- Théâtre contemporain
- Théâtre national de la Colline
- Paris 20ème
Les Barbelés

- Marie‑Ève Milot
- Théâtre national de la Colline
- 15, rue Malte-Brun
- 75020 Paris
- Gambetta (l.3)
Quand un être humain réalise que des fils barbelés lui poussent dans le corps, que sa gorge et sa bouche en seront bientôt envahies, l’empêchant peu à peu de respirer, c’est alors que surgit l’urgence de la parole. Dire les derniers mots de l’ultime heure de sa vie, tant qu’il est encore temps.
Les mots trop longtemps censurés, les mots qui débordent. Le choix de se taire, aussi.
Tout comme l’ensemble de l’œuvre d’Annick Lefebvre, ce monologue qui sera créé à La Colline est ancré dans la réalité d’aujourd’hui.
Sa génération d’auteurs québécois traduit la situation politique d’un pays « sans pays », de manière poétique et violente, tentant de survivre par une langue d’identité, qui ne se veut ni belle ni conciliante mais lacérée, tranchante, radicale.
Tel le crachat d’une jeunesse que l’on n’entend que trop rarement.
La critique de la rédaction : 6/10. Pas totalement séduit par ce seule en scène.
Une femme s'exprime pour la dernière fois, face au public, avec des expressions et un joli accent québécois. Dans ce superbe décor de cuisine sommairement retirée de son immeuble, elle sent les barbelés monter en elle : ses doutes, ses peurs, ses désillusions, ses tourments. Elle déverse ses sentiments -le plus souvent négatifs-.
Dans son flot de paroles elle évoque de nombreux sujets comme l'amour, la sexualité, l'actualité, la politique. Hélas elle n'en creuse aucun, ce qui est frustrant.
J'ai trouvé quelques passages poétiques, sombres, avec un second niveau de lecture mais je n'ai pas été emporté par le récit qui fait sans cesse des listes, part dans tous les sens, je n'ai pas ressenti d'émotions. J'aurais aimé davantage de construction, une vraie histoire.
Là, mon attention a lâché à plusieurs reprises. D'autant plus que la mise en scène statique, avec peu de lumière, fait piquer du nez.
La fin est frappante. À la sortie du théâtre, mes sentiments sont partagés.
Une femme n'a plus qu'une heure à parler avant de mourir, elle parle assez rapidement avec son accent québécois de tout, de rien... Qu'est ce qui se passerait si nous aussi on n'avait qu'une heure à parler avant de disparaître pour toujours ? C'est une fin du monde à l'échelle individuelle. l'exercice est plutot prenant.
L'arrivée dans la salle a de quoi surprendre car la comédienne est déjà sur scène , en train d'éplucher avec une grande tension des fruits.
Je ne connaissais pas Marie-Eve Milot, j'ai bien aimé sa prestation mais un peu moins le texte qui ets assez sombre.
L’atmosphère dans la salle à notre arrivée est déjà surprenante. Il arrive souvent que les comédiens soient déjà sur scène, ce qui n’empêche pas les spectateurs de discuter, même parfois un peu fort. Là, rien de tout cela. Devant nous une jeune femme assise dans sa cuisine épluche des pamplemousses de manière frénétique, jette les épluchures au sol qui s’amoncellent. A notre entrée, on essaie de faire le moins de bruit possible, les gens chuchotent, tout est calme (avant la tempête). On la regarde. Puis on l’écoutera.
Car il s’agit d’une « seule en scène ». Le personnage de Marie-Ève Milot nous transpercera de son regard (et tu ne détournes pas les yeux quand elle fait ça). Tout comme on ne s’échappera pas de cette cuisine qui s’effrite. Son temps est limité tout comme son espace de vie. On ressent l’urgence, une certaine violence. Parler pendant qu’il en est encore temps. Tout n’est pas dit en force. Des variations délicates. On entend tout ce qu’elle dit. Qui parle ? Le personnage ? La comédienne ? La metteure en scène ? L’autrice ? Nous ? Moi ? Dire tout ce qu’on a tu. Puissance des mots qui sont au centre de tout grâce aussi à l’intelligence de la mise en scène.
On ne sort pas indemne de ce spectacle qui est une révélation à tous points de vue (jeu, mise en scène et l’écriture). Je suis tombé en amour avec les mots d’Annick Lefebvre (même sa note d’intention est bien écrite et pas « plate » comme ça l’est parfois (je l’ai lue après le spectacle)).
Ce spectacle, c’est la découverte de trois mondes. D’abord, l’écriture âpre de d’Annick Lefebvre. Outre une idée brillante, ses mots sont forts, parfaitement aiguisés, ils connaissent les points faibles de leur cible et savent où appuyer, à quel instant, avec quelle puissance. Les barbelés sont certes du côté du personnage mais il s’insinuent aussi chez les spectateurs : ils grimpent le long des sièges, nous obligeant à faire face à des vérités refoulées, ouvrant des plaies béantes à chaque tentative d’évasion. S’ils mettront un terme à la voix du personnage, de notre côté ils nous paralysent aussi peu à peu, nous imposant une parole parfois désagréable ; c’est littéralement une prise d’otage verbale. Tout ce que le personnage a à dire avant cette heure dernière résonne en nous comme un écho acide : ce jour où nous aurions dû dire quelque chose face au racisme ou à la lâcheté, ce jour où tout se joue dans l’apparence et non plus dans la connaissance, ce jour où ma douleur a plus compté que celle de ceux pour qui je pleurais.
J’ai également découvert une metteuse en scène – une scénographe ? – de grand talent, en la personne d’Alexia Brüger. En n’utilisant qu’une partie de la scène du Petit Théâtre de La Colline, elle crée un espace vital restreint, sorte de ring parfois très étouffant. Le travail sur les lumières mais également sur les sons apportent une dimension supplémentaire au tourbillon verbal qui se déchaîne sur scène : qu’elle épluche son pamplemousse à s’en abîmer les mains ou qu’elle marche sur des céréales, ces petits riens auxquels on pourrait ne pas faire attention dérangent et deviennent presque obscènes sur ce plateau où, de manière généralisée, tout devient peu à peu insoutenable. Une fin du monde est en cours, et la transformation progressive de l’espace scénique en est le miroir.
Enfin, il fallait sans nul doute des épaules suffisamment solides pour porter ce texte ravageur. Pour compléter le trio féminin, Marie-Êve Milot a su apporter sa présence et donner sa voix à ce personnage, initialement non genré. Elle livre son message avec brio : impressionnante et forte, elle n’est jamais imposante et, loin de « faire l’actrice », elle joue plutôt le jeu du spectateur et semble prendre nos visages au fil de ses déblatérations. Elle est nous, citoyenne lambda qui fait ses bonnes actions régulières pour pouvoir assumer sa vie confortable de bobo occidentale ; et lorsque ses pupilles croisent les nôtres, son regard n’accuse pas, il interroge : toi qui me regardes confortablement installé dans ton siège, à quel point sens-tu présentement les Barbelés au fond de ta gorge ?
Ce spectacle m’a complètement retournée. Il est beau, puissant, sincère, et nécessaire. Il fait mal, et ça fait du bien.