Critiques pour l'événement Les parents terribles
7 mars 2023
9/10
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Émouvant, Tragique Burlesque.

Jean Cocteau a écrit ce vaudeville-tragi-comédie au côté de Jean Marais auquel il dédiait le rôle de Michel le fils de famille. Elle fut jouée au théâtre des Ambassadeurs en 1938 mais fut vite interdite, reprise en 1941 au théâtre des Bouffes Parisiennes puis re- interdite. Cocteau était accusé de mettre en scène l’inceste ainsi qu’un tableau de la famille bourgeoise non reluisant. Elle fut reprise en 1945 et connu un franc succès en 1977 au Théâtre Antoine avec Jean Marais.

Christophe Perton lors d’une vente aux enchères à Drouot, tombe en possession du manuscrit original Des parents terribles, les versions que nous connaissons ont été censurées.

« Le manuscrit de 1938 : il est rempli de variantes, de scènes inédites, de répliques sublimes, d’une poésie invraisemblable. C’est une version plus scandaleuse » Ch.P

Entouré d’une merveilleuse équipe de comédiens « Muriel Mayette-Holtz, Charles Berling, Maria de Medeiros, Émile Berling, Lola Créton » dans une somptueuse scénographies art décor, Christophe Perton nous offre un succulent moment théâtral.

Une histoire de famille assez sulfureuse. Yvonne « Muriel Mayette-Holz » est une femme dominatrice, capricieuse, portant un amour démesuré et dévorant pour son fils Michel. Son époux, Georges « Charles Berling » vie dans son monde, s’accommodant des caprices et des humeurs de son épouse. Tous deux vivent avec leur fils Michel « Emile Berling » au crochet de Léonie « Maria de Medeiros » , ex fiancée de Georges qui lui a préfèré sa sœur Yvonne.
Nous faisons connaissance de ce petit monde lorsqu’une nouvelle intrue fait irruption dans la famille. Michel vient de rencontrer une jeune femme dont il est très amoureux Madeleine « Lola Créton ».

Tout irait bien le meilleur des mondes mais Yvonne est une mère Œdipienne, jalouse à l’hystérie, Georges un époux ayant succombé au charme d’une jeune femme qui n’est autre que Madeleine le récent amour de son fils. N’oublions point que Léonie est toujours amoureuse de Georges…Quelle famille et bravo à ces fabuleux comédiens.

Jean Cocteau est avant tout un poète, les mots sont beaux, puissants nous sommes émus, chamboulés par le drame intime qu’éprouve les différents personnages et amusés par l’enchaînement des événements vaudevillesques. C’est un chef d’œuvre.

La mise en scène de Christophe Perton est orchestrée avec minutie, les scénettes s’enchainent avec dynamisme, puissance et intensité. Le burlesque et la tragédie se côtoient avec finesse et subtilité. La scénographie est d’une grande esthétique. Le tableau final vous réserve une belle surprise…

Muriel Mayette-Holtz, est hallucinante et extraordinaire dans le rôle de cette mère possessive, aimant son fils d’un amour inconditionnel, meurtrie par la jalousie à en perdre la raison.
Charles Berling, incarne avec grand brio ce mari soumis mais infidèle, perdu et blessé par l’abandon de sa jeune maitresse.
Maria de Medeiros, interprète avec grande finesse Léonie mystérieuse amoureuse éconduit, se sacrifiant corps et bien pour cette famille.
Émile Berling et Lola Créton nous enchantent par la justesse de leur jeu.

Merci à tous pour ce magnifique moment de théâtre.
10/10
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Présentée ici pour la première fois à partir du manuscrit original retrouvé par Christophe Perton, enrichissant la version épurée habituellement jouée, cette pièce de Jean Cocteau revêt les atours grandioses et majestueux d’un mélodrame vaudevillesque ou d’une tragi-comédie de boulevard, toute en richesse de sentiments sans concession et en railleries violentes et cyniques. De la relation abusive d’une mère avec son fils en passant par l’adultère piégeux et l’amour frustré, tout est savoureusement dit et fait pour dresser le tableau horrifiant, ironique et drôle des rouages grinçants et grippés d’une famille bourgeoise du 20ème siècle.

« Michel est un jeune homme choyé par sa mère, Yvonne. Lorsqu'il annonce à ses parents qu'il aime Madeleine, le désespoir s'empare de sa mère, qui craint de perdre son fils, et de son père, Georges, car… Madeleine est sa maîtresse. Le trio vit aux crochets de la tante Léonie, sœur d’Yvonne, qui dissimule depuis nombre d’années son propre amour pour Georges. Léonie va tenter d’ordonner cette tragique comédie de la vie. »

Les rebonds et les nuances du texte, ses extravagances dans la souffrance et la colère comme dans la fébrilité de ses dévoilements intimes, sont magnifiquement rendues par la mise en scène et la scénographie de Christophe Perton. Nous sommes ballotés en permanence jusqu’à des bascules plus nettes par moments, de la comédie à la tragédie, comme dans un « drôle de drame ». L’esthétique d’ensemble est soignée et spectaculaire. La vivacité du rythme, les éclats de vie comiques et dramatiques comme les moments suspendus aux couleurs poétiques composent une partition dont les interprètes ne se privent pas de s’emparer avec ardeur, délicatesse et précision.

