- Théâtre contemporain
- Comédie Française - Studio Théâtre
- Paris 1er
Singulis / Molière-matériau(x)

- Comédie Française - Studio Théâtre
- 99, rue de Rivoli
- 75001 Paris
- Louvre-Rivoli (l.1)
Molière, je m’en suis aperçu, a été présent à différentes étapes de mon parcours de comédien, et plus largement de mon existence. Je voudrais l’évoquer, non pas comme un biographe mais comme un acteur, comme on travaille autour d’un rôle, dans l’addition de sa propre vérité et de celle du personnage auquel on rêve.
Je tente d’entendre sa pensée, de comprendre ce qui l’anime, et de voir en quoi, dans sa singularité, il interroge ma propre histoire, et plus généralement la question de la mémoire. Une évocation toute subjective, qui se trouvera sans doute à mi-chemin entre nous deux, et qui, j’espère, parlera à tous. Ce que je fais, je glane toutes sortes de matériaux, comme pour un chantier : je lis et je tente de me laisser faire. Je voudrais convoquer Jean-Luc Lagarce, et son Malade imaginaire, aussi bien que Musset rêvant à une représentation d’une pièce de Molière qu’il vient de voir. D’autres interlocuteurs, figures, personnages, s'inviteront encore.
Cette canne est le tout premier souvenir qui relie Pierre Louis-Calixte à Molière, du côté de Yaoundé, au Cameroun.
Cette canne, c’est celle du grand-père, celle aux deux petites incrustations d’ivoire qui servira d’accessoire au petit Pierre pour interpréter devant ses copains de classe le rôle d’Harpagon.
Cette canne, il l’a toujours. Dans ce spectacle, il va s’en servir.
En mémoire…
Oui, dans ce remarquable spectacle, il sera question de mémoire.
De passerelles mémorielles entre un comédien et notre plus illustre des auteurs.
Ce fut en effet la commande d’Eric Ruf à celui qui paradoxalement a très peu joué Molière, qui n’est pas son auteur fétiche : livrer à nous autres spectateurs les éléments qui relient l’auteur de tant de chefs d’œuvre à l’un des membres de la Troupe.
Grâce à l’écriture et au texte passionnants du comédien, le plateau du Studio-Théâtre va devenir un lieu de mémoire : la mémoire des disparus illustres et ceux des vivants qui sont présents dans la salle.
L’acteur, bien entendu, mais également nous autres spectateurs.
Car les souvenirs d’un permettront à ceux de tous de revenir à la surface. Nous aussi allons nous remémorer.
© Photo Y.P. -
« Je t’appellerai Jean-Baptiste ! », prévient d’emblée dans un tutoiement de bon aloi celui qui s’adresse à M. Poquelin.
Ce faisant, Pierre Louis-Calixte nous propose un double portrait, un chassé-croisé mémoriel.
Le comédien nous pose d’emblée une sacrée question : au fond, qu’est-ce qu’une existence, que sont ces petits romans et ces petites légendes individuels, que restera-t-il de nos vies, finalement, à l’aune des souvenirs et des réminiscences ?
Durant une heure, nous allons découvrir ces passerelles, ces jalons « moliéresques » qui ont balisé sa vie personnelle et professionnelle.
Nous assisterons à un magnifique et émouvant hommage.
Un homme de théâtre, le 524ème Sociétaire rend hommage à son art et à ceux qui ont compté pour lui.
Tout commence par du son.
Celui d’une sorte de micro-trottoir diffusé dans les enceintes acoustiques de la salle, avant le début du spectacle, dans lequel des inconnus parlent spontanément de celui dont on fête cette année le 400ème anniversaire.
Et puis le bruit d’une allumette que l’on craque.
Une façon habile de relier son précédent Singulis à celui-ci : déjà, dans Le bruiteur, écrit par Christine Montalbetti, Pierre Louis-Calixte rendait un vibrant hommage au 6ème art, par l’intermédiaire d’un technicien du son très prolixe.
Le comédien est un conteur, un raconteur.
Il nous captive à nous peindre et dépeindre sa mémoire.
C’est avec des mots, des gestes théâtraux que lui peut dresser le portrait du Patron.
Ce sont ses pinceaux à lui, lui qui a remarqué très juste titre qu’aucun des portraits peints de Molière ne se ressemblaient entre eux.
Il va nous faire rire et sourire, avec la gouaille qu’on lui connaît, mais il va également nous bouleverser.
Avec des moments intenses et émouvants.
Le coup de fil d’Eric Ruf lui proposant ce Singulis, alors qu’il se trouve aux côtés de son père atteint d’un Alzheimer qui progresse inexorablement.
La proposition de Muriel Mayette, l’appelant pour entrer au Français en 2006 pour reprendre le rôle de Cléante dans le Tartuffe mis en scène par Marcel Bozonnet.
Le comédien nous dira les bouleversantes circonstances de ces premiers pas à la Comédie française, avec un hommage très prenant à Daniel Znyk, qu’il dut remplacer pour la raison que l’on sait.
Les costumes, autres accessoires dotés de mémoire...
Sans oublier son rôle de Louis dans Juste la fin du monde, la pièce de Lagarce, qu’il relie de façon très subtile au Malade imaginaire, avec le thème de la maladie, de la Mort.
Car lui aussi, celui qui se trouve devant nous l’a connue, la maladie.
Ce faisant, nous sera mise en abyme une réflexion quant au métier de comédien, cet art qui consiste contrefaire, à faire semblant, à mentir et à tricher, en quelque sorte.
Je n’aurai garde d’oublier de mentionner les belles lumières de Catherine Verheyde, qui éclairent de façon douce et subtile le plateau, avec de bien jolis clair-obscurs.
Avec tous ces matériaux plus ou moins bruts, avec tous ces fragments mémoriels, Pierre Louis-Calixte est parvenu à construire un magnifique édifice dramaturgique, l’un de ceux qui nous parlent de façon juste et passionnante de cet étonnant et étrange art qu’est le théâtre.
Un spectacle à côté duquel il serait vraiment dommage de passer.