- Théâtre contemporain
- Théâtre de l'Odéon (théâtre de l'Europe)
- Paris 6ème
Le Ciel de Nantes

- Théâtre de l'Odéon (théâtre de l'Europe)
- Place de l'Odéon
- 75006 Paris
- Odéon (l.4, l.10)
Christophe Honoré porte depuis longtemps en lui un « film imaginaire » consacré à sa famille.
Son scénario existe, précis et détaillé. Cinéaste, il ne s'est jamais décidé à le tourner. Mais l’homme de théâtre qu’il est aussi n'avait pas dit son dernier mot... L'intrigue entrelace six destins sur trois générations. Celle d'Odette, veuve de guerre en 1943, mère de dix enfants.
Celle d'Annie (16 ans en 1960), de Claudie (17 ans en 1973), ou de Jacques, le dernier garçon, le préféré d'Odette. Celle enfin de Christophe, 15 ans en 1985. Il se passionne pour le ciné-club du lycée, part faire des études à Rennes, puis monte à Paris où il arrive trop tard pour y rencontrer ses idoles, toutes emportées par le sida – mais cette dernière histoire, Honoré nous l'a déjà racontée dans Les Idoles. Le Ciel de Nantes aborde celle qui l'a précédée, et qui conduit entre autres à la naissance de sa vocation. Pour jouer tous les personnages de ces six petits romans individuels et les immerger dans notre histoire collective, l'auteur-metteur en scène s'est entouré de huit comédiens.
Parmi eux, le public de l'Odéon reconnaîtra plusieurs interprètes des Idoles. Ensemble, ils restituent ce film-théâtre face au public, le plus exactement possible, dans un décor de cinéma désaffecté où ils se sont réunis « comme dans un abri ». Une œuvre où l'émotion et le souvenir de l'émotion sont indissociables.
Qu'il est sombre le ciel de Christophe Honoré.
Lourd de nuages noirs, d'éclairs menaçants, d'orages meurtriers.
Dans lequel les éclaircies sont bien rares.
Est ce pour faire la paix avec cette famille brisée, ce lourd héritage, qu'il tente de rassembler les souvenirs des uns et des autres ?
Et d'y trouver une cohérence là où il n'y a que chaos ?
Que sont les liens du sang quand le sang coule autant ?
Quand théâtre et cinéma ne font plus qu'un, les histoires qu'on y raconte prennent une saveur particulière.
La mise en scène éclatante fait alterner le romanesque fantasmé de l'auteur et la laideur de la vérité.
On y chante et on y danse pour cacher la misère.
Les personnages se heurtent et s'étreignent, se rappellent et oublient, se battent et se pardonnent.
Pour donner corps à ce ballet, il faut une sacrée troupe de comédiens.
Qui illuminent aussi bien la scène que l'écran.
Et nous offrent une palette d'émotions intenses.
Il y a bien sûr Chiara Mastroianni, magnifique, dont la la première fois au théâtre.
Mais aussi Youssouf, Harrison, Jean Charles, Stéphane et Marlène, tous étourdissants !
Quand à Julien, le frère de Christophe, il est incroyable dans le rôle de leur mère.
Comme quoi la famille .....
Christophe Honoré convie les membres de sa famille dans cette salle de cinéma qui nous fait face. Les fantômes qui ont nourri son enfance ressuscitent sur le plateau et se racontent, se dévoilent dans des ultimes retrouvailles.
A la recherche de ce temps perdu, à la rencontre de ces êtres disparus, Christophe Honoré reconstruit l'histoire de sa famille.
Christophe Honoré n'est pas là pour régler des comptes ou sombrer dans le pathos.
Avec cette élégance qu'on lui connait, il offre un espace à chacun de ces êtres qui ont compté pour lui, qui ont existé et à qui il offre l’opportunité de se raconter.
La mort étant, les secrets et les non-dits peuvent se libérer dans des instants d'une sincérité poignante.
Christophe Honoré déploie une fois de plus cette grâce qui nous submerge, et la tendresse nous emporte sans impudeur, sans révolte.
