- Théâtre contemporain
- Théâtre Lepic
- Paris 18ème
Camille contre Claudel

- Théâtre Lepic
- 1, avenue Junot
- 75018 Paris
- Lamarck Caulaincourt (l.12)
La plume d’Hélène Zidi se révèle d’une beauté inouïe.
Les mots habillent Camille Claudel aux différents âges de la vie : jeune, elle est entourée de bonheur et d’amour, à l’âge mûr, Camille est nourrie des désillusions d’un amour trahi, vieille femme, elle ressemble à un album de souvenirs couleur sépia.
La narration fleure les émotions romantiques comme les exprimait si subtilement George Sand, des ondes de poésie rimant avec les petits plaisirs simples de la vie façon Colette, des ombres peuplées de turbulence intérieur à la Françoise Sagan.
Interprété par l’auteure Hélène Zidi et sa fille Lola Zidi, avec la voix de Gérard Depardieu, Camille contre Claudel est l’histoire d’une femme éperdument amoureuse de la vie; c’est aussi le destin d’une artiste brisée sur les récifs de sa passion pour Rodin…
Deux Camille donc, pour mieux nous faire revivre le destin tragique de la sculptrice. Les premières minutes de ce face à face sont un peu déroutantes, avant de se prendre au jeu de ce bel hommage rendu à l’artiste. Dans le décor de l’atelier, entre ébauches et sculptures, le buste de Rodin veille…
On est particulièrement émue devant la jeune Camille (Lola Zidi), exaltée, passionnée, d’autant plus touchante qu’à travers la Camille âgée on sait les drames qui l’attendent. Le double fait sens, un effet miroir, qui donne à réfléchir. Une autre voie aurait-elle été possible ? De trahisons en désillusions, on redécouvre sa vie, et la difficulté d’être femme.
Et quand en plus d’être femme on est artiste… peu de chance que cela se termine bien!
Tandis que l’une vieillit, l’autre rajeunit peu à peu, pour se retrouver jumelles à l’âge où Camille fut internée, à la demande de sa famille. Un internement de 30 ans, jusqu’à sa mort en 1943…
On la voit sombrer peu à peu, tandis que tous l’abandonnent, on aimerait beaucoup lui tendre la main… c’est son ressenti des événements qui est au coeur de la pièce, habilement construite.
Pour ne pas oublier Camille et toutes les artistes empêchées.
Elles font revivre Camille Claudel dans tout ce qu'elle a eu de vivant et de flamboyant, mais aussi dans tout ce qu'elle a connu de sombre. Le spectateur perçoit autant sa joie que sa détresse.
Et parce que ces états psychologiques correspondent à des moments différents de la vie de l'artiste, Hélène Zidi a eu cette idée très juste, non seulement de montrer les deux âges de Camille, mais surtout de la faire dialoguer avec elle-même, en s'appuyant sur la ressemblance physique qu'elle a avec sa propre fille, elle aussi comédienne.
On découvre, très différentes, Camille âgée, à presque 80 ans, internée en asile psychiatrique, assise à cour (on a envie de dire "effondrée") tandis que Camille à vingt ans, jeune et fringante apparait à jardin. Tout semble les opposer. Au fil du spectacle la première rajeunira alors que la seconde vieillira, jusqu'à atteindre un âge d'équilibre où elles apparaitront comme des jumelles.
L'essentiel de ce qu'on sait déjà de la biographie de la sculpteuse est bien entendu repris dans la pièce. L'abandon de sa famille, alors qu'elle manifeste encore de l'affection pour son frère, se plaignant à voix basse : La vie est mal faite mon p'tit Paul. C'est horrible (...) Ton dieu laisse mourir une innocente au sein d'un asile. La violence et l'égoïsme de Rodin. L'enthousiasme de la jeune femme dont on savait qu'elle était surdouée.
Nous sommes sans doute encore nombreux à avoir encore en mémoire le film que Bruno Nuytten a tourné en 1988, et qui fut nominé au Oscar. Gérard Depardieu y interprétait Auguste Rodin. Sa voix lui reste associée et Hélène a eu raison de lui demander d'intervenir dans son spectacle, et c'est une chance qu'il ait accepté généreusement de le faire.
La ressemblance entre la mère et la fille est un atout. Mais plus encore le niveau de leur interprétation. Elles sont chacune Camille et ce qui est le plus touchant c'est de constater l'influence de l'une sur l'autre, si bien qu'à la fin on peut croire assister à un certain apaisement. Camille se serait réconciliée avec elle-même. Elle prend sa revanche et existe à part entière alors que jusque là elle était (trop) sous influence de son maître.
Sa vie est une épopée. Une tragédie. Il est rassurant de l'entendre douter de refaire les choses de la même manière s'il lui était possible de recommencer sa vie. Comme il est juste d'avoir confirmation de notre intuition, que Rodin, qualifié d'odieux personnage, n'aura jamais aimé qu'elle.
On n'oublie pas que rien ne peut se rejouer mais on apprécie d'y croire un moment. C'est en quelque sorte comme si on réhabilitait sa mémoire. Nous sommes dans son atelier et je ne peux m'empêcher de penser à quelques oeuvres que j'ai eu la chance d'admirer de près au musée Soumaya de Mexico, qui abrite la plus belle commotion de sculptures de Rodin au monde.
Etude pour la tête du Destin de l'Age mur, et l'Implorante, de la même composition (1893-1898) qui semble être Camille elle-même ...
Les Causeuses 1894-1896
Chaque scène est émouvante. Camille (jeune) finit par se rendre aux arguments de son homologue (âgée) : Camille, si tu n'es pas vigilante, Rodin s'emparera de ton travail. Elle finit par le reconnaitre : Rodin m'a tout pris, ma jeunesse, et puis mes idées, mon talent (...) Tu avais raison depuis le début Camille, je suis si fière, j'aurais du t'écouter.
Les relations, ou plutôt l'absence de relations, avec sa mère sont clairement établies. En quelque sorte aussi Hélène Zidi réussit à les rendre apaisées et on sort du théâtre avec une certaine sérénité, comme si Camille était totalement lavée et réhabilitée. Le soliloque est devenu un vrai dialogue.
On retiendra le portrait d'une femme qui aura tout sacrifié pour son art, mais cette fois en pleine conscience. Une femme intègre, engagée, qui se sera battue jusqu'à la fin, et non une soumise incarcérée dans un asile.
Elle nous donne une leçon. Puisse-t-elle inspirer d'autres destins, ... que l'on souhaite malgré tout plus heureux.
Après avoir connu un grand succès en Avignon Camille contre Claudel est repris dans le théâtre fondé à Paris par Hélène Zidi, et qui porte le même nom que celui d'Avignon, le Théâtre du Roi René.
Avec toute leur énergie, leur fougue et leur générosité elles nous offrent un spectacle vivant prenant et incontournable …