Ses critiques
99 critiques
9/10
Alors ?
Phèdre, pièce de Jean Racine (1677), éponyme de celle éprise d'Hippolyte, le fils de son mari, affiche un amour immoral, et donc impossible. Coupable de ce désir, non réciproque, la malheureuse n'est "ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente" comme l'auteur l'a précisé dans son introduction.
Comment exprimer cette dissonance ? Il fallait pour cela faire confiance à la magnifique Raphaèle Bouchard, à l'allure athlétique, se contorsionnant dans tous les sens. Les yeux perçants, le charisme tranchant et la posture fière, elle parvient à se montrer tant maître de son corps qu’assujettie à ses passions, comme si la douleur enfouie en son profond intérieur s'exprimait dans ses gestes. Elle adopte énergiquement des positions improbables. Il y a quelque chose de très animal et de redoutable. Ce jeu expressif fonctionne à merveille, lui donnant un cachet mystique. Une tragédie respectée de bout en bout par ses divins vers en alexandrins. Elle est sublimée par un décor tout en sable, de la peinture à la chaux au sol noir. Est-ce le désert ? Est-ce des cendres ? Est-ce un temple ? Impossible de le déterminer. Ce ne sont pas les deux formes géométriques qui donnent plus d'indice sur le lieu.
C'est abstrait et harmonieux. Les robes brillent de leur satin et les costumes sont sobres et somptueux : bleu nuit, vert empire, doré ou encore blanc. Cette pièce a l'immense mérite de prouver, qu'avec une telle mise en scène, nous ne pouvons être las des classiques. Un grand merci !
Phèdre, pièce de Jean Racine (1677), éponyme de celle éprise d'Hippolyte, le fils de son mari, affiche un amour immoral, et donc impossible. Coupable de ce désir, non réciproque, la malheureuse n'est "ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente" comme l'auteur l'a précisé dans son introduction.
Comment exprimer cette dissonance ? Il fallait pour cela faire confiance à la magnifique Raphaèle Bouchard, à l'allure athlétique, se contorsionnant dans tous les sens. Les yeux perçants, le charisme tranchant et la posture fière, elle parvient à se montrer tant maître de son corps qu’assujettie à ses passions, comme si la douleur enfouie en son profond intérieur s'exprimait dans ses gestes. Elle adopte énergiquement des positions improbables. Il y a quelque chose de très animal et de redoutable. Ce jeu expressif fonctionne à merveille, lui donnant un cachet mystique. Une tragédie respectée de bout en bout par ses divins vers en alexandrins. Elle est sublimée par un décor tout en sable, de la peinture à la chaux au sol noir. Est-ce le désert ? Est-ce des cendres ? Est-ce un temple ? Impossible de le déterminer. Ce ne sont pas les deux formes géométriques qui donnent plus d'indice sur le lieu.
C'est abstrait et harmonieux. Les robes brillent de leur satin et les costumes sont sobres et somptueux : bleu nuit, vert empire, doré ou encore blanc. Cette pièce a l'immense mérite de prouver, qu'avec une telle mise en scène, nous ne pouvons être las des classiques. Un grand merci !
9/10
Alors ?
Benoit Giros, le comédien, fait quasiment office d'ouvreur de salle. Il accueille les spectateurs, tout sourire. Ils sont invités à prendre place au sein d'un rassemblement de psychiatres. Le docteur Kemener anime la séance. Il expose d'emblée l'erreur de diagnostic faite au sujet de Monsieur Louvier qui, en proie aux dépressions et aux moments d'hallucination, a été catalogué précocement comme schizophrène. À déconstruire son histoire et les traitements - forcément inefficaces - Monsieur Louvier va réapprendre à s'approprier son identité. Le terrain est glissant ; le langage est vif, cru et violent. Le patient est mis à nu. Légitiment, une gêne s'installe dans la salle. Chacun tente de comprendre, avec lui, ce qu'il a pu subir, ce qu'il a pu en tirer comme conséquence. Cette intrusion pousse à sortir du cadre. Le poids des mots est mis à l'honneur et les non-dits volent en éclats. Une belle leçon.
Benoit Giros, le comédien, fait quasiment office d'ouvreur de salle. Il accueille les spectateurs, tout sourire. Ils sont invités à prendre place au sein d'un rassemblement de psychiatres. Le docteur Kemener anime la séance. Il expose d'emblée l'erreur de diagnostic faite au sujet de Monsieur Louvier qui, en proie aux dépressions et aux moments d'hallucination, a été catalogué précocement comme schizophrène. À déconstruire son histoire et les traitements - forcément inefficaces - Monsieur Louvier va réapprendre à s'approprier son identité. Le terrain est glissant ; le langage est vif, cru et violent. Le patient est mis à nu. Légitiment, une gêne s'installe dans la salle. Chacun tente de comprendre, avec lui, ce qu'il a pu subir, ce qu'il a pu en tirer comme conséquence. Cette intrusion pousse à sortir du cadre. Le poids des mots est mis à l'honneur et les non-dits volent en éclats. Une belle leçon.
