Ses critiques
898 critiques
8,5/10
Ce spectacle nous invite à une découverte ou à des retrouvailles modernisées de la pièce culte de Jean Giraudoux « La Folle de Chaillot ». L’adaptation de Margaux Wicart est adroite et nous offre un moment de théâtre divertissant. Sa transposition dans le monde contemporain ne nous prive en rien de la puissance d’énonciation et de dénonciation de la pièce originelle créée en 1945. Au contraire, ses résonnances dans la vie sociale et politique actuelle, dans la culture ambiante, rebondissent tout le long sur les messages de Giraudoux, les sublimant par leur actualisation.
« À Paris, un complot se trame sur le parvis de Notre Dame ; La Présidente et le Prospecteur s’apprêtent à détruire la ville pour exploiter le pétrole fraichement découvert dans ses souterrains. Mais rien ne se passe comme prévu ! Quatre Folles hautes en couleurs, ferventes gardiennes des beautés et de l’âme de la capitale, pilotent la contre-offensive… »
Nous voici plongés dans un univers excentrique et loufoque, tâtant de l’extravagance, qui charrie son lot de piquantes vindictes sur la cupidité et la corruption des puissants. Le texte bouscule la réflexion comme un appel à la résistance contre l’oppression et à la défense d’un idéal de vie libre et éclairé, aimant et délibérément beau. Une problématique dont Giraudoux entrevoyait déjà avec lucidité l'importance qu'elle revêtirait plus tard et que Wicart restitue ici avec justesse.
« Ce qu'on fait avec du pétrole. De la guerre. De la misère. De la laideur. Un monde misérable » : Giraudoux faisait dire à Pierre.
Ne nous y trompons pas, le spectacle nous fait rire d’abord et penser ensuite. Le tout est absurdement drôle. Et c’est tant mieux.
Le texte de Margaux Wicart, malgré sa mise en scène un peu trop sage, restitue l’univers de Giraudoux en l’extrapolant, passe la rampe et nous offre un spectacle intelligent et plaisant.
Il y a du saltimbanque tendance théâtre de tréteaux dans la façon de cette jeune troupe enthousiaste composée par Rebecca Château, Gwenaelle Couzigou, Marie d’Hoir, Matthieu Le Goaster, Jérémie Lutz, Sybille Montagne et Margaux Wicart. Elles et ils nous montrent un engagement audacieux et dans l’ensemble réussi.
À noter les prestations remarquables de Jérémie Lutz dont le jeu fin et convaincant indique une maîtrise impressionnante de ses personnages (le sourd-muet, l’inconnu du métro et Pierre). Tout comme celles de Margaux Wicart (Irma) et Sybille Montagne (Aurélie), notamment leurs monologues formidablement touchants. Mentions spéciales pour les costumes au seyant superbe de Rebecca Château et pour la musique de Baptiste Charvet, savoureuse et bienvenue pour accompagner cet univers d’humour et de poésie.
Une adaptation intéressante et divertissante. Un moment sympathique. Une jeune compagnie à encourager sans aucun doute !
« À Paris, un complot se trame sur le parvis de Notre Dame ; La Présidente et le Prospecteur s’apprêtent à détruire la ville pour exploiter le pétrole fraichement découvert dans ses souterrains. Mais rien ne se passe comme prévu ! Quatre Folles hautes en couleurs, ferventes gardiennes des beautés et de l’âme de la capitale, pilotent la contre-offensive… »
Nous voici plongés dans un univers excentrique et loufoque, tâtant de l’extravagance, qui charrie son lot de piquantes vindictes sur la cupidité et la corruption des puissants. Le texte bouscule la réflexion comme un appel à la résistance contre l’oppression et à la défense d’un idéal de vie libre et éclairé, aimant et délibérément beau. Une problématique dont Giraudoux entrevoyait déjà avec lucidité l'importance qu'elle revêtirait plus tard et que Wicart restitue ici avec justesse.
« Ce qu'on fait avec du pétrole. De la guerre. De la misère. De la laideur. Un monde misérable » : Giraudoux faisait dire à Pierre.
Ne nous y trompons pas, le spectacle nous fait rire d’abord et penser ensuite. Le tout est absurdement drôle. Et c’est tant mieux.
