- Théâtre contemporain
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La Bonne Âme du Se-Tchouan

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Tout doucement, sans bruit mais en musique, la compagnie Air de lune est devenue l’une des plus populaires de France. Jean Bellorini s’était déjà fait remarquer avec sa Tempête sous un crâne, une adaptation des Misérables pour sept comédiens et deux instrumentistes cosignée avec Camille de la Guillonnière.
Deux ans plus tard, les deux complices récidivent avec Paroles gelées, d’après le Quart Livre, qui a valu à son metteur en scène le Prix de la Révélation Théâtrale 2012 décerné par le Syndicat de la critique. Après Hugo et Rabelais, comment s’attaquera-t-il à Brecht, quelles harmoniques grinçantes lui et ses dix-huit comédiens vont-ils en tirer ?
«Il ne s’agit pas d’être actuel,» confie le metteur en scène, «il s’agit d’être contemporain». Contemporain comme le monde «où la dureté est une valeur qui se nourrit de tous nos égoïsmes».
Les tribulations de la vaillante Shen Té étaient faites pour attirer Bellorini, qui assume franchement son humanisme et son amour des formes populaires, l'essentiel selon lui étant que les artistes puissent s’expliquer directement, au présent, avec le public. Il a été attiré par une fable dont la dimension didactique, selon lui, «a tendance à s’effacer devant le poétique et le lyrique», mais sans disparaître tout à fait.
Pour récompenser Shen Té, la prostituée au grand coeur, les dieux lui offrent de l'argent, mais sans aucun conseil sur la façon de l'employer. C'est qu'apparemment, tout en sachant déchiffrer la vertu cachée dans le cœur de l'homme, les Inspirés ne songent pas à en partager le secret avec nous : qu'un seul être soit bon, voilà un spectacle qui suffit à leur quête, mais ils ne se soucient pas pour autant de rendre meilleur le monde qu'ils ne visitent que pour quelques jours. Or l'humanité, elle, se débat dans un tel monde imparfait : elle n'en a pas d'autre, ni d'autre temps que celui où elle lutte pour sa survie. Comment sortir de la misère quand l'homme est un loup pour l'homme ?
Peut-on préparer l'avenir sans rester sourd à l'urgence du malheur présent ? Brecht pose des questions comme on lance des appels. Entre mélodies de rêve et rumeurs de réalité, Bellorini nous promet un spectacle à la hauteur de telles interrogations : «simple, drôle, et aussi terrible», conduit sur un rythme de bal, dans un esprit de fanfare... et en présence d'un pianiste fou.
Jean Bellorini a été Molière du metteur en scène de théâtre public pour ses pièces La Bonne âme du Se-Tchouan et Paroles Gelées (2014).
Les lumières s'éteignent peu à peu pour ne laisser les spots que sur la scène, qui se met à s'animer : elle le restera 3 longues heures mais qui passeront comme 3 minutes. L'histoire de Shen Té nous tient en haleine durant tout le long, qu'accompagnent avec rythme et dynamisme les chants, la musique et les tribulations des autres personnages.
En décor de carton pâte qui semble montrer la création des dieux comme mal formée, à l'image de ses personnages qui tentent tant bien que mal de survivre dans ce monde.
Une mise en scène remarquable, énergique et flamboyante, où les différents personnages évoluent, grandissent, mais restent humains, ce qui les rend accessibles au spectateur qui se posent les mêmes questions que Shen Té, s'insurge parfois contre son comportement ou contre ceux qui profitent de sa gentillesse. Il y a aussi une certaine colère contre cette création divine qui n'a rien de divin et reste désespérément vulgaire, mais aussi, et avant tout, humaine.
Un très bon jeu d'acteurs, de bonnes musiques, des décors et lumières qui s'accordent tout à fait à la mise en scène... que dire de plus ? Une grande réussite.
Peut être une mention particulière pour le vendeur d'eau : voleur et menteur mais toujours prêt à rendre service, et n'ayant en aucun cas pour but le mal. Mais ce mal ce fait malgré lui : l'homme en général crée sa propre tragédie sans le vouloir,
et les questions du vendeur d'eau, perché en haut de l'échelle tel un petit Pierrot, auprès des dieux, font cruellement apparaître cette injustice et cette fatalité que l'homme subit malgré lui, et peut être même à cause de lui même.
Merci Jean Bellorini pour cet redécouverte du théâtre de Brecht, mais aussi de nous mêmes.