent. Portraits, règlements de comptes, anecdotes. On rappelle les humiliations, les a priori. On évoque un coït particulier, un licenciement compliqué, des ingérences étranges dans les souvenirs des uns, des analyses implacables de la psychologie des autres. Jeu de cartes habile, mises en miroir dangereuses, la pièce se déroule comme une mise à mort des impressions fausses, des idées reçues.
Clémence Weill, trente ans, a adapté et dirigé les textes de Fritz Zorn, Heiner Müller, Shakespeare, Pasolini, Wilde. Elle écrit le plus souvent au plateau. Sa pièce Pierre. Ciseaux. Papier., remarquée lors d’une Piste d’envol au Rond-Point, a été lauréate des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre, elle a reçu les encouragements du Centre national du Théâtre avant de recevoir le Grand Prix de littérature dramatique 2014. Acteur, pédagogue, metteur en scène insatiable, Laurent Brethome a signé à trente-cinq ans une trentaine de mises en scène de Levin, Minyana, Copi, Marlowe, Molière. Il dirige ce trio d’humanités contemporaines à la drôlerie incisive, dans un labyrinthe de la connaissance de l’autre, où les analyses et les sentiments se percutent, où les certitudes comme la routine volent en éclats. Pierre Notte
Le parti pris d'origine de Clémence Weill était original, avec cet entremêlement de récits des uns imaginant ce que doit être la vie des autres. Tentant d'aller au-delà de l'intuition première, des clichés primaires.
Mais cette dynamique finit par s'essouffler à force de monologues trop longs, trop écrits et trop répétitifs. Passées les saillies géniales du début, on a le sentiment que les personnages tournent en rond, comme ils pivotent sur leurs fauteuils.
Comme pour y remédier, le texte bascule dans des saynètes, dont on peine à les intégrer à la structure des échanges qui les ont précédées, et qui brisent le parti pris d'origine des récits croisés de personnages qui ne se croisent pas. Et l'écriture de ces saynètes n'est pas au même niveau que le reste.
Le temps semble alors long, malgré le jeu inspiré de Benoît Guilbert, Julie Recoing et Thomas Rortais, et en dépit d'une mise en scène de qualité de Laurent Brethome. Il devient à la fin difficile de rester accroché et attentif aux développements d'un récit qui semble s'étirer et s'égarer. Une déception donc.
Lumières rouges, fauteuils pivotants, générique obsédant… Vous ne rêvez pas, « The Voice » au théâtre existe bel et bien. Trêve de plaisanterie, pas de télé-crochet ici mais un jeu de portraits fondé sur l’adéquation ou le décalage entre les a priori et la réalité. Trois cobayes sont désignés pour l’expérience : un cadre en fin de carrière, cynique et pas bien sympathique ; une saxophoniste (qui travaille en fait dans les RH) portée sur les premières phrases et un jeune philosophe souple comme un singe et maniaque des énigmes. Apparemment aucune connexion ne s’établit entre ce trio bien différencié (à part peut-être une propension à la bizarrerie).
Alignés dans leur fauteuil, ces trois zigotos ne vont jamais (ou presque) interagir directement : l’originalité et l’étrangeté de la pièce proviennent de ce système discursif étonnant en mode intériorité/extériorité. On est en face d’un « sujet/complément/interlocuteur ». Les personnages omniscients prennent en charge à tour de rôle le portait minutieux de la psyché de leur voisin. Sur le papier et au début, ce puzzle descriptif séduit et déroute. On se prend à ce jeu de chassé-croisé pointilliste et c’est plutôt rigolo. Au départ.
