Critiques pour l'événement Haute Surveillance
8 octobre, 18h30, Paris

... La suite ! Après Mme Klein aux Théâtre des Abbesses.

Haute Surveillance mise en scène par un homme, Cédric Gourmelon, avec quatre comédiens. Un spectacle avec une même qualité de distribution et de mise en scène. Il commence avec un homme (le surveillant, Pierre Louis Calixte) qui passe longuement le balai. Il nettoie la salle, la prépare comme s’il créait un espace. L’espace dans lequel trois prisonniers (Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux et Christophe Montenez) vont évoluer. Ils vont s’aimer, se détester, se battre …

Un espace clos qui reflète la cruauté et la banalité du monde.

Un espace quasi onirique où tout se déroule dans une rapide lenteur.

L’éclairage illumine les comédiens. Ils sont tous extraordinaires dans leur violence gratuite et leur incompréhension face au monde extérieur.

Ils « fabriquent des histoires qui ne peuvent vivre qu’entre ces quatre murs ». Ces quatre murs, qui sont à la fois ceux qui les enferment dans leur prison, mais aussi ceux du théâtre. D’ailleurs, la dernière réplique, celle du surveillant « On a tout entendu, tout vu. Pour toi et de ton poste, ça devenait cocasse; pour nous, de l’oeilleton du judas ce fut une belle séquence tragique, merci. », fait sans aucun doute référence au théâtre. En effet de notre place de spectateur l’on assiste passif à une scène tragique, on observe sans être vu, mais pour eux tout cela n’est qu’un jeu mais un jeu où aucun ne sortira indemne. Une plongée époustouflante dans l’univers, à la fois sensuel et violent, de Jean Genet.
5 oct. 2017
9/10
7
Résumer la pièce va sans doute être perçu comme une atteinte à Genet… Disséquer ce qui s’avère être un tout de pure poésie pourrait briser quelque chose, mais je vais m’y risquer. La pièce se passe en prison. Devant nous, trois hommes : Yeux-Verts (Sébastien Pouderoux), le criminel à l’état pur, celui qui n’a pas décidé de passer à l’acte mais qui a commis le crime comme un acte du destin. Respecté de tous dans la prison, tant ses camarades que le caïd Boule-de-Neige, et même les gardiens de la prison (Pierre Louis-Calixte). Il partage sa cellule avec Lefranc (Jérémy Lopez) – le seul lettré de la bande, plus réfléchi qu’instinctif, et que la jalousie amènera à renier sa véritable nature pour se faire bien voir par Yeux-Verts – et Maurice (Christophe Montenez), jouant constamment sur sur la séduction et de sa « belle gueule » pour essayer de se rapprocher de Yeux-Verts.

Sans aucune originalité : Jérémy Lopez y est magistral. Encore une fois il ne s’agit pas ici de jeu mais de vie, d’émotion, de tripes. En réalité, on le sent parfois au bord du gouffre, et la violence qu’il renferme en lui éclate jusqu’à nous donner la chair de poule. Sa souffrance, à fleur de peau, est palpable, et c’est presque gênant – voire insoutenable – pour le spectateur de le voir devenir celui qu’il n’est pas, au point de détourner les yeux. Christophe Montenez est éblouissant dans ce rôle qui lui sied à merveille : appuyant constamment l’ambiguïté sensuelle qui est la sienne, à la fois fasciné et fascinant, il semble adapter le moindre de ses mouvements à ceux de Yeux-Verts.

Seul Sébastien Pouderoux reste en-dehors de l’intensité et de la tension qui règnent sur la scène – mais après tout, n’est-ce le propre de son personnage d’être au-dessus de tout cela ? J’aurais tout de même aimé qu’on perçoive l’humanité derrière la carapace, là où il semble presque vide. Pierre Louis-Calixte, qui ouvre avec brio le spectacle, est un gardien de prison blasé, aussi prisonnier que le reste de ses congénères. Il est un « nous » intemporel et observe, à la manière du spectateur, les différentes actions qui se déroulent dans la cellule. Mais alors que nous y assistons impuissants, sans forcément prendre parti, lui se range au côté du reste des prisonniers et, à leur manière, semble montrer pour Yeux-Verts un certain respect.

