Ses critiques
24 critiques
8/10
Avis de Tempête sur la Huchette
"La Tempête", c'est cinq actes et une vingtaine de personnages, tous plus étranges et improbables les uns que les autres. "La Tempête", c'est une île déserte, peuplée de sorcières, d'elfes, de monstres et de magie. "La Tempête", c'est un navire pris dans la houle qui se brise sur les côtes, et échoue dans le royaume auto-proclamé de Prospero, mi-homme, mi-mage, et qui a fait sombrer l'équipage grâce à l'intervention de son esprit Ariel. "La Tempête", c'est l'une des dernières pièces de Shakespeare, et la quintessence de son esprit baroque.
Et "La Tempête" vu par le metteur en scène Emmanuel Besnault, c'est un peu tout ça, mais à trois comédien.ne.s et six personnages, dans l'étroite (mais si plaisante) salle du théâtre de la Huchette, avec des costumes et un décor simples mais bourrés d'ingéniosité. Un drap, quelques planches et des lumières bien placées : voilà notre île qui se dresse sur cette petite scène, sur laquelle évoluent des acteurs pleins de talent, qui n'hésitent pas à mouiller la chemise pour endosser chacun de leurs rôles, et opérant des changements de costumes dignes des transformistes. Le passage d'un personnage à un autre est si réussi que l'on doute parfois de la présence d'une seule et même personne derrière deux masques différents.
N'imaginez pas que la réduction du texte et des protagonistes fait perdre sa saveur à l'histoire, au contraire, celle-ci est ramenée à l'essentiel et ce qui est souvent nébuleux chez le dramaturge anglais devient bien plus évident, tout en conservant l'atmosphère merveilleuse et les principaux enjeux de la pièce. On retrouve la patte d'Emmanuel Besnault tant appréciée dans "Fantasio" l'an dernier, qui sait parfaitement utiliser l'espace et colore tout d'un aspect de conte de fées, notamment ici avec l'utilisation de la musique qui donne un côté "Disney" (mais Disney shakespearien tout de même) au spectacle. Cela est très appréciable (surtout que la jeune comédienne, Marion Préïté, chante merveilleusement bien), peut-être est-ce un peu too much à la fin (il faut aimer l'idée d'un texte théâtral chanté) mais les défauts sont vite effacés par la qualité du jeu et les très bonnes idées de mise en scène.
Je finirai d'ailleurs sur une de ces trouvailles malicieuses, dont l'auteur baroque aurait pu être fier : si nous n'avons pas assez de comédiens pour jouer tout le monde, laissons le public faire partie de l'histoire et devenir lui-même un habitant de cette grotte isolée. Comment ? Plongez au cœur de la Tempête pour le savoir...
"La Tempête", c'est cinq actes et une vingtaine de personnages, tous plus étranges et improbables les uns que les autres. "La Tempête", c'est une île déserte, peuplée de sorcières, d'elfes, de monstres et de magie. "La Tempête", c'est un navire pris dans la houle qui se brise sur les côtes, et échoue dans le royaume auto-proclamé de Prospero, mi-homme, mi-mage, et qui a fait sombrer l'équipage grâce à l'intervention de son esprit Ariel. "La Tempête", c'est l'une des dernières pièces de Shakespeare, et la quintessence de son esprit baroque.
Et "La Tempête" vu par le metteur en scène Emmanuel Besnault, c'est un peu tout ça, mais à trois comédien.ne.s et six personnages, dans l'étroite (mais si plaisante) salle du théâtre de la Huchette, avec des costumes et un décor simples mais bourrés d'ingéniosité. Un drap, quelques planches et des lumières bien placées : voilà notre île qui se dresse sur cette petite scène, sur laquelle évoluent des acteurs pleins de talent, qui n'hésitent pas à mouiller la chemise pour endosser chacun de leurs rôles, et opérant des changements de costumes dignes des transformistes. Le passage d'un personnage à un autre est si réussi que l'on doute parfois de la présence d'une seule et même personne derrière deux masques différents.
N'imaginez pas que la réduction du texte et des protagonistes fait perdre sa saveur à l'histoire, au contraire, celle-ci est ramenée à l'essentiel et ce qui est souvent nébuleux chez le dramaturge anglais devient bien plus évident, tout en conservant l'atmosphère merveilleuse et les principaux enjeux de la pièce. On retrouve la patte d'Emmanuel Besnault tant appréciée dans "Fantasio" l'an dernier, qui sait parfaitement utiliser l'espace et colore tout d'un aspect de conte de fées, notamment ici avec l'utilisation de la musique qui donne un côté "Disney" (mais Disney shakespearien tout de même) au spectacle. Cela est très appréciable (surtout que la jeune comédienne, Marion Préïté, chante merveilleusement bien), peut-être est-ce un peu too much à la fin (il faut aimer l'idée d'un texte théâtral chanté) mais les défauts sont vite effacés par la qualité du jeu et les très bonnes idées de mise en scène.