Le texte de Margaux Wicart, malgré sa mise en scène un peu trop sage, restitue l’univers de Giraudoux en l’extrapolant, passe la rampe et nous offre un spectacle intelligent et plaisant.
Il y a du saltimbanque tendance théâtre de tréteaux dans la façon de cette jeune troupe enthousiaste composée par Rebecca Château, Gwenaelle Couzigou, Marie d’Hoir, Matthieu Le Goaster, Jérémie Lutz, Sybille Montagne et Margaux Wicart. Elles et ils nous montrent un engagement audacieux et dans l’ensemble réussi.
À noter les prestations remarquables de Jérémie Lutz dont le jeu fin et convaincant indique une maîtrise impressionnante de ses personnages (le sourd-muet, l’inconnu du métro et Pierre). Tout comme celles de Margaux Wicart (Irma) et Sybille Montagne (Aurélie), notamment leurs monologues formidablement touchants. Mentions spéciales pour les costumes au seyant superbe de Rebecca Château et pour la musique de Baptiste Charvet, savoureuse et bienvenue pour accompagner cet univers d’humour et de poésie.
Une adaptation intéressante et divertissante. Un moment sympathique. Une jeune compagnie à encourager sans aucun doute !
9,5/10
Une formidable immersion dans l’univers singulier et détonant du théâtre de Nicolas Doutey. Un auteur qui place son écriture à la lisère de l’absurde mis en bouteille et agitée fortement, et proche du rêve éveillé venant frapper de plein fouet la raison, laissant notre imaginaire nous lover dans un moment subtil et délicat, un peu fou et chargé de pensées à venir.
« Paul a rendez-vous chez lui avec son ami d’enfance Pierre quand So, adjointe de Matt, arrive. Paul ne connait ni So ni Matt, mais elles ont pris leurs renseignements : le comportement de Paul a retenu leur attention. Matt, une femme politique, tient à le rencontrer pour un projet qui consiste à réformer la portée et l’endroit du politique dans le monde. Paul n’a à sa connaissance pas plus à voir avec la politique que n’importe qui, et il n’est pas bien sûr de comprendre ce dont il s’agit… »
Un spectacle comme une poursuite circulaire, infernale et drôle, du mot, de la situation et du message. Sorte de triumvirat implacable qui structure la dramaturgie de la pièce.
Les mots pris au pied de la lettre jonglent avec le sens, le contre-sens et le non-sens. Ils semblent plongés dans un puits étrange d’où jaillissent tirades loufoques, interjections habiles et traits à l’autodérision signifiante et limpide.
Les situations sont de courte portée, centrées essentiellement sur les mots dits et donnant corps aux passages entre les idées et les personnages, servant de liants aux désirs de dire et aux besoins de comprendre.
Les messages piquent le public de leurs paradoxes. Entre l’individualité des évocations du quotidien, leurs insignifiances probables et leurs importances probantes pour les personnages, et les invitations à raisonner ce qui fonde la vie collective, ce qui façonne l’Idéal Politique.
Il y a là une poétique de l’énonciation élaborée et simple à la fois, complexe et accessible avant tout, et délibérément drôle.
La mise en scène de Alain Françon sert le texte avec précision, sans appui, le laissant agir et donnant aux comédiennes et aux comédiens le soin de l’habiter et de le rendre au plus près, proche de nous, de notre sensibilité et de notre appétence à l’appropriation de ce qui est dit pour le penser.
Louis Albertosi, Pauline Belle, Rodolphe Congé, Pierre-Félix Gravière, Dominique Valadié et Claire Wauthion incarnent le texte avec une aisance habile teintée de courtoisie car chez Doutey, il semble que les personnages ne s’opposent pas, ils s’allient. Les artistes le vivent avec évidence et montrent une maitrise du corps et de la parole exemplaire pour cette partition qui repose essentiellement sur le langage. Elles et ils nous captivent par les liens qu’ils arrivent à tisser entre les personnages, d’une bienveillance sereine et intrusive. Chaque temps devient un instant essentiel, léger ou profond, souvent les deux.
Un spectacle comme une expérience théâtrale faite d’un imaginaire confronté à l’exposition d’un texte charnu, d’actions simples et congrues, et dotée d’une incarnation édifiante et toujours significative. Un très beau moment de théâtre à la singularité prégnante.
