- Classique
- Théâtre de l'Atelier
- Paris 18ème
Fin de partie
- Denis Lavant
- Frédéric Leidgens
- Théâtre de l'Atelier
- 1, place Charles-Dullin
- 75018 Paris
- Anvers (l.2)
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Après plusieurs monologues beckettiens en compagnie de Denis lavant, Jacques Osinski fait un nouveau pari, excitant et effrayant : Fin de partie, la grande pièce de Beckett, sa préférée. Tout à coup, il faut voir les choses en grand. Sommes-nous sur terre ?
Sommes-nous sur l’arche de Noé après la fin du monde ? Peut-être est-ce déjà le purgatoire …
La pièce raconte un monde qui s’écroule et donne la plus belle définition du théâtre qui soit : « Le souffle qu’on retient et puis …(il expire). Puis parler, vite des mots, comme l’enfant solitaire qui se met en plusieurs, deux, trois, pour être ensemble, et parler ensemble, dans la nuit. »
« C’est étrange de se sentir à la fois fort et au bord du gouffre. C’est ce que j’éprouve, et j’ignore laquelle de ces deux impressions est fausse: ni l’une ni l’autre probablement. » (Samuel Beckett, lettre à Pamela Mitchell)
Au centre du jeu ,il y a Hamm, littéralement centre géométrique d'un monde symbolique , aveugle tyrannique à l'image d'un monde presque sous terre qui semble fini au dehors ou est-ce un miroir des âmes des personnages. Des fenêtres il y en a deux mais ce quelles donnent à voir (en haut d'une échelle qu'il faut apporter et à la lunette de vue) semble une sorte de trajectoire hors champs d'un décor, en tous les cas on ne sent pas le monde au bord du jeu , à peine sa nostalgie, une fatalité.
Alors le jeu se déroule , Hamm sort de son étui/suaire, et redevient en ce réveil le même vampire que la veille, qui décharnerait ce réel là en y disséquant quelques principes : siffler pour assigner, asservir, vérifier, garder le contact sans toucher vraiment, effleurer selon les règles d'une fin de partie de mort lente.
Clov suit sa propre mécanique, il est debout mais ne peut s'assoir, même pas fléchir les genoux, sa raison d'être est une sorte d'esclavage ou plutôt la réponse à un ordre qui le fait exister à travers cette réponse là.
Réussira t'il son départ qui sera juste un contrordre , un versus à la règle, un jour pour libérer il faut que tout se dérègle.
Mise en scène très cadrée (les didascalies sont bien là), des acteurs magnifiques.
Après cette séance de 17H ( la quarante deuxième représentation ) les acteurs et le metteur en scène sont venus discuter avec la salle, moment étonnamment riche....merci !
Fin de partie que je n'avais jamais vu ni lu, se passe dans un lieu indéterminé, une maison ou une cave (pour atteindre les fenêtres il faut utiliser un escabeau), sur une ile ? dans un environnement extérieur sur lequel on ne sait rien, avec deux personnages Clov qui est boiteux et Hamm aveugle en fauteuil roulant sans connaître les liens qui les unissent, certaines phrases et situations se répètent. Dans des poubelles, les parents de Hamm interviennent ponctuellement. Autant d'éléments qui font qu'on peut être facilement dérouté.
Ici, j'ai très rapidement lâché prise ce que je n'avais pas fait pour les Beckett précédents, j'ai oublié toutes les interrogations qu'on peut avoir, oublié de chercher à comprendre, pour ne plus regarder que les comédiens, les écouter, être captivé par ce que je voyais.
Ce pur plaisir, je le dois à Jacques Osinski, dont la mise en scène au cordeau sert admirablement le texte et les comédiens, et quels comédiens !
La gestuelle, la voix les intonations font de l'immense Denis Lavant un Clov inoubliable.
Quant à Frédéric Leidgens cloué sur sa chaise roulante et caché derrière ses lunettes noires, il est un formidable Hamm.
N'oublions pas Peter Bonke et Claudine Delvaux qui sont excellents.
