Ses critiques
160 critiques
7,5/10
Deux hommes, amis de longue date. Trois syllabes prononcées par l'un d'eux. Une amitié d'enfance remise en question, à la limite de la rupture, pour une intonation, une interprétation, une sensibilité. Une explication est nécessaire. Pourquoi a-t-il employé CETTE expression ? Pourquoi l'avoir dite sur CE ton ?
De ce "c'est bien....ça" prononcé par l'un c'est toute la colonne vertébrale de leur relation qui est remise en cause, menaçant de s'effriter. Cette amitié a-t-elle jamais existé ? N'était-elle qu'un leurre ? Quelle était la part de la sincérité et celle de l'hypocrisie tout au long de ces années ?
De ces trois petits mots c'est la relation de l'un à l'autre, des uns aux autres, un des piliers de la société qui semble remis en question.
Nathalie SARRAUTE nous rappelle à son goût pour la précision, son exigence pour la langue française. Car c'est le but de ce texte ciselé, précis, fin : nous interpeller sur les mots qui nous semblent anodins, que nous prononçons à la légère, sans vraiment y penser. Et si on décidait de s'y arrêter ? S'il fallait faire une mise au point sur ce que deux amis se disent vraiment ? De l'ergotage stérile seriez-vous tenté de penser !
C'est là que se trouve toute la force du texte : au travers d'une explication mouvementée entre ces deux hommes qui se sont si longtemps côtoyés, c'est une volonté de l'auteure de donner un sens à des propos, des échanges, des mots affadis soit par un usage trop fréquent, soit par une forme de détachement. Une minutieuse analyse de la langue et des comportements.
Léonie SIMAGA, à peine sortie de la Comédie Française dont elle était sociétaire, met en scène avec sobriété le texte de Nathalie Sarraute. Dans un décor minimaliste un banc évoque un intérieur d'une extrême simplicité. C'est le texte qui prime, la sobriété des lieux, la blancheur des lumières, mettent en avant l'intensité dramatique de cette situation, qui par ailleurs pourrait sembler si banale et si désuète.
C'est à Nicolas BRIANCON et à Nicolas VAUDE qu'elle a confié la tâche de donner vie à cette confrontation. Tandis que Nicolas BRIANCON est plutôt calme, serein, sûr de lui, et sûr de n'avoir jamais fait quoi que ce soit qui vise à moquer son ami, ni à le dénigrer, Nicolas VAUDE est tendu, fébrile, parfois un peu extatique. Dans ce quasi huis-clos perturbé par deux apparitions des voisins, les rôles s'inversent parfois dans un rapport dominant-dominé. On frôle parfois l'absurde dans ces logiques par toujours rationnelles.
Les deux comédiens dont le talent n'est plus à prouver sont fascinant par la puissance de leur interprétation. Ils servent avec précision un texte exigeant, faisant ressentir chaque nuance, chaque ponctuation, chaque code de langage susceptible de modifier les suites d'une action ou d'une situation selon la perception que l'un ou l'autre aura de ce qui est dit. Jusqu'à la question sous-jacente : quelle image renvoyons-nous à l'autre ?
En bref : Nicolas BRIANCON et Nicolas VAUDE, deux comédiens magistraux qui rendent hommage au très beau texte de Nathalie SARRAUTE par une remarquable interprétation, sous la direction fine et précise de Léonie SIMAGA. Un bel échange à ne pas manquer.
De ce "c'est bien....ça" prononcé par l'un c'est toute la colonne vertébrale de leur relation qui est remise en cause, menaçant de s'effriter. Cette amitié a-t-elle jamais existé ? N'était-elle qu'un leurre ? Quelle était la part de la sincérité et celle de l'hypocrisie tout au long de ces années ?
De ces trois petits mots c'est la relation de l'un à l'autre, des uns aux autres, un des piliers de la société qui semble remis en question.
Nathalie SARRAUTE nous rappelle à son goût pour la précision, son exigence pour la langue française. Car c'est le but de ce texte ciselé, précis, fin : nous interpeller sur les mots qui nous semblent anodins, que nous prononçons à la légère, sans vraiment y penser. Et si on décidait de s'y arrêter ? S'il fallait faire une mise au point sur ce que deux amis se disent vraiment ? De l'ergotage stérile seriez-vous tenté de penser !