« Paul a rendez-vous chez lui avec son ami d’enfance Pierre quand So, adjointe de Matt, arrive. Paul ne connait ni So ni Matt, mais elles ont pris leurs renseignements : le comportement de Paul a retenu leur attention. Matt, une femme politique, tient à le rencontrer pour un projet qui consiste à réformer la portée et l’endroit du politique dans le monde. Paul n’a à sa connaissance pas plus à voir avec la politique que n’importe qui, et il n’est pas bien sûr de comprendre ce dont il s’agit… »
Un spectacle comme une poursuite circulaire, infernale et drôle, du mot, de la situation et du message. Sorte de triumvirat implacable qui structure la dramaturgie de la pièce.
Les mots pris au pied de la lettre jonglent avec le sens, le contre-sens et le non-sens. Ils semblent plongés dans un puits étrange d’où jaillissent tirades loufoques, interjections habiles et traits à l’autodérision signifiante et limpide.
Les situations sont de courte portée, centrées essentiellement sur les mots dits et donnant corps aux passages entre les idées et les personnages, servant de liants aux désirs de dire et aux besoins de comprendre.
Les messages piquent le public de leurs paradoxes. Entre l’individualité des évocations du quotidien, leurs insignifiances probables et leurs importances probantes pour les personnages, et les invitations à raisonner ce qui fonde la vie collective, ce qui façonne l’Idéal Politique.
Il y a là une poétique de l’énonciation élaborée et simple à la fois, complexe et accessible avant tout, et délibérément drôle.
La mise en scène de Alain Françon sert le texte avec précision, sans appui, le laissant agir et donnant aux comédiennes et aux comédiens le soin de l’habiter et de le rendre au plus près, proche de nous, de notre sensibilité et de notre appétence à l’appropriation de ce qui est dit pour le penser.
Louis Albertosi, Pauline Belle, Rodolphe Congé, Pierre-Félix Gravière, Dominique Valadié et Claire Wauthion incarnent le texte avec une aisance habile teintée de courtoisie car chez Doutey, il semble que les personnages ne s’opposent pas, ils s’allient. Les artistes le vivent avec évidence et montrent une maitrise du corps et de la parole exemplaire pour cette partition qui repose essentiellement sur le langage. Elles et ils nous captivent par les liens qu’ils arrivent à tisser entre les personnages, d’une bienveillance sereine et intrusive. Chaque temps devient un instant essentiel, léger ou profond, souvent les deux.
Un spectacle comme une expérience théâtrale faite d’un imaginaire confronté à l’exposition d’un texte charnu, d’actions simples et congrues, et dotée d’une incarnation édifiante et toujours significative. Un très beau moment de théâtre à la singularité prégnante.
8,5/10
Voici un polar théâtral à l’esthétique soignée, à l’image des films noirs de l’après-guerre, tout en élégance et en tension, et jouant sur des impressions distillées progressivement.
« Paris, fin des années 40. Paul Weylberg, célèbre mécène, collectionneur d’art et séducteur invétéré, est mystérieusement assassiné. L’artiste peintre Noël Martin et sa femme Belle, sont amis de la victime. Noël, mari jaloux, semble particulièrement nerveux à l’annonce du meurtre. Il soupçonne Belle, si coquette, si jolie et si courtisée de lui mentir sur la nature de ses relations avec feu Paul Weylberg. L’arrivée, puis l’omniprésence du Commissaire Maria, chargé de l’enquête, sème le trouble dans le ménage Martin, et pousse Noël dans un état d’anxiété toujours plus intense…»
Nous passons en revue les indices découverts grâce à un découpage savamment construit, ponctué par des noirs laissant voir une phrase en fronton pour annoncer la suite de la série de scènes jouées à la façon de plans-séquence cinématographiques. L’enchainement des épreuves subies par les protagonistes nous enferme avec eux dans un huis clos mystérieux et complexe, aux charmes désuets d’un divertissement policier tout en noir et blanc, ou presque.
