Critiques pour l'événement Britannicus
Qualis artifex pereo.
Telles furent, pour Suétone, les ultimes paroles prononcées par Néron avant son suicide. Ce dernier aurait voulu que la postérité le voie en gouvernant éclairé et en artiste de talent. Hélas, elle ne se souviendra de lui que comme un tyran. De ses deux premières années de règne, à l’époque, saluées pour leur exemplarité, il ne restera bientôt plus rien. L’empereur est las de ne pouvoir exercer le pouvoir seul, de craindre pour son trône et de ne pas être aimé de celle dont il est épris. Alors, il décide de forcer le destin …
C’est exactement à cet instant que prend place la tragédie de Racine, Britannicus. A ce moment où croyant asseoir sa puissance, Néron assure sa perte.
Pour cette nouvelle version de l’œuvre sur scène, point d’Antiquité. Le metteur en scène, Stéphane Braunschweig, a fait le choix de transposer les personnages dans un univers contemporain. Décor froid comme le marbre d’un palais romain, moquette aussi rouge que les tapis d’apparat du pouvoir et costumes sombres. Ce choix pourrait paraître étrange et pourtant il confère au texte une modernité insoupçonnée. Ainsi, le spectateur, pouvant être rebuté par la situation antique de l’action, trouvera ici de quoi se satisfaire. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé.
Les interprétations ne souffrent aucune critique. Les comédiens créent, par leur jeu, une tension à chaque scène, accentuée par une ambiance sonore des plus inquiétantes. Seule une touche d’humour disséminée ça ou là viendra alléger cette atmosphère.
Une pièce saluée par un tonnerre d’applaudissements. Amplement mérité !
Telles furent, pour Suétone, les ultimes paroles prononcées par Néron avant son suicide. Ce dernier aurait voulu que la postérité le voie en gouvernant éclairé et en artiste de talent. Hélas, elle ne se souviendra de lui que comme un tyran. De ses deux premières années de règne, à l’époque, saluées pour leur exemplarité, il ne restera bientôt plus rien. L’empereur est las de ne pouvoir exercer le pouvoir seul, de craindre pour son trône et de ne pas être aimé de celle dont il est épris. Alors, il décide de forcer le destin …
C’est exactement à cet instant que prend place la tragédie de Racine, Britannicus. A ce moment où croyant asseoir sa puissance, Néron assure sa perte.
Pour cette nouvelle version de l’œuvre sur scène, point d’Antiquité. Le metteur en scène, Stéphane Braunschweig, a fait le choix de transposer les personnages dans un univers contemporain. Décor froid comme le marbre d’un palais romain, moquette aussi rouge que les tapis d’apparat du pouvoir et costumes sombres. Ce choix pourrait paraître étrange et pourtant il confère au texte une modernité insoupçonnée. Ainsi, le spectateur, pouvant être rebuté par la situation antique de l’action, trouvera ici de quoi se satisfaire. Pour ma part, j’ai beaucoup aimé.
Les interprétations ne souffrent aucune critique. Les comédiens créent, par leur jeu, une tension à chaque scène, accentuée par une ambiance sonore des plus inquiétantes. Seule une touche d’humour disséminée ça ou là viendra alléger cette atmosphère.
Une pièce saluée par un tonnerre d’applaudissements. Amplement mérité !
Eloge de la modernité !
Hier soir Racine était parfaitement à notre portée.
Que ce soit par ses alexandrins, ou par son sujet.
Le vrai talent de la Comédie française? Transposer Britannicus au XXIe siècle, afin de nous montrer que l'histoire se répète sans cesse, que les mécanismes du pouvoir sont toujours les mêmes ....
Propos intemporel donc, mais sans trahir Racine et ses vers somptueux, bien au contraire !!
La sobriété du jeu des comédiens, renforcée par celle du décor, met encore plus en relief ce texte sublime ...
Laurent Stocker joue finement la dualité du personnage, entre despote fraîchement promu et gamin écrasé par une mère abusive.
Dominique Blanc, incarne une superbe manipulatrice. Benjamin Lavernhe, génial dans le rôle de Narcisse, est une véritable incarnation du mal.
Quand à Georgia Scalliet, elle est une belle Junie, sensuelle et malheureuse.
Une tragédie avec peu de cris, et beaucoup de classe !!!
Hier soir Racine était parfaitement à notre portée.
Que ce soit par ses alexandrins, ou par son sujet.
