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Anne-Marie la Beauté
Anne-Marie Mille n’avait pas le physique pour le cinéma, comme elle le dit elle-même. La consécration dont rêvent les acteurs, c’est son amie des débuts Giselle Fayolle qui l’a connue.
À la mort de Giselle, Anne-Marie évoque leur vie : l’enfance à Saint-Sourd dans le Nord, la chambre de la rue des Rondeaux, le Théâtre de Clichy, les personnages qu’elles ont incarnés, la gloire et la banalité domestique.
Anne-Marie nous dit le chagrin et la joie d’une vie de théâtre, la froideur des lumières et des murs sans mémoire. C’est aussi un hymne aux obscurs qui ont cru en leur étoile, aux oubliés qui ont brillé pour quelques-uns. Avec Anne-Marie la Beauté, André Marcon et Yasmina Reza poursuivent une collaboration commencée avec Une pièce espagnole.
C’est la cinquième fois qu’ils se retrouvent pour une création. « Il fait partie de mon écriture », dit-elle de lui.
Dans la pénombre apparait Anne-Marie Mille assise sur son Récamier, ancienne actrice peu connue, s’étant contentée de second rôle à la différence de son amie Giselle Fayolle qui vient de disparaitre.
La mort de Giselle la plonge dans ses souvenirs, « elle pose sa valise »
Anne-Marie va nous conter son enfance évoquant sa mère disant qu’elle n’avait point le physique pour être comédienne.
Puis son histoire avec le théâtre, ses débuts dans son village à Saint-Sourd dans le Nord de la France avec une troupe dont tous les noms sont restés gravés dans sa mémoire.
Plus tard, son arrivée à Paris dans sa petite chambre prés du cimetière du Père Lachaise. C’est l’époque où qu’elle rencontra son amie Giselle Fayolle au théâtre de Clichy.
Gisèle avait une beauté extérieure, elle était nonchalante, souvent allongée dans sur son canapé jouant avec sa belle chevelure, tous les hommes lui tournés autour. Gisele a eu son temps de gloire au théâtre et au cinéma.
Gisèle était son amie, sa seule amie. Elle évoque ses souvenirs avec tendresse et nostalgie.
Photo-_Simon_Gosselin_
Anne-Marie Mille évoque sa vie de comédienne, contrairement à son amie Gisèle, Anne Marie n’a jamais eu de premier rôle, elle a joué dans l’ombre mais Anne -Marie a aimé sa vie. Le théâtre, c’était sa vie, c’était elle. La joie est grandiose d’être sur une scène même pour un petit rôle…Anne-Marie nous conte sa vie avec tendresse, nostalgie mais aussi beaucoup humour.
La mise en scène est sobre et élégante. La scénographie Emmanuel Clolus est magnifique. Au centre du plateau un Récamier sur lequel git un sac à main, coté cour une paire d’escarpin oubliée…Sur les murs sont projetés par intermittence des tableaux de personnages perdus dans le brouillard du passé conçus spécialement pour ce spectacle par Örjan Wikström, c’est enveloppant et émouvant.
Les confidences d’Anne-Marie sont entre coupées par la musique Laurent Durupt d’après Bach et Brahms au piano c’est transperçant.
Photo-_Simon_Gosselin_
André Macron nous ensorcelle, dès le premier instant nous avons devant les yeux Anne-Marie qui préfère mettre ses chaussons plus confortables que ses escarpins gisants un peu plus loin. Attention ce sont des Furlana Vénitiennes (portés par les gondoliers aux XVIIIe) et elle en possède plusieurs couleurs…
André Macron joue avec une extrême justesse, il nous émeut, nous captive et nous réjouit.
Ce texte de Yasmina Reza est plein de beauté, d’humanité et de poésie.
Magnifique moment de théâtre.
Dans son premier monologue théâtral paru en janvier 2020 chez Flammarion, l’écrivaine prix Renaudot 2016 nous présente un personnage à la fois haut en couleurs et attendrissant.
Anne-Marie Mille désormais âgée était actrice. Naguère.