C’est un sympathique divertissement particulièrement bien façonné. Du décor habile de Camille Vallat aux costumes superbes de Virginie H. en passant par les jeux de lumière de Denis Koransky et l’ambiance sonore de Thomas Fourel, l’ensemble compose une beauté formelle particulièrement efficace et bienvenue pour laisser le plateau à une troupe en verve et convaincante, mise en scène avec une précision ciselée par Raphaëlle Lémann. Les artistes nous embarquent dès le début et attisent notre curiosité jusqu’au bout. Raphaëlle Lémann, François Nambot, Malvina Morisseau, Bertrand Mounier et Philippe Perrussel rivalisent de finesses, d’éclats et de truculences dans leurs jeux.
Une énigme policière qui tient en haleine jusqu’à sa fin. Bien malin qui trouvera avant qui est coupable (quoique j’avoue l’avoir su dès le début mais je me suis tu je vous rassure et ce, bien que mes voisins Y. et M. n’aient cessé de me harceler). Un agréable moment de théâtre de plaisir. Bien ficelé et surtout très bien joué.
« Paris, fin des années 40. Paul Weylberg, célèbre mécène, collectionneur d’art et séducteur invétéré, est mystérieusement assassiné. L’artiste peintre Noël Martin et sa femme Belle, sont amis de la victime. Noël, mari jaloux, semble particulièrement nerveux à l’annonce du meurtre. Il soupçonne Belle, si coquette, si jolie et si courtisée de lui mentir sur la nature de ses relations avec feu Paul Weylberg. L’arrivée, puis l’omniprésence du Commissaire Maria, chargé de l’enquête, sème le trouble dans le ménage Martin, et pousse Noël dans un état d’anxiété toujours plus intense…»
Nous passons en revue les indices découverts grâce à un découpage savamment construit, ponctué par des noirs laissant voir une phrase en fronton pour annoncer la suite de la série de scènes jouées à la façon de plans-séquence cinématographiques. L’enchainement des épreuves subies par les protagonistes nous enferme avec eux dans un huis clos mystérieux et complexe, aux charmes désuets d’un divertissement policier tout en noir et blanc, ou presque.
C’est un sympathique divertissement particulièrement bien façonné. Du décor habile de Camille Vallat aux costumes superbes de Virginie H. en passant par les jeux de lumière de Denis Koransky et l’ambiance sonore de Thomas Fourel, l’ensemble compose une beauté formelle particulièrement efficace et bienvenue pour laisser le plateau à une troupe en verve et convaincante, mise en scène avec une précision ciselée par Raphaëlle Lémann. Les artistes nous embarquent dès le début et attisent notre curiosité jusqu’au bout. Raphaëlle Lémann, François Nambot, Malvina Morisseau, Bertrand Mounier et Philippe Perrussel rivalisent de finesses, d’éclats et de truculences dans leurs jeux.
Une énigme policière qui tient en haleine jusqu’à sa fin. Bien malin qui trouvera avant qui est coupable (quoique j’avoue l’avoir su dès le début mais je me suis tu je vous rassure et ce, bien que mes voisins Y. et M. n’aient cessé de me harceler). Un agréable moment de théâtre de plaisir. Bien ficelé et surtout très bien joué.
10/10
Quel moment de théâtre prégnant et captivant, drôle et tragique à la fois ! Alain Françon nous offre ici une version léchée, toute en finesse de représentation. Version éblouissante de limpidité pour cet obscur objet de diversion de sens et de repères qu’est cette pièce considérée comme l'un des textes les plus importants du théâtre moderne, emblématique du travail de Samuel Beckett.
Depuis sa création en 1953, scandale devenu triomphe, son épopée poursuit à travers le monde son chemin de découvertes toujours renouvelées, illustré par de nombreuses approches qui ne cessent d’interroger la raison et l’émotion qui ressortent de ce chef-œuvre théâtral labyrinthique.