Avec une mise en scène minimaliste et une scénographie millimétrée, esthétiquement très travaillée et mettant en valeur ce texte d’une richesse monstrueuse, Cédric Goumelon propose un spectacle exigeant intellectuellement et même physiquement : dans ma crainte d’interrompre cette espèce de cérémonial qui se déroulait sur scène, impossible de bouger le moindre membre pendant 1 heure. D’ailleurs, la salle semblait partager ma vision car le silence avait quelque chose de religieux. Cela permet d’entendre ce texte minutieux, et de se concentrer pour en percevoir les moindres nuances.
21 sept. 2017
9,5/10
9
Après un noir profond dans lequel le silence côtoie le doute et où l’imaginaire ne peut se résoudre à attendre, un homme enfin, en costume de surveillant de prison, entre et balaie le plateau.

Avec une étrange mobilité semblant empruntée à l’apesanteur, le surveillant nettoie ou prépare un espace, on ne sait pas. Est-ce la cour d'une prison, les contours d’une cellule, l’antre d’une messe mortifère ?

Dans une ambiance devenant pesante, lentement l’homme dessine avec son balai des sentiers comme pour nous signaler des passages. Puis progressivement il aplanit le plateau d’un carré parfait. Des sensations inquiétantes et irréelles nous enveloppent et nous font douter si nous rêvons ou pas.

L’arrivée de trois hommes marchant d’un pas ouaté, en file, renforcent la tension qui s’installe alors tout à fait. Ce sont les trois prisonniers, nous le comprenons vite, qui partagent cette cellule.

Dialogues, invectives, regards, attouchements retenus, paroles chuchotées ou criées, parfois si proches du visage que nous ressentons vivement ce mélange de violence et de sensualité qui semblent les habiter tous les trois.

Yeux-Verts, le caïd. Maurice la belle gueule. Lefranc la petite frappe qui veut être un grand malfrat.

Condamné à mort pour son crime, Yeux-Verts y a gagné son statut et le conserve par sa force. Il pose aux pieds de Maurice et Lefranc ce que d’autres laisseraient en héritage. Défiant la Mort comme il a défié le Mal, il dit son vide, son absence de ressentiment comme un déni de ce qui l’attend, comme une confession involontaire du rien qui l’habite.

Maurice et Lefranc vont se battre l’honneur d’être le prochain amour de la future veuve, sublimant ainsi le désir de succéder à Yeux-Verts, le désir de l’aimer encore derrière la vénération et le respect, celui aussi de s’en sentir aimé.

Jean Genet écrit cette pièce en prison en 1942. Publiée et crée en 1949, elle sera remaniée plusieurs fois jusqu’en 1985, version du spectacle présenté aujourd’hui. Il y dresse un portrait complexe de la recherche de l’identité masculine, de la transgression du bien et de la sublimation de la mort. Recherche rendue difficile dans le magma des convictions normatives enfermantes, notamment parmi des prisonniers dépourvus d’instruction suffisante pour mettre en mots ce qu’ils vivent et ressentent vraiment.

Magistralement mis en scène par Cédric Gourmelon, les voix des comédiens portent avant tout, les corps suivent comme des silhouettes fantasmagoriques et glissantes. Les jeux montrent avec une puissance fébrile et lumineuse ces combats pour la reconnaissance de la masculinité qui passent parfois par les frontières d’une sensualité troublée à l’érotisme prégnant.

Pierre-Louis Calixte nous trouble avec son personnage de Surveillant, dont on ne sait s’il est réel ou non. Une présence quasi magique et éthérée aux paroles dites avec une stricte distinction comme un peintre poserait les traits nécessaires pour configurer un dessin.

Jérémy Lopez passe de la colère à la fragilité, de la jalousie à la terreur avec virtuosité. Il nous montre le personnage de Lefranc, ébranlé, meurtri par le doute et l’envie, accablé par ses actes.

