Titus va répudier Bérénice… nous le savons, la reine hélas ne deviendra pas impératrice.
Rome est plus fort que l’amour… mais peut-on apporter quelque chose de nouveau à ce texte aujourd’hui ?
Célie Pauthe a choisi d’y associer les mots de Duras, sa prosodie, sa musicalité… Césarée… Césaréa… et c’est sans doute ce que j’en retiendrai principalement, ainsi que l’interprétation de Mélodie Richard en Bérénice, tantôt amoureuse enfantine persuadée de devenir épouse, tantôt femme brisée, tantôt reine magistrale… face à un Titus larmoyant qui m’a moins convaincue.
On plonge avec le film dans cet Orient d’où vient Bérénice, qui, au plus fort de sa colère et de son désespoir envers Titus retrouve d’ailleurs l’hébreu. Bérénice l’étrangère, l’ancienne ennemie…
Les images des statues enfermées dans des échafaudages du court-métrage seront d’ailleurs une des images fortes qui me resteront en mémoire, associées au sable engloutissant en partie le décor de salon contemporain (j’aurais préféré quelque chose de plus intemporel à l’image des costumes que j’ai appréciés ) et aux voilages blancs….
En bref, Antiocchus est amoureux de Bérénice qui est amoureuse de Titus. Bérénice est Reine de Judée, et Titus est Empereur Romain, leur amour est impossible, car les deux peuples se font la guerre, et jamais le Sénat Romain ne fera de Bérénice l'Impératrice romaine. Après trois ans d'amour à Rome, le couple se sépare.
J'ai trouvé le texte de Racine magnifique, avec beaucoup d'échos actuels et intemporels sur l'amour :
- Antiocchus à propos de Bérénice "des yeux distraits qui me voyant toujours, ne me voyaient jamais".
- Bérénice cherchant à se rassurer sur le fait que Titus l'aime encore "Si Titus est jaloux, Titus est amoureux"
- plus largement toute la remise en question de Bérénice lorsque Titus décline son amour pour sa carrière
- le choix entre l'amour (Bérénice) ou la carrière (Empereur), j'imagine que cette question peut encore se poser aujourd'hui.
Attention, à quelques reprises, on se rend compte que Racine n'est plus tellement au goût du jour :
- lorsqu'il parle d'"hymen" pour désigner la femme, aujourd'hui parler de la femme à travers un organe c'est discriminant je trouve
- lorsqu'il décrit Bérénice comme une étrangère fière, alors qu'aujourd'hui, les étrangers sont rarement décrits comme des gens fiers, mais plutot en exil (la crise migratoire)
- à la fin de la pièce, Bérénice part, elle rentre en Judée, c'est une tragédie car les Bérénice et Titus ne se reverront plus jamais. Aujourd'hui, une telle séparation n'existe plus, du fait des réseaux sociaux, c'est impensable de disparaitre, c'est donc une douleur qu'on ne connait pas. J'ai d'ailleurs pensé au début que Bérénice se suiciderait, car je ne pouvais pas croire à une séparation uniquement physique
- il n'y a pas de jalousie/violence entre Titus et Antiocchus qui aiment la même femme, du fait des rapports hiérarchiques entre les deux : Antiocchus sert Titus, c'est donc tout naturellement qu'il s'empêche de livrer son amour à Bérénice, et s'est effacé pendant longtemps. Aujourd'hui, les rapports sociaux hiérarchiques (classes sociales) ne sont plus vraiment d'actualité
Cependant, le parallèle avec Césarée de Marguerite DURAS n'est pas facilement compréhensible :
- on voit des gros plans de vestiges romains à Paris, sans vraiment comprendre pourquoi
- c'est uniquement à la lecture du livret de l'Odéon que l'on comprend que Marguerite Duras imagine le retour de Bérénice à Césarée, sa terre natale, abandonnée par Titus qu'elle avait suivi pendant 3 ans à Rome
Dans la mise en scène : la mise en scène est très sobre, mi contemporaine (canapé d'angle), mi antique (voile, couronne de lauriers). Les comédiens jouent bien, ils sont agréable à entendre. Palme de comédienne à Mélodie RICHARD qui s'exprime en Hébreux au moment d'une crise avec Titus, c'est une superbe langue !
Bon spectacle.
"L'hymen chez les romains n'admet qu'une romaine" entend -t-on dans Bérénice.
Pour vous rassurer, il n'est pas question de discrimination car "Hymen" est ici du langage littéraire, en usage à cette époque, pour désigner le mariage ....et nullement la femme..... On peut aussi trouver le terme Hyménée de la même façon...cela dépend de la construction du vers...ou de la rime recherchée ou pour éviter la répétition.
Il n'y a donc aucune volonté der dévalorisation de la femme....je pense. Juste l'utilisation d'un terme (qui a plusieurs sens) qui a évolué
Mais dans le contexte de cette pièce, tout le monde est d'accord pour comprendre qu'il s'agit de mariage, d'union. et de rien d'autre.