« Vladimir et Estragon, quelque part à la campagne, à côté d’un arbre, le soir, attendent Godot dont on ne sait rien. Ils n’en savent pas grand-chose non plus et ne se rappellent plus vraiment pourquoi ils l’attendent. Et en attendant, ils discutent, se livrent à diverses activités, considèrent l’arbre, le ciel, l’un sa chaussure et l’autre son chapeau, à un moment Pozzo et Lucky passent…»
L’univers de cette narration qui n’en finit pas de tisser son suspens est composé d’un décor intentionnellement minimal et désolé (ici grisâtre même), comme le souhaite l’auteur. Décor rehaussé toutefois par des accessoires (les chaussures, les chapeaux, la pipe, le fouet, la corde, le panier, la valise…) qui appuient là où c’est incongru, pour échapper sans doute à la routine de l’écoute et parsemer notre regard de ruptures ironiques voire sarcastiques. Les objets occupent là encore une place particulière et importante. Ce sont des enjeux narratifs permanents, étroitement associés à la gestuelle, à la parole et à la situation. Eux aussi sont des acteurs essentiels de la dramaturgie.
Une fois plongés dans ce récit abscons, entrepris par des personnages envoutants et déroutants à la fois, il y a comme un délice à se laisser porter par ce flux de paroles désenchantées, d’images confondantes de simplicité résignée, dans cet ailleurs qui ne peut trouver sens en lui-même et qui casse toute velléité de signification. Cette fameuse vacuité de la vie si chère aux dénonciations présentes dans la littérature beckettienne.
Et toujours, ce jeu de miroir, ce méta-théâtre qui donne aux personnages l’occasion de sortir tout à coup de l’illusion fictionnelle et de commenter ce qu’ils disent et ce que les comédiens font, de multiplier les adresses au public. Comme souvent chez Beckett, le 4ème mur se doit d’être fragile et poreux. (« Ça passera le temps », « comment m’as-tu trouvé ? » », « ceci devient vraiment insignifiant ».)
La mise en scène d’Alain Françon montre formidablement bien comment les personnages de Beckett sont révoltés et résignés à la fois, confrontés à l’ignorance confuse et récurrente du temps qui passe et qui est passé, meurtris par l’insignifiance et la déroute de leurs vies. Nous sommes face à une forme d’onirisme gris qui envahit le plateau et le récit. Estragon et Vladimir sont tout en nuances de gris vêtus. Un gris de désolation que seules viennent contrarier les couleurs des costumes de Pozzo, Lucky et du garçon, apportant une luminosité cocasse comme autant de perles d'espoirs impromptus et vains.
André Marcon (Estragon) et Gilles Privat (Vladimir, monsieur Albert) excellent véritablement. Ils donnent une évidence au texte avec brio, s’en emparent avec une sorte de gourmandise qui attise notre curiosité, leur attente de Godot et leur errance deviennent nôtres, nous sommes saisis.
Guillaume Lévêque (impérieux Pozzo), Éric Berger (très agile Lucky), Antoine Heuillet (impeccable garçon) ne sont pas en reste et apportent une crédibilité convaincante à l’ensemble de cet aréopage farouchement irréaliste et pourtant joué avec tout le naturalisme beckettien qui convient.
Un spectacle impressionnant, une magnifique prestation de comédiens, un « Godot » mémorable à n’en pas douter. Courez-y !
Depuis sa création en 1953, scandale devenu triomphe, son épopée poursuit à travers le monde son chemin de découvertes toujours renouvelées, illustré par de nombreuses approches qui ne cessent d’interroger la raison et l’émotion qui ressortent de ce chef-œuvre théâtral labyrinthique.
« Vladimir et Estragon, quelque part à la campagne, à côté d’un arbre, le soir, attendent Godot dont on ne sait rien. Ils n’en savent pas grand-chose non plus et ne se rappellent plus vraiment pourquoi ils l’attendent. Et en attendant, ils discutent, se livrent à diverses activités, considèrent l’arbre, le ciel, l’un sa chaussure et l’autre son chapeau, à un moment Pozzo et Lucky passent…»
L’univers de cette narration qui n’en finit pas de tisser son suspens est composé d’un décor intentionnellement minimal et désolé (ici grisâtre même), comme le souhaite l’auteur. Décor rehaussé toutefois par des accessoires (les chaussures, les chapeaux, la pipe, le fouet, la corde, le panier, la valise…) qui appuient là où c’est incongru, pour échapper sans doute à la routine de l’écoute et parsemer notre regard de ruptures ironiques voire sarcastiques. Les objets occupent là encore une place particulière et importante. Ce sont des enjeux narratifs permanents, étroitement associés à la gestuelle, à la parole et à la situation. Eux aussi sont des acteurs essentiels de la dramaturgie.