Le vrai talent de la Comédie française? Transposer Britannicus au XXIe siècle, afin de nous montrer que l'histoire se répète sans cesse, que les mécanismes du pouvoir sont toujours les mêmes ....
Propos intemporel donc, mais sans trahir Racine et ses vers somptueux, bien au contraire !!
La sobriété du jeu des comédiens, renforcée par celle du décor, met encore plus en relief ce texte sublime ...
Laurent Stocker joue finement la dualité du personnage, entre despote fraîchement promu et gamin écrasé par une mère abusive.
Dominique Blanc, incarne une superbe manipulatrice. Benjamin Lavernhe, génial dans le rôle de Narcisse, est une véritable incarnation du mal.
Quand à Georgia Scalliet, elle est une belle Junie, sensuelle et malheureuse.
Une tragédie avec peu de cris, et beaucoup de classe !!!
Enfin ! Enfin, la Comédie-Française remonte un Racine ! Le dernier vu en date, Bérénice, monté par Muriel Mayette, ne m’a laissé qu’un vague souvenir.
Ici, Eric Ruf a fait appel à son rival Braunschweig pour la mise en scène, contre lequel il avait disputé la place d’Administrateur de la Comédie-Française. D’abord réticente à sa transposition dans ces hauts lieux de pouvoir, avec des acteurs en costumes cravate – Comment ? Ne pas monter Racine en toges ? – j’ai finalement laissé sa chance au spectacle. Brillante résolution.
Si Britannicus prend pour titre celui d’un personnage de la pièce, il n’est pas toujours au premier plan. Certes, Britannicus aime Junie et est aimé d’elle. Bien sûr, son demi-frère Néron va l’enlever car il s’éprend d’elle à son tour. Mais tout cela n’est qu’une excuse pour appuyer l’intrigue : c’est d’abord une histoire de pouvoir, de passage de pouvoir, de désir de pouvoir, de trahisons pour le pouvoir… C’est une véritable pièce politique. Si une intrigue amoureuse est présente, elle n’est pas l’essentiel : on ne voit que Néron, empereur romain, tendre lentement vers une folie sûre, et rejeter peu à peu toute sa famille : son frère, Britannicus, et sa mère, Agrippine. Ce goût du pouvoir qu’il acquiert pendant la pièce, nulle doute qu’il le tient d’elle : redoutable, immorale, sans scrupule, elle écarte de son passage tout ce qui ne va pas dans son sens.
C’est dans le rôle d’Agrippine que Dominique Blanc fait son entrée comme pensionnaire à la Comédie-Française. Entrée très attendue… et très réussie. Elle est sur la scène de la Salle Richelieu comme une reine : imposante, belliqueuse, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Mais tout ne glisse pas sur elle sans l’atteindre, et l’on sent que malgré tout, ce pouvoir qui l’échappe ne la laisse pas indifférente et la rage de le conserver fait parfois place à la peur de le perdre. A ses côtés, le reste de la distribution excelle tout autant : Georgia Scalliet est une Junie sensible et attachante, brûlant d’un amour pour l’excellent Stéphane Varupenne qui incarne un Britannicus qui monte en assurance au fil de la pièce. Hervé Pierre est un Burrhus attachant, raisonné et troublé, dont la souffrance face à l’évolution de César a su me troubler. Benjamin Lavernhe continue de monter en puissance : il est ici un Narcisse angoissant, redoutable et sans scrupule ; et sa voix, notamment dans la scène où il semble contrôler Néron, prend une tournure sombre et menaçante qu’on ne lui connaissait pas.
Il y a longtemps que je ne doute plus du talent de Laurent Stocker. A l’annonce de sa future interprétation de Néron, contre-emploi pour l’acteur qu’on voit peut dans ce registre, je me suis vue le défendre à plusieurs reprises, arguant qu’il avait plus d’une corde à son arc et qu’il pouvait continuer à nous surprendre. J’étais encore loin de la vérité. Quelle transformation ! La composition de Stocker en Néron est d’une perfection absolue. Réglé au millimètre, son regard de faucon le précède partout où il entre, sa moue trahissant une amertume profonde. En un quart de seconde, son visage passe d’un plein éclairage, révélant l’amertume et la rage de ses prunelles, à la pénombre plus inquiétante encore qui le rend presque démoniaque. Le geste est mesuré et l’effet angoissant. Tyran aux éclats d’enfant gâté, il compose un Néron effrayant, impulsif, basculant peu à peu dans la folie.