Sébastien Pouderoux joue Yeux-Verts, monstrueux de vacuité pour ce qu’il est et ce qu’il a fait, nous troublant de sa présence d’un homme déjà mort avant la mort dont il parle comme d’une suite logique à une promenade, un jour où le temps permet.

Christophe Montenez est Maurice, agressif autant qu'il est fragile et sensuel, attendant de la force physique l'élan d'un ébat amoureux qui ne se dit pas. Une beauté digne et troublée se dégage de son personnage.

Une vague déferlante d’intensité dramatique traverse ce spectacle de haute qualité artistique, nous prenant de bout en bout dans ce merveilleux voyage dans le théâtre poétique et déconcertant de Jean Genet.
20 sept. 2017
9/10
59
Genet Is The New Black ?

La taule. Le trou. La zonzon. Le bloc. L'ombre. La forteresse.
La prison, quoi.

Jean Genet a donné, il sait de quoi il retourne. Il y a passé quelques séjours. (C'est un euphémisme...)

Trois détenus dans une cour.
Il y a Maurice, Jules et Yeux-Verts.

Ce dernier surpasse les deux autres en matière de cruauté dans le crime. D'ailleurs, il attend le rendez-vous avec la machine du Docteur Guillotin.
Maurice et Jules se disputent donc ses faveurs et pourtant, ce n'est pas le personnage le plus méchant de l'histoire, Boule-de-Neige, qu'on ne verra jamais.

Si le crime ne paie pas, il fascine.
Il nous fascine, tout autant qu'il fascine Maurice et Jules, qui vont jusqu'à convoiter la future veuve de leur co-détenu.

Et bien entendu, le crime fascine Genet.
Nous sommes en plein dans sa « morale inversée », qui l'amènera à haïr l'ordre bourgeois, à prendre parti pour certaines causes, mais qui fera que certains de ses critiques dénoncent encore sa fascination pour le nazisme et son antisémitisme.

C'est pourtant le gardien de prison qui entrera dans l'espace scénique le premier.
« Espace scénique », car nous ne savons pas où nous nous trouvons.

Le maton (Pierre Louis-Calixte, le teint blafard, les yeux rougis) va matérialiser d'une très belle et très graphique façon l'espace de jeu, à savoir une cellule.

Pas besoin de barreaux, de murs. Maintenant, nous savons. (Je vous laisse découvrir le processus de matérialisation, c'est très beau...)

Puis, les taulards entrent en file indienne, les pieds nus.
Nous allons assister à une étrange pièce de théâtre, une sorte de « long poème ».

Un poème sombre, noir, oppressant.
Un poème sans décor, une ode glaciale qui commence presque sans lumière.
Un minimalisme assumé par l'auteur mais également par Cédric Gourmelon, le metteur en scène, qui ne s'encombre pas d'artifices.

On s'en doute, ce seront les trois comédiens Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux et Christophe Montenez qui feront le job.
Pendant une heure, les trois vont nous dire, clamer, chuchoter, hurler leurs mots, leurs vérités, leur quête et leur chemin personnels.

Les mots de chacun s'entrechoquent violemment, les paroles se percutent les unes contre les autres, parfois dans un violent fracas.
Les échanges sont brutaux, rugueux, mais parfois sont assez tendres.

Le travail sur les voix est vraiment impressionnant.
Les comédiens arrivent à libérer par la parole leurs personnages respectifs.
Une parole qui prend souvent le pas sur le travail corporel.

Certes, les échanges physiques sont eux aussi violents, mais il se dégage parfois une sensualité, un érotisme des mots et des actes.

La lutte se transforme alors en étreinte, les coups deviennent des caresses.

Les quatre comédiens sont une nouvelle fois excellents (Faut-il encore répéter ce pléonasme ?)
Ils nous perturbent, nous fascinent, nous assènent bien des upercuts, nous qui sommes pourtant bien assis.

C'est Pierre Louis-Calixte, le surveillant, qui conclura : « Pour nous, de l'oeillet du judas, ce fut une belle séquence tragique. »

Pas mieux !