Navrée qu'il ait pu vous choquer...
Il y a bien d'autres termes chez Racine, ou chez d'autres écrivains de l'époque, qui ont évolué eux aussi...ou, sont employés dans un autre sens... "amant" par exemple pour ne citer qu'un des plus courants
Intéréssant votre point de vue sur les différences entre cette époque et aujourd'hui, même si je ne partage pas toute votre analyse.
Ravie en tout cas que vous ayez apprécie la langue de Racine. P.R.
Pour cette pièce qui, constitue à mes yeux, l'acmé de la tragédie racinienne, je n'ai pas ressenti beaucoup d'émotion. J'ai pourtant écouté, avec la plus grande attention, les merveilleux vers raciniens et même retrouvé parfois leur rythme envoûtant...
Cependant, je n'ai guère cru à la torture que vaut à cet Antiochus-là, son rôle de double confident, ni à son personnage héroïque de compagnon d'armes de Titus, injustement et continuellement maltraité par le Sort. Il ne m'a guère touchée.
Je n'ai pas été tellement sensible, non plus, au drame que vivrait ce Titus-là, partagé entre ambition, honneur, raison d'Etat et amour passionnel pour Bérénice. Trop emmêlé dans une liaison amoureuse ordinaire et pas assez empereur. Il ne m'a guère émue.
Je les ai donc trouvés un peu ternes, tous deux... En deça, en tout cas, des figures d'exception qu'ils sont censés incarner. et des destins qu'ils traversent. Un choix de direction d'acteurs qui m'a donc déçue.
Bérénice m'a davantage convaincue.
Mélodie Richard, dans sa longue et gracieuse tunique verte, qui pour vivre un amour tumultueux avec l'ennemi de son peuple, le destructeur de son royaume, a trahi ses origines, et a tout abandonné... Elle est le personnage le plus touchant, le plus attachant. Et son jeu, le plus présent... Mais elle est cependant plus femme que reine...
Amante passionnée, qui veut croire à un futur commun avec Titus, puis amante bafouée, décidée à affronter la mort et, enfin reine, qui relève la tête et quitte la place, choisissant la rupture définitive plutôt que la fin sanglante à laquelle nous habituent d'ordinaire les tragédies.
Un jeu qui relève cependant plus du naturel que du tragique mais qui, après tout passe assez bien. Une première tentative sur le registre racinien très honorable.
La voix de Marguerite Duras, et ses incantations -en leimotiv- sur Césarée, ont apporté la dimension tragique lors des transitions entre les actes. Un lamento du choeur antique...
La mise en scène dépouillée, avec ce sable omniprésent et ces longs voiles blancs parfois agités, un bel écrin pour les mots et les sentiments.
J'ai moins aimé l'irruption de Baudelaire au dernier acte et le "hélas" reporté après le film: une coquetterie de mise en scène dont j'avoue ne pas avoir vu l'apport.
Les rôles dits "secondaires" et qui ne le sont pas tant que cela -notamment les 2 femmes- sont bien tenus.
Bref, un travail honorable mais sans plus. Je me faisais une joie de retrouver "Bérénice"... Il me faudra attendre une proposition future pour raviver le plaisir de souvenirs anciens plus émouvants.
En tête, j’ai l’enregistrement de la Bérénice de Raymond Rouleau dans laquelle Laurent Terzieff et Danièle Lebrun formaient un couple déchirant. La comparaison sera difficile à soutenir. Il était un Titus tiraillé entre la passion et l’amour, lui dont le peuple ne peut admettre qu’il épouse cette reine qui pourtant habite son coeur. Tout au long de la pièce, il oscillera entre la raison et l’amour. Il reviendra vers elle, ne pouvant soutenir ses regards et ses pleurs, puis se détournera à nouveau, lourd du poids du pouvoir qu’il doit à présent incarner.
J’ai beaucoup à dire sur ce spectacle, du bon comme du moins bon. Mais avant d’en extraire et d’en analyser chacune des facettes, il faut que je parle de Mélodie Richard, parce que sans elle, le spectacle aurait beaucoup moins de saveur. Il faut que je parle de Mélodie Richard parce que quand j’ai lu l’article du Monde évoquant sa formation de boulevard, j’ai douté. Il faut que je parle de Mélodie Richard avec la passion d’une première fois, avant de la retrouver au théâtre pour toutes ses futures apparitions. Il faut que je lui rende ce qu’elle m’a donné.
Je ne pense pas être quelqu’un de défaitiste, mais je me rends compte qu’il y a des choses sur lesquelles j’ai fait une croix de manière presque inconsciente. Par exemple, je ne pensais pas de mon vivant pouvoir rencontrer une véritable Bérénice. Pouvoir visionner la merveilleuse captation de Danièle Lebrun me semblait déjà une grande chance. Mais Mélodie Richard est entrée en scène. Cette comédienne me redonne espoir. Je repense aux rôles féminins qui me semblent impossible à monter. Elle serait une Chimène extraordinaire.