C'est là que se trouve toute la force du texte : au travers d'une explication mouvementée entre ces deux hommes qui se sont si longtemps côtoyés, c'est une volonté de l'auteure de donner un sens à des propos, des échanges, des mots affadis soit par un usage trop fréquent, soit par une forme de détachement. Une minutieuse analyse de la langue et des comportements.
Léonie SIMAGA, à peine sortie de la Comédie Française dont elle était sociétaire, met en scène avec sobriété le texte de Nathalie Sarraute. Dans un décor minimaliste un banc évoque un intérieur d'une extrême simplicité. C'est le texte qui prime, la sobriété des lieux, la blancheur des lumières, mettent en avant l'intensité dramatique de cette situation, qui par ailleurs pourrait sembler si banale et si désuète.
C'est à Nicolas BRIANCON et à Nicolas VAUDE qu'elle a confié la tâche de donner vie à cette confrontation. Tandis que Nicolas BRIANCON est plutôt calme, serein, sûr de lui, et sûr de n'avoir jamais fait quoi que ce soit qui vise à moquer son ami, ni à le dénigrer, Nicolas VAUDE est tendu, fébrile, parfois un peu extatique. Dans ce quasi huis-clos perturbé par deux apparitions des voisins, les rôles s'inversent parfois dans un rapport dominant-dominé. On frôle parfois l'absurde dans ces logiques par toujours rationnelles.
Les deux comédiens dont le talent n'est plus à prouver sont fascinant par la puissance de leur interprétation. Ils servent avec précision un texte exigeant, faisant ressentir chaque nuance, chaque ponctuation, chaque code de langage susceptible de modifier les suites d'une action ou d'une situation selon la perception que l'un ou l'autre aura de ce qui est dit. Jusqu'à la question sous-jacente : quelle image renvoyons-nous à l'autre ?
En bref : Nicolas BRIANCON et Nicolas VAUDE, deux comédiens magistraux qui rendent hommage au très beau texte de Nathalie SARRAUTE par une remarquable interprétation, sous la direction fine et précise de Léonie SIMAGA. Un bel échange à ne pas manquer.
8,5/10
Paul est un survivant. Un rescapé. Le seul d'un accident d'ascenseur dans lequel il a perdu sa fille.
Depuis il traîne sa carcasse cabossée comme son esprit. Sa femme Anna lui reproche constamment son attitude. Ses jumeaux de fils la soutiennent. Alors il trouve un travail : promeneur de chiens. Et personne ne comprend cette décision qui semble tellement irrationnelle. Jusqu'où le conduira cette chute vertigineuse entamée dans cet ascenseur de malheur ?
Sur la scène trois pans de mur délimitent l'espace. Tableaux noirs sur lesquels Paul dessine avec rage des mécanismes d'ascenseur. Par-ci par-là des citations de Confucius, Spinoza, Nietzsche, sur le hasard, le travail, la liberté. Au centre une porte coulissante s'ouvre sur le salon ou la chambre de l'appartement de Paul, le bureau de son employeur, la rue.
Pour sortir de sa solitude, incapable d'être en contact avec les hommes dans ce qu'il appelle cette société verticale construite autour des ascenseurs, Paul démissionne du poste que sa femme lui avait permis d'obtenir et choisit un travail qui étonne son entourage : il promène des chiens. Un surtout, Charlie, avec lequel naît une grande complicité. Mais ni sa femme ni ses fils ne comprennent les choix de Paul, ses besoins, ses colères, sa douleur. Alors Paul devient "un cas", un individu unique, complexe, attachant.
En adaptant le livre de Jean-Paul DUBOIS, Didier BEZACE nous plonge dans l'esprit d'un homme fragilisé par un drame. Comment Paul peut-il comprendre et accepter d'être le seul survivant d'un accident d'ascenseur, lui qui a 61 ans, alors que sa fille de 20 ans figure parmi les 4 victimes. Il nous propose plusieurs niveaux de lecture, de notre relation à la machine, au malheur des autres, au travail, à notre place dans la société. Une adaptation sombre tant par l'humour noir que par l'univers étrange, onirique renforcé par la scénographie, les fumées qui envahissent le plateau, les déclenchements intempestifs d'une alarme qui a fait défaut lors de l'accident.