La mise en scène de Braunschweig est d’une extrême rigueur : sous cette apparente simplicité, tous les détails sont pensés, minutés, parfaitement effectués. Les lumières créent une ambiance inquiétante en éclairant habilement chaque visage, les scènes d’affrontement sont réglées à la seconde, les placements anticipent les paroles, comme cet alignement total entre Néron et Narcisse lors de l’acte V, qui vient compléter le dialogue sans équivoque. Belle idée également de transposer la pièce dans ces grandes pièces qui évoquent des lieux de pouvoir à la House of Cards : l’alexandrin naturel des acteurs s’y adapte parfaitement, et même l’histoire romaine ne choque pas dans ce décor pourtant inhabituel chez Racine. Mais la pièce, plus actuelle que jamais, épouse parfaitement les contours amenés par Braunschweig, qui la porte ainsi à son sommet.
Ici, Eric Ruf a fait appel à son rival Braunschweig pour la mise en scène, contre lequel il avait disputé la place d’Administrateur de la Comédie-Française. D’abord réticente à sa transposition dans ces hauts lieux de pouvoir, avec des acteurs en costumes cravate – Comment ? Ne pas monter Racine en toges ? – j’ai finalement laissé sa chance au spectacle. Brillante résolution.
Si Britannicus prend pour titre celui d’un personnage de la pièce, il n’est pas toujours au premier plan. Certes, Britannicus aime Junie et est aimé d’elle. Bien sûr, son demi-frère Néron va l’enlever car il s’éprend d’elle à son tour. Mais tout cela n’est qu’une excuse pour appuyer l’intrigue : c’est d’abord une histoire de pouvoir, de passage de pouvoir, de désir de pouvoir, de trahisons pour le pouvoir… C’est une véritable pièce politique. Si une intrigue amoureuse est présente, elle n’est pas l’essentiel : on ne voit que Néron, empereur romain, tendre lentement vers une folie sûre, et rejeter peu à peu toute sa famille : son frère, Britannicus, et sa mère, Agrippine. Ce goût du pouvoir qu’il acquiert pendant la pièce, nulle doute qu’il le tient d’elle : redoutable, immorale, sans scrupule, elle écarte de son passage tout ce qui ne va pas dans son sens.
C’est dans le rôle d’Agrippine que Dominique Blanc fait son entrée comme pensionnaire à la Comédie-Française. Entrée très attendue… et très réussie. Elle est sur la scène de la Salle Richelieu comme une reine : imposante, belliqueuse, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Mais tout ne glisse pas sur elle sans l’atteindre, et l’on sent que malgré tout, ce pouvoir qui l’échappe ne la laisse pas indifférente et la rage de le conserver fait parfois place à la peur de le perdre. A ses côtés, le reste de la distribution excelle tout autant : Georgia Scalliet est une Junie sensible et attachante, brûlant d’un amour pour l’excellent Stéphane Varupenne qui incarne un Britannicus qui monte en assurance au fil de la pièce. Hervé Pierre est un Burrhus attachant, raisonné et troublé, dont la souffrance face à l’évolution de César a su me troubler. Benjamin Lavernhe continue de monter en puissance : il est ici un Narcisse angoissant, redoutable et sans scrupule ; et sa voix, notamment dans la scène où il semble contrôler Néron, prend une tournure sombre et menaçante qu’on ne lui connaissait pas.
Il y a longtemps que je ne doute plus du talent de Laurent Stocker. A l’annonce de sa future interprétation de Néron, contre-emploi pour l’acteur qu’on voit peut dans ce registre, je me suis vue le défendre à plusieurs reprises, arguant qu’il avait plus d’une corde à son arc et qu’il pouvait continuer à nous surprendre. J’étais encore loin de la vérité. Quelle transformation ! La composition de Stocker en Néron est d’une perfection absolue. Réglé au millimètre, son regard de faucon le précède partout où il entre, sa moue trahissant une amertume profonde. En un quart de seconde, son visage passe d’un plein éclairage, révélant l’amertume et la rage de ses prunelles, à la pénombre plus inquiétante encore qui le rend presque démoniaque. Le geste est mesuré et l’effet angoissant. Tyran aux éclats d’enfant gâté, il compose un Néron effrayant, impulsif, basculant peu à peu dans la folie.
