Critiques pour l'événement Un mois à la campagne
19 avr. 2018
9,5/10
66
Vertiges de l'amour !!

Il y a Rakitine qui aime Natalia, Natalia qui aime Alexeï, Véra qui aime aussi Alexeï, qui lui n'aime personne, à moins que ....

Il y a Michel Vinaver et Alain Françon qui s'emparent du texte, l'un le retraduit et l'éclaire, l'autre le met en scène et l'illumine !

Dans un décor tout en raffinement et en simplicité, où le sentiment amoureux est au centre de tout et de tous, les coeurs s'affrontent. Souffrances, joie et cruauté, rires et larmes, complicité et rivalités, jalousie et amitiés.

L'ennui et la langueur règnent sur cette propriété campagnarde, aussi bien que sur ses occupants. Quand un jeune homme débarque, plein de vie et de passion, il bouscule tous ces coeurs engourdis, réveille en eux des sentiments enfouis, révèle entre eux des liens secrets ou inavoués.

Anouk Grinberg, géniale Natalia qui passe d'un sentiment à l'autre en quelques secondes !
Micha Lescot, impressionnant de dignité, de pudeur, et de retenue !
Les comédiens qui les entourent sont tous formidables, mention spéciale au docteur qui nous a bien fait rire.

Si le bonheur n'est pas dans le pré, je vous promet qu'il était dans la salle hier soir !
28 mars 2018
8/10
69
Ecrite en 1850 par Ivan Tourgueniev, la pièce refusée par la censure à plusieurs reprises ne sera jouée pour la première fois à Moscou en 1909 après le décès de son auteur dans une mise en scène de Stanislavski.
En France il faut attendre 1963 pour qu'André Barsacq la monte au théâtre de l'Atelier avec Delphine Seyrig (Natalia Petrovna), et Jacques François (Rakitine). Plus récemment Isabelle Huppert et Valéria Bruni-Tedeschi ont aussi joué Natalia.
Le temps d'un été, Natalia Petrovna passe ses vacances en famille à la campagne avec sa mère, son mari,son fils, sa pupille (Vera), un ami (Rakitine) quelques autres personnages, et un jeune précepteur récemment engagé (Alexeï) qui sera le déclencheur de tous les événements de la pièce.
Jeune, cultivé et séduisant, il ne tarde pas à semer le trouble bien malgré lui.
Pour Vera ce sera la découverte des premiers émois, pour Natalia un embrasement qui va les rendre rivales, au détriment de Rakitine confident et amoureux silencieux.
Au terme de ce mois, Alexeï constatant ce qu'il a provoqué décidera de partir, Vera d'épouser un homme âgé et riche qui lui assurera une position sociale, Natalia de retrouver le cours de sa vie d'avant.
Dans une nouvelle adaptation de Michel Vinaver, c'est Alain Françon qui met en scène, une belle mise en scène qui fait ressortir les tourments amoureux des personnages et met en valeur le texte et les comédiens parfaitement dirigés
Natalia c'est Anouk Grinberg, avec sa voix et son phrasé si particulier, elle donne à son personnage un mélange d'autorité et de fragilité.
Micha Lescot est Alexeï amoureux silencieux et evincé est tout en retenue.
La vraie révélation pour moi c'est India Hair vue très souvent au cinéma, qui passe de la jeune fille de 17 ans bouleversée par un premier amour, rivale malheureuse de sa tutrice, à la femme qui décide de prendre sa vie en main à la fin de la pièce, elle est épatante.
Il faudrait tous les citer car ils sont très bien Catherine Ferran, Laurence Côte, Nicolas Avinée...
Il y a aussi un joli décor de Jacques Gabel avec des panneaux coulissants et une toile de fond blanche avec des taches de couleurs pour représenter un jardin à la campagne. Et les costumes intemporels de Marie La Roca.
Une belle réussite et un beau moment de théâtre.
17 mars 2018
9/10
33
Un mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev.
« Cœurs brisé amitié rompue »
Mise en scène par Alain Françon, interprétée par « le théâtre des nuages de neige » sa compagnie. Créée en 2010.
Alain Françon nous transporte avec une grande délicatesse, élégance et limpidité dans ce théâtre russe mélancolique et joyeux qui décrit les âmes humaines avec profondeur et compassion.
Natalia Petrovna s’ennuie à la campagne, menant une vie calme et sereine, entourée de son époux brave propriétaire terrien et de son ami et confident le poète Mikhaïl Rakitine.
Un jeune garçon Alexeï Beliaev précepteur de son fils va bouleverser sa vie. Nathalia découvre la passion amoureuse qui vous ébranle et vous fait perdre la raison.
Cet amour impossible va rencontrer au détour des chemins bien des obstacles…
Les sentiments vont se contredire à travers cet amour interdit, ce coup de foudre fulgurant :
**Mensonge et sincérité.
**Cruauté et tendresse
Les comédiens nous transportent dans ce drame amoureux avec profondeur et sensualité. Ils nous émeuvent et nous enchantent.
17 mars 2018
8/10
25
Soirée de virtuoses.
Traduction fine, limpide.