Une fois plongés dans ce récit abscons, entrepris par des personnages envoutants et déroutants à la fois, il y a comme un délice à se laisser porter par ce flux de paroles désenchantées, d’images confondantes de simplicité résignée, dans cet ailleurs qui ne peut trouver sens en lui-même et qui casse toute velléité de signification. Cette fameuse vacuité de la vie si chère aux dénonciations présentes dans la littérature beckettienne.
Et toujours, ce jeu de miroir, ce méta-théâtre qui donne aux personnages l’occasion de sortir tout à coup de l’illusion fictionnelle et de commenter ce qu’ils disent et ce que les comédiens font, de multiplier les adresses au public. Comme souvent chez Beckett, le 4ème mur se doit d’être fragile et poreux. (« Ça passera le temps », « comment m’as-tu trouvé ? » », « ceci devient vraiment insignifiant ».)
La mise en scène d’Alain Françon montre formidablement bien comment les personnages de Beckett sont révoltés et résignés à la fois, confrontés à l’ignorance confuse et récurrente du temps qui passe et qui est passé, meurtris par l’insignifiance et la déroute de leurs vies. Nous sommes face à une forme d’onirisme gris qui envahit le plateau et le récit. Estragon et Vladimir sont tout en nuances de gris vêtus. Un gris de désolation que seules viennent contrarier les couleurs des costumes de Pozzo, Lucky et du garçon, apportant une luminosité cocasse comme autant de perles d'espoirs impromptus et vains.
André Marcon (Estragon) et Gilles Privat (Vladimir, monsieur Albert) excellent véritablement. Ils donnent une évidence au texte avec brio, s’en emparent avec une sorte de gourmandise qui attise notre curiosité, leur attente de Godot et leur errance deviennent nôtres, nous sommes saisis.
Guillaume Lévêque (impérieux Pozzo), Éric Berger (très agile Lucky), Antoine Heuillet (impeccable garçon) ne sont pas en reste et apportent une crédibilité convaincante à l’ensemble de cet aréopage farouchement irréaliste et pourtant joué avec tout le naturalisme beckettien qui convient.
Un spectacle impressionnant, une magnifique prestation de comédiens, un « Godot » mémorable à n’en pas douter. Courez-y !
9,5/10
Une pièce qui nous invite dans l’antre d’une amitié, nous faisant visiter ses recoins, ses dessous de tapis et ses dessus d’apparence. Passant même devant tous les miroirs, pour voir si peut-être nous ne pourrions pas nous y refléter.
Nous voici dans l’intimité dévoilée de trois copains de toujours, Hélène, Paul et Joseph, trois vieux amis depuis si longtemps. Avec un humour noir et parfois glaçant, tissé de tendresse et de sensibilité, ils se racontent autant qu’ils nous parlent. Des échanges sincères et complices, de ceux qui font appel à nos pensées, à nos désirs, à nos souvenirs et nos regrets aussi. Comme il est aisé et délicieux de se laisser prendre dans ces propos qui rebondissent de l’un à l’autre. Ce trio qui se complaît à faire route jamais loin les uns des autres tout le long de la vie et qui, quoiqu’il arrive, se retrouve en toute simplicité. Des amis, à la vie à la mort.
« Ils arrivent au bout du chemin. Paul, Joseph et Hélène, trois amis et orphelins, la cinquantaine bien entamée, quittent le cimetière où Hélène vient d’enterrer son dernier parent et vont dîner. Ils trimbalent leurs fantômes tenaces, leurs désirs gâchés, les trajectoires ratées, et un humour vache qui les sauve de tout. Les deuils, les amours anciennes, les grands échecs, les petites victoires et les illusions perdues…»
Du cimetière au dîner en passant par la promenade (et quelle promenade !), c’est comme un long chemin de paroles piquées de traits crus et de sursauts déconcertants. Un régal de catharsis ! On ne pas ne pas s’identifier et reconnaitre qui ou qu’est-ce dans ce torrent de révélations et divagations parsemées d’embuches de vérités et d’éclats de confidences.