Un de mes premiers spectacles 2023, qui sera sûrement un des plus marquants, et une vraie découverte de l'oeuvre d'un des grands maîtres du théâtre de l'absurde.
« Hamm est dans un fauteuil, il est vieux, infirme et aveugle. Tous les mouvements qu’il peut faire, c’est sur son fauteuil roulant qu’il les fait, poussé par Clov, un domestique, peut-être un fils adoptif, qui est lui-même mal en point, qui marche difficilement. Le vieillard a ses parents encore, qui sont dans des poubelles, son père et sa mère qu’on voit de temps en temps apparaître. Hamm et Clov se déchirent, jouent une sorte partie d’échecs, ils marquent des points l’un après l’autre. Et il y a ce suspense d’un départ éventuel de Clov. Partira-t-il ou non ? Peut-être. On ne le sait pas jusqu’à la fin. »
Le texte est perfide. Les actions sont mécaniques et dénuées de situations narratives. Les personnages voguent de désarroi en fuite, criant leur intransigeance, dénonçant leur interdépendance. Les parents sont des morts-vivants qui renâclent par sursauts. Clov et Hamm eux se combattent, s’aiment peut-être et s’ennuient. Alors ils jouent de ça, il jouent d’eux-mêmes. Ils jouent de leur solitude perpétuelle et troublée dans laquelle un récurent combat intérieur les conduit à tenter d’exprimer l’inexprimable. Mais l’un sans l’autre, ils ne peuvent pas jouer à ce jeu de survie, cette seule occupation qui leur reste pour lutter contre l’absurdité et l’inutilité qui les taraudent et les figent dans un présent perpétuel et improductif. Il faut que cela finisse.
Jacques Osinski s’y entend à merveille pour faire parler Beckett. Il installe dès le début comme une façon de quatrième mur par le bruissement du lourd rideau de fer qui se lève, le silence et la lenteur qui s’emparent du plateau et la scénographie qui donne à l’ensemble une évidence de vacuité de l’instant. Nous sommes alors prêts à rentrer dans un théâtre de ruptures et de suspensions dans lequel le non-sens fatal et implacable se glisse et prend place.
Sa mise en scène est détonante. Il distingue nettement dans l’espace-temps de la représentation la parole et le silence, l’écoute et l’attente, l’entendu et le sous-entendu, le mouvement et l’immobilité. Œuvrant pour restituer ce qui semble être l’essentiel du théâtre de Beckett : « la choseté ». Aux couleurs allant du noir clair au blanc sombre, ici la couleur de la nuit et celle du chien, la « choseté » est ce qui représente selon Beckett la structure intime et indiciblement complexe de la réalité : « La chose sans accident, communément dite rien ».
Par ailleurs, Jacques Osinski sert élégamment les jeux textuels du méta-théâtre que Beckett parsème tout le long, laissant aux comédiens le soin de les jouer sans emphase ni effets. On entend parler les personnages de leurs jeux d’acteurs (aparté, soliloque, à moi de jouer, réplique…), cassant tout en la valorisant l’illusion théâtrale.
L’interprétation est d’excellence.
Peter Bonke et Claudine Delvaux campent les parents avec simplicité et efficacité, faisant ressortir avec justesse l’incarnation de leur décrépitude, leur quête de tendresse aussi comme la lucidité de leur condition de souffre-douleur.
Frédéric Leidgens est Hamm. Il sert avec une parfaite rigidité fourbe le personnage de ce vieillard cabot, personnifiant la violence qui soumet les autres, atrocement cynique et férocement touchant.
Denis Lavant est un fascinant Clov. Nous sommes hypnotisés par sa prestation. Un envoutant clown élastique, meurtri et déterminé à ne pas « être », à ne rien faire d’autres que ce que Hamm demande. Il nous fait croire jusqu’à la fin à une rébellion et une émancipation possibles. C’est fabuleusement bien joué.
Un spectacle de très haute qualité. Une « fin de partie » remarquable et mémorable en tous points. Incontournable !