7,5/10
Alors ? Pour sa réouverture après travaux, la grande salle du Théâtre Paris-Villette dévoile ses plus belles arcades. Et pour fêter cette rénovation, quoi de mieux à la programmation que la pièce de "Change me" ?
Dans un tout autre registre, une fille, à la voix fluette, déboule dans la salle de bain. Elle entonne son rituel : se raser une barbe inexistante, se tondre les cheveux, se bander les seins et insérer du volume à l’entre-jambe. Elle devient il. Elle s'appelle Axel. Sa mère entre pour se maquiller. Le clivage est là. Elle le regarde et l'invective « il faut que tu te soignes ». La famille est issue d'un milieu modeste et les temps, pour Axel, sont à la fête, l'alcool et la découverte des premiers émois. Il est amoureux d'une fille, Léna, qui ignore que son petit-ami est homosexuelle. Le fait divers dramatique des années 90, dont Brandon Teena a été victime, est mêlé aux textes d'Ovide et d'Isaac de Benserade. C’est une croisée des chemins, un joli clin d’œil, bien que l'on puisse regretter quelques dialogues saugrenus sur fond de théorie du complot. D'autres pistes sont lancées sans que l'on saisisse le propos : tantôt le téléviseur offre un moment gênant de karaoké sur fond d'Adèle, tantôt il expose ce qui semble être une dénonciation de l'hypersexualisation de notre société avec des vidéos évocatrices.
Quoi qu'il en soit, lorsque les Métamorphoses d'Ovide sont exposées ou la langue d'Iphis et Iante respectée, quelle grande joie !
Dans un tout autre registre, une fille, à la voix fluette, déboule dans la salle de bain. Elle entonne son rituel : se raser une barbe inexistante, se tondre les cheveux, se bander les seins et insérer du volume à l’entre-jambe. Elle devient il. Elle s'appelle Axel. Sa mère entre pour se maquiller. Le clivage est là. Elle le regarde et l'invective « il faut que tu te soignes ». La famille est issue d'un milieu modeste et les temps, pour Axel, sont à la fête, l'alcool et la découverte des premiers émois. Il est amoureux d'une fille, Léna, qui ignore que son petit-ami est homosexuelle. Le fait divers dramatique des années 90, dont Brandon Teena a été victime, est mêlé aux textes d'Ovide et d'Isaac de Benserade. C’est une croisée des chemins, un joli clin d’œil, bien que l'on puisse regretter quelques dialogues saugrenus sur fond de théorie du complot. D'autres pistes sont lancées sans que l'on saisisse le propos : tantôt le téléviseur offre un moment gênant de karaoké sur fond d'Adèle, tantôt il expose ce qui semble être une dénonciation de l'hypersexualisation de notre société avec des vidéos évocatrices.
Quoi qu'il en soit, lorsque les Métamorphoses d'Ovide sont exposées ou la langue d'Iphis et Iante respectée, quelle grande joie !
7,5/10
Alors ?
Macbeth, remixé par cinq femmes, offre un spectacle bruyant. Déjà parce qu’il interpelle : interpréter une œuvre de Shakespeare en la vantant avec une « distribution jeune, cosmopolite, féminine » ; Macbeth sera donc une femme. Tonitruant, parce que les comédiennes chantent plusieurs registres et se les approprient pleinement. Assourdissant, notamment parce qu’il reprend les techniques bien rodées - dont on ne dira jamais suffisamment qu’un spectateur-habitué se lasse - j’ai nommé, le micro et la peinture rouge.
On passera sur les habits unisexes pour ensuite endosser des tailleurs représentant le pouvoir contemporain. Ces codes restent plutôt efficaces. Surtout qu’il s’agit ici d’un théâtre qui fait beaucoup de bruit pour... bien des choses ! Maîtrise du rythme, synchronisation travaillée, les bottines frappent en même temps le sol et les baguettes de batterie tournoient, tandis que les lunettes de soleil reluisent derrière le piano. Sans détour, les cinq voix envoient du lourd. Elles racontent, elles mettent en poésie, elles jouent. Tour à tour comédienne et musicienne, elles méritent chacune d’être citée : Viktoria Kozlova, Laura Clauzel, Ayana Fuentes Uno, Sophie Mourousi et Tatiana Spivakova.
Je me sens bien obligée de mentionner ce particulier moment de grâce lorsqu’elles interprètent leur propre version de « You want it darker » de Leonard Cohen. I wasn’t ready, my lord.
