Critiques pour l'événement Les Inséparables
2 mars 2020
8,5/10
27
Première bonne surprise à l’ouverture du rideau, le décor, qui va dévoiler toute sa richesse scènes après scènes.
Sur deux niveaux, un appartement entier virevolte et offre de multiples points de vue.

En fond de scène, la vue par les fenêtres varie au fil des époques, puisque la pièce alterne années 1950 / de nos jours.
Montparnasse quitte ses airs de village pour les tours, la vue change aussi au fil des saisons ou des heures de la journée, le temps qui passe, le temps qu’il fait… l’ensemble est très réussi, on passe avec aisance d’une époque à l’autre !

Mais le décor ne fait pas tout, et l’interprétation est tout aussi séduisante.
Didier Bourdon campe deux personnages avec conviction, Valérie Karsenti (avec un petit accent slave qui surprend mais qui va très bien à son rôle ) est très touchante, les scènes en particulier autour des statuettes des fameux oiseaux inséparables ne laissent pas insensibles (en particulier la dernière…), c’est dans cette époque où l’émotion est la plus présente .
Le reste de la distribution tout comme la mise en scène est tout aussi efficace !

Et puis il y a l’histoire, cette alternance d’époques qui tient le spectateur en haleine au fur et à mesure que les pièces du puzzle se mettent en place (juste un bémol peut-être sur la scène d’ouverture, je suis vraiment entrée dans l’histoire avec le premier changement d’époque).

Très vite, une première question se pose : pourquoi ce grand-père que l’on découvre si charmant dans les années 50 est-il devenu l’homme détestable dépeint par son petit-fils? Comment a-t-il pu à ce point changer ? Et bien sûr qui est cette femme qui vient de lui léguer cet atelier?

Une parenthèse, j’ai beaucoup aimé les portraits que l’on découvre au fil de la pièce, dessinés par la scénographe Emmanuelle Roy, de très belles réalisations!

Peu à peu, de multiples détails font sens… , une bouteille de champagne non débouchée, ces tableaux qui hantent l’appartement, une carte postale d’Égypte, un journal… tout a son importance!

D’indices en révélations, on touche à des questions de transmission, de liens familiaux, du rapport à la création, à l’art, à la liberté, aux choix de vie et à leurs conséquences sur plusieurs générations.

Il y a des passages drôles, d’autres beaucoup plus graves, l’ensemble m’a convaincue!
Bref, à voir!
15 mai 2018
8,5/10
138
Stephan Archinard et François Prévôt-Leygonie disent écrire en pensant à un décor.

Il est indéniable que celui qui a été imaginé par Emmanuelle Roy (ainsi d'ailleurs que les costumes d'une folle élégance de Jean-Daniel Vuillermoz) contribuent à installer l'atmosphère de la pièce qui se déroule sur deux époques, dans un atelier de peintre en duplex, situé à Montparnasse.

Je ne comprends d'ailleurs pourquoi il n'est pas nominé cette année aux Molières dans la catégorie création visuelle. Il apparait certes, mais pour saluer le travail de mise en scène de Ladislas Chollat qui, s'il obtient la statuette, ne saura jamais à quelle pièce il la doit puisqu'il est tout autant cité pour Le fils.

L'intrigue est assez complexe. Gabriel Orsini (Didier Bourdon) est un peintre renommé en pleine crise existentielle. Dans sa vie, tout fout le camp : faute d’inspiration, il ne peint plus depuis des lustres, malgré le soutien sans faille de Maxime (Thierry Frémont), son fidèle galeriste. Il ne supporte plus sa compagne Célia. Il en veut aussi terriblement à Abel (Pierre-Yves Bon), son fils unique né d’un premier mariage désastreux, d’être devenu trader à New-York… suivant ainsi la voie de Samuel Orsini, le grand-père banquier de Gabriel.

Né de père inconnu, et orphelin de mère (Elise Diamant), Gabriel a été élevé par Samuel, un grand-père austère et implacable, à qui il a toujours voué une haine sans limite. Or, à la veille de ses 50 ans, qu’il s’apprête à ne surtout pas fêter, Gabriel reçoit un cadeau inattendu de la part d’une mystérieuse artiste peintre, d'origine russe, Sacha Khlebnikov (Valérie Karsenti) qui était en vogue dans les années 60 : ce magnifique duplex en bordure de Saint-Germain des Prés.