Je finirai d'ailleurs sur une de ces trouvailles malicieuses, dont l'auteur baroque aurait pu être fier : si nous n'avons pas assez de comédiens pour jouer tout le monde, laissons le public faire partie de l'histoire et devenir lui-même un habitant de cette grotte isolée. Comment ? Plongez au cœur de la Tempête pour le savoir...
9/10
La loi du talion
Quand "Douze hommes en colère" de Reginald Rose rencontre "Hors la loi" de Pauline Bureau, cela donne "Femmes en colère", une magnifique création de Mathieu Menegaux et Pierre-Alain Leleu, où la justice se confronte au féminisme et à la sororité.
Quand une femme est agressée, dans l'intimité d'un appartement où elle s'est rendue sans être forcée, pour rencontrer un quasi-inconnu dans le seul but de passer une bonne soirée, que lui reste-t-il ? Que lui reste-t-il pour retrouver sa dignité, lorsqu'elle sait très bien, et à raison, que la justice ne fera rien pour elle, faute de preuves tangibles ? Mathilde Collignon (campée par la toujours parfaite Lisa Martino) elle, a fait son choix : œil pour œil, dent pour dent.
Et là réside toute la question soulevée par ce spectacle : a-t-on le droit de se venger soi-même lorsque que la justice est défaillante ? Sur scène, 6 juré.e.s et 3 magistrat.e.s tentent d'y répondre, dans une salle de délibération où les langues se délient, et les avis, radicaux d'un côté comme de l'autre, se heurtent au droit, juste ou injuste, mais qui sous-tend toutes les décisions. La vie de Mathilde se joue dans ces 90 minutes, superbement rythmées par l'alternance entre les débats et la pensée du personnage, qui nous résume avec émotion et détails son récit poignant.
Ce procès c'est aussi celui d'une société, dans laquelle quelques figures se battent encore pour trouver un équilibre entre clémence et despotisme. On en ressort troublé, la rage au ventre, mais persuadé que le théâtre peut faire beaucoup pour ouvrir les consciences.
Quand "Douze hommes en colère" de Reginald Rose rencontre "Hors la loi" de Pauline Bureau, cela donne "Femmes en colère", une magnifique création de Mathieu Menegaux et Pierre-Alain Leleu, où la justice se confronte au féminisme et à la sororité.
Quand une femme est agressée, dans l'intimité d'un appartement où elle s'est rendue sans être forcée, pour rencontrer un quasi-inconnu dans le seul but de passer une bonne soirée, que lui reste-t-il ? Que lui reste-t-il pour retrouver sa dignité, lorsqu'elle sait très bien, et à raison, que la justice ne fera rien pour elle, faute de preuves tangibles ? Mathilde Collignon (campée par la toujours parfaite Lisa Martino) elle, a fait son choix : œil pour œil, dent pour dent.
Et là réside toute la question soulevée par ce spectacle : a-t-on le droit de se venger soi-même lorsque que la justice est défaillante ? Sur scène, 6 juré.e.s et 3 magistrat.e.s tentent d'y répondre, dans une salle de délibération où les langues se délient, et les avis, radicaux d'un côté comme de l'autre, se heurtent au droit, juste ou injuste, mais qui sous-tend toutes les décisions. La vie de Mathilde se joue dans ces 90 minutes, superbement rythmées par l'alternance entre les débats et la pensée du personnage, qui nous résume avec émotion et détails son récit poignant.
Ce procès c'est aussi celui d'une société, dans laquelle quelques figures se battent encore pour trouver un équilibre entre clémence et despotisme. On en ressort troublé, la rage au ventre, mais persuadé que le théâtre peut faire beaucoup pour ouvrir les consciences.
9,5/10
Foule sentimentale
Alain Souchon, c'est la poésie, le point de vue décalé, l'écriture fine et pleine d'humour, les mélodies envoûtantes. Alain Souchon c'est cinquante ans d'une carrière discrète et comme coloriée au pastel, mais toujours sur le devant de la scène et dans les radios de tous les français, et ça, les comédiennes-chanteuses de la Comédie-Française l'ont très bien compris.