La mise en scène de Braunschweig est d’une extrême rigueur : sous cette apparente simplicité, tous les détails sont pensés, minutés, parfaitement effectués. Les lumières créent une ambiance inquiétante en éclairant habilement chaque visage, les scènes d’affrontement sont réglées à la seconde, les placements anticipent les paroles, comme cet alignement total entre Néron et Narcisse lors de l’acte V, qui vient compléter le dialogue sans équivoque. Belle idée également de transposer la pièce dans ces grandes pièces qui évoquent des lieux de pouvoir à la House of Cards : l’alexandrin naturel des acteurs s’y adapte parfaitement, et même l’histoire romaine ne choque pas dans ce décor pourtant inhabituel chez Racine. Mais la pièce, plus actuelle que jamais, épouse parfaitement les contours amenés par Braunschweig, qui la porte ainsi à son sommet.
Rome. Washington.
Palais impérial. Bureau ovale de la Maison blanche.
L'empereur Néron. Le président Frank Underwood.
Et si Stéphane Braunschweig s'était inspiré de la formidable série américaine « House of Cards » pour monter ce Britannicus ?
Et si les enjeux de pouvoir similaires dans les deux cas avaient induit les modernes parti-pris scénographiques et dramaturgiques du metteur en scène ?
Car il faut d'emblée être clair : ce qui a intéressé Braunschweig, c'est bien cette réelle prise de pouvoir de Néron, ce moment où le règne bascule et où le monstre se révèle en devenant un assassin.
Comme dans la série.
En coûteux costume noir, chemise blanche immaculée, Néron s'émancipe :
- de sa mère Agrippine, bien entendu : le petit a grandi, et il semble qu'il n'en fera plus qu'à sa tête.
- de ses deux gouverneurs : Sénèque est en province et le bon Burrhus ne pourra éviter l'inéluctable.
Ici, c'est avant tout le beau décor qui va symboliser le Pouvoir.
Le public est accueilli par une immense porte, sur le plateau. La porte de la Puissance.
Puis, sur une moquette rouge, une grande table ovale qui va bouger tout au long de la pièce, reculant dans la perspective forcée.
Cette table du Conseil, sera finalement reléguée du premier plan au Lointain, pour finalement disparaître, remplacée par le corps de Britannicus.
Plus besoin d'avoir des avis à exprimer autour de cette table : l'Empereur décidera de tout.
C'est lui, le Boss !
Le conflit amoureux ne semble être ici qu'un prétexte : il n'est là que pour permettre à Néron de déraper, de passer du côté obscur de la Force, comme dirait Lucas.
Tant pis pour le caractère poétique des alexandrins : ici, on fait de la haute politique.
La vraie réussite de Braunschweig est avant tout d'avoir su tirer de ses comédiens une vraie cohérence, une minutieuse justesse dans leurs rapports.
Le duo Agrippine/Dominique Blanc – Néron/Laurent Stocker est formidable.
On sent jusque dans les attitudes, les positions des corps le glissement qui se produit.
De complètement recroquevillé devant sa mère, jusqu'à sa magistrale sortie de scène devant elle, Stocker m'a enthousiasmé : ses sous-entendus font mouche, ses petits mouvements de tête les accompagnant sont drôles. Le public rit de ces double-sens.
Dominique Blanc, elle, est tout simplement somptueuse. L'attente de la rencontrer dans ce rôle n'est pas déçue. Dans sa bouche, les alexandrins raciniens ont une force peu commune.
On se délecte véritablement à l'écouter.
Une nouvelle fois, Hervé Pierre m'a sidéré : quel comédien, quel grand interprète !
(Oui, je sais, il me lirait l'annuaire inversé des entrepreneurs de pompes funèbres que je serais en extase devant lui...)
Haut fonctionnaire militaire, une prothèse manuelle gantée de noir, main probablement perdue au combat, son Burrhus m'a beaucoup touché : il nous fait sentir, et de quelle façon, que son protégé lui échappe, ne l'écoute plus.
Son « Rome ! » lancé à plusieurs fois est à vous faire frissonner !
Mais les petits jeunes ne sont pas en reste.
Benjamin Lavernhe, en sombre et fourbe Narcisse, parvient à nous indigner : c'est un serpent, un vrai méchant. Il le sait, et le joue à la perfection.
Et puis les deux jeunes sacrifiés Britannicus/Stéphane Varupenne, Junie/Georgia Scalliet m'ont beaucoup ému. J'aurais aimé qu'ils puissent s'en sortir, être heureux, abandonner cette atmosphère politicienne.
Les deux comédiens sont on ne peut plus crédibles, et ont su nous faire partager les affres de leurs personnages.
Il faut également mentionner le beau jeu de Clotilde de Bayser, en rigoureuse Albine, la confidente d'Agrippine.
Je terminerai par un petit étonnement.
