Critiques pour l'événement Voyage dans les mémoires d’un fou
12 mai 2019
10/10
9
« Voyages dans les mémoires d’un fou » de, avec et mis en scène par Lionel Cecilio au théâtre Essaïon, un voyage qui nous rappelle qu’il ne faut pas oublier de vivre !

Un seul en scène d’une rare intensité, prodigieusement intelligent, d’une magnifique écriture, d’une sensibilité et d’une drôlerie qui vous envoient au tapis KO.

Nous sommes les témoins involontaires ou pas de la dernière nuit d’un jeune homme atteint d’une maladie incurable qui couche sur le papier ses mémoires ; ses mémoires d’un fou : mais qui est le fou ? Lui ? Vous ? Nous ?
Il s’adresse à un lecteur imaginaire qui se matérialise par le spectateur que nous sommes, brisant ainsi le quatrième mur, mais vous l’aurez compris un spectateur qui n’a pas le droit de réponse, alors écoutons.

Quelques notes de musique s’envolent d’un violoncelle et notre personnage fait son entrée par une porte où une belle lumière s’échappe ainsi qu’une conversation, surtout qu’on ne le dérange pas, il va, le temps d’une nuit, s’attabler et écrire.
Une simple table, avec une plume, son encrier et une bougie qui sera allumée et éteinte au gré de l’avancement de la soirée. Une odeur de soufre viendra chatouiller nos narines lors du grattage de l’allumette, renforçant ainsi l’atmosphère d’une époque révolue. Un seul en scène qui aurait très bien pu se passer au XIXe siècle, siècle où vécut Gustave Flaubert, dont des passages de ses « Mémoires d’un fou » parsèmeront le récit de ce jeune malade.

Lionel Cecilio ce magicien des mots, s’empare de la scène avec une telle présence qu’il nous est impossible de décrocher notre regard du sien jusqu’à la nuit tombée. Un rythme effréné pour nous faire vivre les dernières heures de ce jeune homme dans un récit qui n’est pas du tout macabre mais qui au contraire est rempli de poésie, passant sans frontière, sans complaisance du rire à l’émotion pure. Doté d’une technicité remarquable, quand il chuchote ou quand il s’emporte, aucun mot, aucune parole ne nous échappe. Il est impressionnant de vérité ; sa sincérité de jeu est à la fois émouvante et bienveillante : il est profondément humain.

« Enfant, j’avais mal à l’être, jeune homme mal au cœur, et à présent adulte j’ai mal au corps. »

Toute une galerie de personnages viendra construire ce récit. Des personnages qui ne manqueront pas de nous toucher ou de nous déclencher des rires libérateurs.
Lionel Cecilio, à la plastique et l’aisance d’un félin, sait parfaitement prendre la posture d’un professeur ou d’un médecin plus vrai que nature. On rit bien volontiers de ses pitreries entre deux moments de tension, des moments où la santé du jeune homme se dégrade et le conduit vers l’inexorable.
Nous sommes enivrés par les jeux de mots qui auraient certainement plu à Raymond Devos. D’ailleurs il faudrait venir plusieurs fois voir le spectacle pour en apprécier toute leur intensité.
Comment ne pas rire par exemple lors du duo entre Albert Einstein et Dieu où il met en doute sa toute puissance, ou encore lors de la scène de la messe avec la conception de Jésus et le travail des croix de Joseph.
Tout comme également la scène avec la bonne portugaise où la prononciation des lettres sème la confusion : un problème de vocabulaire.
Dans des moments partagés entre le passé, l’enfance, le présent et un futur impossible ; un jeune homme se débat, sa mémoire s’emmêle, s’emballe, qui nous fait part de son ennui, d’une liberté recherchée, mais qui aussi exprime sa colère, sa révolte devant tant d’injustice allant jusqu’à la folie, l’évasion pour finir dans l’abandon. Qu’est-ce que la vie ?

« La société nous enseigne que les larmes ne nourrissent aucun sentiment. Les cimetières sont les seuls jardins arrosés uniquement des larmes des hommes et il n’y pousse que des pierres, du marbre, la plus froide d’entre elles. »

Surtout ne vous arrêtez pas au titre du spectacle, Lionel Cecilio est exceptionnel dans son seul en scène. Une performance qu’il ne faut absolument pas rater.
Il s’est entouré de passionnés qui ont su habilement mettre dans la lumière tout son talent de poète, de comédien : Lucien Pesnot pour la musique, Johanna Boyer-Dilolo pour les lumières et Sylviane Bauer-Motti pour les chorégraphies.

