- Théâtre contemporain
- Comédie Française - Théâtre du Vieux-Colombier
- Paris 6ème
Le Voyage de G Mastorna

- Serge Bagdassarian
- Nicolas Lormeau
- Comédie Française - Théâtre du Vieux-Colombier
- 21, rue du Vieux Colombier
- 75006 Paris
- Saint-Sulpice (l.4)
Tisser une fiction dans l’entrelacs de matériaux hétéroclites, tel est l’art de Marie Rémond qui crée ici, en collaboration avec Thomas Quillardet, un spectacle autour d’un film rêvé par Federico Fellini.
Un projet qu’il disait être le plus important de sa vie et que lui-même a rendu mythique. Au sommet de sa gloire, alors qu’il vient de tourner Huit et demi et Juliette des esprits, il s’engage dans ce « thriller métaphysique ». Il y a de la Divine Comédie de Dante dans l’odyssée de Giuseppe Mastorna, violoncelliste de renommée internationale qui, victime d’un accident d’avion, se retrouve dans une sorte de ville-limbes, un au-delà baroque et cauchemardesque. Ne parvenant pas à prouver son identité, « il a perdu le sens le plus authentique de la vie », explique le réalisateur italien qui soumet son « double » à une série d’épreuves kafkaïennes.
Marie Rémond puise dans les multiples traces laissées par le réalisateur : son scénario-synopsis écrit en collaboration avec Dino Buzzati et Brunello Rondi, un documentaire réalisé sur le site des premiers essais, une bande dessinée faite avec le dessinateur Milo Manara. Comme dans son mémorable Comme une pierre qui... au Studio-Théâtre, en 2015, où elle interrogeait déjà l’acte de création mais à travers la figure de Bob Dylan, elle transforme le plateau du Théâtre du Vieux-Colombier en atelier d’artiste, tout à la fois espace intime, zone de discussions et de conflits, aire de jeu avec les acteurs. À l’intrigue incroyable du Voyage de G. Mastorna s’agrègent ainsi l’histoire d’un film aux coûts pharaoniques – le producteur Dino De Laurentiis assignera son ami cinéaste au remboursement –, et celles d’une œuvre maudite, d’un homme qui doute de la vie et de l’art, de son identification excessive à son personnage et à son acteur fétiche Marcello Mastroianni.
Écrire pour le théâtre n'est pas donné à tous, adapter pour le théâtre des textes conçus à d'autres fins constitue le plus casse-gueule des exercices. Mais voilà, cet objet théâtral insolite est un petit bijou; on ne s'ennuie pas un instant.
On peut s'intéresser à Fellini : Serge Bagdassarian, qui l'incarne, est poignant.
On peut aussi s'intéresser au scénario écrit par Fellini : il est troublant. Il m'a rappelé "Bataille au sommet", de Roland Topor. Ou comment concilier cocasserie et questions existentielles sur le vie et la mort.
Ajoutez-y le dispositif bi-frontal désormais habituel au Vieux Colombier et une distribution impeccable (CHACUN des huit acteurs justifierait à lui seul le déplacement); bref; courez-y sans hésiter !
Ce voyage de G. Mastorna, c'est une histoire de cinéma.
C'est avant tout le titre d'un film qui ne s'est jamais fait. Un film de Fédérico Fellini qui n'a jamais vu le jour, malgré un scénario écrit et prêt à être tourné.
Marie Rémond nous a habitués, et elle à tout à fait raison, à porter sur une scène de théâtre des projets originaux, des projets qui ne relèvent pas de la « traditionnelle » dramaturgie. On se souvent de « André », une pièce consacrée au tennisman Agassi, et surtout du formidable « Comme une pierre qui... », au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, ayant pour sujet principal un certain Bob Dylan.
Ici, avec Thomas Quillardet et Aurélien Hamard-Padis, elle s'est focalisée sur quelques jours de répétition consécutifs de ce film « maudit ».
Fellini doute. Pire, ce doute aboutit à une véritable crise existentielle.