Jeux des mots et jeux des maux s’entremêlent tout le long de cette journée particulière mais sans doute habituelle. Un enterrement qui se termine à peine suivi d’un longue promenade pour rejoindre la maison de famille pour dîner constituent le fil simple du texte de Gilles Gaston-Dreyfus qui décrit avant tout les relations entre les personnages. Il n’y a pas d’action particulière qui fonderait une histoire. Juste eux, ensemble, cocasses et sensibles, terriblement attachants et drôles jusqu’au loufoque.
Il y a comme une expressivité du temps qui passe, qui est passé et qui draine avec lui les aléas rencontrés, les joies partagées, les riens qui forment leur tout. Entre langueur mélancolique et jouissance des instants, entre frustrations et assauts de gaité. Une résilience commune qui les rassemble.
La mise en scène conduite par l’auteur avec toute son équipe artistique nous concocte un spectacle calée au cordeau, sobre et très efficace pour permettre les jeux pêchus et brillants, touchants et drôles de Anne Benoît, Stéphane De Groodt, Gilles Gaston-Dreyfus et Amira Hadzic.
Un spectacle chaleureux et plein d’humour qui nous plonge dans l’univers de Gilles Gaston-Dreyfus, cet auteur qui décrit en récurrence les liens entre les gens avec une précision parfois féroce et persifflante mais toujours sensible et empathique. Une mise en vie impeccable et une interprétation remarquable. À savourer !
Nous voici dans l’intimité dévoilée de trois copains de toujours, Hélène, Paul et Joseph, trois vieux amis depuis si longtemps. Avec un humour noir et parfois glaçant, tissé de tendresse et de sensibilité, ils se racontent autant qu’ils nous parlent. Des échanges sincères et complices, de ceux qui font appel à nos pensées, à nos désirs, à nos souvenirs et nos regrets aussi. Comme il est aisé et délicieux de se laisser prendre dans ces propos qui rebondissent de l’un à l’autre. Ce trio qui se complaît à faire route jamais loin les uns des autres tout le long de la vie et qui, quoiqu’il arrive, se retrouve en toute simplicité. Des amis, à la vie à la mort.
« Ils arrivent au bout du chemin. Paul, Joseph et Hélène, trois amis et orphelins, la cinquantaine bien entamée, quittent le cimetière où Hélène vient d’enterrer son dernier parent et vont dîner. Ils trimbalent leurs fantômes tenaces, leurs désirs gâchés, les trajectoires ratées, et un humour vache qui les sauve de tout. Les deuils, les amours anciennes, les grands échecs, les petites victoires et les illusions perdues…»
Du cimetière au dîner en passant par la promenade (et quelle promenade !), c’est comme un long chemin de paroles piquées de traits crus et de sursauts déconcertants. Un régal de catharsis ! On ne pas ne pas s’identifier et reconnaitre qui ou qu’est-ce dans ce torrent de révélations et divagations parsemées d’embuches de vérités et d’éclats de confidences.
Jeux des mots et jeux des maux s’entremêlent tout le long de cette journée particulière mais sans doute habituelle. Un enterrement qui se termine à peine suivi d’un longue promenade pour rejoindre la maison de famille pour dîner constituent le fil simple du texte de Gilles Gaston-Dreyfus qui décrit avant tout les relations entre les personnages. Il n’y a pas d’action particulière qui fonderait une histoire. Juste eux, ensemble, cocasses et sensibles, terriblement attachants et drôles jusqu’au loufoque.
Il y a comme une expressivité du temps qui passe, qui est passé et qui draine avec lui les aléas rencontrés, les joies partagées, les riens qui forment leur tout. Entre langueur mélancolique et jouissance des instants, entre frustrations et assauts de gaité. Une résilience commune qui les rassemble.
La mise en scène conduite par l’auteur avec toute son équipe artistique nous concocte un spectacle calée au cordeau, sobre et très efficace pour permettre les jeux pêchus et brillants, touchants et drôles de Anne Benoît, Stéphane De Groodt, Gilles Gaston-Dreyfus et Amira Hadzic.
Un spectacle chaleureux et plein d’humour qui nous plonge dans l’univers de Gilles Gaston-Dreyfus, cet auteur qui décrit en récurrence les liens entre les gens avec une précision parfois féroce et persifflante mais toujours sensible et empathique. Une mise en vie impeccable et une interprétation remarquable. À savourer !