Lorsqu'il le découvre, en compagnie de son galeriste Maxime et de son fils Abel, Gabriel est aussitôt ébloui par la lumière. Mais ce qu’il ignore encore, c’est que cette lumière vient de son passé et qu'il s'apprête à y faire un bond …

Le décor tourne au fil des saisons, remontant le temps que l'on devine changer en découvrant les projections video à cour. Les acteurs ont un lieu magnifique pour évoluer dans la plus grande vraisemblance possible. Le spectateur a réellement le sentiment d'être invité chez eux. Ils ont tous excellents, avec bien entendu une mention spéciale pour Valérie Karsenti qui campe une Sacha mutine, intelligente, très touchante, en prenant à la perfection l'accent russe qui convient. Didier Bourdon interprète un Gabriel plutôt insupportable de mauvaise humeur au début de la pièce alors qu'il devrait se réjouir de recevoir un cadeau aussi somptueux. Il est aussi ce banquier Samuel qu'on découvre sincèrement amoureux de Sacha, et soucieux du bien-être de son petit-fils. Ce n'est sans doute pas aisé de passer de l'un à l'autre et le comédien le fait très bien.

Sauf que cette gymnastique s'effectue peut-être au détriment de la pièce parce qu'on ne comprend pas qu'on nous présente Samuel comme "un grand-père austère et implacable, à qui il a toujours voué une haine sans limite". Si j'ai bien compris, cet homme a sacrifié l'amour de sa vie pour élever un petit-fils d'une ingratitude qui ne mérite pas, mais alors pas du tout, l'héritage que Sacha lui fait.

Que Samuel ait traversé une période de dépression suite à la mort de sa fille (la mère de Gabriel) on peut l'admettre, mais je n'ai pas compris pourquoi il met fin à sa relation avec Sacha alors que sa femme ne semblait pas constituer un motif (Christine est gravement malade, internée, on ne sait pas pourquoi d'ailleurs, mais cela semble être très sérieux et il affirme aussi qu'elle n'est "plus dans dans tête et qu'il n'y a jamais eu d'amour entre eux"). Les amants se séparent alors même que le titre de la pièce, les Inséparables, les désignent à l'instar de ces oiseaux dont la légende dit que si l'un meurt l'autre est condamné à le suivre. Or rien n'est dit à propos d'un décès de Samuel. La mort de sa fille n'a pas du précipiter un suicide puisqu'il annonce qu'il se consacrera à l'éducation de son petit-fils. On peut supposer qu'il n'est plus en vie au début de la pièce mais sans en avoir aucune certitude.

Cette pièce est un puzzle que je n'ai donc pas décrypté, même après avoir lu le texte, y compris les longues didascalies. Le personnage de Celia (la compagne de Gabriel) est une totale énigme puisqu'elle n'est pas représentée sur scène et que quelques rares lignes font allusion à son existence. Par contre il aurait été très intéressant que l'histoire se répète, qu'elle soit peintre et maitresse de Gabriel.

Que Samuel quitte Sacha m'échappe totalement et que Gabriel (comme son galeriste Maxime) n'en ait jamais entendu parler ne plaide pas en la faveur du talent de cette peintre dont on nous dit qu'elle était en vogue dans les années soixante. Que Gabriel n'ait jamais entendu parler de sa mère est totalement insensé. Cela me semble irréaliste que Samuel ait voulu se consacrer à l'éducation de son petit-fils sans l'entourer d'amour.

Une chose est certaine : Samuel est culpabilisé par la mort de sa fille : Tout est de ma faute. (...) Vous m'avez déboussolé toutes les deux en me faisant croire que tout était possible.(...) On ne peut pas vivre comme ça sans discipline, sans garde-fou (...) ou alors on vit pour soi comme toi, sans attaches. Pour moi tout est fini.

En disant cela le vieil homme condamne Sacha, la rendant pour partie responsable de ce qui est arrivé, la contraignant au silence : là où tu es, tu ne m'entendrais pas.

D'autres confusions existent avec les années. Quand l'action se déroule "cinquante ans auparavant" c'est en fait en 1958, donc "aujourd'hui" serait il y a dix ans.