Etait-il nécessaire de sacrifier à cette mode qui consiste à faire jouer les comédiens dans le public, à les faire entrer et sortir de scène par la salle ?
J'ai personnellement trouvé que tout ceci était assez gratuit et n'apportait pas grand chose.
Quoi qu'il en soit, ce Britannicus reste une grande réussite, qui marquera la première saison « rufienne » du Français.
Merci, M. Braunschweig !
Palais impérial. Bureau ovale de la Maison blanche.
L'empereur Néron. Le président Frank Underwood.
Et si Stéphane Braunschweig s'était inspiré de la formidable série américaine « House of Cards » pour monter ce Britannicus ?
Et si les enjeux de pouvoir similaires dans les deux cas avaient induit les modernes parti-pris scénographiques et dramaturgiques du metteur en scène ?
Car il faut d'emblée être clair : ce qui a intéressé Braunschweig, c'est bien cette réelle prise de pouvoir de Néron, ce moment où le règne bascule et où le monstre se révèle en devenant un assassin.
Comme dans la série.
En coûteux costume noir, chemise blanche immaculée, Néron s'émancipe :
- de sa mère Agrippine, bien entendu : le petit a grandi, et il semble qu'il n'en fera plus qu'à sa tête.
- de ses deux gouverneurs : Sénèque est en province et le bon Burrhus ne pourra éviter l'inéluctable.
Ici, c'est avant tout le beau décor qui va symboliser le Pouvoir.
Le public est accueilli par une immense porte, sur le plateau. La porte de la Puissance.
Puis, sur une moquette rouge, une grande table ovale qui va bouger tout au long de la pièce, reculant dans la perspective forcée.
Cette table du Conseil, sera finalement reléguée du premier plan au Lointain, pour finalement disparaître, remplacée par le corps de Britannicus.
Plus besoin d'avoir des avis à exprimer autour de cette table : l'Empereur décidera de tout.
C'est lui, le Boss !
Le conflit amoureux ne semble être ici qu'un prétexte : il n'est là que pour permettre à Néron de déraper, de passer du côté obscur de la Force, comme dirait Lucas.
Tant pis pour le caractère poétique des alexandrins : ici, on fait de la haute politique.
La vraie réussite de Braunschweig est avant tout d'avoir su tirer de ses comédiens une vraie cohérence, une minutieuse justesse dans leurs rapports.
Le duo Agrippine/Dominique Blanc – Néron/Laurent Stocker est formidable.
On sent jusque dans les attitudes, les positions des corps le glissement qui se produit.
De complètement recroquevillé devant sa mère, jusqu'à sa magistrale sortie de scène devant elle, Stocker m'a enthousiasmé : ses sous-entendus font mouche, ses petits mouvements de tête les accompagnant sont drôles. Le public rit de ces double-sens.
Dominique Blanc, elle, est tout simplement somptueuse. L'attente de la rencontrer dans ce rôle n'est pas déçue. Dans sa bouche, les alexandrins raciniens ont une force peu commune.
On se délecte véritablement à l'écouter.
Une nouvelle fois, Hervé Pierre m'a sidéré : quel comédien, quel grand interprète !
(Oui, je sais, il me lirait l'annuaire inversé des entrepreneurs de pompes funèbres que je serais en extase devant lui...)
Haut fonctionnaire militaire, une prothèse manuelle gantée de noir, main probablement perdue au combat, son Burrhus m'a beaucoup touché : il nous fait sentir, et de quelle façon, que son protégé lui échappe, ne l'écoute plus.
Son « Rome ! » lancé à plusieurs fois est à vous faire frissonner !
Mais les petits jeunes ne sont pas en reste.
Benjamin Lavernhe, en sombre et fourbe Narcisse, parvient à nous indigner : c'est un serpent, un vrai méchant. Il le sait, et le joue à la perfection.
Et puis les deux jeunes sacrifiés Britannicus/Stéphane Varupenne, Junie/Georgia Scalliet m'ont beaucoup ému. J'aurais aimé qu'ils puissent s'en sortir, être heureux, abandonner cette atmosphère politicienne.
Les deux comédiens sont on ne peut plus crédibles, et ont su nous faire partager les affres de leurs personnages.
Il faut également mentionner le beau jeu de Clotilde de Bayser, en rigoureuse Albine, la confidente d'Agrippine.
Je terminerai par un petit étonnement.
Etait-il nécessaire de sacrifier à cette mode qui consiste à faire jouer les comédiens dans le public, à les faire entrer et sortir de scène par la salle ?