Macbeth, remixé par cinq femmes, offre un spectacle bruyant. Déjà parce qu’il interpelle : interpréter une œuvre de Shakespeare en la vantant avec une « distribution jeune, cosmopolite, féminine » ; Macbeth sera donc une femme. Tonitruant, parce que les comédiennes chantent plusieurs registres et se les approprient pleinement. Assourdissant, notamment parce qu’il reprend les techniques bien rodées - dont on ne dira jamais suffisamment qu’un spectateur-habitué se lasse - j’ai nommé, le micro et la peinture rouge.
On passera sur les habits unisexes pour ensuite endosser des tailleurs représentant le pouvoir contemporain. Ces codes restent plutôt efficaces. Surtout qu’il s’agit ici d’un théâtre qui fait beaucoup de bruit pour... bien des choses ! Maîtrise du rythme, synchronisation travaillée, les bottines frappent en même temps le sol et les baguettes de batterie tournoient, tandis que les lunettes de soleil reluisent derrière le piano. Sans détour, les cinq voix envoient du lourd. Elles racontent, elles mettent en poésie, elles jouent. Tour à tour comédienne et musicienne, elles méritent chacune d’être citée : Viktoria Kozlova, Laura Clauzel, Ayana Fuentes Uno, Sophie Mourousi et Tatiana Spivakova.
Je me sens bien obligée de mentionner ce particulier moment de grâce lorsqu’elles interprètent leur propre version de « You want it darker » de Leonard Cohen. I wasn’t ready, my lord.
6/10
Alors ? Erik Satie n'est certainement pas comme tout le monde.
Compositeur des Gymnopédies à l'âge de 22 ans ou encore fondateur de l'Eglise métropolitaine d'art de Jésus-Conducteur - dont il sera le seul fidèle, sa seule vie suffirait pour faire une incroyable histoire ; comme l'illustre l'anecdote de sa seule relation intime avec l'artiste peintre Suzanne Valadon, dont il demandera la main, sans succès, le lendemain de leur première nuit (!). Il lui écrira qu'elle le laisse avec "rien, à part une froide solitude qui remplit la tête avec du vide et le cœur avec de la peine".
Celui qui connaît de plus en plus les hommes, et admire de plus en plus les chiens, est ici, dans un hôpital psychiatrique à Honfleur, la ville natale de Monsieur Satie (Elliot Jenicot). Il y fait la connaissance d'Anna, l'infirmière (Anaïs Yazit). Pourquoi diantre avoir voulu y insérer une fiction ? La vie d'Erik Satie est suffisamment romanesque pour éviter qu'une comédie dramatique un peu plate s'y glisse. Toutefois, la mise en scène légère, avec ses illustrations animées (Sulki) en fond de scène et ses moments dansés, offre un bon et sincère moment de théâtre. Là encore, la poésie scénique ne suffit pas à rattraper un texte alambiqué pour pas grand chose. On ne saisit malheureusement pas tout. Certes, il y a certainement une volonté de flouter le réel et la folie pour - patatras ! - dévoiler autre chose qui serait prétendument imprévisible. Cela ne fonctionne malheureusement pas car l'exagération se trouve également dans le jeu de la jolie comédienne qui gagnerait à retenir ses battements de cils intempestifs.
En définitive, la réussite de la pièce doit beaucoup au charisme et à la prestance d'Elliot Jenicot.
Compositeur des Gymnopédies à l'âge de 22 ans ou encore fondateur de l'Eglise métropolitaine d'art de Jésus-Conducteur - dont il sera le seul fidèle, sa seule vie suffirait pour faire une incroyable histoire ; comme l'illustre l'anecdote de sa seule relation intime avec l'artiste peintre Suzanne Valadon, dont il demandera la main, sans succès, le lendemain de leur première nuit (!). Il lui écrira qu'elle le laisse avec "rien, à part une froide solitude qui remplit la tête avec du vide et le cœur avec de la peine".
Celui qui connaît de plus en plus les hommes, et admire de plus en plus les chiens, est ici, dans un hôpital psychiatrique à Honfleur, la ville natale de Monsieur Satie (Elliot Jenicot). Il y fait la connaissance d'Anna, l'infirmière (Anaïs Yazit). Pourquoi diantre avoir voulu y insérer une fiction ? La vie d'Erik Satie est suffisamment romanesque pour éviter qu'une comédie dramatique un peu plate s'y glisse. Toutefois, la mise en scène légère, avec ses illustrations animées (Sulki) en fond de scène et ses moments dansés, offre un bon et sincère moment de théâtre. Là encore, la poésie scénique ne suffit pas à rattraper un texte alambiqué pour pas grand chose. On ne saisit malheureusement pas tout. Certes, il y a certainement une volonté de flouter le réel et la folie pour - patatras ! - dévoiler autre chose qui serait prétendument imprévisible. Cela ne fonctionne malheureusement pas car l'exagération se trouve également dans le jeu de la jolie comédienne qui gagnerait à retenir ses battements de cils intempestifs.
En définitive, la réussite de la pièce doit beaucoup au charisme et à la prestance d'Elliot Jenicot.