La seule logique de l'histoire est que Sacha léguerait le duplex à Gabriel par fidélité à son amant et à la fille de celui-ci avec qui on note qu'elle a sympathisé au cours du quatrième tableau, comme si elle en avait été une sorte de mère de substitution. Elle rend en quelque sorte à la famille un bien dont elle fut un temps dépositaire.

Malgré les questions qui se posent sur la logique du déroulement cette pièce est un petit bijou qui beaucoup à l'interprétation des comédiens.
12 mars 2018
8/10
152
Je ressors de ce spectacle avec un mélange d'exhaltation et d'émoi.

L'histoire, finement traitée, nous fait passer d'une époque à une autre, du présent d'un homme, au passé d'une femme, mêlant leurs destins avec brio. On se laisse embarquer dans une riche palette de thématiques : la transmission, la relation parent/enfant et son contraire, l'art et l'inspiration, l'amour. L'Amour, aussi.

Les dialogues, forts, incisifs, sont portés par une distribution magistrale : Thierry Frémont apporte l'élégance et de petites notes d'humour, Valérie Karsenti brille de sensualité et de charme, quant à Didier Bourdon, il est bouleversant, charismatique, interprète à la fois de ce peintre désabusé et amer, et de son grand-père, un homme au coeur aussi large que sa fortune de banquier.

Le décor, personnage à part entière dans cette pièce, c'est l'atelier, le témoin des deux époques, celui qui n'a pas bougé malgré les années, avec seulement la vue à la fenêtre qui a évolué au fil des ans. Tout y est, de la démesure de son format, aux petits détails qui le rendent réaliste.
Monumental pavé rotatif, travail d'Emmanuelle Roy, il nous permet de visiter avec les protagonistes le temps et l'espace de cet appartement, dans ces différentes réalités. Et selon le sens de notre voyage dans le temps, l'atelier tourne dans le sens ou à l'inverse des aiguilles d'une montre, baigné dans une création lumière sobre et efficace, et une musique au diapason.


On se retrouve forcément un peu dans l'un ou l'autre de ces personnages, et dans cette histoire.
1 mars 2018
8/10
124
Un spectacle agréable et très bien joué, une histoire sympathique et intéressante. Un joli temps de théâtre.
12 févr. 2018
8/10
25
De nos jours, un homme à sa fenêtre, songeur, il a hérité d’un magnifique duplex à Montparnasse, quartier des artistes, il est peintre. Maxime son galériste est inquiet et il en parle à Abel le fils de Gabriel. Plus de créations, c’est le flou artistique, ses dernières expositions remontent à quatre ans. L’inspiration n’est plus là.

Abel lui est dans la finance, il revient des Etats Unis, il fait une belle carrière, n’a pas vu son père depuis deux ans. Gabriel n’est pas plus enchanté que ça de voir son grand fils, il envoie promener le pauvre Maxime qui fait ce qu’il peut en pensant bien faire !

Ils inspectent l’appartement, une armoire leur cause bien des problèmes, ce sera la boite de Pandore lorsqu’ils découvriront lettres, boites de peinture, tout l’attirail du peintre Sacha.

Autre façade du décor, on est à présent dans les années 60, Sacha les yeux bandés avec la cravate de Samuel, entre dans l’appartement, il est banquier, et il est tombé amoureux de cette fascinante artiste russe, il l’aime et lui offre ce beau duplex à Montparnasse. Il est marié, sa grande fille Raphaelle a un enfant, on ne sait pas qui est le père. Quant à l’épouse, elle est souffrante psychologiquement et Samuel s’en occupe comme il peut.

L’histoire est touchante, l’amour partagé, l’incompréhension entre les générations, la transmission, les secrets de famille qui pourrissent.

Didier Bourdon montre sa fragilité, sa douceur, qu’il soit Gabriel ou Samuel, Thierry Fremont est comme toujours excellent, Valérie Karsenty démontre une fois de plus sa “palette” de sentiments avec un léger accent russe, PIerre-Yves Bon et Elise Diamant quant à eux ne sont pas en reste et seront les “liens” entre les deux époques.

Un décor tournant comme un carrousel, superbe duplex, avec vue sur la rue et les variations de temps et de saisons à travers la verriere, c’est intelligemment conçu.

Un peu lent à démarrer cependant, mais l’histoire est belle, et les comédiens sont parfois à l’opposé de ce qu’ils ont l’habitude de jouer. On rit, on est ému, une belle pièce à savourer.