Confronté à une femme tyrannique, insensible, égocentrique, froide (Sylvie DEBRUN, agaçante d'égoïsme et de détachement), Paul lutte contre sa culpabilité, ses doutes, ses cauchemars, s'interroge sur le sens de sa vie, sur la verticalité de la société, l'emprise des machines, l'impossibilité de la transmission, la filiation, l'amour, le rapport aux autres. La scénographie imaginée par Didier BESACE et Jean HAAS reflète l'enfermement intérieur de Paul, ses délires tragi-comiques. Tel un funambule Pierre ARDITI semble constamment à la limite de l'équilibre. Sommes-nous dans le monde réel ? Paul a-t-il déjà sombré dans la folie?
Pierre ARDITI interprète un Paul subtil, fragile, confus, empreint d'autodérision face à l'infidélité de sa femme, de cynisme face à ses fils jumeaux qui le méprisent et multiplient les occasions de créer la confusion (mais qui crée cette confusion ?). Il jette un regard désabusé sur la vie. Avec humour, gravité, justesse il crée un personnage attachant, tant par sa présence physique que par sa voix off qui nous enveloppe.
Le reste de la distribution est de la même justesse. Didier BEZACE est parfait dans le rôle de l'avocat de la compagnie d'ascenseur tout aussi ambiguë (ou peut-être pas) que Paul. Thierry GIBAULT, empathique propriétaire de DogDogWalk, est le moteur qui fait bouger le rescapé. Morgane FOURCAULT est un magnifique fantôme. Quant à Charlie, superbe border Collie, il apporte une touche de poésie, de calme et de sérénité dans l'univers de Paul.
Le cas Sneijder est lauréat du 1er prix Toja de la Fondation Jacques Toja pour le Théâtre.
En bref : Didier BEZACE réalise une fidèle et belle adaptation du livre de Jean-Paul DUBOIS. Entre onirisme et réalité Pierre ARDITI interprète brillamment un homme en rupture avec la société, refusant de se plier à une vie étriquée, préférant la solitude et la liberté. Une interprétation juste, subtile. Une réflexion qui ne laisse pas indifférent. Une des réussites de la saison théâtrale 2016/2017.
Depuis il traîne sa carcasse cabossée comme son esprit. Sa femme Anna lui reproche constamment son attitude. Ses jumeaux de fils la soutiennent. Alors il trouve un travail : promeneur de chiens. Et personne ne comprend cette décision qui semble tellement irrationnelle. Jusqu'où le conduira cette chute vertigineuse entamée dans cet ascenseur de malheur ?
Sur la scène trois pans de mur délimitent l'espace. Tableaux noirs sur lesquels Paul dessine avec rage des mécanismes d'ascenseur. Par-ci par-là des citations de Confucius, Spinoza, Nietzsche, sur le hasard, le travail, la liberté. Au centre une porte coulissante s'ouvre sur le salon ou la chambre de l'appartement de Paul, le bureau de son employeur, la rue.
Pour sortir de sa solitude, incapable d'être en contact avec les hommes dans ce qu'il appelle cette société verticale construite autour des ascenseurs, Paul démissionne du poste que sa femme lui avait permis d'obtenir et choisit un travail qui étonne son entourage : il promène des chiens. Un surtout, Charlie, avec lequel naît une grande complicité. Mais ni sa femme ni ses fils ne comprennent les choix de Paul, ses besoins, ses colères, sa douleur. Alors Paul devient "un cas", un individu unique, complexe, attachant.
En adaptant le livre de Jean-Paul DUBOIS, Didier BEZACE nous plonge dans l'esprit d'un homme fragilisé par un drame. Comment Paul peut-il comprendre et accepter d'être le seul survivant d'un accident d'ascenseur, lui qui a 61 ans, alors que sa fille de 20 ans figure parmi les 4 victimes. Il nous propose plusieurs niveaux de lecture, de notre relation à la machine, au malheur des autres, au travail, à notre place dans la société. Une adaptation sombre tant par l'humour noir que par l'univers étrange, onirique renforcé par la scénographie, les fumées qui envahissent le plateau, les déclenchements intempestifs d'une alarme qui a fait défaut lors de l'accident.