De Bérénice, elle a tout trouvé, elle a tout composé, elle a tout compris. A la fois moderne et antique, reine imposante dans cette tunique longue qu’elle porte avec tant de grâce, jeune femme amoureuse dans les regards qu’elle lance à Titus, elle incarne la passion avec une justesse rare. Naïveté du premier amour, fierté de l’être aimé, fraîcheur de jeune femme amoureuse, léger orgueil de femme trompée, tout y est. Lumineuse, elle chante son alexandrin sans le marquer outre-mesure et cette sincérité se retrouve dans chacune de ses notes. Simplement, elle donne vie sur scène à la douleur de cette amante blessée.
Malheureusement, autour d’elle, la distribution n’est pas aussi exemplaire si bien qu’on en vient rapidement à souhaiter sa présence illimitée sur scène. Ses deux prétendants, en effet, sont bien pâles à côté d’elle. Clément Bresson est un Titus limité par une gestuelle répétitive, ses bras montant régulièrement au ciel dans un geste qui pourrait signifier « Tant pis » autant que « O Dieux ! » et je cherche encore des traces de son amour quelque part sur la scène. C’est à se demander comment Bérénice peut être aussi amoureuse de lui. Antiochus, quant à lui, ne semble pas disposer d’une once d’espoir. Sur le visage de Mounir Margoum, les intentions semblent claires : il n’y croit pas. Cela jure avec un texte qui passe par des montagnes russes de sentiments torturant ce personnage dont la raison est sans cesse trahie par un coeur trop amoureux.
Chose désagréable, les deux comédiens récitent leurs alexandrins de manière presque scolaire, le premier en en marquant chaque séparation, le second les ronronnant excessivement lentement jusqu’à nous perdre. De plus, Célie Pauthe semble avoir totalement dédaigné les personnages secondaires, qui, dans Bérénice, n’en sont pas réellement, ils ont une véritable existence : Arsace est le surmoi de Titus, pas simplement son confident. Or, ici, il est devenu complètement transparent. Quel dommage.
Devant un tel disparate dans la direction d’acteurs, j’en viens à questionner la portée du travail de Célie Pauthe. Où est-elle réellement intervenue ? La composition de Mélodie Richard tient-elle plus de l’instinct que de l’influence directe de la metteuse en scène ? La question reste ouverte. Cette disparité se retrouve d’ailleurs dans la mise en scène qui comporte quelques belles idées voisinant d’étranges lubies. Les intermèdes cinématographiques montrant le Césarée de Marguerite Duras en sont pour moi le témoin le plus marquant : le seul intérêt qui en ressort est de souligner la supériorité de Racine sur Duras. Dans la famille « caution intello » (ratée), je demande aussi la soudaine apparition du Recueillement de Baudelaire entre l’acte 4 et l’acte 5. Hors-sujet total.
Pourtant, j’ai aimé son parti pris de laisser de côté les codes de la tragédie pour se placer dans un temps peut-être plus quotidien. Si les rires qui ponctuent certaines répliques marquent une faiblesse évidente sur scène, le choix est intéressant. La première scène liant les deux amants évoque plus Marivaux que Racine dans les échanges tactiles ou les regards qui lient Titus et Bérénice, et cette vitalité-là étonne autant qu’elle émeut. C’est dans la simplicité que Célie Pauthe réussit le mieux : comme pour ce décor, fixe et imposant, qui évolue à son rythme, sans soulignements excessifs, mais avec une beauté certaine. Comme pour des petits détails glissés par-ci par-là, sans arrogance, et qui viennent souligner tantôt l’orientalité de Bérénice, tantôt son universalité, ou la fatalité de son destin.
Si les vers - sublimes!!!- de Racine inspirent toujours auteurs et spectateurs, ont ils vraiment besoin d'être modernisés de cette façon ?
"Bérénice" peut être transposée dans notre siècle ... mais pas de cette manière !
Il aurait fallu choisir entre le sable blanc et le canapé, entre le jean et la couronne, et aller au bout du concept, puisque concept il y a!
A trop vouloir démontrer, on perd en efficacité, et surtout en émotion !
Car il ne s'en dégage aucune, d'émotion, un comble quand on entend le texte !
Pour compenser ces faiblesses, les personnages s'agitent dans tous les sens, s'asseyent et se relèvent ...
Racine, avec son oeuvre, les a écrasés, eux qui n'ont eu ni la force de l'exalter, ni l'humilité de le servir !
Le rival de Titus, Antiochos, qui a combattu des armées semble avoir pris des anti- dépresseurs. On s'ennuie ferme dans cette mise en scène sans passion, avec ces personnages auxquels on ne croit pas. Seul Titus arrive parfois à sortir du lot mais on se demande si même lui y croit et la jeune Arsace arrive à donner un peu de vie et de sourire aux spectateurs.