- Théâtre contemporain
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- Paris 20ème
Cavalières
Qui sont-elles ? Et pour qui se prennent-elles ? Se connaissent-elles ? Oui elles se connaissent. Est-ce qu’elles montent à cheval ? Pas toutes probablement. Elles ont en commun d’être très « cavalières » au sens d’avoir un comportement impertinent, insolent, audacieux. Et elles montent facilement sur leurs « grands chevaux ». Il ne faut ni les énerver, ni les brusquer. Elles aiment s’écrire des lettres. Entretiennent une correspondance qu’elles signent souvent « Cavalières ».
Cavalières est la première création d’Isabelle Lafon destinée au Grand théâtre de La Colline, après avoir présenté au Petit théâtre la trilogie des Insoumises (Deux ampoules sur cinq, Let me try et L’Opoponax) en 2016, Vues Lumière en 2019, Les Imprudents en 2022 et Je pars sans moi en 2023.
Je ne la recommanderai pas pour tout le monde.
Quatre femmes vont vivre ensemble dans une collocation. Denise habite une grande maison à côté d’un centre équestre dans lequel elle passe sa vie. Elle met en collocation en sélectionnant selon trois critères : aimer le cheval, s’occuper de Madeleine, la fille de Denise qui est handicapée et ne pas apporter de meubles. Ces quatre femmes, de profils très différents, vont vivre ensemble, s’entendre, soigner leurs blessures ensemble autour des chevaux et de Madeleine. Ces femmes sont toutes à un moment fort de leur vie et cette cohabitation leur permettra d’avancer en solidarité.
La pièce est tendre, drôle. Ces femmes se livrent dans des scénettes et montrent une solidarité. Madeleine est le point central pour certaines, les chevaux pour d’autres. On assiste à la naissance de ce groupe solidaire où des amitiés fortes vont se lier. Rythmé par des scénettes, chacune se reconstruira dans cet univers féminin.
Dans une scène vide seulement gérée par une lumière, les quatre actrices ont une interprétation plaisante. On ressent le plaisir de jouer ensemble.
On passe un agréable moment même si le monde du cheval n’est pas mon univers. La solidarité de ces quatre femmes est touchante.
Denise est entraineuse de chevaux de course. Elle doit s’occuper d’une petite fille, Madeleine, un peu particulière dont elle a été nommée tutrice.
Ne se sentant pas capable de mener à bien cette mission seule et ayant à sa disposition un grand appartement, elle décide de cohabiter avec 3 autres personnes.
Elle passe une annonce, indiquant tout d’abord que les conditions financières seront très inintéressantes, mais elle pose certaines conditions :
Avoir un rapport au cheval. S’occuper de Madeleine. Ne pas apporter de meubles.
Dans l’obscurité, une chanson de Maria Tanase, chanteuse roumaine des années 50, retentit, un couloir de lumière traverse le plateau, apparaissent quatre femmes, nos quatre cavalières.
Denise ‘Isabelle Lafon’ est une passionné du monde équestre, elle connait parfaitement le milieu du cheval: les entraineurs, les jockeys, les palefreniers, les parieurs…Elle est entraineuse que l’on nomme aussi ‘metteur au point‘ … Entraineuse de trotteurs, le monde des bouseux, les gens de la boue nous dit-elle.
Jeanne ‘Sarah Brannens’ est intéressée par beaucoup de chose à la fois et pose beaucoup de questions. Elle travaille dans un bar et dévore les livres. Est-ce que les livres sont considérés comme des meubles ? demandera-t-elle.
Saskia ‘Johanna Korthals Altes’ est danoise et ingénieur dans le ciment. C’est une cavalière passionnée de Nuno Oliveira, 'Écuyer portugais mort en 1989, considéré comme le plus grand maître de l'art équestre'.
Nora, ‘Karyll Elgrichi’ est secrète, pas très rassuré avec les chevaux, médiatrice auprès d’enfants délinquants, plus tard elle nous éclairera sur les établissements pénitentiaires pour mineurs.
Quatre mondes qui se confrontent, quatre femmes très différentes, se sont des cavalières qui osent tenter cette expérience, elles sont culottées, n’ont pas peur de partir. "Quand la vie est là, il faut l'attraper" nous dira l'une d'elle.
Ces quatre femmes ont des relations épistolaires importantes qui ouvrent un autre espace, un autre monde que le dialogue ou le monologue. Elles nous lisent leurs lettres imaginaires puis les envoient dans les airs avec un geste énergique et un petit sifflement comme le font les enfants avec un avion de papier. C'est amusant et éloquent.
Comme un cheval qui se rue, tout à coup, elles s’échappent par intermittence, glissent hors du contexte et nous content leur histoire, leurs secrets, leurs colères, leurs certitudes et leurs inquiétudes. Elles nous interpellent et nous questionnent... un stand-up chevalin.
Où est donc la normalité?
Que sait on des gens, même ceux que l'on voit tous les jours?
Toutes quatre sont à un carrefour de leur vie. C’est captivant et émouvant.
Denise, Jeanne, Saskia et Nora, nos cavalières aux comportement audacieux, forment autour de Madeleine cette petite fille aux gestes lents, une famille nouvelle, quatre papas ou quatre maman qui l’entourent et prennent soin d'elle. C’est bien plus qu’une cohabitation, une tentative, une brèche, un nouveau chemin.
Tous les chemins peuvent mener au mieux y compris ceux qui passent par le pire. [...] Vous dire que chaque moment est un carrefour de «pistes » possibles. Le geste qui permet…il n’est jamais « une fois pour toutes ». C’est le moment qui importe avec toutes ses composantes, sacrés fouillis. De plus si je vous dis que chaque moment est unique, C’est plutôt gênant de trouver la clef passe-partout.
Un sentiment de liberté émane de la mise en scène d'Isabelle Lafon , nous avons l’impression que le texte se crée sous nos yeux tant les comédiennes sont investies et naturelles, elles s’élancent et improvisent des histoires qui leur sont chères. C’est explosif, fougueux, elles n’ont point peur de se monter à nu.
« Je n’ai point peur de la sentimentalité ni d’une forme de sincérité » Denise
Les beaux jeux de lumière de Laurent Schneegans intensifient les émotions.
Un texte riche et profondément humain interprété par de fabuleuses et talentueuses comédiennes.
Le seul de mes regrets est que ce texte ne soit pas encore édité car j’aurai grand plaisir à me plonger dedans.