J'ai personnellement trouvé que tout ceci était assez gratuit et n'apportait pas grand chose.
Quoi qu'il en soit, ce Britannicus reste une grande réussite, qui marquera la première saison « rufienne » du Français.
Merci, M. Braunschweig !
Dans un décor moderne qui ressemble à un haut lieu abritant les décisions des plus grands de ce monde, aux allures d’une salle de réunion contemporaine, sphère atemporelle, impersonnelle, glaciale et aseptisée qui fait froid dans le dos, les personnages évoluent avec une grande sobriété autour d’une table imposante.
Dominique Blanc, la nouvelle pensionnaire du Français, règne en maître sur le plateau. Dans la peau d’Agrippine, elle fait des merveilles. Cette femme de pouvoir, très élégante dans son tailleur-pantalon sombre, impressionne et domine une distribution de grande qualité. Son orgueil l’a mené à créer un véritable tyran sur lequel elle sent bien qu’elle a de moins en moins de pouvoir mais elle garde la tête haute, sans faiblir, alliant douceur et fermeté.
Face à elle, le fragile Laurent Stocker parvient à nous convaincre totalement dès son entrée en scène. Telle une chrysalide devenue papillon maléfique, il déploie ses ailes talentueuses pour faire naître le mal ancré en lui avec une incroyable froideur. Tentant de se libérer de l’emprise maternelle, son Néron est un être double, à la fois vulnérable et déterminé. La sensible Georgia Scalliet prête quant à elle ses traits à la malheureuse et sombre Junie avec une grande justesse de jeu, parfaitement dosé, tandis que Stéphane Varupenne est un peu en retrait dans le rôle-titre mais apporte une douceur sincère à son personnage. Si Clotilde de Bayser campe une parfaite Albine, ni trop présente ni trop effacée, il en va de même pour Benjamin Lavernhe, incroyable Narcisse, fourbe et traître qui conduira Britannicus à sa perte. Il est d’ailleurs très bon dans la scène où il manipule Néron, comme une mauvaise conscience. Cependant, nous donnons une mention spéciale à l’excellent Hervé Pierre qui est un exceptionnel Burrhus. Représentant le sens de l’état, il signe là un sans-faute grandiose et est convaincant dans son opposition à Néron.
La distribution passe d’un espace à l’autre avec aisance. Les regards sont éloquents, les silences lourds de sens. Les nombreuses entrées et sorties qui se font par le public permettent de nous inclure dans l’intrigue. Nous nous sentons concernés, happés par la tragédie qui prend forme. Sur le plateau, les portes s’ouvrent et se ferment comme des tiroirs dissimulant les secrets des hauts dirigeants. La mise en scène de Stéphane Braunschweig tend à actualiser le propos de Racine tout en conservant les vers d’origine. Les alexandrins, qui ne sont pas trop appuyés, s’enchaînent avec naturel et fluidité. La diction parfaite mais non déclamatoire des membres de la troupe du Français permet de les faire résonner avec force et modernité.
C’est un véritable bonheur de les entendre ainsi dans la maison de Molière et nous ne voyons pas les deux heures de représentation qui passent à toute allure. En sortant, nous ne pouvons nous empêcher de constater que la soif de pouvoir et d’ascension sociale mènent toujours à la trahison, et avec Britannicus, pièce évidemment politique, Racine se place comme un visionnaire d’un monde corrompu qui n’a pas changé.
Dominique Blanc, la nouvelle pensionnaire du Français, règne en maître sur le plateau. Dans la peau d’Agrippine, elle fait des merveilles. Cette femme de pouvoir, très élégante dans son tailleur-pantalon sombre, impressionne et domine une distribution de grande qualité. Son orgueil l’a mené à créer un véritable tyran sur lequel elle sent bien qu’elle a de moins en moins de pouvoir mais elle garde la tête haute, sans faiblir, alliant douceur et fermeté.
Face à elle, le fragile Laurent Stocker parvient à nous convaincre totalement dès son entrée en scène. Telle une chrysalide devenue papillon maléfique, il déploie ses ailes talentueuses pour faire naître le mal ancré en lui avec une incroyable froideur. Tentant de se libérer de l’emprise maternelle, son Néron est un être double, à la fois vulnérable et déterminé. La sensible Georgia Scalliet prête quant à elle ses traits à la malheureuse et sombre Junie avec une grande justesse de jeu, parfaitement dosé, tandis que Stéphane Varupenne est un peu en retrait dans le rôle-titre mais apporte une douceur sincère à son personnage. Si Clotilde de Bayser campe une parfaite Albine, ni trop présente ni trop effacée, il en va de même pour Benjamin Lavernhe, incroyable Narcisse, fourbe et traître qui conduira Britannicus à sa perte. Il est d’ailleurs très bon dans la scène où il manipule Néron, comme une mauvaise conscience. Cependant, nous donnons une mention spéciale à l’excellent Hervé Pierre qui est un exceptionnel Burrhus. Représentant le sens de l’état, il signe là un sans-faute grandiose et est convaincant dans son opposition à Néron.