Perdus dans ce désert
Bien vite cependant, on se heurte à une forme de routine ennuyante : une fois passé les premiers instants de découverte, ces blocs de monologues s’enlisent dans la confusion car ils nécessitent une grande mémoire. Le principe de l’alternance morcelle la narration. Il aurait sans doute fallu tailler plus dans le vif du sujet pour ôter cette impression gênante d’écrasement. Beaucoup trop dense. Beaucoup trop d’informations pour ce Pierre. Ciseaux. Papier. Paradoxalement, en dépit de cette logorrhée, on assiste à un souci rythmique handicapant car plombé par un statisme tenace. À la fin, une dynamique tente de percer à jour par une situation communicationnelle plus « normale » (encore que…), qui invite à reconfigurer les rapports entre les trois personnages mais l’attention s’est fait la malle.
Le pauvre Laurent Brethome fait ce qu’il peut avec qu’il a sous la main. Dans une configuration simple et minimaliste très efficace, il porte l’accent sur sa direction d’acteurs. Heureusement qu’il s’est bien entouré car la soirée aurait été bien éprouvante sinon. Julie Recoing évoque la malice énigmatique de la chenille d’Alice au pays des merveilles ; le jeune Thomas Rortais est à suivre de très près en chien fou agaçant et Benoît Guibert campe à merveille le cadre fat en situation de burn-out.
En somme, on cherche encore la signification de ce Pierre. Ciseaux. Papier., trop touffu et ambitieux et qui tourne à vide. La bonne volonté de Laurent Brethome et l’allant des trois comédiens ne peuvent malheureusement pas combler une écriture prometteuse mais trop gourmande et absconse.
Je me suis ennuyée jusqu'aux 30 dernières minutes, pendant lesquelles les personnages dévoilent enfin leur vraie nature.
Très bon jeu d'acteurs en revanche. Avis mitigé donc.
Le public s’installe dans une pénombre aux lumières rouges tamisées. Sur le plateau, trois fauteuils tournés vers le fond. Silence et jeu. Les fauteuils tournent vers nous. Un homme, une femme et un jeune homme parlent tour à tour. L’un parle à la place de l’autre, parle de l’autre ou parle de lui-même. Comme un jeu.
On ne sait pas si ce jeu dupe ou renforce la confusion entre rêve et réalité, entre histoire et présent, entre inconscient et conscience de l’existant. Ce que l’on sait, c’est que nous sommes pris dès le début au piège de ces mots qui jonglent, de ces situations qui s’accrochent-décrochent et se retournent pour finalement faire sens et exploser dans les dernières scènes dans une réalité crue et violente où les trois personnages se dévoileront, peut-être.
Leurs histoires se conjuguent et se relient progressivement, parsemées de citations ironiques et drôles, de formules bien tournées, à la fois passe-partout et bourrées de sens. Empruntées au quotidien avec l’efficacité redoutable des pirouettes langagières et des apartés volontaires ou bien avec de courtes réflexions à caractère quasi philosophique.
Cette pièce de Clémence Weill (écrite en 2013) tient de la fable moderne, du poème épique d’un genre nouveau. Que l’humain est ici complexe, irrationnel, presque irréel quand nous le voyons dans ces propos ! Qu’il se révèle si simple à comprendre quand les mots sombrent et qu’il nous reste à voir l’homme, la femme et le jeune homme tels qu’il nous est donné de les voir dans leurs vies vécues au passé, au présent ou dans leurs rêves !
Nous entrons dans ce spectacle comme dans un bain, avec prudence puis avec délice, nous laissant nous envelopper par la musicalité du verbe, nous laissant prendre et surprendre par une théâtralité mêlant réalité, songe et mensonge avec ironie et poésie.
La mise en scène exigeante, épurée et habile de Laurent Brethome met en valeur les différents niveaux d’histoires, ne nous perdant pas dans les moments-tunnels, nous en facilitant l’accès. Les effets de lumières et de sons accompagnent adroitement le jeu des trois comédiens, Benoît Guibert, Julie Recoing et Thomas Rortais. Ils nous embarquent tous les trois dans cette aventure avec agilité et fluidité, démontrant une belle maîtrise d’interprétation.
Un spectacle riche, original, captivant et superbe.