Confronté à une femme tyrannique, insensible, égocentrique, froide (Sylvie DEBRUN, agaçante d'égoïsme et de détachement), Paul lutte contre sa culpabilité, ses doutes, ses cauchemars, s'interroge sur le sens de sa vie, sur la verticalité de la société, l'emprise des machines, l'impossibilité de la transmission, la filiation, l'amour, le rapport aux autres. La scénographie imaginée par Didier BESACE et Jean HAAS reflète l'enfermement intérieur de Paul, ses délires tragi-comiques. Tel un funambule Pierre ARDITI semble constamment à la limite de l'équilibre. Sommes-nous dans le monde réel ? Paul a-t-il déjà sombré dans la folie?
Pierre ARDITI interprète un Paul subtil, fragile, confus, empreint d'autodérision face à l'infidélité de sa femme, de cynisme face à ses fils jumeaux qui le méprisent et multiplient les occasions de créer la confusion (mais qui crée cette confusion ?). Il jette un regard désabusé sur la vie. Avec humour, gravité, justesse il crée un personnage attachant, tant par sa présence physique que par sa voix off qui nous enveloppe.
Le reste de la distribution est de la même justesse. Didier BEZACE est parfait dans le rôle de l'avocat de la compagnie d'ascenseur tout aussi ambiguë (ou peut-être pas) que Paul. Thierry GIBAULT, empathique propriétaire de DogDogWalk, est le moteur qui fait bouger le rescapé. Morgane FOURCAULT est un magnifique fantôme. Quant à Charlie, superbe border Collie, il apporte une touche de poésie, de calme et de sérénité dans l'univers de Paul.
Le cas Sneijder est lauréat du 1er prix Toja de la Fondation Jacques Toja pour le Théâtre.
En bref : Didier BEZACE réalise une fidèle et belle adaptation du livre de Jean-Paul DUBOIS. Entre onirisme et réalité Pierre ARDITI interprète brillamment un homme en rupture avec la société, refusant de se plier à une vie étriquée, préférant la solitude et la liberté. Une interprétation juste, subtile. Une réflexion qui ne laisse pas indifférent. Une des réussites de la saison théâtrale 2016/2017.
9/10
Emmanuel MEIRIEU adapte et met en scène deux textes de Sorj CHALANDON qui nous plongent dans l'Irlande du Nord de l'IRA, entre héroïsme et trahison. Un récit autobiographique porté avec force par trois comédiens, et dont on ne sort pas indemne.
C'est dans la pénombre que l'on rentre dans la salle Jean Tardieu du Théâtre du Rond-Point. Sur la scène une forme gît sous une toile grossière. Entre ombre et lumière. La pluie tombe sur ce jour de 2014. On enterre Tyrone MEHAN. Ils ne sont que trois pour porter en terre celui qui fut un héros de l'IRA avant de se révéler un traître. Il sera abattu le lendemain de son aveu.
Antoine, le luthier parisien, est venu exprès. Il prend la parole pour s'adresser à celui qui fut comme un père, celui qui l'a initié à la lutte contre l'occupant. La voix emplie de colère il veut comprendre, se rappelle leur rencontre dans les toilettes d'un bar, leur voyage sur les terres d'enfance de Tyrone, cette casquette qui les lie plus solidement que le sang. Il revient sur les espoirs qu'il portait et la désillusion, le choc, l’incompréhension lorsque Tyrone a avoué être un traître à la cause depuis 20 ans. "Je voulais qu'il affronte ces yeux-là". Antoine s'interroge : Tyrone était-il un ami sincère ou s'est-il joué de lui comme des autres ?
Jack, le fils de Tyrone prend le relais. Lui qui au nom de la cause a subi l'humiliation dans les prisons britanniques, subissant des traitements inhumains par le refus d'être traité comme un prisonnier de droit commun, lui qui a souffert pour défendre cette terre. Plus que tout autre il se sent trahi par ce père qu'il admirait. Il chante sa honte de porter par ricochet la trahison de son père qui fut son héros, lui demande de se relever.
C'est enfin le fantôme de Tyrone qui s'adresse à nous. Une voix aussi blanche que son écorce charnelle revenue d'entre les morts pour livrer sa vérité. Son histoire. La misère économique et affective dans laquelle il a grandi. Un père alcoolique. Une mère qui fait ce qu'elle peut. Etre catholique c'est être au chômage, subir les brimades et les attaques des protestants. Il raconte la peur, la faim, les maisons brûlées, la fuite, les frères qui tombent sous les coups de l'ennemi, l'entrée dans la lutte, les combats. Et cette nuit d'août 1979. La bousculade, les coups de feu, son ami qui tombe, lui qui devient un héros de l'IRA, l'arrestation, les deux années dans les prisons anglaises, les brimades, un secret trop lourd à porter. Ce secret qui le transformera en traite. La libération. L'aveu. L'attente de ses assassins.