Le seul point négatif est la salle où on peut très mal tomber et ne rien voir.

Sur scène, tout était parfait.
15 mars 2018
10/10
35
Tourgueniev, Françon, Vinaver, Grinberg, Lescot, Avinée, Ferran, Côte et les autres...
Avouez que c'est une affiche qui fait rêver, non ?

Dans le cas présent, il n'y a pas que l'affiche.
Ce que j'ai vu hier soir au Déjazet relève, comment dire, de la perfection pure et simple.

Un moment de grâce, un moment durant lequel le théâtre vous absorbe, vous happe, vous exfiltre de votre maussade quotidien.

Alain Françon nous offre (je ne vois pas d'autre verbe possible...) deux heures sublimes de délicatesse, de subtilité et d'élégance.

Sa mise en scène de cette pièce censurée une quinzaine d'années à sa sortie, bénéficie dans un premier temps de l'excellente traduction de Michel Vinaver.

Le texte est actuel, contemporain, vif et drôle.

La réussite de Françon est tellement manifeste que très vite j'ai oublié où j'étais.

Oublié le théâtre ! Sur le plateau, c'est la vie en Russie dans la deuxième moitié du XIXème siècle qui se déroule.

On ne nous raconte plus une histoire, nous sommes au milieu de ces bourgeois, au milieu du domaine familial, nous vivons avec eux leurs tourments, leurs passions plus ou moins contrariées.

Tout au long de ces deux heures enchanteresses, les tensions émotionnelles, les non-dits amoureux, les difficultés d'aimer à sa guise pour une femme mariée, tout ceci va nous passionner.

Natalia Petrovna est en effet amoureuse du tout nouveau, jeune et beau précepteur de son fils.
« Prise en tenailles » entre son mari et un poète invité qui aimerait être beaucoup plus que son sigisbée, (Tourgueniev se projetait dans ce personnage, lui-même amoureux fou d'une chanteuse mariée), elle se débat dans les affres de l'amour contrarié.

Annick Grinberg est cette Natalia Patrovna-là.
Elle est époustouflante. En grande amoureuse, elle incarne la passion de l'âme russe , avec les atermoiements et les déchirements qui vont avec.
De sa voix et de sa diction reconnaissables entre toutes, elle nous donne un récital. Une cantatrice des mots. Toutes ses répliques sont un régal de précision et d'intensité.
Un pur bonheur que de la voir et de l'écouter.

Rakitine, c'est Micha Lescot.
Grand, mince, élégant tel un dandy en villégiature, dans un magnifique costume trois-pièces, un rien désinvolte, sur un ton un peu hautain, condescendant, le comédien étincelle dans une partition axée dans le registre des amours contrariées.

Nicolas Avinée, une fois de plus, nous enchante également en Beliaev, précepteur tout en jeunesse fougueuse.

Catherine Ferran , sociétaire honoraire de la Comédie Française est une Anna Semionovna impressionnante.

Son regard à la toute fin de la pièce, dans un très long et très délicat fondu au noir est magnifique.

Jean-Claude Bolle-Redat déclenche aussi bien des rires en Bolchinstov, lui aussi amoureux transi n'osant pas déclarer sa flamme.

Laurence Côte est une Lizaveta de bien belle tenue.

Quant à la toute jeune India Hair, elle campe Véra Alexandrovna, la fille de la maison. Elle réussit à jouer à la fois la candeur, l'innocence mais aussi une forme de duperie qui caractérise cette jeune fille au sortir de l'adolescence.
Une bien belle prestation, également.

A noter que Maryse Estier, élève-metteur en scène à la Comédie française l'an passé, et qui va donner ces jours-ci sa première mise en scène au à la Comédie de Genève, Maryse Estier assistait Alain Françon.

Il me faut mentionner également les beaux décors tout en rigueur et en suggestion de Jacques Gabel.

Ne manquez donc surtout pas ce mois à la campagne et au théâtre Déjazet.
Ce magnifique spectacle, ce moment admirable de théâtre est une sortie incontournable de cette fin d'hiver.
14 mars 2018
9,5/10
15
Un spectacle grandiose et beau, très finement joué. Incontournable rendez-vous théâtral de la saison.
14 janv. 2018
9,5/10
12
Critiquer un spectacle d’Alain Françon est toujours quelque chose de délicat pour moi. J’ai l’impression de critiquer à la fois un chef-d’oeuvre et quelque chose de très simple, entre intime et sobriété. Lorsque j’ai vu Fin de Partie, j’avais 16 ans, je me souviens que je me suis sentie comme scotchée à mon siège. Il avait ouvert une nouvelle dimension sur scène, comme le peintre qui ajoute une touche finale à son tableau, comme le joueur qui façonne son Golem et qui voit briller la lumière de la vie dans ses yeux : Françon, lui, ajoute cette âme indescriptible qui laisse une impression forte et laisse des traces visibles, du coeur au cerveau.

