- Théâtre contemporain
- Théâtre de Gennevilliers
- Gennevilliers
Répétition
- Denis Podalydès
- Emmanuelle Béart
- Audrey Bonnet
- Stanislas Nordey
- Claire Zeller
- Théâtre de Gennevilliers
- 41, avenue des Grésillons
- 92230 Gennevilliers
Connu pour des pièces comme After/Before (2005) ou Clôture de l’amour (2011), l’auteur-metteur en scène et directeur du Théâtre de Gennevilliers Pascal Rambert a souvent envisagé ses œuvres comme des assemblages de corps et des montages de voix radicalement enracinés dans l’époque contemporaine.
Certains seront donc surpris d’apprendre que sa nouvelle création, Répétition, s’affranchit du temps présent pour s’implanter dans la Russie du début du XXe siècle, celle-là même qui a vu l’effritement des grandes idéologies et le basculement d’un monde. Prudence, cependant : on se tromperait en imaginant Pascal Rambert quitter son ADN de créateur conceptuel pour verser dans le drame naturaliste. Fidèle à sa passion du « temps réel » (le temps de la fiction et celui de la représentation ne font qu’un), à sa manière de flouter les lignes entre fiction et réalité, il s’ancre à l’époque de Tchekhov mais multiplie les preuves que le drame en question se déroule bien « ici et maintenant ».
Ainsi, les quatre personnages de Répétition se confondent-ils avec les acteurs qui les interprètent. Dans une salle de répétition, Emmanuelle – actrice (Emmanuelle Béart), Audrey – actrice (Audrey Bonnet), Denis – écrivain (Denis Podalydès) et Stan – metteur en scène (Stanislas Nordey) voient leur structure artistique imploser. La fin d’un monde… Voici pour l’histoire. À moins que l’on nous parle, à travers eux, de la chute des Balkans ? De la crise actuelle de l’Europe ?
Les pistes sont ouvertes par Pascal Rambert lui-même qui dit réfléchir, avec Répétition, à « ce que fut notre souhait de l’Europe et ce qu’il est devenu aujourd’hui ».
Après "CLOTURE DE L'AMOUR" qui explorait la rupture au sein du couple Pascal RAMBERT met en scène la rupture au sein d'un groupe. Construit sur le même principe le spectacle est une succession de quatre monologues. C'est Audrey BONNET qui ouvre le tir. Parce que Denis échangé un regard avec Emmanuelle, par ce que ce regard laisse paraître de l'intimité entre les deux, Audrey décide de rompre le lien qui les lie tous les quatre. Parce que ce regard est l'expression d'une trahison. Parce qu'il remet en cause tout ce qui faisait leur unité. Parce qu'il réduit à néant les souvenirs de ce voyage sur les traces de Staline qui est à l'origine du travail qu'ils s’apprêtent à finir, cette pièce qui parle de désir de changer le monde. Parce que ce regard sonne le glas des espoirs et des rêves qu'ils avaient fait ensemble lorsqu'ils étaient jeune et révoltés. Parce que ce regard fait le constat de leur échec commun. Parce que ce regard plus qu'un prétexte est l'étincelle qui fait voler en éclat le vernis qui s'est craquelé au fil des années et laisse exploser les non-dits et les frustrations retenus pendant toutes ses années.
DENSITE DU TEXTE
Pascal RAMBERT parle d'un univers qu'il connait très bien, celui du théâtre, Et de fait la pièce s'adresse à un public que l'on pourrait qualifier d'averti, pas à un public populaire. La scénographie de Daniel JANNETEAU situe la scène dans un lieu des plus inconfortables pour une troupe de théâtre : un gymnase, avec ses lignes droites au sol, celles qui limitent et fixent les règles des déplacements des joueurs, comme en opposition avec l'éclatement des codes de "La Structure" et du groupe, avec sa lumière crue qui inonde les quatre personnages dont les pensées jusqu'aux plus intimes sont mises à jour sous l'impulsion d'Audrey. Mais si RAMBERT s'appuie sur le théâtre et ses références, il les fait parler de la vie. Audrey lance le débat (car il me semble que cela reste un débat même si les quatre ne se répondent pas directement en utilisant la forme classique et simple du dialogue). Elle les interpelle sur le sens de ce qu'ils font, de ce qu'ils sont, tout comme elle interpelle Denis sur le sens de la mise en scène de cette biographie de Staline qu'il a prétendument écrite et du récit lui-même. Emmanuelle rebondit sur le registre du désir, de l'amour, répondant à l'esprit par le charnel. Denis dissèque le rôle de l'écrivain, le vide et Stan clos le débat par un constat d'échec d'une génération qui passe le flambeau à la suivante.