Emmanuel MERIEU réunit dans cette adaptation deux romans de Sorj CHALANDON : "Mon traître" et "Retour à Killybegs". L'auteur, qui fut journaliste pour Libération et spécialiste du conflit en Irlande du Nord, livre un récit en partie autobiographique sur son amitié avec Denis DONALDSON, leader de l'IRA, symbole de l'insurrection dans un Belfast en guerre civile, mais aussi traître absolu, assassiné au lendemain de ses aveux. Le premier livre raconte cette amitié. Le second laisse le traître prendre la parole. Emmanuel MERIEU a choisi une mise en scène ultra épurée pour trois comédiens.
Trois monologues. Trois prestations statiques. Trois voix prenantes qui nous saisissent par la force du texte et de l'interprétation. Trois discours poignants qui nous saisissent d'émotion. Chacun exprime avec ses mots, sa sensibilité la douleur endurée par la trahison. Laurent CARON est Antoine, l'ami blessé, perdu qui s'interroge sur la sincérité de celui à qui il avait donné toute son affection. Brûlant de colère et d'incompréhension il nous saisit par son émotion, sa rage, "Tu es mort il y a des années, quand tu t'es vendu aux Anglais". Désemparé il donne sens aux interrogations de l'ami français.
Le chanteur guitariste autodidacte Stéphane BALMINO réalise une très belle interprétation pour sa première fois en tant que comédien. Il transmet toute l'émotion, la colère, la déception du fils trahi, abandonné par ce père jusqu’alors auréolé de l'image du héros. Son interprétation de "Wake up dead man" donne un autre sens encore plus profond au texte de U2.
Jean-Marc AVOCAT, figure fantomatique du traître, captive par la sincérité, la souffrance du questionnement de Tyrone, son errance sur terre précédant celle d'après la mort. Pas de cercueil pour le traître. Pas de paix pour lui non plus. Car rien n'est jamais simple, ni pour le traître, ni pour ceux qu'il a trahis, rendant impossible le deuil
Un seul regret sur la scénographie : les projections sur la toile installée sur le devant de la scène ne sont absolument pas visibles par les tous premiers rangs, gâchant une partie du plaisir.
En bref : une adaptation saisissante des romans de Sorj CHALANDON. Une mise en scène épurée qui laisse entendre un texte fort. L'interprétation des trois comédiens laisse le public sans voix pendant de longues secondes après le dernier mot. Un spectacle puissant dont on sort marqué.
(NB : la note "rire" vaut pour "émotion")
C'est dans la pénombre que l'on rentre dans la salle Jean Tardieu du Théâtre du Rond-Point. Sur la scène une forme gît sous une toile grossière. Entre ombre et lumière. La pluie tombe sur ce jour de 2014. On enterre Tyrone MEHAN. Ils ne sont que trois pour porter en terre celui qui fut un héros de l'IRA avant de se révéler un traître. Il sera abattu le lendemain de son aveu.
Antoine, le luthier parisien, est venu exprès. Il prend la parole pour s'adresser à celui qui fut comme un père, celui qui l'a initié à la lutte contre l'occupant. La voix emplie de colère il veut comprendre, se rappelle leur rencontre dans les toilettes d'un bar, leur voyage sur les terres d'enfance de Tyrone, cette casquette qui les lie plus solidement que le sang. Il revient sur les espoirs qu'il portait et la désillusion, le choc, l’incompréhension lorsque Tyrone a avoué être un traître à la cause depuis 20 ans. "Je voulais qu'il affronte ces yeux-là". Antoine s'interroge : Tyrone était-il un ami sincère ou s'est-il joué de lui comme des autres ?
Jack, le fils de Tyrone prend le relais. Lui qui au nom de la cause a subi l'humiliation dans les prisons britanniques, subissant des traitements inhumains par le refus d'être traité comme un prisonnier de droit commun, lui qui a souffert pour défendre cette terre. Plus que tout autre il se sent trahi par ce père qu'il admirait. Il chante sa honte de porter par ricochet la trahison de son père qui fut son héros, lui demande de se relever.