Cet impromptu musical conçu par Françoise Gillard invite à traverser l'œuvre foisonnante de l'interprète, de ses tubes à ses chansons moins connues mais toutes aussi géniales, tout en explorant ce personnage à la fois humble et audacieux. Personnage qui doit d'autant plus apprécier que ses morceaux soient chantés en cœur par six femmes (Françoise Gillard, Danièle Lebrun, Coraly Zahonero, Claire de la Rüe du Can, Emma Laristan, Yasmine Haller), lui qui les aime tant. Mais loin d'être un simple cri d'amour de groupies, c'est avant tout une réunion des générations et des âmes autour d'une passion de la musique, comme une micro-société exclusivement féminine qui aurait pris le large un moment, une foule sentimentale avec soif d'idéal, d'art, de Bordeaux et de chansons.
Ce spectacle on ne peut plus épicurien est la preuve qu'Alain Souchon est loin d'être K.O., et les voix de ces six interprètes ne font que sublimer, voire réinventer, le répertoire du chanteur aux cheveux bouclés.
Alain Souchon, c'est la poésie, le point de vue décalé, l'écriture fine et pleine d'humour, les mélodies envoûtantes. Alain Souchon c'est cinquante ans d'une carrière discrète et comme coloriée au pastel, mais toujours sur le devant de la scène et dans les radios de tous les français, et ça, les comédiennes-chanteuses de la Comédie-Française l'ont très bien compris.
Cet impromptu musical conçu par Françoise Gillard invite à traverser l'œuvre foisonnante de l'interprète, de ses tubes à ses chansons moins connues mais toutes aussi géniales, tout en explorant ce personnage à la fois humble et audacieux. Personnage qui doit d'autant plus apprécier que ses morceaux soient chantés en cœur par six femmes (Françoise Gillard, Danièle Lebrun, Coraly Zahonero, Claire de la Rüe du Can, Emma Laristan, Yasmine Haller), lui qui les aime tant. Mais loin d'être un simple cri d'amour de groupies, c'est avant tout une réunion des générations et des âmes autour d'une passion de la musique, comme une micro-société exclusivement féminine qui aurait pris le large un moment, une foule sentimentale avec soif d'idéal, d'art, de Bordeaux et de chansons.
Ce spectacle on ne peut plus épicurien est la preuve qu'Alain Souchon est loin d'être K.O., et les voix de ces six interprètes ne font que sublimer, voire réinventer, le répertoire du chanteur aux cheveux bouclés.
9,5/10
Qu'y a-t-il dans un nom ?
Oubliez tout ce que vous saviez ou pensiez savoir sur les amants maudits de Vérone. Effacez de votre esprit les traits qui sont donnés à ces personnages depuis des siècles. Ne pensez plus sur la forme mais sur le fond, et revenez aux fondamentaux de cette histoire : deux personnes qui s'aiment d'un amour impossible.
Voilà la réflexion que les metteur.e.s en scène Romain Chesnel et Caroline de Touchet (qui joue aussi dans la pièce) proposent avec ce "Roméo et Juliette" d'un nouveau genre, et dont la distribution change tous les soirs. Spectateurs, vous disposez de cinq minutes et une feuille de salle pour associer chaque acteur et actrice à leur rôle du jour, et créer l'une des 5040 combinaisons possibles. Vous êtes le maître du jeu, et les comédien.ne.s se plient à vos désirs et, après de courtes secondes de concentration, se jettent à corps perdus dans les personnages qui viennent de leur être proposés.
Mais ne vous méprenez pas : aucune place n'est donnée à l'improvisation ou au pas de côté, tout est millimétré et d'une fluidité extraordinaire, et l'ensemble de la troupe connaît sur le bout des doigts le parcours de chaque protagoniste. L'on pourrait croire que, statistiquement, il y en a bien un ou une qui va tomber sur un rôle détesté, mais aucun n'est jamais pris au dépourvu, jamais en-dessous et la qualité du jeu se rapporte à la superbe mise en scène, qui a parfois des petits airs de Thomas Jolly, tant dans les lumières et les musiques que dans l'interprétation.
Si vous pensiez qu'il était impossible de renouveller l'œuvre shakespearienne, foncez au Lucernaire pour vous convaincre du contraire, et n'oubliez pas la leçon de cette pièce : un nom ne définit pas la personne qui le porte.
Oubliez tout ce que vous saviez ou pensiez savoir sur les amants maudits de Vérone. Effacez de votre esprit les traits qui sont donnés à ces personnages depuis des siècles. Ne pensez plus sur la forme mais sur le fond, et revenez aux fondamentaux de cette histoire : deux personnes qui s'aiment d'un amour impossible.