De ce texte d'une grande densité, comme c'était déjà le cas dans "La clôture de l'amour", émane des interrogations. Le rythme du phrasé si particulier, ses ruptures (pour moi un peu trop accentuées chez Audrey BONNET et beaucoup plus fluides bien que clairement présentes chez ses trois partenaires), ses répétitions pour mieux insister sur le propos, tout marque l'empreinte de RAMBERT (qui m'a parfois donner l'impression de tourner en rond notamment sur la question de la rupture dans le domaine du couple). Lorsque le dernier mot, le dernier cri, le dernier appel de Stan s'est envolé, il nous laisse sinon chamboulé tout au moins loin d'être indifférent.
Et c'est peut-être dans ce dernier appel que je trouve la limite qui m'empêchera de mettre 5 étoiles à cet article. Le quatrième monologue a pour moi sonné à part. S'il répond aux trois autres en partie il part dans des envolées qui m'ont été dissonantes. Pourquoi ce groupe qui est loin d'être à la fin de sa vie baisse-t-il les bras si facilement. Ils font un constat d'échec de leur expérience sur 20 ans. Mais leur vie se limite-t-elle à ces 20 ans ? Qu'est-ce qui les empêche de continuer le combat sous une autre forme, seul ou avec de nouveaux partenaires ? Pourquoi invectiver si énergiquement une jeunesse à laquelle il veut transmettre la torche du combat ? J'aurai aimé avoir le ressenti des lycéens qui étaient présents dans le public ce soir-là. Il m'a manqué le moment, le lien entre la démarche isolée de ce groupe et la manière dont il s'inscrit dans l'histoire universelle. Peut-être le trouverai-je en relisant le texte.
LA FORCE DE LA GESTUELLE
Qu'ils soient debout, couchés, parlant ou muets, il y a dans la mise en scène une force du geste. Car le théâtre de RAMBERT ne s'exprime pas que par les mots mais aussi par le silence des corps. Les quatre comédiens sont imprégnés de leur texte. Leur émotion est palpable. Dans leurs silences. Dans leur écoute. Dans leurs regards. Les corps expriment parfois encore plus clairement que le mot, par ses mouvements, par les déplacements sur des rythmes variés. Souvent au théâtre le spectateur est tenté de concentrer son regard sur celui qui parle. Ce serait une erreur dans le théâtre de RAMBERT tant il met à contribution toute les capacités de ce dernier à refléter consciemment ou pas les élancement de l'esprit. Est-ce pour cela que l'auteur / metteur en scène à choisi de clore la pièce par l'intervention d'une gymnaste, avec son élégance, ses rubans, son ballon, son cerceau, ses massues. "La jeune gymnaste entrera et un peu de beauté retombera enfin sur le monde" dit Stan. Tout comme je n'avais pas été convaincue par l'apparition de la chorale dans la Cloture, je n'ai pas perçu toute la subtilité de cet intermède.
Si Audrey BONNET et Sanislas NORDEY se connaissent parfaitement et maîtrisent complètement les codes du théâtre de RAMBERT, le passage du duo au quatuor est parfaitement réussi. Emmanuelle BEART apporte toute sa sensualité pour parler du désir. Denis PODALYDES apparaît comme la caution sérieuse, droite pour ne pas dire rigide du groupe. La symbiose s'est faite. L'échange, la communion sont là.
En Bref : un spectacle qui s'adresse aux amateurs de théâtre contemporain, qui ouvre la porte sur de nombreuses réflexions, secouant acteurs et spectateurs, ne laissant pas indifférent. Un spectacle d'un abord difficile mais qui enrichit. Quatres comédiens remarquables.
Le texte, le jeu, la mise en scène demandent une énergie folle pour entrer dans cette pièce sublime. Il faut 1/4h pour se laisser embarquer. C'est déroutant. Un grand coup de chapeau à Audrey Bonnet, qui ouvre le bal, ce qui est dans ce cas un exercice très compliqué. Ensuite, une fois que vous êtes pris, vous ne lâchez pas une seconde. J'ai rarement vécu une telle intensité au théâtre. Je suis sorti avec le texte en tête, très précisément. Les acteurs sont absolument fabuleux.
Audrey Bonnet, Emmanuelle Béart, Denis Podalydes et le génial Stanislas Nordey. Tous portent cette pièce avec un talent et une énergie monstrueuse.
Un très grand moment de théâtre. Une pièce à voir, à montrer aux plus jeunes. Une pièce qui bouscule, interpelle, dérange, séduit. Pascal Rambert demande beaucoup au spectateur. Tout est dans l'échange d'énergie entre la scène et le public. J'aurais pu partir après dix minutes, et j'ai finalement vécu plus de 2h d'un très grand théâtre.