C'est enfin le fantôme de Tyrone qui s'adresse à nous. Une voix aussi blanche que son écorce charnelle revenue d'entre les morts pour livrer sa vérité. Son histoire. La misère économique et affective dans laquelle il a grandi. Un père alcoolique. Une mère qui fait ce qu'elle peut. Etre catholique c'est être au chômage, subir les brimades et les attaques des protestants. Il raconte la peur, la faim, les maisons brûlées, la fuite, les frères qui tombent sous les coups de l'ennemi, l'entrée dans la lutte, les combats. Et cette nuit d'août 1979. La bousculade, les coups de feu, son ami qui tombe, lui qui devient un héros de l'IRA, l'arrestation, les deux années dans les prisons anglaises, les brimades, un secret trop lourd à porter. Ce secret qui le transformera en traite. La libération. L'aveu. L'attente de ses assassins.
Emmanuel MERIEU réunit dans cette adaptation deux romans de Sorj CHALANDON : "Mon traître" et "Retour à Killybegs". L'auteur, qui fut journaliste pour Libération et spécialiste du conflit en Irlande du Nord, livre un récit en partie autobiographique sur son amitié avec Denis DONALDSON, leader de l'IRA, symbole de l'insurrection dans un Belfast en guerre civile, mais aussi traître absolu, assassiné au lendemain de ses aveux. Le premier livre raconte cette amitié. Le second laisse le traître prendre la parole. Emmanuel MERIEU a choisi une mise en scène ultra épurée pour trois comédiens.
Trois monologues. Trois prestations statiques. Trois voix prenantes qui nous saisissent par la force du texte et de l'interprétation. Trois discours poignants qui nous saisissent d'émotion. Chacun exprime avec ses mots, sa sensibilité la douleur endurée par la trahison. Laurent CARON est Antoine, l'ami blessé, perdu qui s'interroge sur la sincérité de celui à qui il avait donné toute son affection. Brûlant de colère et d'incompréhension il nous saisit par son émotion, sa rage, "Tu es mort il y a des années, quand tu t'es vendu aux Anglais". Désemparé il donne sens aux interrogations de l'ami français.
Le chanteur guitariste autodidacte Stéphane BALMINO réalise une très belle interprétation pour sa première fois en tant que comédien. Il transmet toute l'émotion, la colère, la déception du fils trahi, abandonné par ce père jusqu’alors auréolé de l'image du héros. Son interprétation de "Wake up dead man" donne un autre sens encore plus profond au texte de U2.
Jean-Marc AVOCAT, figure fantomatique du traître, captive par la sincérité, la souffrance du questionnement de Tyrone, son errance sur terre précédant celle d'après la mort. Pas de cercueil pour le traître. Pas de paix pour lui non plus. Car rien n'est jamais simple, ni pour le traître, ni pour ceux qu'il a trahis, rendant impossible le deuil
Un seul regret sur la scénographie : les projections sur la toile installée sur le devant de la scène ne sont absolument pas visibles par les tous premiers rangs, gâchant une partie du plaisir.
En bref : une adaptation saisissante des romans de Sorj CHALANDON. Une mise en scène épurée qui laisse entendre un texte fort. L'interprétation des trois comédiens laisse le public sans voix pendant de longues secondes après le dernier mot. Un spectacle puissant dont on sort marqué.
(NB : la note "rire" vaut pour "émotion")
8/10
Quand un auteur de pièce policière en panne d'inspiration reçoit un texte prometteur on peut s'attendre au pire de sa part. Et c'est le meilleur qui ouvre la deuxième partie de saison au Théâtre La Bruyère où le duo Sibleyras / Metayer semble bien parti pour un nouveau succès avec ce polar aux rebondissements multiples mené avec talent par Nicolas BRIANCON.
Impossible d'en dire plus sans prendre le risque de vous priver du plaisir de découvrir par vous-même tous les méandres de ce PIEGE MORTEL. Je me contenterai de vous dire que l'écriture d'Ira LEVIN, adaptée par Gérald SIBLEYRAS fait mouche à tous les coups. Guidé par la mise en scène énergique d'Eric METAYER (Molière de la pièce comique en 2010 pour Les 39 marches), rebondissement et retournements se succèdent, laissant le spectateur scotché. Le scénario n'a rien à envier à celui du LIMIER, chef-d'oeuvre de Mankiewicz.
