Critiques pour l'événement Les Barbelés
Je connaissais à peine la comédienne Marie-Eve Milot, vue dans le court métrage de « Life’s a bitch » (pour voir le film écrit par Guillaume Lambert et réalisé par François Jaros), pas du tout l’autrice et la metteure en scène (j’ai tenté d’écrire « metteuse » et mon correcteur a écrit « menteuse »…). L’argument de la pièce m’intriguait. Bien m’en a pris.
L’atmosphère dans la salle à notre arrivée est déjà surprenante. Il arrive souvent que les comédiens soient déjà sur scène, ce qui n’empêche pas les spectateurs de discuter, même parfois un peu fort. Là, rien de tout cela. Devant nous une jeune femme assise dans sa cuisine épluche des pamplemousses de manière frénétique, jette les épluchures au sol qui s’amoncellent. A notre entrée, on essaie de faire le moins de bruit possible, les gens chuchotent, tout est calme (avant la tempête). On la regarde. Puis on l’écoutera.
Car il s’agit d’une « seule en scène ». Le personnage de Marie-Ève Milot nous transpercera de son regard (et tu ne détournes pas les yeux quand elle fait ça). Tout comme on ne s’échappera pas de cette cuisine qui s’effrite. Son temps est limité tout comme son espace de vie. On ressent l’urgence, une certaine violence. Parler pendant qu’il en est encore temps. Tout n’est pas dit en force. Des variations délicates. On entend tout ce qu’elle dit. Qui parle ? Le personnage ? La comédienne ? La metteure en scène ? L’autrice ? Nous ? Moi ? Dire tout ce qu’on a tu. Puissance des mots qui sont au centre de tout grâce aussi à l’intelligence de la mise en scène.
On ne sort pas indemne de ce spectacle qui est une révélation à tous points de vue (jeu, mise en scène et l’écriture). Je suis tombé en amour avec les mots d’Annick Lefebvre (même sa note d’intention est bien écrite et pas « plate » comme ça l’est parfois (je l’ai lue après le spectacle)).
L’atmosphère dans la salle à notre arrivée est déjà surprenante. Il arrive souvent que les comédiens soient déjà sur scène, ce qui n’empêche pas les spectateurs de discuter, même parfois un peu fort. Là, rien de tout cela. Devant nous une jeune femme assise dans sa cuisine épluche des pamplemousses de manière frénétique, jette les épluchures au sol qui s’amoncellent. A notre entrée, on essaie de faire le moins de bruit possible, les gens chuchotent, tout est calme (avant la tempête). On la regarde. Puis on l’écoutera.
Car il s’agit d’une « seule en scène ». Le personnage de Marie-Ève Milot nous transpercera de son regard (et tu ne détournes pas les yeux quand elle fait ça). Tout comme on ne s’échappera pas de cette cuisine qui s’effrite. Son temps est limité tout comme son espace de vie. On ressent l’urgence, une certaine violence. Parler pendant qu’il en est encore temps. Tout n’est pas dit en force. Des variations délicates. On entend tout ce qu’elle dit. Qui parle ? Le personnage ? La comédienne ? La metteure en scène ? L’autrice ? Nous ? Moi ? Dire tout ce qu’on a tu. Puissance des mots qui sont au centre de tout grâce aussi à l’intelligence de la mise en scène.
On ne sort pas indemne de ce spectacle qui est une révélation à tous points de vue (jeu, mise en scène et l’écriture). Je suis tombé en amour avec les mots d’Annick Lefebvre (même sa note d’intention est bien écrite et pas « plate » comme ça l’est parfois (je l’ai lue après le spectacle)).
L’idée de base me plaisait, je dois l’avouer, avec ce personnage à qui des barbelés poussent dans le ventre jusqu’à atteindre les cordes vocales, lui laissant une heure pour parler. Une ultime heure. Cette situation, angoissante, a également son penchant. Fascinant. Victime d’un voyeurisme invétéré, je voulais savoir ce qu’il pouvait bien avoir à dire pendant cette dernière heure. Cette situation, ce simple « et si il ne restait plus qu’une heure pour… » nous met face à nos contradictions. Une heure pour parler, c’est aussi prendre une revanche sur toutes ces minutes où l’on s’est tu.
Ce spectacle, c’est la découverte de trois mondes. D’abord, l’écriture âpre de d’Annick Lefebvre. Outre une idée brillante, ses mots sont forts, parfaitement aiguisés, ils connaissent les points faibles de leur cible et savent où appuyer, à quel instant, avec quelle puissance. Les barbelés sont certes du côté du personnage mais il s’insinuent aussi chez les spectateurs : ils grimpent le long des sièges, nous obligeant à faire face à des vérités refoulées, ouvrant des plaies béantes à chaque tentative d’évasion. S’ils mettront un terme à la voix du personnage, de notre côté ils nous paralysent aussi peu à peu, nous imposant une parole parfois désagréable ; c’est littéralement une prise d’otage verbale. Tout ce que le personnage a à dire avant cette heure dernière résonne en nous comme un écho acide : ce jour où nous aurions dû dire quelque chose face au racisme ou à la lâcheté, ce jour où tout se joue dans l’apparence et non plus dans la connaissance, ce jour où ma douleur a plus compté que celle de ceux pour qui je pleurais.