La caméra dialogue avec le plateau dans des allées et venues touchantes, comme une tentative désespérée de s'approcher de la vérité, d’essayer de toujours toucher au plus près des émotions et des souvenirs.
Marlène Saldan, Julien Honoré,Youssouf Abi-Ayad, Harrison Arévalo, Jean-Charles Clichet, Chiara Mastroianni et Stéphane Roger, tous aussi justes les uns les autres, recomposent cette famille avec ses failles, ses forces. Chacun, dans une répartie, une réplique, fait surgir des moments qui retranscrivent une époque, une situation qui parle à tous.
Christophe Honoré a ce don de faire revenir des souvenirs, des instantanés qui parlent à tous. Nos souvenirs, à travers les siens, remontent et l'émotion qui s’échappe de chaque détail pourtant personnel devient collective et partagée.
Il y a en fond le dessin d'une époque, des repas dominicaux, des cendriers à la porcelaine improbable, des buffets où se rangent les bouteilles du sacro-saint apéritif qui font remonter les larmes au bord des yeux, le souvenir de ces instants dont on ne sait s'ils étaient bons ou mauvais.
Le Ciel de Nantes nous plonge dans une époque, sans la juger, mais en regardant ces instants d'une longue période pendant laquelle la communication était intrafamiliale, où la place de la femme était bien définie et où la différence était étouffée.
Christophe Honoré nous raconte à travers l’histoire d'un film qui ne s'est pas fait, l'histoire d'un passé révolu qui, quoiqu’on veuille, marque le présent.
Avec élégance, Le Ciel de Nantes se fait l'écho des douleurs, et des joies inhérentes à nos liens familiaux qui nous sont imposés et que l'on a pas choisis.
Christophe Honoré s’extirpe du poids de ce passé irrévocable en prenant une distance romanesque d'une sensibilité artistique touchante, déchirante.
Cinéma, théâtre et littérature se mêlent et ne font plus qu’un pour exorciser l'intention : raconter, partager.
L'histoire, à cet instant, sur le plateau, n'est pas là pour guérir ou combler, elle a cette pudeur de l'hommage.
Un hommage sensible où la tendresse l'emporte sur les rancœurs
A travers la pénombre, nous les découvrons épars, installés dans une salle de cinéma des années 70 aux sièges rouge un peu usés mais confortables.
Julien Honoré incarne la mère Marie-Do avec grand talent.
Au son du piano résonne « Il pleut sur Nantes » de Barbara. Puis dans une chaude lumière ils apparaissent tous attentifs à l’écoute de leurs portraits….
En ce découvrant sous les yeux de Christophe Honoré, ces protagonistes revendiquent les faits qui leurs sont attribués, ils se justifient, se chicanent entre eux, chacun nous conte son histoire souvent tragique et pitoyable.
Nous connaitrons les raisons du suicide de Claudie et de Roger, la maladie cachée de Jacques, la vie difficiles d’Odette et de Marie-Do..
Bien que non dénué d’humour, c’est tout de même un peu pathétique et étouffant.
© Jean-Louis Fernandez
Pour notre plaisir et soulagement, des intermèdes joyeux viennent donner un souffle de vie.
Harrison Arévalo nous réjouit dans une « chorégraphie andalouse ».
Chiara Mastroianni nous enchante en interprétant de Vanishing Act de Lou Reed.
Leur chorus nous émeut et redonne chaleur et amour à cette famille.
Les comédiens sont excellents.
© Jean-Louis Fernandez
Stéphane Roger et Jean-Charles Clichet les deux oncles se querellent et nous amusent de par gestuelles et leurs blagues un peu lourdes parfois mais…
Julien Honoré incarne la mère Marie-Do avec grand talent.
Youssouf Abi-Ayad nous émeut au milieu de cette famille disloquée.
Marlène Saldana (Odette) est fabuleuse, c’est une femme chamboulée par la vie un peu caustique. Elle nous séduit par son naturel et la justesse de son jeu.
Il vaut ainsi mieux aller la re/vivre au théâtre de l’Odéon !