Voilà la réflexion que les metteur.e.s en scène Romain Chesnel et Caroline de Touchet (qui joue aussi dans la pièce) proposent avec ce "Roméo et Juliette" d'un nouveau genre, et dont la distribution change tous les soirs. Spectateurs, vous disposez de cinq minutes et une feuille de salle pour associer chaque acteur et actrice à leur rôle du jour, et créer l'une des 5040 combinaisons possibles. Vous êtes le maître du jeu, et les comédien.ne.s se plient à vos désirs et, après de courtes secondes de concentration, se jettent à corps perdus dans les personnages qui viennent de leur être proposés.
Mais ne vous méprenez pas : aucune place n'est donnée à l'improvisation ou au pas de côté, tout est millimétré et d'une fluidité extraordinaire, et l'ensemble de la troupe connaît sur le bout des doigts le parcours de chaque protagoniste. L'on pourrait croire que, statistiquement, il y en a bien un ou une qui va tomber sur un rôle détesté, mais aucun n'est jamais pris au dépourvu, jamais en-dessous et la qualité du jeu se rapporte à la superbe mise en scène, qui a parfois des petits airs de Thomas Jolly, tant dans les lumières et les musiques que dans l'interprétation.
Si vous pensiez qu'il était impossible de renouveller l'œuvre shakespearienne, foncez au Lucernaire pour vous convaincre du contraire, et n'oubliez pas la leçon de cette pièce : un nom ne définit pas la personne qui le porte.
8/10
Il était une fois, dans un beau chapeau...
Désormais un classique de la littérature jeunesse en France, le Prince de Motordu et son troupeau de boutons garent leur toiture de course au Lucernaire, pour la deuxième année consécutive, faisant le bonheur des petits (et des grands !).
Après avoir fait rêver des générations de jeunes lecteurs, ce monde coloré et loufoque prend vie sur scène, et c'est avec joie que l'on retrouve les délicieux mots tordus de notre cher Prince à l'élocution particulière. Quand celui-ci joue à saute-boutons, parle avec son crapaud bleu-blanc-rouge qu'il hisse au sommet de son chapeau, ou bien fait des batailles de poules de neige avec le public, les rires fusent, et les enfants ne manquent pas de participer à ce joyeux bazar.
Et si, comme la petite spectatrice qui m'accompagnait, vous vous demandez désespérément "elle est où la Princesse ?", pas de panique : la belle Princesse Dézécolles, institutrice (ou traîtresse d'école si vous préférez), ne tarde pas à rejoindre le monde farfelu de Motordu.
Le décor est ingénieux, l'utilisation du son et de la lumière également, seul bémol : l'âge de 4 ans indiqué sur le flyer est peut-être un peu jeune pour découvrir le spectacle. Vos petits accompagnateurs profiteront sûrement mieux du spectacle s'ils peuvent comprendre les jeux de mots, et s'ils connaissent leur alphabet (cours d'écriture et de lecture oblige dans la classe de Mlle Dézécolles).
Petites billes et petits glaçons, enfilez vos châteaux sur vos fêtes, et courez voir cette belle lisse poire !
Désormais un classique de la littérature jeunesse en France, le Prince de Motordu et son troupeau de boutons garent leur toiture de course au Lucernaire, pour la deuxième année consécutive, faisant le bonheur des petits (et des grands !).
Après avoir fait rêver des générations de jeunes lecteurs, ce monde coloré et loufoque prend vie sur scène, et c'est avec joie que l'on retrouve les délicieux mots tordus de notre cher Prince à l'élocution particulière. Quand celui-ci joue à saute-boutons, parle avec son crapaud bleu-blanc-rouge qu'il hisse au sommet de son chapeau, ou bien fait des batailles de poules de neige avec le public, les rires fusent, et les enfants ne manquent pas de participer à ce joyeux bazar.
Et si, comme la petite spectatrice qui m'accompagnait, vous vous demandez désespérément "elle est où la Princesse ?", pas de panique : la belle Princesse Dézécolles, institutrice (ou traîtresse d'école si vous préférez), ne tarde pas à rejoindre le monde farfelu de Motordu.
Le décor est ingénieux, l'utilisation du son et de la lumière également, seul bémol : l'âge de 4 ans indiqué sur le flyer est peut-être un peu jeune pour découvrir le spectacle. Vos petits accompagnateurs profiteront sûrement mieux du spectacle s'ils peuvent comprendre les jeux de mots, et s'ils connaissent leur alphabet (cours d'écriture et de lecture oblige dans la classe de Mlle Dézécolles).
Petites billes et petits glaçons, enfilez vos châteaux sur vos fêtes, et courez voir cette belle lisse poire !