Un véritable coup de cœur !
21 juil. 2016
10/10
28
J’avais manqué le spectacle à Paris faute de temps, et c’est avec plaisir de je suis allée enfin découvrir ce spectacle, dont j’entendais de nombreux éloges, lors de ma venue au Festival d’Avignon. Eh bien, j’ai pris une magnifique claque théâtrale !

« Voyage dans les mémoires d’un fou », c’est une brillante performance proposée sous forme d’un seul-en-scène écrit et interprété par Lionel Cecilio qui mènera ici une réflexion profonde, poétique et touchante sur la vie, quelques questions existentielles et absurdités de notre société actuelle. Voici une merveilleuse leçon de vie et de la notion de courage, de la nécessité de croire en soi et en ce que la vie peut nous apporter de positif.

Au travers d’une critique de la médiocrité humaine et à l’aide de quelques personnages, d’un jeu d’acteur bluffant et saisissant, de jeux de lumières, d'une énergie folle, c’est avec une écriture sublime d’une grande finesse et justesse et qui pousse à la réflexion, que le comédien nous tiendra en haleine tout au long de la représentation.

« Voyage dans les mémoires d’un fou » est un petit bijou théâtral qui nous fait sourire, rire, nous émeut, et surtout qui ne laisse pas indifférent, l’un de mes coups de cœur de cette édition du Festival d’Avignon.
15 juil. 2016
8/10
43
C’est un seul-en-scène impressionnant : Lionel Cecilio campe une multitude de personnage avec une aisance exemplaire. Du médecin fataliste à l’enfant naïf ou à la femme de ménage portugaise, le comédien sait tout faire, et c’est bluffant. Quant au texte, il est tantôt incisif, parfois drôle et surtout puissant. La mise en scène apporte au spectacle une dimension intemporelle : visuelle et sonore, elle transporte le spectateur dans ce voyage fou. C’est « une dimension parallèle comme un rêve, dont on ne prend conscience que lorsque l’on en sort en se réveillant » précise l’auteur et metteur en scène. Un voyage à travers la vie, un voyage vers la mort et l’espoir de ne plus souffrir.

Voyage dans les mémoires d’un fou est un spectacle intelligent, émouvant, drôle et poétique à la fois. Une vraie performance d’acteur comme on n’a pas l’habitude d’en voir.
24 avr. 2016
9/10
56
Le jeune homme de vingt ans, assis à son petit bureau de bois et tenant d’une main habile sa plume d’oie, vient d’apprendre que son corps est atteint par une maladie rare, incurable et mortelle.

Faisant d’un lecteur imaginaire le dépositaire des mémoires de sa courte vie, il nous livre un récit subtil, tour à tour drôle et touchant, hilarant et réflexif, à la manière de l’existence qui sait se construire autour de ces différentes émotions qui s’entrechoquent dans notre quotidien. Les souvenirs lui reviennent et reprennent forme sous nos yeux, se mêlant à des réflexions philosophiques voire ésotériques d’une vie qui lui échappe de plus en plus. Au départ, sa prise de notes quotidiennes s’attache à rédiger les mémoires d’une maladie qui occupe son corps et à inscrire sur son journal intime l’échelle de sa douleur de 1 à 10. Mais très vite, il transmet au lecteur « tout ce qui se passe dans la pensée et dans l’âme », lui le spectateur d’un monde incompréhensible en marge duquel il survit.

Souvenirs, anecdotes ou conseils se bousculent au bout de sa plume, comme une urgence de tout coucher sur le papier : « Appliquez-vous dans vos erreurs, les gens ne se souviendront que de vos faux-pas ». Des divagations tendres et loufoques, justes et pertinentes, qui se déroulent avec une belle fluidité.

« Le visage sans ride et le cœur sans passion », le personnage s’évade par la pensée. Lui qui aimait les mots et les sonorités, il fait de son texte un formidable témoignage d’un amour sans fin pour ces assemblages de lettres dont il se joue, s’appuyant sur leur sens ou les faux amis pour une savoureuse logorrhée. Les mots, dit-il, sont comme des femmes : « ils sont bruyants, ils ne veulent pas toujours dire ce que l’on pense qu’ils veulent dire mais ils donnent du sens aux choses [...] et on ne peut pas vivre sans ». Lionel Cecilio, seul en scène, s’appuie sur les mots et peint toute une galerie de personnages qui vivent à jamais dans son esprit. Le duo imaginé entre Dieu et Albert Einstein est particulièrement savoureux, tout comme l’intervention de Jeanne d’Arc qui veut descendre (et qui verra son vœu exaucé sur le bûcher), tandis que le discours de l’entraîneur de boxe, juste, sensible et touchant, nous arrachera quelques larmes furtives. Grâce à un éclairage changeant, les tableaux se succèdent, suivant le fil de ses souvenirs inscrivant dans la mémoire du lecteur chaque étape importante de la vie du jeune homme. Nous le revoyons enfant, curieux de comprendre le monde qui l’entoure, chérissant son ennui et se heurtant à la responsable de l’étude : « le rêve peuplait mon ennui et mon ennui nourrissait mon esprit » avoue-t-il.

