Critiques pour l'événement Six personnages en quête d'auteur
18 nov. 2021
9/10
40
Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello Mise en Scène Emmanuel Demarcy-Mota
Captivant, Pertinent, Bellissime.

Nous sommes dans la salle de répétition, les machinistes préparent le décor pour une pièce d’un certain Pirandello…
La répétition commence sans grande conviction pour les comédiens comme pour le directeur.
Tout à coup apparaissent Six personnages tous vêtus de noir, le visage blafard.

Mais qui sont-ils ses personnages arrivés de nulle part ?

Le père d’une voix autoritaire fait les présentations, la mère veuve d’un autre que lui, un jeune homme leur fils, une jeune femme, une fillette et un jeune garçon tous enfants de la mère.
Ils ont été abandonnés par leur auteur et ils ont envie de vivre leur histoire.

Avec conviction, ils content leur drame, un drame familial haut en ‘noirceur’…
Le directeur finalement convaincu, accepte mais attention
« Ce sont les comédiens qui jouent, les personnages doivent rester tranquilles et silencieux. »
Mais ces personnages se rebiffent. Ils ne sont point d’accord avec l’interprétation.
« Cette fiction n’est qu’un pâle reflet de leur histoire. »
Nous sommes au théâtre et au théâtre on adapte…

C’est le théâtre, dans le théâtre.
Lorsque Pirandello la présenta, en 1921 ce fut un scandale, cette mise en abime ne conquit que peu d’adeptes.

Emmanuel Demarcy-Mota nous offrent un bijou, une mise en scène finement orchestrée, un magnifique décor, des éclairages clair-obscur, des ombres chinoises, c’est un monde onirique et fantastique.
Les comédiens sont tous talentueux et nous réjouissent.
Céline Carrère est une fabuleuse et magnifique Madame Pace.
Chloé Chazé nous impressionne par son cynisme, son regard nous transperce.
Valérie Dashwood incarne avec grand brio la belle-fille révoltée pour faire surgir la réalité de son histoire incestueuse. Elle nous séduit de par son jeu et sa gestuelle.
Alain Libolt, le Directeur et Hugues Quester nous offrent avec brio un duel sans merci qui nous captive.
La petite fille nous émeut profondément sa chanson « Fille la laine » met les larmes aux yeux. Elle semble venir d’une lointaine planète, elle est vaporeuse, légère et touchante.
Bravo à toute la troupe.
Nous sommes transportés sans cette fiction avec bonheur.
30 mai 2021
9/10
40
Sur un plan personnel, j’ai connu cette pièce dans une adaptation fabuleuse et célèbre faite à Madrid il y a 10 ans environ (la función por hacer). J’avais trouvé cette pièce formidable.

J’ai découvert la pièce à l’Espace Cardin sous la direction de Demarcy-Mota. Fabuleux.
La pièce commence par une scène de théâtre où les machinistes préparent la scène. Les acteurs arrivent pour la répétition. Le directeur arrive sous la tension de tous. La répétition démarre. Une famille de 6 personnes entre. Ce sont des personnages qui cherchent un auteur pour raconter leur histoire. Ils demandent au Directeur de le faire. Petit à petit, le Directeur affecte aux acteurs le rôle de chaque membre de la famille. Les personnages vont alors raconter leur drame. Celui qu’ils vivent éternellement puisqu’ils sont des personnages. Drame asbsolu de la famille où déchirement, séparation et pauvreté alternent. Puis, viendra la prostitution, le suicide et l’accident par la mort de la fillette. Les personnages jouent leur histoire. Les acteurs essaient de jouer leur rôle mais cela ne convient pas aux personnages qui trouvent qu’ils ne peuvent pas interpréter ce qu’ils n’ont pas vécu. Réalité des personnages, fiction des acteurs. L’histoire nous amène à une frontière ténue où réalité et fiction se mêlent. Tout se mélange à la fin. La pièce se finit par le départ de tous et le Directeur, seul en scène qui a le sentiment d’avoir perdu une journée.
Pièce déstructurée mélangeant volontairement les « réalités » de chacun.

L’interprétation est impeccable. Très belle mise en scène. Une belle idée d’avoir repris cette pièce qui a 20 ans. Un moment très agréable.
10 avr. 2016
10/10
125
... Ce spectacle m'a profondément marqué. Époustouflant et saisissant moment de théâtre. Un spectacle créé en 2001, devenu légendaire et qui le restera sans doute. Incontournable exposition du texte de Pirandello. Mise en vie avec une splendeur soignée et un brio d’interprétation exemplaire...
6 avr. 2016
8,5/10
164
La pièce de Luigi Pirandello, écrite en 1921, interroge ce qu’est le théâtre et la fonction de chacun dans ce monde d’apparences : « Faire passer pour vrai ce qui ne l’est pas, comme ça, sans nécessité, juste par jeu... Votre fonction est bien de donner vie sur scène comme des personnages imaginaires ? » questionne le Père en s’adressant au metteur en scène. Les mises en abyme, marque de fabrique de Pirandello, font des limites vrai/faux et fiction/réalité des frontières troublées, effacées, malmenées. Qui joue ? Qui est ? Nos certitudes deviennent floues comme souvent avec cet auteur qui s’amuse avec l’illusion théâtrale, comme c’était déjà le cas avec ses Géants de la montagne.

Les six personnages sont des formes quasi fantomatiques. Ni acteurs, ni véritablement réels, ils ont une histoire à jouer mais ne sont que personnages, des êtres imparfaits et même inachevés : abandonnés par leur auteur pour une raison qui nous échappe quelque peu, ils viennent chercher une forme d’accomplissement, comme un point final à leur création. Ils affrontent les acteurs, veulent vivre en eux : « celui qui a la chance d’être né personnage vivant peut se moquer même de la mort. Il ne mourra jamais. L’homme, l’écrivain, l’instrument de sa création, mourra, mais sa créature, elle, ne mourra jamais. Elle vivra éternellement. ». Pourtant, ce n’est pas l’éternité qui les intéresse ici mais juste exister le temps d’un instant. Le théâtre étant un art éphémère, ils savent que les œuvres et les personnages survivent bien au-delà de la représentation.

Ce qui surprend d’entrée de jeu, c’est la vivacité de la mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota aux prises avec quinze acteurs sur le plateau pour des jeux de dupes. Un formidable travail a été effectué autour des ombres et de la lumière. Yves Collet a fait des merveilles dans ce domaine et renforce la confusion générale, fascinante et troublante. Et même si parfois le texte nous semble un peu trop bavard, ce détail ne porte pas préjudice à un ensemble fort maîtrisé. La troupe du Théâtre de la Ville porte l’art de Pirandello au sommet avec en tête la resplendissante Valérie Dashwood, jouissante toujours d’une incroyable justesse, tout comme Alain Libolt, épatant directeur. Hugues Quester incarne un Père touchant tandis que Sarah Karbasnikoff est une bouleversante Mère.

L’illusion est ce qui se crée mais les personnages n’ont pas d’autre réalité d’après Pirandello. « Un personnage est toujours quelqu’un mais un homme en général peut n’être personne ». Pourtant, ici tout est mis en place pour interroger le processus de création, le rôle de l’auteur, les frontières sur le plateau, la place de l’acteur et ce que l’on fait des personnages au théâtre. Emmanuel Demarcy-Mota réussit haut la main à recréer toutes les subtilités de l’œuvre de Pirandello et fait de ces Six personnages en quête d’auteur un excellent moment, entre fiction et réalité, qui devient « le lieu de fabrication de tous les possibles ».