La distribution passe d’un espace à l’autre avec aisance. Les regards sont éloquents, les silences lourds de sens. Les nombreuses entrées et sorties qui se font par le public permettent de nous inclure dans l’intrigue. Nous nous sentons concernés, happés par la tragédie qui prend forme. Sur le plateau, les portes s’ouvrent et se ferment comme des tiroirs dissimulant les secrets des hauts dirigeants. La mise en scène de Stéphane Braunschweig tend à actualiser le propos de Racine tout en conservant les vers d’origine. Les alexandrins, qui ne sont pas trop appuyés, s’enchaînent avec naturel et fluidité. La diction parfaite mais non déclamatoire des membres de la troupe du Français permet de les faire résonner avec force et modernité.
C’est un véritable bonheur de les entendre ainsi dans la maison de Molière et nous ne voyons pas les deux heures de représentation qui passent à toute allure. En sortant, nous ne pouvons nous empêcher de constater que la soif de pouvoir et d’ascension sociale mènent toujours à la trahison, et avec Britannicus, pièce évidemment politique, Racine se place comme un visionnaire d’un monde corrompu qui n’a pas changé.
Eric Ruf l’avait promis : s’il était nommé Administrateur Général de la Comédie Française en 2015, il proposerait aux candidats écartés une mise en scène lors des saisons prochaines. C’est chose faite avec Stéphane Braunschweig : le candidat malheureux, nommé depuis à la tête de l’Odéon, propose ici une tragédie moderne d’une actualité aussi intemporelle qu’édifiante, aussi cuisante que magistrale.
Et c’est avec Racine, donc, que Dominique Blanc, nouvelle pensionnaire du Français, fait ses premiers pas sur la scène de la salle Richelieu. La comédienne est impériale : d’une justesse magistrale, toujours retenue, conservant en tout temps son calme olympien, Agrippine orchestre, provoque, manipule. Frêle, vêtue d’un simple costume noir, elle est cette femme prête à tout pour rester à la tête de Rome en manipulant son fils Néron s’il le faut. Laurent Stocker est Néron : plus faible au début, à la fois veule et d’un cynisme implacable, le comédien lui offre une palette de sentiments largement nuancée qui va de l’aveuglement amoureux, de l’apparente soumission filiale à la froideur implacable et assassine d’un tyran. Stéphane Varupenne (Britannicus) ajoute une dimension humaine à son rôle de victime d’une lutte perdue d’avance tandis que Georgia Scalliet (Junie) est lumineuse, amoureuse, pleine d’espérance et finalement résiliée. On n’oubliera pas de citer l’excellent Hervé Pierre (Burrhus, mélange d’âme damnée et de conseiller soumis) ou Benjamin Lavernhe (fallacieux et haïssable Narcisse), et Clotilde de Bayser (Albine, confidente fidèle d’Agrippine).
Tranchant radicalement avec les ors et parures de la salle Richelieu, le décor, conçu par Braunschweig, est d’une austérité à la fois spartiate et impérieuse : les rideaux translucides se superposent et laissent apparaître, en strates successives, imposantes portes blanches, salle de conférence impersonnelle uniquement meublée d’une immense table et de chaises austères. C’est ici que se déroulera la tragédie, dans cet antre du pouvoir où se jouent et se déjouent ambitions et rivalités politiques.
A la fois glaciale et minutieusement géométrique, la mise en scène de Stéphane Braunschweig sert le texte racinien sur un plateau aussi neutre que redoutablement efficace. Le jeu distancié des comédiens dissimule sous une fausse neutralité une passion aussi sourde que prégnante chez chacun des personnages. Et c’est cette distance qui, en réalité, nous rapproche de Racine et de son texte en le débarrassant de toute emphase, de toute émotion primale qui viendrait le parasiter.
Un travail d’orfèvre sobre et minutieux et, au final, d’une rare dextérité.