L’éducatrice abonnée à la pensée unique reste perplexe face à ce passionné des mots, conscient qu’ils se jouent peut-être plus de nous que nous avec eux. Nous assistons, médusés et amusés, à sa découverte du frantugais, une langue en forme de clin d’œil, à mi-chemin entre les deux origines de Lionel Cecilio, où les faux amis et les jeux de mots forment un nouvel horizon pour le jeune malade qui devient de plus en plus immobile, prisonnier d’un corps en pleine solidification jusqu’à ce que la cage qui le retient ne se brise.

Exclu de l’Eglise où son questionnement est rejeté dans un monde où la pensée unique doit régner, l’écrivain de ses mémoires choisit le rêve comme échappatoire. Dès sa plus tendre enfance, il interrogeait son père sur des sujets irrationnels : « Si l’on est vieux sans être grand, alors on est fou ? » s’enquiert-il ? « Non, on est libre ! » s’entend-il comme toute réponse. En effet, ce n’est pas dans les mémoires d’un fou que nous voyageons mais dans celles d’un homme libre, loin du monde qui le rejette mais tellement près de ce qui fait l’essentiel d’une plénitude puisqu’il « y a du génie dans le malentendu ». Alors, exclu de tous, il finit par se tourner vers la communauté du théâtre, où il est fou parmi les fous pour ne plus l’être. Et comme sur scène, on ne meurt pas, il se garantit un billet en première classe pour l’éternité. Mais rien n’existe si l’on n’y croit pas. Alors, à l’heure de sa mort, il veut vivre et croire encore puisque « le poète n’est pas fou, il est prophète, il est libre ».

Lionel Cecilio nous présente un seul-en-scène poétique, sincère, marquant et plein de vie, dans les dédales d’un esprit vif et libre. Il « tente de combattre l’absurde et de comprendre le non-sens » avec une écriture incisive et largement maîtrisée, intelligible et talentueuse dans les fourberies linguistiques et la manipulation des mots, des sonorités, des sens. Un merveilleux voyage au cœur du langage, berceau de l’existence de l’esprit. Et comme le dit si bien l’un des personnages, « c’est quand tu commences à prendre conscience de la mort que tu apprécies la vie ». De notre côté, nous avons pleinement adhéré à la proposition scénique de Lionel Cecilio, formidable interprète d’un fou d’amour et de vie.
21 avr. 2016
8,5/10
77
Lionel Cécilio donnait il y a quelques années une lecture publique de L’éducation sentimentale et à cette occasion découvrait le premier roman de Flaubert, Mémoires d’un fou.

Les premières phrases du récit de Flaubert seront donc les premières phrases de ce voyage vers d’autres mémoires, celles d’un jeune homme de notre siècle qui apprend qu’il va mourir. Dans une atmosphère propre au romantisme flaubertien des débuts (chandelle, plume, encrier…), Lionel Cécilio va « écraser le bec à un paquet de plumes » et se lancer dans les mémoires d’un jeune homme qui aimait la vie.

« Je veux descendre ! – Ah c’est bon tu vas en avoir ! »

Avec pour seuls outils son corps et sa voix, le comédien devient transformiste et se démultiplie en une galerie de personnages picaresques (institutrice acariâtre, prêtre, coach sportif, médecin, psy, Einstein ou Dieu lui-même, voire Jeanne d’Arc …). Ces portraits subtils et cocasses balisent le récit de touches d’humour pimentées qui surviennent souvent au détour d’une phrase (l’échange entre Dieu et Einstein est hilarant, tout comme l’échange entre Jeanne d’Arc et le jeune homme). Et au-delà de l’humour surprenant, inattendu de l’écriture très ciselée, se révèle un texte qui aborde des réflexions plus profondes et touchantes sur l’humanité, ses contradictions, sur la vie, la mort, nos croyances et nos peurs.

Voyage dans les mémoires d’un fou mélange donc avec malice absurdité et réalisme, poésie, humour et gravité. Lionel Cécilio joue avec son corps comme avec les mots, avec les lumières, avec les spectateurs comme avec la Vie.

« Je vais donc écrire l’histoire de ma vie. — Quelle vie ! Mais ai-je vécu ? Je suis jeune, j’ai le visage sans ride et le cœur sans passion. »

Une chose est sûre, Lionel Cécilio est jeune et son cœur empli de passions.