C'est dans le beau décor d'Olivier HEBERT que se déroule ce polar en huis clos. Un manoir ancien isolé, un mur de pierre déployant une collection d'armes, le bureau de l'écrivain, une baie vitrée qui donne sur le jardin, des volets qui claque les soirs d'orage, le feu qui crépite dans la cheminée, une voisine aux capacités surprenantes, un mur décoré d'affiches de pièces à succès (avec un petit clin d’œil aux 39 marches) : tout est en place pour nous faire vitre une soirée pleine de surprise.
On retrouve la touche d'Eric METAYER dans la mise en scène. Des accessoires qui jouent des tours, des jeux de lumière précis, des comédiens affûtés qui nous mènent par le bout du nez sur des chemins que nous n'avions pas imaginés. Les positions des uns et des autres sont constamment chamboulés et si on pressent qu'il va se passer quelque chose de surprenant nous sommes constamment surpris par la tournure des événements.
Nicolas BRIANCON prend plaisir à être Sidney. Farceur, cynique, manipulateur, fourbe, inquiet, amoureux, jaloux : il excelle à brouiller les pistes pour mieux nous perdre. Virginie LEMOINE, anxieuse à souhait, a du mal à suivre les méandres de la réflexion de son mari. Dans le rôle du jeune Clifford Anderson, Cyril GARNIER (du duo Garnier et Sentoux), est intriguant, séduisant, intelligent. Si Marie VINCENT est parfois un peu caricaturale mais compose un personnage truculent. Damien GADJA clôture avec justesse la distribution.
PIEGE MORTEL, Deathtrap dans la version originale en anglais, a été adapté au cinéma par Sidney LUMET. Le duo Gérald SYBLEIRAS / Eric METAYER qui n'en est pas à son premier succès, transforme l'essai et nous a concocté un petit bonbon qui se savoure lentement et avec délice, qui laisse éclater à chaque bouchée une saveur différente et surprenante.
Impossible d'en dire plus sans prendre le risque de vous priver du plaisir de découvrir par vous-même tous les méandres de ce PIEGE MORTEL. Je me contenterai de vous dire que l'écriture d'Ira LEVIN, adaptée par Gérald SIBLEYRAS fait mouche à tous les coups. Guidé par la mise en scène énergique d'Eric METAYER (Molière de la pièce comique en 2010 pour Les 39 marches), rebondissement et retournements se succèdent, laissant le spectateur scotché. Le scénario n'a rien à envier à celui du LIMIER, chef-d'oeuvre de Mankiewicz.
C'est dans le beau décor d'Olivier HEBERT que se déroule ce polar en huis clos. Un manoir ancien isolé, un mur de pierre déployant une collection d'armes, le bureau de l'écrivain, une baie vitrée qui donne sur le jardin, des volets qui claque les soirs d'orage, le feu qui crépite dans la cheminée, une voisine aux capacités surprenantes, un mur décoré d'affiches de pièces à succès (avec un petit clin d’œil aux 39 marches) : tout est en place pour nous faire vitre une soirée pleine de surprise.
On retrouve la touche d'Eric METAYER dans la mise en scène. Des accessoires qui jouent des tours, des jeux de lumière précis, des comédiens affûtés qui nous mènent par le bout du nez sur des chemins que nous n'avions pas imaginés. Les positions des uns et des autres sont constamment chamboulés et si on pressent qu'il va se passer quelque chose de surprenant nous sommes constamment surpris par la tournure des événements.
Nicolas BRIANCON prend plaisir à être Sidney. Farceur, cynique, manipulateur, fourbe, inquiet, amoureux, jaloux : il excelle à brouiller les pistes pour mieux nous perdre. Virginie LEMOINE, anxieuse à souhait, a du mal à suivre les méandres de la réflexion de son mari. Dans le rôle du jeune Clifford Anderson, Cyril GARNIER (du duo Garnier et Sentoux), est intriguant, séduisant, intelligent. Si Marie VINCENT est parfois un peu caricaturale mais compose un personnage truculent. Damien GADJA clôture avec justesse la distribution.