Et c’est avec Racine, donc, que Dominique Blanc, nouvelle pensionnaire du Français, fait ses premiers pas sur la scène de la salle Richelieu. La comédienne est impériale : d’une justesse magistrale, toujours retenue, conservant en tout temps son calme olympien, Agrippine orchestre, provoque, manipule. Frêle, vêtue d’un simple costume noir, elle est cette femme prête à tout pour rester à la tête de Rome en manipulant son fils Néron s’il le faut. Laurent Stocker est Néron : plus faible au début, à la fois veule et d’un cynisme implacable, le comédien lui offre une palette de sentiments largement nuancée qui va de l’aveuglement amoureux, de l’apparente soumission filiale à la froideur implacable et assassine d’un tyran. Stéphane Varupenne (Britannicus) ajoute une dimension humaine à son rôle de victime d’une lutte perdue d’avance tandis que Georgia Scalliet (Junie) est lumineuse, amoureuse, pleine d’espérance et finalement résiliée. On n’oubliera pas de citer l’excellent Hervé Pierre (Burrhus, mélange d’âme damnée et de conseiller soumis) ou Benjamin Lavernhe (fallacieux et haïssable Narcisse), et Clotilde de Bayser (Albine, confidente fidèle d’Agrippine).
Tranchant radicalement avec les ors et parures de la salle Richelieu, le décor, conçu par Braunschweig, est d’une austérité à la fois spartiate et impérieuse : les rideaux translucides se superposent et laissent apparaître, en strates successives, imposantes portes blanches, salle de conférence impersonnelle uniquement meublée d’une immense table et de chaises austères. C’est ici que se déroulera la tragédie, dans cet antre du pouvoir où se jouent et se déjouent ambitions et rivalités politiques.
A la fois glaciale et minutieusement géométrique, la mise en scène de Stéphane Braunschweig sert le texte racinien sur un plateau aussi neutre que redoutablement efficace. Le jeu distancié des comédiens dissimule sous une fausse neutralité une passion aussi sourde que prégnante chez chacun des personnages. Et c’est cette distance qui, en réalité, nous rapproche de Racine et de son texte en le débarrassant de toute emphase, de toute émotion primale qui viendrait le parasiter.
Un travail d’orfèvre sobre et minutieux et, au final, d’une rare dextérité.
Première rencontre avec Racine au théâtre, je n'ai donc pas de point de comparaison. J'ai beaucoup apprécié cette interprétation et cette mise en scène à la comédie française.
Une banalité, mais comment ne pas souligner la beauté de la langue racinienne. Le rythme de la phrase, le choix du mot juste permettent de transcender des monologues qui sans cela pourrait nous paraitre ennuyeux. J'ai parfois fermé les yeux pour me laisser porter par la puissance des paroles.
Pour cette première encore quelques bafouilles mais dans l'ensemble les comédiens ont tenus leur rang. Dominique Blanc est parfaite en Agrippine. Georgia Scalliet est une Junie convaincante, peut-être un poile trop effacée. Le choix de Laurent Stocker comme Néron m'a dérouté quelques secondes mais au final il incarne parfaitement les contradictions de son personnages, ses hésitations vers le tyran. Que du positif sur les autres acteurs...
La volonté au travers des costumes et du décor, d'inscrire cette pièce dans le présent est à nouveau de mise. Cela ne gène pas la compréhension de la pièce mais c'est clairement inutile et sans intérêt. Les jeux de transparence, de perspectives et de portes sont par contre particulièrement réussis. En particulier Britannicus gisant...
Une banalité, mais comment ne pas souligner la beauté de la langue racinienne. Le rythme de la phrase, le choix du mot juste permettent de transcender des monologues qui sans cela pourrait nous paraitre ennuyeux. J'ai parfois fermé les yeux pour me laisser porter par la puissance des paroles.
Pour cette première encore quelques bafouilles mais dans l'ensemble les comédiens ont tenus leur rang. Dominique Blanc est parfaite en Agrippine. Georgia Scalliet est une Junie convaincante, peut-être un poile trop effacée. Le choix de Laurent Stocker comme Néron m'a dérouté quelques secondes mais au final il incarne parfaitement les contradictions de son personnages, ses hésitations vers le tyran. Que du positif sur les autres acteurs...
La volonté au travers des costumes et du décor, d'inscrire cette pièce dans le présent est à nouveau de mise. Cela ne gène pas la compréhension de la pièce mais c'est clairement inutile et sans intérêt. Les jeux de transparence, de perspectives et de portes sont par contre particulièrement réussis. En particulier Britannicus gisant...
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