J’ai également découvert une metteuse en scène – une scénographe ? – de grand talent, en la personne d’Alexia Brüger. En n’utilisant qu’une partie de la scène du Petit Théâtre de La Colline, elle crée un espace vital restreint, sorte de ring parfois très étouffant. Le travail sur les lumières mais également sur les sons apportent une dimension supplémentaire au tourbillon verbal qui se déchaîne sur scène : qu’elle épluche son pamplemousse à s’en abîmer les mains ou qu’elle marche sur des céréales, ces petits riens auxquels on pourrait ne pas faire attention dérangent et deviennent presque obscènes sur ce plateau où, de manière généralisée, tout devient peu à peu insoutenable. Une fin du monde est en cours, et la transformation progressive de l’espace scénique en est le miroir.
Enfin, il fallait sans nul doute des épaules suffisamment solides pour porter ce texte ravageur. Pour compléter le trio féminin, Marie-Êve Milot a su apporter sa présence et donner sa voix à ce personnage, initialement non genré. Elle livre son message avec brio : impressionnante et forte, elle n’est jamais imposante et, loin de « faire l’actrice », elle joue plutôt le jeu du spectateur et semble prendre nos visages au fil de ses déblatérations. Elle est nous, citoyenne lambda qui fait ses bonnes actions régulières pour pouvoir assumer sa vie confortable de bobo occidentale ; et lorsque ses pupilles croisent les nôtres, son regard n’accuse pas, il interroge : toi qui me regardes confortablement installé dans ton siège, à quel point sens-tu présentement les Barbelés au fond de ta gorge ?
Ce spectacle m’a complètement retournée. Il est beau, puissant, sincère, et nécessaire. Il fait mal, et ça fait du bien.
Ce spectacle, c’est la découverte de trois mondes. D’abord, l’écriture âpre de d’Annick Lefebvre. Outre une idée brillante, ses mots sont forts, parfaitement aiguisés, ils connaissent les points faibles de leur cible et savent où appuyer, à quel instant, avec quelle puissance. Les barbelés sont certes du côté du personnage mais il s’insinuent aussi chez les spectateurs : ils grimpent le long des sièges, nous obligeant à faire face à des vérités refoulées, ouvrant des plaies béantes à chaque tentative d’évasion. S’ils mettront un terme à la voix du personnage, de notre côté ils nous paralysent aussi peu à peu, nous imposant une parole parfois désagréable ; c’est littéralement une prise d’otage verbale. Tout ce que le personnage a à dire avant cette heure dernière résonne en nous comme un écho acide : ce jour où nous aurions dû dire quelque chose face au racisme ou à la lâcheté, ce jour où tout se joue dans l’apparence et non plus dans la connaissance, ce jour où ma douleur a plus compté que celle de ceux pour qui je pleurais.
J’ai également découvert une metteuse en scène – une scénographe ? – de grand talent, en la personne d’Alexia Brüger. En n’utilisant qu’une partie de la scène du Petit Théâtre de La Colline, elle crée un espace vital restreint, sorte de ring parfois très étouffant. Le travail sur les lumières mais également sur les sons apportent une dimension supplémentaire au tourbillon verbal qui se déchaîne sur scène : qu’elle épluche son pamplemousse à s’en abîmer les mains ou qu’elle marche sur des céréales, ces petits riens auxquels on pourrait ne pas faire attention dérangent et deviennent presque obscènes sur ce plateau où, de manière généralisée, tout devient peu à peu insoutenable. Une fin du monde est en cours, et la transformation progressive de l’espace scénique en est le miroir.
Enfin, il fallait sans nul doute des épaules suffisamment solides pour porter ce texte ravageur. Pour compléter le trio féminin, Marie-Êve Milot a su apporter sa présence et donner sa voix à ce personnage, initialement non genré. Elle livre son message avec brio : impressionnante et forte, elle n’est jamais imposante et, loin de « faire l’actrice », elle joue plutôt le jeu du spectateur et semble prendre nos visages au fil de ses déblatérations. Elle est nous, citoyenne lambda qui fait ses bonnes actions régulières pour pouvoir assumer sa vie confortable de bobo occidentale ; et lorsque ses pupilles croisent les nôtres, son regard n’accuse pas, il interroge : toi qui me regardes confortablement installé dans ton siège, à quel point sens-tu présentement les Barbelés au fond de ta gorge ?
Ce spectacle m’a complètement retournée. Il est beau, puissant, sincère, et nécessaire. Il fait mal, et ça fait du bien.
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