PIEGE MORTEL, Deathtrap dans la version originale en anglais, a été adapté au cinéma par Sidney LUMET. Le duo Gérald SYBLEIRAS / Eric METAYER qui n'en est pas à son premier succès, transforme l'essai et nous a concocté un petit bonbon qui se savoure lentement et avec délice, qui laisse éclater à chaque bouchée une saveur différente et surprenante.
8/10
Après 600 représentations en France François Bourcier installe son RESISTER C'EST EXISTER au Studio Hébertot. Un vibrant hommage à la résistance et une performance émouvante.
C'est à l'origine une idée de François Bourcier. Seul en scène pendant près d'une heure et quart, il interprète une quarantaine de personnages (ou plus) qui par leurs actes ont résisté à l'occupation allemande.
Une résistance populaire, d'hommes et de femmes qui ont eu le courage de risquer leur vie par des gestes parfois grands souvent petits, pour dire non à l'occupant et oui à la liberté. S'appuyant sur des témoignages authentiques le récit est une succession de petites scènes plus ou moins longues, s'enchaînant avec logique. Parfois quelques mots suffisent à décrire une action.
Isabelle Starkier présente une très belle scénographie. Sur scène une douzaine de costumes pendent du plafond accrochés par des chaines. Posés sur des cintres ces costumes sont les figures en relief de ces résistants de tous les jours. François Bourcier les enfile les uns après les autres, se transformant en ces Justes, ces Résistants du quotidien : paysan à l'accent rocailleux, une ménagère bien parisien, un étudiant bravache, un ouvrier en bleu, un policier protecteur d'un enfant juif, etc. Une gestuelle, une posture, un accent, une mimique : le comédien se transforme en quelques secondes, faisant vivre avec authenticité ces anonymes.
L'ensemble est rythmé. On part d'un d'univers réaliste pour évoluer vers un mode plus onirique et poétique, se terminant par un clown un peu lunaire et attendrissant. Il aborde sous un angle original une partie de notre histoire récente et nous la raconte comme si nous l'entendions pour la première, captivant l'auditoire dès la première seconde avec des images fortes comme la silhouette de Jean Moulin.
Le spectacle se termine sur les mots d'Aimé Césaire :
"Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont pas de bouche. Ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir".
Une leçon d'histoire racontée brillamment par un comédien bouleversant. Une ouverture des esprits pour rappeler qu'aujourd'hui comme hier il n'est pas de petits gestes pour résister.
(Intégralité de la chronique sur le blog)
C'est à l'origine une idée de François Bourcier. Seul en scène pendant près d'une heure et quart, il interprète une quarantaine de personnages (ou plus) qui par leurs actes ont résisté à l'occupation allemande.
Une résistance populaire, d'hommes et de femmes qui ont eu le courage de risquer leur vie par des gestes parfois grands souvent petits, pour dire non à l'occupant et oui à la liberté. S'appuyant sur des témoignages authentiques le récit est une succession de petites scènes plus ou moins longues, s'enchaînant avec logique. Parfois quelques mots suffisent à décrire une action.
Isabelle Starkier présente une très belle scénographie. Sur scène une douzaine de costumes pendent du plafond accrochés par des chaines. Posés sur des cintres ces costumes sont les figures en relief de ces résistants de tous les jours. François Bourcier les enfile les uns après les autres, se transformant en ces Justes, ces Résistants du quotidien : paysan à l'accent rocailleux, une ménagère bien parisien, un étudiant bravache, un ouvrier en bleu, un policier protecteur d'un enfant juif, etc. Une gestuelle, une posture, un accent, une mimique : le comédien se transforme en quelques secondes, faisant vivre avec authenticité ces anonymes.
L'ensemble est rythmé. On part d'un d'univers réaliste pour évoluer vers un mode plus onirique et poétique, se terminant par un clown un peu lunaire et attendrissant. Il aborde sous un angle original une partie de notre histoire récente et nous la raconte comme si nous l'entendions pour la première, captivant l'auditoire dès la première seconde avec des images fortes comme la silhouette de Jean Moulin.
Le spectacle se termine sur les mots d'Aimé Césaire :
"Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont pas de bouche. Ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir".
Une leçon d'histoire racontée brillamment par un comédien bouleversant. Une ouverture des esprits pour rappeler qu'aujourd'hui comme hier il n'est pas de petits gestes pour résister.
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