Le fair-play est laissé aux vestiaires lorsque la révolte d’Audrey, brune longiligne, s’exprime. Dans une tenue décontractée composée de jeans, d’un tee-shirt bleu pâle et d’une paire de bottes à talons, sa diction si reconnaissable et son phrasé inimitable nous transportent d’emblée. L’actrice nous trouble au premier mot prononcé et saura rester captivante de bout en bout de sa logorrhée qui durera un peu plus d’une demi-heure et durant laquelle elle va longuement s’interroger « Les mots sont-ils le miroir des choses ? (...) Le langage réussit-il ou le langage échoue-t-il ? (...) Comment comprendre l’amour sans l’admiration ? » puis s’intéresser à la naissance d’une passion, thème posé sur la table, sous la lumière d’un néon, comme le ferait un auteur en exposant le sujet de sa pièce au regard de ses acteurs. La mise en tension du spectateur est progressive et lorsqu’Emmanuelle prend le relai, l’implosion du groupe est proche.
Elle évoque vingt ans de « Structure » mais aussi de non-dits et de rancœur. Alors tout implose à la manière de son désir qu’elle exprime pour Denis et Stan. Emmanuelle Béart, qui a gardé le charisme naturel qu’elle avait déjà dans Manon des Sources, a ce côté enchanteur qui sait nous embarquer dans de vertigineux sentiments. Ici, elle se montre entière et passionnée. Elle oppose à la rage d’Audrey une fragilité apparente, des fêlures empathiques qu’elle transforme en force ainsi qu’une sensualité envoûtante dans son rapport au désir. Elles, les actrices qui vivent « sur la planète des mots », en font des armes puissantes qu’elles abattent avant de finir au sol, épuisées d’un face à face où jouir et aimer semblent être deux notions interdites et condamnées.
Lorsque vint le tour de Denis de s’exprimer, il s’attache à défendre le statut de l’artiste qui est « un psychopathe qui n’hésite pas à tuer pour le bon accomplissement de son œuvre », affirmant que « c’est cela écrire, survivre à l’explosion et mettre en forme l’informe qui tombe de nos lèvres». Il parle des mots, de la naissance de la passion par les livres, de son opposition avec Stan aussi, qui s’agite et trépigne d’impatience en couvant son intervention finale. D’une justesse inouïe, le sociétaire de la Comédie-Française Denis Podalydès se montre à la hauteur du rôle et se révèle être un excellent interprète des mots de Rambert, lancés comme des ballons sur un terrain. Il est poignant dans son rapport à son activité d’écrivain : « Je suis devenu écrivain pour tuer (...), je suis devenu écrivain pour entrer en toi par les mots, je suis devenu écrivain pour tuer tes mots et les remplacer par les miens. ». Sensible et posé, son intervention est bouleversante et nous touche fortement.
Enfin, vient le moment tant attendu pour Stan de s’emparer de la parole en reprenant des citations ou expressions de ceux qui l’ont précédé. De sa voix légèrement éraillée, il rebondit sur le sentiment de l’amour qui « est partout et pour chacun ». « Comme le messager antique porteur de deux visages dans ses mains le sien et celui du monde », Stan se charge de la partie bilan, des rêves à l’Histoire en passant par la vérité. Fabuleux et magistral comme à son habitude, il achève de nous convaincre que « nous sommes chacun des habitants du rêve de l’autre. ».
Et au milieu de ces très belles prises de parole dans une longue tirade individuelle, chacun participe à la mise en abyme de la répétition. La musique d’Alexandre Meyer, utilisée avec parcimonie, renforce l’aspect huis-clos de la scène. La synergie du quatuor sublime un texte percutant et réaffirme un théâtre pur, touchant à l’essence même de cet art.
La mise en scène, réglée sur mesure, et baignée dans une lumière crue, est quasi chorégraphique et le silence éloquent des corps qui sont en attente lourd de sens. La répétition se clôture sur l’intervention d’une gymnaste, Claire Zeller, apportant une touche de légèreté et balayant du bout de son ruban qui claque dans un silence pesant toute l’animosité et les sentiments de chacun, laissant place à la beauté et l’harmonie.
C’est fort, poignant, vibrant, vivant. Un magnifique moment théâtral comme Pascal Rambert en a le secret.
Un titre programmatique alléchant évoquant le style lancinant de Rambert et ses aspirations métathéâtrales. Un casting de luxe où l’on retrouve Bonnet et Nordey, accompagnés d’Emmanuelle Béart et de Denis Podalydès.
À l’arrivée, quelle terrible déception ! L’exploit de Clôture n’a pas été renouvelé : propos tautologiques rasoirs, gestion de l’espace et des corps maladroite, peu d’écoute et au final un exposé interminable qui tient de l’exercice de style.
Le choc est rude.
On attend qu'il se passe quelque chose mais il ne se passera malheureusement rien.
Les acteurs s'en sortent comme ils peuvent alors que les spectateurs regrettent qu'ils n'interagissent pas plus.
Dommage que les idées exprimées soient si communes car on ressent un vrai potentiel dans les thématiques abordées...
À ne pas voir.