Un mois à la campagne signe donc ma rencontre avec Tourgueniev. Dans le titre autant que chez le dramaturge, impossible de ne pas penser à Tchekhov – qui s’est d’ailleurs beaucoup inspiré de Tourgueniev – et cette pièce a des résonances russes indéniables : la manière d’étirer le temps, de montrer ainsi une tranche de vie sans action véritable mais simplement à travers les êtres et leurs relations est une chose que je n’ai encore rencontrée que chez eux. Ici, on se retrouve chez Natalia Petrovna qui semble un peu s’ennuyer, délaissée par son mari et ayant pour principale compagnie Mikhaïl Aleksandrovitch Rakitine, un intellectuel épris d’elle mais qui ne parvient pas à la sortir de son morne quotidien. C’est Alekseï Nikolaïevitch Belyaev, le nouveau tuteur de Kolia, le fils de Natalia Petrovna, qui va amener la lumière qui manquait à sa vie ; pour la première fois, elle va tomber amoureuse.

On entend souvent dire de Françon qu’il est un metteur en scène classique. J’ai surtout l’impression que ce qui fait de lui un metteur en scène traditionnel – allez disons-le carrément : ringard ! dépassé ! – est qu’il rend le texte limpide. Il se met entièrement au service du texte qu’il sert et tout son art part de là, sans s’embarrasser inutilement des gadgets à la mode qui pourraient faire bien sur une scène de théâtre. Ainsi les noms des personnages souvent compliqués dans les pièces russes deviennent rapidement familiers, ainsi aucun artifice de mise en scène, aucun rajout, aucune « idée révolutionnaire », ainsi la vie prend forme sur scène de la manière la plus naturelle et la plus percutante qui soit. Cette tendance à la simplicité se perd et ces mises en scène, toujours plus rares, n’en deviennent que plus précieuses.

Ce texte-là n’est pas de premier ordre. Ce n’est pas vraiment ça qui restera, mais plutôt une atmosphère, des échanges, des instants de vie. Dans sa direction d’acteurs, toujours exemplaire, Françon s’attache à s’ancrer dans le présent : aidé par une traduction moderne et efficace, sa mise en scène est éclatante de vérité et permet aisément à la tension dramatique de s’installer sans fausse note. Françon a dessiné ses personnages avec un tour de main précis, les a colorés de sentiments au pastel et leur a donné le mouvement tel un chorégraphe : on assiste à un véritable tableau en mouvement, terrassant de beauté et respirant la vie.

Ce spectacle signe aussi ma rencontre avec Anouk Grinberg. Je ne trouve pas de meilleur mot que subjuguée pour décrire ma réaction face à son jeu. Immédiatement m’est venu le nom de Sarah Bernhardt : Anouk Grinberg incarne l’image que je m’étais faite de l’illustre comédienne. Tour à tour fascinée par sa verve et énervée par des rapidités de fin de phrase, elle provoquait en moi des sentiments contraires qui ont finalement laissé place à un magnétisme puissant. Envoutée par sa voix, quelque part entre Raphaëline Goupilleau et Adeline d’Hermy, étonnée par sa transformation, successivement adolescente de 15 ans puis femme mûre de 50, ahurie par son rythme particulier, induisant constamment un léger décalage entre gestuelle et parole, irradiée par sa puissance, éblouie par sa beauté… J’ai simplement vu la plus grande comédienne française contemporaine.

Mais Françon ne s’est jamais contenté d’une tête d’affiche. La distribution est en tout point exceptionnelle. Le rôle de Rakitine sied parfaitement à Micha Lescot : son éternel air désabusé et ce corps démesurément grand dont il ne semble pas toujours conscient servent parfaitement ce personnage à la fois hors du temps et pourtant lucide sur son entourage. Ce fut un plaisir de retrouver Nicolas Avinée, découvert dans le Vu du Pont d’Ivo Van Hove : le comédien incarnant Alekseï m’a fait autant d’effet qu’à Natalia ! Il faut dire qu’il ressort parfaitement du cadre avec ses grands yeux ouverts sur le monde et sa démarche pleine d’entrain, débordant de jeunesse et de vie. Grande découverte également : Philippe Fretun, médecin clairvoyant et cynique, dont le jeu d’acteur m’a semblé tellement porté vers l’autre qu’il en ressortait transcendé.

Un spectacle d’exception, dont le tableau final constitue un point d’orgue à couper le souffle. Françon reste le Maître.