- Théâtre contemporain
- Théâtre des Bouffes du Nord
- Paris 10ème
The Prisoner

- Carole Karemera
- Ery Nzaramba
- Hiran Abeysekera
- Théâtre des Bouffes du Nord
- 37 bis, boulevard de la Chapelle
- 75010 Paris
Un homme est assis, seul, devant une immense prison, dans un paysage désert.
Qui est-il ? Pourquoi est-il assis là devant cette prison ?
Est-ce un choix délibéré ? Est-ce une punition ? Et ceux qui sont à l’intérieur, quels crimes ont-ils commis, eux ? Et comment considèrent-ils cet homme qui leur fait face ? Un fou ? Un fou de Dieu ? Un criminel, lui aussi, comme eux ? Quelle punition pour quel crime ? Quelle justice ? Qui a pris cette décision ? Pourquoi le laisse-t-on ainsi narguer la justice, quand il peut s’enfuir à n’importe quel moment ? Questions pour ceux qui dirigent la prison, et pour tous ceux qui y sont enfermés. Cet homme cherche-t-il une rédemption ? Est ce que des gens viennent le voir ? Est-il là depuis longtemps ?
À travers des ateliers, en France et à l’Etranger, nous allons pénétrer dans la richesse de tous ces thèmes. Et présenter, aux Bouffes du Nord, l’évolution de cette incursion dans cette étonnante fourmilière.
Ma relation avec ce Théâtre est assez particulière. J’ai mis du temps à apprivoiser le lieu. Je me souviens de ma première venue ici, c’était pour un Claudel et j’ai eu peur de cette salle. C’est tellement niais et pourtant tellement vrai ici : le lieu est hanté, il est habité, il porte les marques du temps grâce à des restaurations qui ont pris soin de le laisser en l’état. Il est d’une beauté à couper le souffle et, lorsqu’il est aux mains de Peter Brook, le résultat est simplement époustouflant.
Il est sans aucun doute celui qui connaît le mieux le théâtre. Réunissez le maître de l’épure et son lieu de prédilection et le résultat n’en sera que plus magistral. Sur scène, quelques rochers, quelques buissons. Aucun décor. Ici, le lieu est personnifié. Pour moi qui ai si peu voyagé, ces lumières projetées sur ces murs au rouge si particulier, intense et marqué par le temps, créent un paysage qui ne correspond sans doute à rien dans la réalité mais qui me permet de m’évader loin.
Voilà un spectacle qui pose des questions de manière à la fois simple et poétique. Un spectacle qui aborde la question de la justice et, d’une manière plus globale, la société dans ce qu’elle a de plus normatif. Cette orientation se faire de manière extrêmement naturelle, passionnante, jamais explicative, simplement en racontant une histoire sans prendre parti. Et cette fin. Cette fin. Il y a quelque chose de très humble dans la manière de poser les questions, d’aborder cette histoire, et une véritable authenticité, comme un besoin de prendre du recul face à un propos trop intériorisé pour être compris par une simple introspection. On ressent la nécessité de porter ce sujet sur une scène.
S’il est un scénographe de talent, Peter Brook n’en délaisse pas moins la direction d’acteurs. Exemplaire. Chaque comédien a une aura monstrueuse et amène avec lui une histoire, un passé, une âme qui respire à ses côtés. Ils font partie du décor, littéralement, et dans le bon sens du terme : ils ne s’y adaptent pas, il le forment avec eux. Pas besoin de musique, pas besoin d’artifice : ils créent réellement l’univers autour d’eux, en échangeant des mots simples, des regards profonds, des pensées nécessaires.
Pour chipoter, on pourrait dire qu’on a tout de même l’impression d’avoir déjà vu ce spectacle, notamment dans Battlefield. Il n’empêche, c’est toujours un ravissement d’assister à cette simplicité, cet espace, d’être transporté dans ce moment suspendu que représente une pièce de Peter Brook.
La mise en scène est dépouillée. On y voit juste quelques branches et copeaux de bois posé à même le sol. Les murs du théâtre sont pour une fois dans leur dénuement le plus total. Tout cela suffit amplement pour la isser tout le champ de l'émotion à Hiran Abeysekera, Ery Nzaramba, Omar Silva, Kalieaswari Srinivasan et Donald Sumpter. Avec juste le nécessaire de mots, d'échanges et de regards, le spectateur se sent guider à travers les chemins de la jalousie, de la colère et de la rédemption. On reste aux côtés de cet homme qui doit fusionner avec la prison et se sentir enfin libre. Les structures mentales s'effondrent et les barrières tombent. Lorsqu'enfin la prison est détruite, la liberté peut s'offrir.
Un voyage plein de philosophie et de réflexion vous attend.