- Théâtre contemporain
- Espace 1789
- Saint Ouen
Sopro (Souffle)
Quand le théâtre serait en ruines, quand ne resterait rien des murs, des bureaux, des coulisses, des machines, du décor, quelqu'un subsisterait : le poumon du lieu mais aussi du geste théâtral, le souffleur.
Les voix, les sons, les musiques qui d'habitude habillent la scène sont maintenant en retrait et la respiration du théâtre entier, ce que personne n'entend, pour une fois, est devant. Gardienne de la mémoire et de la continuation, une femme a passé toute sa vie dans ce bâtiment où chaque jour on a joué, où on s'est réuni.
Ce soir, elle souffle ses histoires, des vraies, des fausses, toutes écloses au théâtre. Elle est à vue, en scène. Tiago Rodrigues sort de sa boîte, de sa « maison », ce métier en voie d'extinction et convainc celle qui n'a toujours eu que le bout des doigts sur scène de venir « souffler » une époque disparue. Entrant par elle dans l'âme et la conscience d'un endroit à part, il tente de comprendre comment ce lieu respire et adopte son rythme. En un même mouvement, les comédiens donnent leur timbre au murmure des fantômes que la souffleuse exhale.
On en vient à avant ; avant que le texte existe, avant que la voix porte, dans un jeu d'avant-jeu où le théâtre prend sa grande inspiration.
Au théâtre qui porte notre mémoire.
Cette mémoire incarnée par une souffleuse, vestige d'un monde disparu.
Un monde que Tiago Rodrigues a voulu ramener dans la lumière.
Alors, sur cette scène magnifique, cinq comédiens nous content une histoire que leur souffle tour à tour cette souffleuse.
Où la frontière entre le théâtre et la vie s'estompe.
Où le passé et le présent se confondent.
C'est d'une vérité, d'une sensibilité et d'une humanité incroyable .....
Une fois de plus, l'Art a gagné une bien belle bataille!
Croiser le regard d’Isabel Abreu m’a décontenancé, revoir les acteurs de « Antoine et Cléopâtre » m’a contenté, suivre le parcours de la souffleuse Cristina Vidal m’a ému.
J'ai aimé retrouver des petites touches des pièces précédentes de Tiago Rodrigues, de son amour pour le théâtre (les textes mais aussi les gens qui y travaillent), de sa bienveillance, de sa poésie. J’ai aimé la mise en abyme (« je mets en scène le metteur en scène qui veut mettre en scène la souffleuse ») alors que cela aurait pu paraitre prétentieux, si pas bien fait ; j’ai aimé la fin à tiroirs, parce qu’on n’a pas envie de partir non plus.
C’est d’une beauté, d’une poésie folles. J’ai lu la pièce cet été, donc j’ai pu détacher mon regard des sur-titres et ainsi me concentrer sur ces acteurs admirables, sur le plaisir évident qu’ils ont de jouer ensemble et de cette souffleuse, Cristina Vidal, qui tient son rôle de bout en bout, jusqu’à la dernière seconde.
Elle demande de l'attention, mais ouvre accès à des beautés intellectuelles et formelles bouleversantes.
On entre dans la salle en plein air du Cloître des Carmes, pas de rideau. La scénographie à première vue presque inexistante est en réalité bien réfléchie et déjà pensée dans le texte. En effet, les comédiens font référence à des herbes qui sortent de lattes du parquet c’est ce que nous, spectateurs, voyons sur le plateau.
La souffleuse, Christina Vidal, entre sur le plateau en silence. Elle semble prendre des notes sur le texte qu’elle s’apprête à souffler. Les comédiens entrent progressivement, et elle remplit son office.
Nous pouvons voir ce spectacle comme une forme de méditation sur ce que peut être le théâtre, ce qu’il peut exprimer. La star du spectacle c'est la souffleuse, sans elle il ne peut pas y avoir de spectacle. Il est d’autant plus fort que la souffleuse est une vraie souffleuse, et la jeune première est une jeune première. Tiago Rodrigues met donc réellement dans ce spectacle des personnes que l’on avait jamais vues auparavant sur un plateau. En effet, ce spectacle tout en douceur, plein de poésie, met en lumière les ombres du théâtre.
Il y a des choses que l’on peut et doit chuchoter. Nous n’avons pas besoin de tout crier.