Une actrice qui n’a jamais vraiment connu une gloire étincelante, abonnée aux seconds voire troisièmes rôles et plus si pas d’affinités, à la différence de sa meilleure amie, Gisèle Fayolle, son amie des débuts. Sa seule amie.
Frasques, amants qui « tournicotaient comme des mouches », mère à 23 ans d’une fille dont elle ne voulait pas connaître le père, parce que de toute façon « il me fera chier », la Gisèle était une sacrée nature !
Mais voilà, elle vient de mourir.
Anne-Marie, est encore plus seule que d’habitude. Elle donne une interview.
Dans cette délicate ode au théâtre, l’auteure-metteure en scène va faire se raconter Anne-Marie, qui va nous parler de son enfance, à Saint-Sourd, dans le Nord, de la chambre des Rondeaux, du théâtre de Clichy, des personnages que Gisèle et elle-même ont interprétés.
Elle va nous décrire également l’enterrement de son amie.
Un monologue, donc, émouvant et drôle, délicat et féroce, d’un personnage dont on sent immédiatement l’amour que lui porte Yasmina Reza.
Une femme jouée par un homme.
Une actrice interprétée par un comédien.
Deux principales raisons à cela.
Tout d’abord ces deux-là se connaissent bien.
C’est la cinquième fois que Yasmina Reza demande à André Marcon de participer à la création de l’une de ses pièces : Une pièce espagnole, (mise en scène de Luc Bondy), Dans le luge d’Arthur Schopenhauer (Frédéric Bélier Garcia), Le Dieu du Carnage, et Comment vous racontez la partie, ces deux dernières étant mises en scène par l’auteure.
Anne-Marie la beauté est d’ailleurs dédiée au comédien.
Deuxième raison, Yasmina Reza n’imaginait pas « Anne-Marie Mille incarnée par une actrice qui prêterait son visage et, qu’on le veuille ou non du fait de l’âge, son propre destin. »
Et puis, pour elle, le travestissement lui a donné « de l’élan et une liberté que je n’aurai pas eue autrement. »
Et moi, j’en rajoute une troisième : André Marcon peut tout faire !
Cette fois-ci encore, l’extra-ordinaire comédien va nous prodiguer une véritable leçon de théâtre.
De façon très douce, avec un rythme et une diction posés, avec parfois des envolées plus musclées, son personnage va raconter, décrire, va nous dire le vécu de cette femme de l’ombre, aux côtés d’une amie plus brillante, plus extravertie qu’elle.
Il est parfaitement parvenu à restituer l’humour du texte, le côté parfois « vachard » d’Anne-Marie, qui ne mâche pas ses mots.
Sa vérité, elle l’a dit sans autre forme de procès, parfois crûment.
De grands moments très drôles nous attendent, comme par exemple la narration de l’enterrement.
Des scènes plus émouvantes
Nous sommes suspendus à ses dires, à ce qu’iel nous raconte de façon passionnante.
« J’aimais dire les mots », confie le personnage. Il est évidement que pour M. Marcon, cet amour des mots est le même. Mais ça, nous le savons depuis fort longtemps.
Sur les murs gris de la scénographie que l’on doit à Emmanuel Clolus, viennent s’afficher par moments des peinture de l’artiste suédois Örjan Wikström. Des silhouettes noires sans visage, comme un autre hommage aux sans-grades du théâtre.
Laurent Durupt a composé une musique au piano d’après Bach et Brahms, qui souligne parfaitement le côté un peu nostalgique du propos.
Durant cette heure et quart, à côté d’une méridienne, Anne-Marie-André va s’habiller, tout en parlant.
A quelle occasion s’apprête-t-elle, troquant ses pantoufles vénitiennes vermillon pour des Salomé grisâtres, avant de disparaître par l’ouverture noire au lointain ?
Un départ définitif de la grande scène du monde ?
Au préalable, le personnage aura néanmoins redit le noms de ses illustres camarades, à jamais inconnus théâtreux.
Comme un dernier hommage.
Ne manquez pas cette reprise de cette pièce, créée en Mars 2020, et arrêtée pour les raisons sanitaires que l’on sait.
Une ode au théâtre, un cri d’amour à un personnage et à un comédien.