Le personnage principal du film interprété par Marcello Mastroianni traversant lui aussi une crise d'identité, on comprend la mise en abyme qui a suscité l'intérêt théâtral de l'entreprise.
Nous assistons aux hésitations, aux angoisses, à la peur panique de la mort, au découragement de l'immense cinéaste.
C'est une véritable quête qui nous est montrée, retrouver l'envie, le désir de faire des films. C'est aussi la confrontation avec un double qui se trouve être également le démon intérieur.
Les auteurs du texte se sont appuyés sur la seule réalisation tangible que Fellini ait produite à partir de son scénario : une bande dessinée éponyme, co-écrite avec l'immense dessinateur italien Milo Manara, éditée en France chez Casterman.
La première partie de ces deux heures est plus réussie que la seconde.
Comme à leur habitude, les comédiens français suscitent l'admiration.
Serge Bagdassarian est un magnifique Fellini, tour à tour drôle, tyrannique, angoissé, jovial, renfermé. Le comédien joue avec une gourmandise évidente le cinéaste italien, dirigeant ses acteurs et ses techniciens. Il réussit petit à petit à nous montrer le doute qui l'envahit, le découragement.
Chapeau ! (A petits careaux, bien entendu...)
Jérémy Lopez, en cheveux longs filasses, est un inénarrable régisseur et assistant (sa façon de soutenir le bras du Maître en train de filmer est hilarante). Il est une nouvelle fois très drôle.
Yoann Gasiorowski, Nicolas Lormeau (Ah ! Le "bébé-accessoire"...) et Alain Lenglet nous amusent également beaucoup. (La scène de la « chaîne de solidarité » est jubilatoire. Je n'en dis pas plus...)
Laurent Laffite est un Marcello lui aussi tout à fait excellent, en subtilité, ou plus en force. Le comédien utilise sa large palette à très bon escient.
Jennifer Decker est parfaite en script-girl on ne peut plus maternante envers son patron. Elle est émouvante à le « pouponner » ainsi. Georgia Scalliet interprète les autres personnages féminins.
Hélas, malgré une idée de départ formidable, ce spectacle m'a laissé sur ma faim.
Bien entendu, il était très difficile voire impossible de recréer la folie et la démesure felliniennes sur un plateau de théâtre. Je ne suis pas certain d'ailleurs que le but de l'entreprise était à proprement parler celui-là.
Mais il y a autre chose.
J'ai trouvé que nous assistions à une succession de petites scènes qui nous font rire, certes, mais sans trop nous concerner globalement. Je ne suis pas vraiment rentré dedans, comme si je restais sur le bord du chemin. Je me suis senti comme perdu au milieu de cette quête de sens.
Le dispositif bi-frontal explique peut-être ceci. Seuls les amateurs inconditionnels de profil de comédiens français et de projections vidéo sur des rideaux de tulle se régalent.
Pour la deuxième fois consécutive, ce dispositif au Vieux-Colombier ne m'a pas du tout convaincu.
Je n'étais pas le seul, si j'en crois les "petits" applaudissements d'hier soir.
Ce sont véritablement les huit comédiens et comédiennes qui, une nouvelle fois, m'ont enthousiasmé. Il faut aller les voir !
Que l'on retrouve bien l'univers du célèbre réalisateur italien !!
Cet univers qui revendique l'absence totale de frontière entre rêve et imaginaire, hallucination et réalité.
Marie Rémond réussit le pari, toujours risqué, de combiner plateau de cinéma et de théâtre. Elle emmène ses comédiens, tous brillants, dans cette aventure onirique.
Serge Bagdassarian est un excellent "Féfé", très convaincant.
Quand à Laurent Lafitte, il est incroyable de mimétisme avec Marcello Mastroianni !!!
Décors et mise en scène intriguent et captivent, le bi frontal étant parfaitement adapté à ce genre de théâtre.
Il y a seulement, comme dans les films du grand cinéaste, un moment où l'on a du mal à suivre l'histoire ....mais même ce moment là exprime parfaitement bien le génie du réalisateur.