Il y a du grand art dans ces jeux. Passer ainsi de situations à la tension palpable à celles plus relâchées et drôles avec une telle aisance et une évidence incroyable, oui, il y a de l’excellence sur ce plateau. Une véritable leçon d’interprétation.

Murielle Mayette-Holtz est saisissante de vérité à chaque instant, de la fougue débridée dans sa rage de possession jusqu’à la chaleur dans l’émotion qu’elle déclenche, prisonnière de sa peur de la perte et du sentiment d'abandon. Son incarnation d’Yvonne est admirable. Nous assistons, cois et captivés, aux ébats cruels et vains d’une mère fracassée par l’inceste moral qui l’habite et qui cherche toujours et jusqu’au bout à satisfaire le désir destructeur d’assouvir ce trop-plein amour. Une splendide illustration du complexe de Jocaste. Une interprétation prégnante, totalement convaincante et crédible. C’est éblouissant.

Maria de Medeiros dans le rôle de Léo apporte un contrepoint savamment joué, portant avec subtilité le deuil de son amour impossible dans un dévouement rédempteur dédié au bonheur des autres. La finesse souvent ironique qui colore ses propos autant que ses postures sereines teintées d’une autorité silencieuse qui s’impose avec éclats, contribue et entretient le trouble dans ces relations intrafamiliales perturbées, frustrées et délétères. Une magnifique incarnation, une maitrise exemplaire du jeu d’actrice.

Charles Berling campe Georges dans un jeu sensible et troublant. Il nous montre avec une puissance rentrée puis jaillissante un mari-père-amant troublé et piégé par ses propres tromperies, qui erre comme un fantôme, un peu paumé dans cette maison ravagée par la violence des révélations et les effets de couperet des renoncements nécessaires.

Emile Berling et Lola Creton composent avec enthousiasme le fils et la promise convoitée avec la passion et la candeur quasi naïve d’une jeunesse délibérément vouée au plaisir de vivre sans compromission.

Une pièce de Cocteau cruellement drôle où la poésie rebondit sans cesse, qui fait exploser les codes du drame bourgeois en traitant avec amertume et sarcasme les relations toxiques au sein d’un chaos familial. Une mise en vie riche, belle et précise. Une interprétation stupéfiante et remarquable. Incontournable moment de théâtre.
3 mars 2023
9/10
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Les ravages de l'amour !

Nous entrons dans la salle du théâtre Hébertot.
Sur la scène, aux proportions parfaites, un lit immense occupe presque tout l'espace.
C'est là, sur ce lit, autour de ce lit, dans ce lit que va se jouer cette tragi comédie pendant un peu plus de deux heures.

Idée formidable de Christophe Perton à qui nous devons aussi l'adaptation puissante du texte diabolique de Cocteau.
Et une mise en scène qui est un parfait déséquilibre entre cris et silence, amour et jalousie, vaudeville et tragédie, ordre et désordre.

Pour jouer une telle partition, il faut des comédiens de haut vol !
Et ce sont trois immenses interprètes qui nous offrent de véritables morceaux de bravoure.

Yvonne qui hurle son amour démesuré pour son fils est au centre de cette famille dysfonctionnelle.
Muriel Mayette Holtz est démente dans ce rôle de mère qui fit scandale à la sortie de la pièce en 1938.
Excessive, jalouse, meurtrie, impétueuse, son personnage est à la hauteur de son talent.

A ses côtés, Charles Berling est Georges, mari étouffé et délaissé par sa femme.
Rempli de contradictions et de faiblesses, son jeu tout en retenue et la densité de ses silences sont impressionnants.

Quand à Maria de Medeiros, bien trop rare sur nos scènes, elle nous fait voir en Léo une soeur complexe, une amoureuse de l'ombre, une femme qui n'a pas de vie.
Sa présence, sa palette de jeu et d'émotions sont époustouflantes.

Ces trois là ont un nombre impressionnant de cordes vocales à leurs arcs.
Funambules oscillant en permanence entre tragédie grecque et vaudeville, toujours justes .....

Alors oui, la barre est vraiment très haute, et les deux jeunes comédiens qui complètent la distribution, par la faiblesse de leur interprétation, passent bien en dessous.
Pour interpréter Michel et Madeleine, face à ces trois géants, il aurait fallu de plus fortes personnalités.

Il n'empêche, le chef d'oeuvre de Cocteau est ici honoré, magnifié, exalté.
D'autres grands ont endossé ces personnages devenus mythiques, mais ceux qui occupent aujourd'hui la scène du théâtre Hébertot n'ont rien à leur envier, bien au contraire !